La Porte étroite

Dans l'Evangile de Luc 1324, il est dit « Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite, car je vous le dis, beaucoup chercheront à entrer et ne le pourront pas. »

Le symbole de la porte étroite est universel. Nous le retrouvons, entre autres, chez les «dresseurs» de mégalithes, les indiens du Pérou, ou les constructeurs des grandes pyramides.

En «maçonnerie», la porte étroite est basse, elle est le point d'accueil de notre pre­mière entrée dans le temple lors de l'initia­tion. C'est la porte qui permet le passage de la terre au ciel, du matériel au spirituel. Et pour les civilisations des mégalithes, c'est par ces pierres perthuses que les esprits retrouvent le Un, le point originel.

C'est Janus (voir photo en page 5), qui a donné janvier, qui détient les clefs de ces portes Janus au double visage dont le sym­bole a été repris pour fêter les St Jean, eux aussi doubles, tournés vers le passé et vers l'avenir. Ils sont donc les clefs des deux portes solsticiales dites porte des dieux et porte des hommes, passages réguliers et rituels des ténèbres à la lumière et de la lumière aux ténèbres. Ce qui semblerait dire que même si nous voyons la lumière, rien ne nous fait croire qu'elle est défi­nitive puisque la nuit succède au jour et l'hiver à l'été.

Qui a emprunté cette porte étroite ? Mystère !
Place du Bourg-de-Four, Genève, © Sub Rosa

Donc le symbole de la porte étroite est connu depuis la préhistoire. Il représente la difficulté que rencontre l'homme, le futur initié, à passer du monde matériel de son individualité (l'équerre) au monde spirituel de son soi supérieur (le compas). De nomb­reux textes mentionnent ce passage étroit où l'on ne peut passer que dépouillé de tous nos conditionnements terrestres, le fameux dépouillement des métaux. Il est dit qu'il est plus difficile pour un riche de pénétrer dans le royaume des cieux qu'à un chameau dans le chas d'une aiguille.

Une lecture récente m'a fait découvrir que le chas de l'aiguille (le trou de l'aiguille) «était une petite porte étroite et basse dans la muraille de Jérusalem qui ne pouvait être franchie que par un piéton.» Ce qui signifie bien sûr combien il est difficile de s'éveiller à la réalité spirituelle que nous portons en nous, si nous restons axés sur le monde matériel et ses valeurs de richesses et d'argent; l'époque actuelle devrait nous renforcer dans cette conviction.

Ce symbole est le même que celui rencontré en Orient, qui parle d'un pont aussi étroit qu'une lame de rasoir, ce seul pont permettant de passer le fleuve de la vie existentielle afin de se retrouver sur la rive spirituelle. Les bouddhistes insistent sur la méditation comme porte permettant, en se détachant du corps matériel, de pénétrer, en abaissant le niveau de conscience, dans les profondeurs de la partie spirituelle qui est en nous.

Ce qui permet de réfléchir sur l'illusion mystique de la fameuse élévation vers le Dieu des chrétiens, car c'est à l'intérieur de notre conscience que se trouve la parcelle de divinité (de spiritualité diront certains: le petit homme en or de la taille d'un pouce disent les Brahmanistes), l'inconnu inconnaissable, indéfinissable, le CELA, à la fois l'être et le non être chers au Tao.

C'est aussi la recherche de la matrice qui recueillera l'âme destinée à revenir sur terre (Bardo Th6dol, 3e partie). Cette matrice d'où est sorti le nouveau né par cette autre porte étroite qu'est l'utérus. Invocation de la terre mère, vierge qui demeure dans la nuit tellurique.

La même tradition assimile la porte étroite au chakra coronal (fontanelle non fermée chez les bébés... bizarre hein !). C'est par cette porte que sort la force des initiés qui, après avoir été purifiée dans les diffé­rents chakras, s'échappe au moment de la mort physique pour libérer la kundalini Pour les autres, les normaux, les vulgaires, comme vous et moi, cette libération se ferait par le chakra ombilical... c'est moins noble. C'est le même symbole qu'évoque René Guenon dans un article intitulé «La porte étroite» (Editions traditionnelles, 1938), dans lequel il évoque des trépanations rituelles sur les morts en Orient, ou Stanislas de Guaita qui explique ainsi la triple frappe sur le sommet du crâne du Pape décédé, par le cardinal camerlingue, pour restituer la substance fluidique. Ce qui explique le port du chapeau dans beaucoup de rituels: il faut protéger le sommet du crâne de celui qui manie les forces solaires.

Nous revenons sur la nécessité de prati­quer pour cela le yoga, la méditation ou la prière. Encore faut-il se souvenir que celle-là ne doit pas être récriminations, plaintes et demandes implorantes mais intégration et dévotion, et quitter le «dieu» crucifié de douleurs pour le christ en majesté (au tympan de la basilique de Vézelay par exemple).

Le travail de tout chercheur, de tout homme digne de ce nom, est de trouver le passage qui le mènera à la porte étroite, but ultime de la recherche imposée par l'étincelle spirituelle qu'il porte en lui et dont il doit découvrir la réalité suprême cachée au fond de son individualité illusoire.

Je vous laisse méditer sur le symbole de la porte qui permet d'entrer et de sortir à la fois, de quitter et de découvrir. Souvent lorsque je passe une porte étroite ou monu­mentale, j'ai l'impression que je vis deux faits différents: j'abandonne la pièce, le lieu, le monde dans lequel j'étais et qu'un autre être pénètre dans une autre pièce, un autre lieu, un autre monde. C'est sans doute l'impermanence chère aux bouddhistes qui me traverse alors !

Bien qu'étranger au monde chrétien par choix sinon par culture, je pense qu'il est possible de terminer mon propos par une autre citation (Jean 14,6) «Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi.»

Ainsi, selon Jean, la porte étroite pourrait être assimilée au Christ, au nombre 8, ce qui permettrait de passer du 7 (le plan de la créa­tion cher à la maîtrise) à la connaissance du Créateur, le 9, soit 3 fois 3, batterie du Ille degré au Rite Ecossais Ancien et Accepté.

J'ai dit