GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 3T/1990

Les chemins de la vérité

«La pire mésaventure, heureusement improbable, qui pourrait advenir d l'esprit humain, serait la découverte d'une Vérité définitive» tient à mettre en garde, dans le «Dieu Masqué» Thierry Maulnier, l'académicien qui vient de disparaître.

Et pourtant ! Depuis que l'intelligence lui a été donnée l'homme ne cesse de courir après le secret de son âme, en mal d'une Vérité Fondamentale dont la perte est encore à ce jour tragiquement vécue dans son irréparable. Orphelin amnésique de l'Histoire, qui aurait tout oublié de ses origines, jusqu'à l'éventualité qu'il pût en avoir, l'homme porte en lui comme d'autres une cicatrice invisible - mais - sensible, la nostalgie de l'Unité... Initiatrice : impression confuse d'insatisfaction !... vague sentiment d'incomplétude !... mal-de-vivre informulé en somme ! la nostalgie de l'Unité Première, c'est aussi une soif d'Absolu.

Au commencement de notre passé — c'est le Livre qui le dit — le fils aine de la terre matricielle a prématurément goûté au fruit réservé de la Connaissance. Il a laissé l'immortalité des formes, entraînant du même coup avec lui dans le «temporalat» toutes les oeuvres de la Création, sous le triple signe profane de l'autre, du deux et du multiple. Mais en dépit des siècles et des siècles, au-delà du silence, quelque chose d'indéfinissable en l'homme se souvient.

Les Hindous le disent un peu différemment quand ils racontent, à travers une vieille légende brahmane, que tout être humain possède à son insu son propre divin, un divin sans visage, si bien dissimulé dans les replis de l'inconscient qu'il s'y est perdu. Livre ou légende, il est dans la destinée de l'homme de briser la malédiction du binaire profane, de retrouver en lui le divin de l'être qui du fond de l'inconnaissable lui parle d'unité, d'infini, d'éternité, de réveiller de ses cendres assoupies cette petite étincelle originelle, afin que, grossie de ses semblables, elle éclaire demain de la vraie lumière :

Les chemins de la Vérité

L'histoire de l'Humanité — ce sont les savants d'aujourd'hui qui le disent — est celle d'une longue suite ininterrompue d'ordre et de désordre qui a commencé il y a maintenant près de 15 milliards d'années. Contredisant Jacques Monod pour qui : «L'homme était perdu dans l'immensité indifférente de l'Univers d'où il a émergé par hasard », de très sérieux astrophysiciens de renom, Hubert Reeves, entre autres, n'hésitent pas à déclarer publiquement que l'existence de l'Homme était inscrite bien avant lui dans l'aventure du Cosmos, dès l'instant premier, cet instant 0+ où l'énergie s'est faite matière et à partir duquel l'inconcevable a cessé de l'être. Tout se passe comme si l'Univers sorti on ne sait de quel chaos cosmique, de quel «en-soph », le néant mythique des kabbalistes, ni par qui ni par quoi, avait été... providentiellement, oui c'est cela providentiellement, réglé pour que la vie apparaisse et que s'éveille la conscience des hommes.

Difficile de rester insensible à cette volonté exprimée par l'infiniment petit et l'infiniment loin originels, de se réaliser en l'homme, selon un protocole si merveilleux de précision qu'on pourrait douter qu'il ne fût préécrit ! Hasard, Génie-créateur, bien peu aujourd'hui se risqueraient à conclure définitivement en faveur de telle ou telle hypothèse, dont dépendent à l'évidence le sens de notre interrogation voire l'utilité même d'une réponse. Le monde, jusqu'ici, n'a pratiquement rien cédé de son intelligibilité, qui reste pour l'essentiel, aussi hermétique que ne l'était au siècle des lumières le «Livre scellé» de Kant (1724-1804).

Que puis-je savoir ?
Que dois-je faire ?
Que m'est-il permis d'espérer ?

s'interrogeait le philosophe de Koenigsberg pour nous dire plus simplement après tant d'autres :

«Qu'est-ce que la vie ?
Qu'est-ce que l'Homme ?»

En développant sa théorie de la connaissance essentiellement fondée sur des informations intuitives, leur compréhension et surtout sur la raison pure en dehors de toute autre considération empirique ou théologique Emmanuel Kant se posait en «humaniste du savoir » dans la mesure où il s'intéressait à la performance intellectuelle de l'homme, l'homme pris en «soi », l'homme tel qu'en lui-même avec ses limites certes, mais au centre de la nature à qui il donne un sens par ce qu'il est, par ce qu'il pense et par ce qu'il fait.

Plusieurs décennies auparavant René Descartes (1596-1650) pensait avoir trouvé avec l'Unité et l'Infini la preuve ontologique de Dieu dans sa «Troisième Méditation métaphysique»: ... «Car encore que l'Idée de substance soit en moi, de cela même que je suis une substance, je n'aurais pas néanmoins l'idée d'une substance infinie, moi qui suis un être fini, si elle n'avait mise en moi quelque substance qui fût véritablement infinie... ». Pour l'auteur du génial «Cogito» - «je pense donc je suis» - Cogito Ergo Sum — Dieu existe puisqu'il est dans ma pensée, je peux tout mettre en doute sauf ce doute lui-même et la pensée qui l'engendre.

Entre le doute et la certitude, le «vraisemblable mais faux » et « l'incroyable mais vrai », l'homme - tantôt Promethée vainqueur, tantôt Sisyphe vaincu - semble condamné à vivre avec l'angoisse que l'on dit métaphysique parce qu'elle lui vient de l'insaisissable Absolu. Le constat de sa vulnérabilité, la perspectivé de sa fin biologique, l'idée seule du Néant en sont une cause. L'irritante faillite intellectuelle à en expliquer le pourquoi, le sentiment d'incomplétude que laisse le souvenir enfoui de l'irréparable, en sont un autre mais combien plus tragique pour celui qui découvre que la liberté dont il jouit n'est peut-être, tout compte fait, qu'une liberté tronquée. Pas étonnant, dans ces conditions, que l'homme se prenne à rêver d'un « autre chose », d'un «ailleurs » où il n'aurait plus à rendre compte - au nom d'une mémoire collective - de la faute que le premier des nôtres aurait hier commise.

Mais au fait, qu'est-ce que cette faute dont on nous rebat les oreilles avec tant de complaisance et que l'humanité n'en finit pas d'expier. Le mythe de la faute originelle - car vous en serez d'accord, il s'agit bien d'un mythe - le mythe de la faute originelle plonge d'obscures et tenaces racines dans l'inconscient de l'Homme régulièrement confronté à ses propres limites, à ses propres faiblesses. Or, chacun de nous aujourd'hui, est Adam pour l'homme du futur, tous également faillibles mais tous également responsables à l'heure des choix essentiels. Aussi convient-il de ne voir là rien que symboles inspirés par l'arbitraire d'une condition dont nous avons tous à assumer, tout jusqu'à sa précarité, sans que néanmoins l'imaginaire, sans que la fiction ne prenne par trop le pas sur la Réalité. L'arbre de la connaissance, le fruit défendu, le serpent de la séduction, la chute originelle... Tout est symbole.

Ces fabuleux contes de fées pour adultes que sont les mythes renvoient à ce que nous sommes, à ce que nous faisons. Et peut-être davantage à ce que nous voudrions être ou ne pas être - faire ou ne pas faire - Eternelle quête d'identité, de légitimité comme si quelque part en nous se cherchaient sans jamais se retrouver Eros et Psyche. Quoi qu'il en soit la vie a ses merveilles, les merveilles leurs secrets. L'homme n'aura de cesse qu'il ne parvienne à la connaissance de tous les secrets et mystères de la vie, qu'il ne parvienne, contre les préventions de Thierry Maulnier, au définitif de la Vérité.

La vérité pour le profane

On ne compte plus les aphorismes et les métaphores qui foisonnent dans la littérature à propos de la Vérité. Nietzsche, l'homme de toutes les contradictions qu'il aura vécues jusque dans sa folie, en était particulièrement friand. «La vérité, peut-on lire dans une de ses oeuvres maîtresses (volonté de puissance 1896-1911), est un genre d'erreur sans laquelle une espèce déterminée d'être vivants ne sauraient vivre »... un peu plus loin : «Il n'y a pas d'autre critère de Vérité que l'accroissement du sentiment de puissance », et encore : «Nous avons l'art pour ne pas mourir de la Vérité ». Il n'est de Vérité que révélée dit le prophète qui se souvient ! Il n'est de Vérité que par la connaissance exacte des sciences humaines et naturelles lui répondent d'une seule voix les philosophes et les savants, appelés désormais à se réconcilier sur son autel. Il n'est de Vérité qu'initiatique, signent d'une seule main - au nom de tous les francs-maçons passés et à venir - deux pasteurs anglicans : James Anderson et Jean-Théophile Desaguliers. ... Celle que l'on gagne sur les dogmes, les idoles, les croyances bloquées, «les morales closes» ainsi que sur toutes les «idéologies-prétexte ». Vérité, celle qui en amont procède de l'expérience ou celle qui en aval se mesure à l'aune du succès ! Vérité pour les empiristes ! Vérité pour les pragmatiques !

Il n'y a de Vérité que par l'Esprit soutient le philosophe allemand Leibnitz (1646-1716) qui interpellera, en français, les consciences du monde entier aec cette question désespérément sans réponse : «Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? », non lui répond Karl Marx (1818-1883) la vérité est dans la matière, et la conscience elle-même, n'en est que le reflet dans le cerveau de l'Homme. Il n'y a de Vérité que dans ce que l'on fait et ce que l'on devient. Il n'y a de Vérité que dans ce que l'on est.

Quand Hegel (1770-1831) pensait à Dieu et avec lui des Hommes aussi éloignés qu'Aristote (384-322, Avant J.C.), Eckhart (1260-1327), Rainer Maria Rilke (1875-1926), et Teilhard de Chardin (1871-1955), c'est à ce Dieu qu'il pensait : l'ensemble des forces connues et inconnues par lesquelles la nature, les hommes et le cosmos deviennent, progressent et s'accomplissent. Quand Jean Paul Sartre (1905-1980) pensait à l'humanité, c'est à l'existence vécue par les hommes qu'il pensait, libres d'être ce qu'ils sont dans le cadre d'une finitude pourtant non maîtrisée, où rien ne serait qui ne soit déterminé. L'existentialisme de l'après guerre - où l'on retrouve un peu de ce qu'enseignait déjà Socrate (470-399 avant J.C.) à qui de l'agora voulait le suivre - prend acte du primat de l'Existence sur l'Essence de l'être avec ou sans un Dieu, selon qu'il se réfère au Danois Kierkegaard (1813-1858) ou à l'Allemand controversé Heidegger (1899-1976).

Face au perpétuel questionnement des philosophes et des savants sur le Moi, l'Univers et Dieu : qui vous paraît le plus déterminant ?

L'Esprit ! sans lequel le corps serait comme une poupée désarticulée, privée jusqu'au savoir d'elle-même ? ou la Matière, sans laquelle l'Esprit serait comme une errance sans objet, aussi inutile que les ailes et le vent sans le moulin 9 Ce que l'on est appelé à devenir, jouet de la providence, du destin... du hasard ? ou ce que l'on est, en fonction de ce que l'on a librement décidé d'être ? Entre Leibnitz, Marx, Hegel, Sartre et leurs semblables, entre les spiritualistes, les matérialistes, les existentialistes et... tous les autres, ce bout de dialogue imaginaire ébauché ici se poursuit à travers les âges depuis que ce monde est celui de l'intelligence pour dire l'histoire des hommes telle qu'en leur diversité, ils la conçoivent.

Alors, s'il y a tant de sortes de Vérité, «autant que d'âmes en Israël» (Rabbi Luria, le Saint Lion de Saphed, un mystique familier aux kabbalistes), est-ce à dire qu'il n'en existe aucune ?

N'y aurait-il donc, ici bas, de Vérité, que dans le silence par lequel elle aurait choisi de nous parler et dont savent si bien se nourrir les Sages de l'Orient. Chut ! juste un doigt posé sur le bord des lèvres...

Ceux qui lisent les Saintes Ecritures se souviennent du silence observé par le Nazaréen en réponse à la question de Pilate sur l'essence même de la Vérité. Les autres se souviendront du poète. «Seul le Silence est grand, tout le reste est faiblesse» (Lamartine). « C'est dans le Silence seul que la Vérité de chacun se noue et prend ses racines » (Saint-Exupéry).

La Vérité, c'est moi ! Pour oser le prétendre, il faut accepter par avance de mourir comme Lui sur la croix entre deux larrons ! ! ! De cette alliance (de coeur et de raison) entre l'esprit et la matière dont rend compte l'affirmation de la Vérité, on attendrait qu'elle s'impose à tous comme s'impose à tous l'axiome dans son évidence ou le postulat dans son indémontrable-mais-vrai. C'est sous-estimer le poids des différentes conventions du moment, des Traditions, des cultures, des considérations d'opportunité politique quand ce n'est pas celui de la tyrannie. Il n'en est pas de pire, en tous les cas, que celle à laquelle on voudrait nous contraindre : La Vérité d'une Démocratie, n'est-ce pas la liberté d'avoir la sienne, de la conserver ou... d'en changer.

«La Vérité existe, on n'invente que les mensonges » répétait volontiers, Georges Braque (1882-1963). Une lointaine et mystérieuse déesse Maya couvre de son voile la réalité des choses, ne laissant transparaître que l'écume maquillée des illusions. La nuance est d'une telle subtilité parfois que l'on est en droit de se demander avec l'auteur du Zarathoustra, si les Vérités ne sont pas, tout compte fait, des illusions dont on aurait oublié qu'elles le sont. En résumé, l'idée de la Vérité, est une prise de conscience d'une réalité, que l'on exprime à un moment donné, avec ses nuances voire ses différences, à travers le filtre de sa personnalité, sur la scène engagée des conventions, des traditions et des cultures.

Voilà ce qu'un philosophe, un peu pressé par le temps, aurait peut-être aimé vous dire, entre autres, sur la Vérité, si son intention avait été d'évoquer brièvement, à travers quelques citations, par quelle fragile alchimie de l'esprit, la pensée s'accorde avec son objet quand le probable devient une certitude, et le concept, un « sentiment accru de puissance» : avoir raison. Sans doute vous aurait-il recommandé de lire ou ae relire «l'Ethique» publiée en 1677 soit quelques mois après la mort de son auteur, un philosophe juif d'Amsterdam maudit par les siens, méprisé par les autres, mais jusqu'au terme de sa vie ivre de Dieu et de Vérité : Baruch Spinoza (1632-1677).

Or nous nous trouvons présentement, au 8 de la rue Puteaux, dans l'Hôtel depuis peu rénové de la Grande Loge de France. Souffrez donc

que ce soit maintenant en franc-maçon, franc-maçon de la Grande Loge de France en particulier, que je vous parle de la Vérité et je vous confierai ensuite les chemins susceptibles pour moi d'y mener.

La vérité du franc-maçon

Idéal de perfection, savoir absolu, connaissance suprême... Parole sacrée, Parole perdue... Lumière, Sagesse ou... Vérité, mieux que les mots qui se dérobent, dérangent ou trahissent, l'authenticité de ce que vivent les «Fils de la Lumière», autour d'une mosaïque de différences, dans le périmètre sacralisé, juste et parfait d'une Loge, est à même de raconter ce qu'est leur quête initiatique. Il importe que vous compreniez que le Secret maçonnique - cible favorite - n'est ni une dérobade de convenance, ni une je-ne-sais-quelle conspiration suspecte de l'inavouable - mais bel et bien un secret initiatique par nature.

En chacun de nous, passe, dans le tréfonds du Soi le centre du cercle, symbole de notre Transcendant. Qu'y-a-t-il de plus secret que le Tréfonds du Soi, dont les Hindous ont fait «l'Atman », le divin caché de l'être ? Aurions-nous, d'ailleurs, autant de méthode que Descartes dans son discours, de subtilité que Pascal dans ses Pensées, aurions-nous le Talent de Jaurès, le Génie d'Einstein, la «Congruence» d'un Rogers ou la Sagesse d'un Confucius... que nous en serions encore à ne pouvoir dire l'indicible ni communiquer l'incommunicable.

La vérité de l'initié ?
C'est d'abord le silence
Chut !
Juste un doigt posé sur le bord des lèvres ! ! !

Mais rien ne nous interdit de rêver ensemble, les yeux ouverts !

Un objet inanimé, dont Lamartine s'inquiétait hier qu'il n'eut une âme, nous est accessible par sa forme et la substance qui le compose, c'est-à- dire par son apparence et ce que nous révèlent les scientifiques. Sous le microscope, la matière éclatée n'est que molécules et atomes, identiques - à l'âge près - aux particules primordiales dont ils sont la mémoire. Au terme de ce temps remonté, il y a le Commencement et avant le Commencement il y a ... l'inconcevable, l'espace onirique du non-créé du non-être, le non-lieu indéterminé qui ne connaît ni ténèbres ni lumière, même pas «le Ciel étoilé au-dessus de nos têtes» d'où Kant tirait l'affirmation de la présence divine. La vérité de la matière ? C'est l'impossible souvenir de l'avant-premier jour !

L'être humain aussi nous est connu par son apparence. Mais en dehors de ses paroles, de ses actes, de ses comportements, et de ses émotions, en dehors de ce que nous en apprennent l'anatomie et la physiologie, il y a le mystère inexprimable de ce qu'il est une fois dépouillé de sa forme et de ses fonctions. La Vérité de l'Homme-nu, c'est ce que personne ne peut en voir et dont il a seul la perception secrète : «Ce qu'il cache» disait Malraux, l'invisible dedans par lequel tous finissent par se ressembler et n'en former plus qu'un, le dernier masque tombé, l'ultime voile vaincu. Ce que je perçois de moi, c'est aussi la perception de ce que tu es comme faisant partie de moi-même et à travers toi, à travers moi je perçois tous les autres réunis Ce que tu perçois de toi, c'est aussi la perception de ce que je suis comme faisant partie de toi-même et à travers moi, à travers toi tu perçois tous les autres réunis. La vérité du sage, aux pieds de la déesse Maya, c'est le Miracle renouvelé de l'identification originelle. Comme elle est aussi le Miracle insoupçonné de la Transparence !

«Pour un être conscient, exister consiste à changer, changer à se mûrir, se mûrir à se créer indéfiniment soi-même» pouvait-on lire en 1907 dans «l'évolution créatrice», sous la plume d'Henri Bergson, comme à notre intention.

Pour un franc-maçon, réussir sa mutation c'est devenir plus grand d'une dimension intérieure, c'est en outrepasser de l'autre côté du voile, celui-là dont on prend si souvent l'ensemble des plis pour la Vérité, ironise Nietzsche. Chacun, même le plus modeste en est le miroir morcelé. De même qu'un peu d'eau salée suffit à rendre compte de ce qu'est dans sa totalité l'Océan, de même un tant soit peu de Vérité suffit à rendre compte de ce qu'elle est dans sa Totalité, la connaître en partie - serait-ce par son image - c'est la connaître Toute. La vérité du franc-maçon, c'est Etre, plutôt que de paraître, dans le silence des passions où l'Avoir n'est plus que contingence. C'est la Transparence. C'est la conscience du Tout reconstitué à partir de son image éparpillée dans l'Un, le Deux et le Multiple. Une fois de plus c'est rassembler ce qui est épars pour mieux Etre dans l'Unité et... pour mieux agir.

Depuis que l'infini intemporel s'est concrétisé dans l'Espace-Temps (le passé, le présent et l'avenir) mille générations se sont succédées. D'autres viendront, puis d'autres encore qui se survivront sur les traces supposées d'une certaine Parole perdue, jusqu'à ce que d'autres enfin soient un jour en mesure de l'épeler au nom de l'Humanité oubliée toute entière. La vérité du juste c'est avec le secret de son âme, la Parole retrouvée, après l'exil le revenir, plus belle que le Royaume, la Royauté reconquise ! La vérité du dernier des justes, c'est au pays de Canaan, avec la Jérusalem promise, vie et mort dépassées, le sublime embrasement de la Lumière et de l'Amour.

Nous voici loin des aphorismes et des métaphores de tout-à-l'heure qui sont aux idées abstraites ce que les couleurs sont à la grisaille d'une image. Certitude que les hommes participent d'un Tout, dont ils sont comme d'infinis doubles éparpillés dans l'Histoire. Espoir d'en retrouver le secret perdu au terme d'un chemin qu'il nous faut choisir parmi d'innombrables, certes, dont l'ambition est égale de mener au Sacré... au Divin. La spiritualité, qui porte l'homme au faîte de la complexité, face à lui-même et à ses interrogations sans ne préjuger en rien de ce que doit être la réponse.

La connaissance initiatique qui relève le défi de la Transcendance, du dépassement du Soi, en ce qu'elle se réfère à des symboles librement acceptés et librement interprétés, à un rituel que les ans ont épargné de l'usure et de la lassitude, au non-dit d'une Tradition plusieurs fois millénaire. Le Tout à l'intérieur d'une loge, lieu géométrique et orienté où se vivent dans l'unité de lieu et en un seul temps réunis, la mémoire du passé, l'insaisissable réalité du présent et les promesses de l'avenir. L'Amour cet océan des âmes et des coeurs où s'adoucissent les différences au point de nous confondre... sans nous perdre, nous distinguer... sans nous désunir, au sein de cet être mythique... «exponentiel» que nous appelons Egregore... La spiritualité, la connaissance initiatique, l'amour sont les trois chemins de la vérité que je vous propose d'emprunter aujourd'hui avec la certitude et l'espoir de ceux qui rêvent à nouveau d'infini et d'éternité.

A les évoquer il me vient soudain comme des senteurs mélangées d'acacia, de laurier et d'olivier - de mystère, de victoire et de paix - que beaucoup avec moi, j'en suis sûr, reconnaîtront aussi.

Le chemin de la spiritualité

L'aptitude à penser, à comprendre, à communiquer l'imagination, la mémoire, la créativité, la curiosité qui porte naturellement à s'interroger sur le pourquoi de sa condition, la volonté de devenir l'artisan «co-auteur» de son destin, sont avec la conscience que l'on a de Soi et la conscience du devoir autant de qualités propres à faire de l'homme ce qu'il y a de plus grand dans l'univers, selon Swamiji, le sage-gourou que cite très souvent Arnaud Desjardins. Nul ne sait exactement quand elles lui sont venues ni de qui il les tient. Mais ce que l'on sait de la spiritualité qui fait l'homme et la grandeur, c'est qu'elle est ce par quoi les Sociétés, les Civilisations blessées ou finissantes mais comptables de leurs oeuvres se préservent de l'oubli. Et pas un que je sache qui ne puisse jamais s'entendre dire : «J'ai soif» .

«La vraie valeur de l'Homme se définit en examinant dans quelles mesures et dans quel sens il est parvenu à se libérer du moi », écrivait Albert Einstein.

Toute victoire remportée sur ses passions, ses instincts, ses contradictions et conflits internes, ses peurs, ses angoisses... sur ses préjugés, ses habitudes... est une victoire remportée sur son Ego. Chaque pas qui l'en éloigne rapproche lEtre de sa libération, dans l'Unité recouvrée. Que peut-on espérer, en effet de profond et de durable, s'il n'est pas mis fin d'abord à l'aliénation de l'être, contraint aux exigences d'un Ego abusif, opaque à tout regard sur l'invisible dedans ? Ce n'est qu'en triomphant de son propre mental, dont il est l'otage naturel, que l'homme sera en mesure de créer les conditions d'une authentique liberté intérieure, prélude à l'unité de l'être, en mal d'Absolu.

L'occident a longtemps vécu avec cette idée que rien ne s'opposait davantage que la matière et l'esprit. Aujourd'hui, on ne craint plus de les regarder comme deux apparences manifestées d'un seul et même Tout indivisible, comme l'avers et le revers d'une même réalité. Sur un autre registre, les données les plus actuelles de la Science nous le confirment : la pensée est inséparable de son support biologique. Les frontières entre les différentes disciplines de la «cognition» - comme on les nomme maintenant - sont en train de tomber une à une. Quand je vous le disais que les philosophes et les savants étaient condamnés à se réconcilier sur l'autel de la Vérité ! ! !

Il y a un peu plus d'un demi-siècle, un mathématicien Londonien, James Jeans (1877-1946)... Sir James Jeans, l'homme de la relativité et des quantas de son époque, faisait cette constatation... devant un autre auditoire il est vrai : «aujourd'hui on s'accorde assez généralement à reconnaître que la connaissance nous mène vers une réalité non mécanique, l'Univers commence à ressembler plus à une grande pensée qu'à une grande machine». Voilà qui nous paraît à ce jour bien timide, bien en deçà de ce que les neuroscientifiques nous disent savoir de la pensée, du cerveau et de son fonctionnement. Mais qui était néanmoins de nature à rassurer, en son temps, Henri Bergson (1859-1941) inquiet pour l'humanité de voir se développer une mécanique sans mystique, un monde déshumanisé, un monde de mécaniciens et de robots qui n'auraient plus rien à connaître de la spiritualité. Ce même Henri Bergson qui heureusement d'un autre côté, ne désespérait pas que l'Univers devint un jour «une machine à faire des Dieux».

En attendant, se déroule un fil invisible du souvenir qui relie la pensée des hommes au mystère originel. Une Tradition, plus vieille que le monde, nous parvient d'un inaccessible ailleurs riche de tous ses messages éternels, pour nous parler de certitude, de vérité et de paix mais aussi de fraternité, d'amour et d'alliance ! Une tradition de l'esprit, dont on chuchote entre initiés, que serait fait le sang. des Prophètes. Ainsi se perpétue la grande Loi universelle de la vie quand meurent les Prophètes et que meurent aussi les Apôtres, les Sages et les Messies sans qu'un seul instant ce qui est, ne cesse d'Etre ce qui est.

Le chemin de la connaissance

L'Homme et l'Univers - beaucoup aiment à le croire - se répondent indéfiniment l'un à l'autre, telle une figurine miniaturisée indéfiniment à son modèle. Leurs destins se rejoignent dans une même et vaste perspective de l'inachevé, dont nous guettons en vain les signes qui diraient le sens des choses, le sens de la vie. La connaissance que l'on tient habituellement de l'observation, de l'expérience, des sensations... du raisonnement semble impuissante malgré ses promesses à nous le donner. Celle qui s'inspire de la croyance en un Dieu semble l'être tout autant, que la foi s'appuie sur la raison, comme pour Thomas d'Aquin (1225-1274) ou qu'elle en soit le fondement comme pour René Descartes (1596-1659).

D'où le besoin de se référer à une autre approche du Réel que le savoir encyclopédique ou le savoir révélé et qui serait en clair l'expression d'une recherche engagée à partir du sentiment plus ou moins obscur que l'on a de sa propre réalité. Ni introspection, ni analyse - plutôt intuition partagée - la Connaissance de Soi ou «du Soi» que l'on qualifie d'initiatique a précisément pour projet de découvrir ce que nous cache le voile des apparences. De tous les mécanismes de la connaissance, seule la démarche initiatique - affirmait Socrate (470-399 Avant J.C.) - est susceptible d'amener l'homme des apparences à la conscience de ce qu'il est puis l'homme ainsi mis à nu à l'intelligence de la Vérité. «Connais-toi, toi-même, tu connaîtras l'univers et tous les Dieux» se plait-on à conjuguer sur tous les modes, depuis que les Anciens de Delphes l'ont buriné pour la postérité au fronton de leur Temple.

O Dieu, «Noverim me, noverim té », s'écriait en d'autre siècle et en d'autre lieu, l'évêque d'Hippone, St-Augustin (354-430) à l'adresse du Ciel : O dieu «Si je me connaissais, je te connaîtrais ! Souvenez-vous de cette Table d'émeraude que l'on prétend inspirée par le père légendaire des Sciences Occultes, Hermes Trismégiste. Chacun peut y lire, inaltérable au temps et à l'espace : «Il est vrai, hors de doute, certain, authentique que le supérieur vient de l'inférieur et l'inférieur du supérieur ».

Souvenez-vous également du : «Que Dieu soit Dieu j'en suis une cause» exprimé en plein Moyen-Age par un dominicain allemand Johann Eckhart dit Maître Eckhart (1260-1327) dont le mysticisme spéculatif lui valut d'être condamné par l'Eglise de son temps.

Souvenez-vous enfin de Raphaël le peintre favori de Rome et de son fameux tableau de l'Ecole d'Athène. Dans sa partie centrale Platon (428­348 avant J.C.) pointe son index droit vers le Ciel, Aristote (384-392 avant J.C.) pointe le sien vers la Terre, sous le regard d'Apollon et de Minerve, la lumière et l'Intelligence.

Chacun y exprime Sa vérité :
— le premier : celle du monde sensible où les Idées sont immuables et où tout n'est que réminiscence,
— le deuxième : celle d'une Nature où rien ne se fait en vain, où tout, au contraire s'organise en vue de son équilibre et de sa perfection.

Ensemble Platon, l'Académicien Aristote... le Peripatéticien, sont l'image même de cette Unicité par quoi tout est relié :
     Le Ciel et la Terre
     L'esprit et la matière
     L'Idéalisme et la finalité L'abstrait et le concret
     ... le spéculatif et l'opératif.

Platon avait raison ! Aristote avait raison ! Socrate avait raison ! Ils ont tous raison ! Les moines bouddhistes, aussi à leur manière, à chaque seconde la vérité qu'ils vivent «ici et maintenant », dans leurs ashrams ou au dehors, à travers leur acceptation réaliste et lucide de ce qui Est, comme si chaque instant qui passe devait à lui seul contenir toute l'éternité !

A ceux qui s'inquiéteraient encore de leur liberté ou qu'elle ne soit tronquée, je dirai qu'ils possèdent en eux, nulle part ailleurs qu'en eux, avec la volonté initiatique sinon la clef du moins une des clefs de leur libération. Pour quelques uns, quelques uns seulement, Elus parmi les Elus, le voile de la déesse Maya s'entrouvrira sur la Réalité dernière, célébrant l'unique mais décisive communion de la matière et de l'esprit, de la connaissance et de la Vérité devenus du coup indissociables - cercle puis spirale - dans cette course commune pour l'éternité.

Tout ceci étant acquis, que vaudraient, je vous le demande, toute la spiritualité du monde, toute la connaissance initiatique du monde si elles n'étaient pas en même temps une école de Tolérance, de Générosité, de Fraternité, d'Egalité, de Liberté, si elles n'étaient pas en même temps une école d'Amour. Antoine de Saint Exupery l'a écrit bien avant que je vous le propose : «L'intelligence ne vaut qu'au service de l'Amour ».

Le chemin de l'amour

Que vous dire sur l'amour qui n'ait déjà été dit, redit ou écrit ! Courtisé, chanté ou pleuré par le poète, l'amour est omniprésent comme une bonne conscience dans les propos, les intentions ainsi que dans les esprits, beaucoup moins, hélas dans les faits, les actes et dans les coeurs. Que sa formulation soit heureuse ou maladroite, mièvre ou passionnée, par lui semble vouloir s'exprimer l'angoisse de la solitude, que les générations d'êtres humains se transmettent avec une égale constance, depuis la «séparation-châtiment» dont parle le Livre du commencement de l'Histoire. S'il est de sa destinée que l'homme doive retrouver ce qu'il a en lui de Divin c'est grâce à l'amour de ses semblables qu'il le retrouvera. Avec l'amour, le deux et le multiple profanes se sacraliseront à leur tour dans l'Unité reconstituée de l'Homme Universel.

L'amour dont je veux vous parler est en effet le prolongement naturel de cette idée maintes fois reprise ici que chaque être humain est l'image réduite d'un Tout, à l'intégrité duquel son intégrité est liée. A condition d'en accepter les prémices et de les dépasser, l'amour pour autrui devient l'amour pour l'humanité qui n'est autre en définitive que l'amour pour la vie. «Celui qui sauve une seule vie, dit le Talmud est comme s'il avait sauvé le monde entier ». «Celui qui détruit une seule vie dit le Talmud, est comme s'il avait détruit le monde entier».

Auguste Comte (1798-1857), le plus mystique des «positivistes» qui ne connaissait qu'un seul culte, le culte de l'humanité est à l'origine d'une formule lapidaire maintenant célébre : «L'Amour pour principe, l'Ordre pour base, le progrès pour but » ! En réalité il est désormais bien établi que tout ne peut s'expliquer par l'ordre, que tout ne peut s'expliquer non plus par le désordre, l'un et l'autre intervenant pour une part dans l'évolution de l'Humanité et de son progrès.

Les Edgar Morin et les Ilya Prigoguine d'aujourd'hui partagent avec les tenants de la philosophie paradoxale à quelques siècles de distance - ce même avis que l'Harmonie peut procéder du choc des contraires. Il en va de l'amour comme de l'humanité et de l'harmonie des choses, en ce qu'il peut procéder du choc des passions et les transcender ensuite au nom d'un Ordre Supérieur,... le même qui rejoint la conception que certains se font du sacré et du divin.

L'amour dont je veux encore vous parler va bien au-delà d'une simple relation affective, où se bousculent contradictoires tant d'émotions. Il doit être compris aussi comme un Art de mieux vivre sa condition d'être humain, d'être social que nous sommes devenus d'instinct et par nécessité au gré d'un processus toujours recommencé. Et parce qu'il est un Art de vivre, misant sur la connaissance dépassée du Soi par la reconnaissance de l'autre, l'amour a ses exigences et ses Lois : Aimer et ne pas s'accepter d'abord tel qu'en soi-même, n'est pas aimer ! Aimer et contester en même temps le droit à la différence, Aimer sans même percevoir que tous nous ne faisons qu'un, Aimer et se laisser prendre indéfiniment aux paillettes des apparences, n'est pas aimer ! Alors, qu'est-ce que le verbe aimer ? Qu'est-ce que l'amour quand il se veut être le sel de la vie, le sel de l'humanité ?

Aimer, c'est le dire avec des mots et des gestes, certes, mais c'est avant tout aider l'autre à devenir, progresser et s'accomplir quelles que soient sa nationalité, sa race, sa couleur de peau ou sa croyance. L'Amour c'est la Tolérance !

Aimer, c'est offrir aussi le superflu, quelque fois même un peu plus que le superflu. «Donner le lait et aussi le miel» sans ne rien espérer - au mieux - que le sourire de la douceur reçue. L'amour, c'est le don de Soi, dans son avoir et dans son être, l'Amour c'est la Générosité !

Aimer c'est accueillir «l'Etranger» comme on accueillerait son propre frère, de sang ou de coeur, puisqu'il est écrit que nous l'avons tous été autrefois étrangers sur la terre d'Egypte. Aimer c'est poser le même regard sur les nantis et sur les pauvres, sur ses amis et ...sur les autres comme le recommandait l'Ancien Testament au peuple Juif pour l'ennemi héréditaire, l'Egyptien et l'Edomite. L'amour c'est par dessus les clivages, les oppositions, les barrières et... les murs : la Fraternité Universelle.

Aimer c'est considérer l'autre comme étant un autre soi-même. C'est apprendre à le connaître, avec son âme, avec son coeur, au-delà des apparences, jusqu'au noyau du Soi où se réalise l'identification et... à s'y reconnaître. La Bible le dit à chacune de ses pages : l'Amour c'est l'Egalité !

Aimer c'est refuser la servitude, quelle qu'en soit la forme prise, c'est refuser la violence, la souffrance, la torture, survivance d'un passé barbare indigne du genre humain, c'est refuser l'insoutenable faim dans le monde, les inégalités, les injustices, ainsi que tous les mécanismes d'exclusion, l'Amour c'est la Liberté dans l'affirmation inconditionnelle des droits de l'Homme et du citoyen... pour tous.

Si l'Amour c'est la tolérance, la générosité, la fraternité, l'égalité, la liberté... Lequel d'entre vous douterait encore que l'amour ne fût à lui seul la Vérité !

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Comment m'y prendre pour conclure quand tout porte à croire que la recherche de la Vérité est appelée à durer ce que dureront les Hommes ? «Suspendre la marche, retenir l'impulsion» est une vieille revendication de poète, si admirablement exprimée par Levi Strauss dans les dernières lignes de « Tristes Tropiques».

Comment m'y prendre pour arrêter avec vous ne serait-ce qu'une poussière de temps les aiguilles fugitives de l'Eternité ? Avec la spiritualité et l'ascèse initiatique les hommes prennent pleinement conscience de leur verticalité et de ce qu'ils sont capables de Transcendant dès que de surcroît elles sont initiatrices de Sens.

Ecrire avec l'encre de sa vie l'Histoire puis participer - toutes les encres mêlées - à l'accomplissement de son devenir ! Rassembler ce qui est épars, pour que de la sommation syncrétique des idées et des talents, des connaissances, des intuitions et... des émotions, sorte d'intelligibilité du monde et que s'ouvre grand le merveilleux Livre de la Vie. Rassembler ce qui est épars, pour que dans un monde intelligible où l'un, le multiple et le Tout se confondent, nous soit enfin dévoilé ce qui de l'Absolu fût autrefois perdu !

Parce que sa découverte est notre meilleure chance d'un «autre chose» et d'un «ailleurs », que sans cette ouverture d'espoir tout ne serait que chimère et la vie... un abus de conscience, parce que, sous des masques différents, elle est une et indivise, immuable et absolue, parce que, de ce fait, elle s'identifie à l'Unité Première, et qu'à son tour, elle s'épanouit dans la Liberté, la Tolérance, et l'Amour, la Vérité est porteuse du Sens dont l'Homme est à son insu dépositaire à défaut d'être l'initiateur qu'il est cencé redevenir un jour. Aussi vrai que la Tradition initiatique est censée nous rapprocher du Sacré.

Vous qui cherchez à savoir le pourquoi des choses, le Sens de la vie, tant que la splendeur de «l'Autre» nous sera dérobée, sachez que rien ne nous est connu, rien ne nous est donné, qui ne passe d'abord par l'homme. La Vérité du dehors n'est jamais que la Vérité du dedans ! Sans doute est-ce la raison pour laquelle un Sage Brahmane prétend que «tout est souffrance» là où il n'y a que mystère.

Si croire en Dieu, c'est croire en une vie de Justice, d'Egalité et d'Amour, si rencontrer Dieu c'est rencontrer l'Homme dans ce je ne sais quoi qui le fait plus grand, plus beau, meilleur qu'il ne paraît, si, au bout du compte, c'est se réconcilier avec soi-même, la résolution de ses propres conflits obtenue dans l'harmonie d'un ordre intérieur... que risque-t-on de son âme à convenir que l'on croit en Dieu.

Qui refuserait l'Idée d'un Grand Principe Universel désanthropomorphisé - je dis bien désanthropomorphisé - gage d'unité, d'ordre et de progrès,

que l'on pourrait faire sienne sans préalable ni renoncement, sans ne rien compromettre de ce que l'on Est ? Les Anciens l'avaient pressenti dans l'Harmonie de la nature ! et quand ils ont voulu le dire ils ont parlé de l'Eau, de l'Air, de la Terre et du Feu, jusqu'à ce que les Pythagoriens découvrent à leur tour le Logos et le disent avec le Nombre. Si de notre côté, histoire de réinventer l'Histoire, nous décidions ensemble de lui donner ce soir le nom de Grand Architecte de l'Univers !

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Apprenons donc à vivre avec l'angoisse puisque de toute évidence elle est inscrite à l'intérieur de chacune de nos cellules. «Quand on veut comprendre l'Angoisse, il manque toujours quelque chose», soupirait Freud. Plutôt que de la subir du fond d'un inconscient révolté, apprenons à nous en servir au mieux dans notre quête du Graal - comme ferment de notre Transcendant - jusqu'à ce que des Ténèbres soumises pointe enfin le crépuscule, et du crépuscule naissant la Lumière du Grand-Jour !

A la croisée des chemins, lequel des deux choisir, lequel choisissez-vous ? Le chemin de la certitude ou le chemin du doute ? Le repos éternel du juste, refermant sur ses passions pour toujours assouvies l'ultime page du Livre ou bien, cette merveilleuse envie folle de continuer vers l'inconnu jusqu'aux repères invisibles mais éblouissants de votre vérité.

Georges Komar

* Conférence prononcée le 21 avril 1990 par Georges Komar dans le cadre du «Cercle Condorcet-Brossolette ».

Publié dans le PVI N° 78 - 3éme trimestre 1990  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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