GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 3T/1990 |
Saint-Jean d'été 1990 — Quelle heure est-il ? pourrait demander
un Grand Architecte dont les jours seraient nos années. — Il est midi, Maître, lui répondrait-on,
au solstice d'été. Jour en lequel le soleil passe au plus haut dans le ciel
pour les occidentaux que nous sommes, comme il culmine à midi dans sa course
journalière. Jour le plus long, fête de Saint-Jean le Baptiste depuis près de
deux millénaires comme au solstice d'hiver est fêté Janus bifront, un visage
jeune au solstice d'hiver tourné vers l'avenir, vers la remontée du soleil dans
le ciel, vers le retour de la lumière, un visage ridé au solstice d'été tourné
vers le passé, regardant le soleil décliner au fil des jours et les ténèbres
s'épaissir. Si les solstices
ont de tous temps été liés aux cultures, ils ont aussi, de tous temps, fait
partie intégrante des religions et des écoles initiatiques. Presque toutes les
religions sont solaires et presque tous les rites sont agraires. Faisons un bond de
quelques milliers d'années en arrière, laissez-moi vous entraîner dans une
fiction qui pourrait commencer comme le film «2001 ou l'odyssée de l'espace» :
la vie d'hommes-singes, uniquement préoccupés de leur survie. Il était une fois
un homme préhistorique, peut-être déjà
vêtu de sa peau de bête, peut-être déjà
armé de sa massue, qui attendait tous les matins, devant sa
caverne, le soleil.
Cette «chose» qui sort de la terre, qui éclaire et
qui réchauffe, qui chasse
l'obscurité, l'angoisse de la nuit et les dangers invisibles.
C'est quelque
chose de bizarre, ce soleil ; il se cache parfois derrière
des nuages et puis,
et puis... il ne sort pas tous les matins du même endroit de la
terre, il ne
reste pas tous les jours aussi longtemps et les nuits sont quelquefois
bien
longues ! Il ne parcourt pas toujours le même chemin dans le
ciel et ne rentre
pas tous les jours au même endroit dans la terre. C'est
déjà un homme pensant
qui se fait ces remarques. Des générations
plus tard, un homme, presque identique au précédent, remarque que le soleil ne
sort pas n'importe où de la terre, qu'il peut prévoir d'où il sortira le
lendemain, que ces endroits se placent entre deux points extrêmes en un lent
mouvement de va et vient et qu'il en est de même pour les endroits où le soleil
rentre dans la terre. Il remarque aussi
que les trajectoires dans le ciel se déplacent au même rythme que les levers et
couchers. Des générations,
sans doute encore plus tard, l'homme adore ce soleil qui apporte la chaleur, la
vie, la lumière ; il en fait un Dieu. Il repère les positions extrêmes dans
les directions desquelles son Dieu se lève et se couche ; pour cela, il pose
des cailloux et plante des piquets, enfin érige des colonnes : deux colonnes
pour marquer les directions de ses levers extrêmes ou deux colonnes pour
marquer les directions de ses couchers extrêmes à partir d'un point qui
devient le centre d'un endroit sacré. L'homme a trouvé
les solstices d'été et d'hiver, il a construit le premier calendrier annuel
puis semestriel. Beaucoup plus tard,
l'ombre d'une colonne lui donnera l'heure, c'est le cadran solaire, c'est aussi
l'obélisque égyptien dont la pierre cubique à pointe qui le termine indique les
quatre points cardinaux. Puis, les formes s'affinent, la beauté s'en mêle, les
diamètres des colonnes circulaires sont tels qu'aux solstices, ces colonnes
cachent tout juste le soleil qui semble en sortir le matin ou y rentrer le
soir, apparaissant un instant exactement à leur sommet, comme un disque posé
dessus ; d'où ces globes qui surmontent parfois les colonnes sur certaines
illustrations et dans lesquels certains ont voulu y voir les globes terrestre
et céleste. Ces deux colonnes,
qui prendront ensuite un sens différent, quoique issu du précédent, elles
indiqueront une limite, en encadrant une porte. Elles marqueront le passage
d'un monde à un autre. Les colonnes d'Hercule, élevées par ce héros à la fin de
son voyage en Afrique du Nord, l'une en Europe, le rocher de Gibraltar, l'autre
en Afrique, le rocher de Ceuta, étaient destinées à marquer les limites
géographiques et séparer le monde connu du monde inconnu. Elles permettaient
aussi de réduire le passage entre ces mondes afin d'empêcher les monstres de
l'océan de franchir le détroit. On sait ce que les Grecs craignaient qu'il leur
arrivât s'ils passaient ce détroit : Poséïdon siégeait dans l'Atlantique ! Les colonnes
marquent le passage entre le monde profane et le monde sacré dans les temples
chrétiens, égyptiens, grecs, maçonniques. Les solstices, de
manière analogue, marquent des limites, sont des portes. Le solstice d'été
représente la porte des Hommes, le solstice d'hiver la porte des Dieux. Le solstice d'été
symbolise aussi l'initiation, la cérémonie par laquelle le glébeux devient
Homme, passe du monde de la Nature à celui de la Culture, devenant un être
ouvert à la vie de l'Esprit. Le solstice d'hiver
symbolise, lui, le passage à l'Orient Eternel, porte qui ouvre sur un monde sur
lequel la Franc-Maçonnerie n'émet aucune hypothèse. Car si une religion promet
généralement un Ciel, un Paradis, un Nirvana, un Walhalla, en récompense d'une
vie juste et parfaite, il est des sociétés initiatiques, comme la
Franc-Maçonnerie, qui ne promettent rien car elles n'ont rien à vendre. Elles
proposent à l'homme un chemin terrestre de perfection, que nous appelons «Voie
Royale». «On ne nous enseigne pas la Sagesse, dit Proust, on la découvre
soi-même au bout d'un chemin que personne ne peut faire à notre place». Ce chemin terrestre
commence par l'initiation et l'initiation commence par l'épreuve dite «de la
Terre» au cours de laquelle le postulant est confronté au coq. De même que le coq
chante à la fin de la nuit pour annoncer la lumière du jour, Jean le Baptiste a
prêché au désert pour annoncer la venue de la Vraie Lumière. C'est une parcelle
de cette Lumière que reçoit celui qui est baptisé, non par l'eau mais par
l'Esprit ; c'est une parcelle de cette Lumière que reçoit l'initié Franc-Maçon
devenant ainsi «Fils de la Lumière». Car le message de
cette Lumière est le même quelle que soit la façon de la considérer ; c'est le
message qui traverse la nuit des temps : redresser la structure psychique de
l'adepte, le métamorphoser, transformer le plomb en or, ressusciter l'Esprit
que le profane avait assassiné (P.B. Loiseau). La Franc-Maçonnerie
est un ordre initiatique et traditionnel. Elle se donne pour tâche essentielle
de transmettre la tradition. C'est ce que nous faisons lors de cette fête
solsticiale d'été; en honorant Saint-Jean le Baptiste, nous perpétuons les
traditions des corporations de métiers mais aussi celles de toutes les
religions dites païennes. Le feu de la
Saint-Jean a toujours brûlé et en tous lieux. Quand la tradition prit une forme
chrétienne, Janus devint les deux Saints-Jean, mais le symbolisme cosmique
demeura inchangé. La vie est cyclique, tout ce qu'elle anime croît et décroît. La qualité d'une
société traditionnelle se reconnaît à son aptitude à réactualiser le message -
inchangé - qu'elle est en charge de transmettre, en épurant constamment et
renouvelant son expression. La symbolique de la Mort et de la Résurrection nous
enseigne, entre autres choses, que la tradition, comme tout être vivant, doit
être reformulée pour être vivifiée. C'est ainsi que
l'initié égyptien recherche les énergies qui feront de lui un Dieu ou l'égal
des Dieux. C'est ainsi que le Dadouque, puis Hiérophante des mystères
d'Eleusis, après avoir atteint la divinité, refait sa marche en sens inverse
jusqu'à ce qu'il arrive au repos. Bouddha, quant à lui, préfère devenir
Boddhidsattva pour montrer le chemin aux autres hommes. Le Pythagoricien, pour
sa part, se réincarne, sachant de tout temps qu'il lui faut périodiquement
subir des épreuves et remonter des Enfers à l'exemple d'Orphée. C'est également
ainsi que le Wiking.emploie sa vie à traverser le pont qui mène du monde des
Hommes à celui des Dieux en suivant l'itinéraire sacré du Soufi. Le Maître
Maçon, en pleine possession de ses moyens, suit le même chemin que le
bouddhiste, l'hermétiste, l'alchimiste, il est dans la même voie
traditionnelle, entend les mêmes voix qui viennent du fond des âges. Et toutes ces voix,
toutes les traditions, affirment la nécessité d'une métamorphose, d'une
purification, d'un changement d'état, en vue d'accéder à la vie spirituelle. La
clé en est qu'il faut mourir pour renaître. S'initier, c'est non seulement
harmoniser sa vie (sagesse), mais c'est aussi et surtout apprendre à mourir,
donc rechercher ce qui peut être au-delà de nous- mêmes (connaissance). La Franc-Maçonnerie
s'inscrit dans le courant traditionnel immémorial en permettant à l'homme qui
le désire de puiser, boire aux sources primordiales afin de se construire,
homme d'aujourd'hui, moderne, c'est-à-dire vivant avec son temps, les idées de
son temps, les progrès de son temps, tout en restant dans la tradition. Une
société qui fige ce qu'elle appelle sa tradition, tue cette tradition,
laquelle, cessant alors d'être bien vécue, n'est plus comprise et ne vit plus
dans les esprits que comme observance servile. C'est ce qui arrive dans les
sectes dites «traditionalistes », qui vivent d'un cadavre de tradition momifié
dans des textes et deviennent «intégristes ». Christian Jacque
rappelle que «quand
les scribes, les initiés, se penchaient sur un texte
pour en dégager la signification, ils ajoutaient, sans en
éliminer aucun,
d'autres arguments à ceux déjà mentionnés
par les générations précédentes. Puis
la génération suivante étudiait ce même
texte, et toujours sans supprimer les
autres commentaires, développait ses propres idées sur la
question. Voilà une
caractéristique de la fantastique cohérence du
système de la pensée égyptienne
: laisser la place à plusieurs modes de réflexion sans
privilégier l'une ou
l'autre, ni les considérer comme contradictoires ». Minuit «plus une
seconde» est l'heure de la naissance ou de la résurrection, d'un nouveau départ,
d'une nouvelle vie ; midi est celle de l'initiation, d'un changement de niveau
de cette vie ; minuit «moins une seconde» est l'heure de la mort, l'annonce
d'un changement, d'un nouveau cycle. La voie exotérique se vit de minuit à
midi, à la recherche de la lumière matérielle. La voie ésotérique se vit de
midi à minuit à la recherche de la lumière intérieure, du solstice d'été au
solstice d'hiver, de la porte des Hommes à celle des Dieux, de la lumière vers
l'ombre. «Lumière et
Ombre, dit Zoroastre, sont les deux éternelles voies du monde ». La Franc-Maçonnerie
de tradition a pour clé de voûte l'invocation au Grand Architecte de l'Univers
et le Franc-Maçon rend gloire à un principe qui met en oeuvre un processus de
construction intérieure. L'homme, perdu dans la multitude, est un nomade de
l'esprit. Son entrée dans une société traditionnelle va le sédentariser grâce à
cet idéal de construction de lui-même car il est le temple à construire. La
voilà, l'actualité de la tradition : nous reconstruisons l'Homme. Depuis le temps des
pyramides, on s'exprime avec les mêmes mots, les mêmes gestes, avec le Soleil,
la Lune, le Delta, le Volume de la Loi Sacrée, le Compas, l'Equerre, la Règle
et autres outils. La vie dans une Loge maçonnique est identique, dans la
méthode traditionnelle, à celle de l'Egyptien qui entrait dans le péristyle
recevoir l'initiation. Le vrai temple dans lequel se consacraient les mystères
était le corps de l'homme égyptien ; c'est là qu'il adorait son Dieu,
c'est-à-dire tentait de comprendre le sens du mystère. De même, le Franc-Maçon,
dans sa Loge, apprend, grâce à ses outils symboliques, à percevoir la lumière
qui est en lui. Alors, par la
présence à soi, l'écoute de la parole, la
connaissance du «mot de Maître» et la
fidélité, l'homme régénéré
chemine inexorablement vers la Lumière qui est en
lui et au devant de lui. Porteur d'une même et éternelle
étincelle de vérité,
transmise de siècle en siècle, il entend le
précepte d'Hermès Trismégiste : «Sache que ce qui est en Toi regarde et
entend, c'est la Parole du Seigneur et ton Esprit est Dieu Père; ils ne se sont
pas séparés l'un de l'autre car c'est leur union qui est la vie». Il comprend
Saint-Jean l'Evangéliste qui reprend en écho, faisant parler le Christ : «En
vérité, je vous le dis : si quelqu'un garde ma Parole, jamais il ne verra la
mort ». Il y a, dans notre
rituel, une question fondamentale : «Pourquoi vous êtes-vous fait recevoir
Franc-Maçon ?» La réponse est
merveilleuse : «Parce que j'étais dans les ténèbres et que j'ai désiré la
lumière» . Au moment de franchir cette porte des Hommes, prenons la résolution d'être des Architectes de la paix et notre oeuvre sera Lumière. |
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