GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 3T/1989

Les chemins de la Fraternité

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Suite :  8éme orateur

Michel Barat

Madame le Ministre, avant que vous nous quittiez, permettez-moi, au nom de cette assistance, au nom des Grands Maîtres ici réunis, de vous remercier. Permettez-moi simplement de vous dire que nous n'avons point été offusqués de la manière dont vous traitiez la chose politique, mais permettez également à celui qui a en charge d'animer cette séance de vous dire qu'il est maintenant très ennuyé car il ne saura, tout à l'heure, comment faire la synthèse. Vous avez, à la fin, exprimé l'idée de frater­nité à partir de celle de parenté ; j'avais prévu de terminer de la manière suivante en citant Gogol, Gogol qui rappelait que la fraternité est une chose dans un premier sens bien connue, le père aime son enfant, la mère aime son enfant, l'enfant aime son père, mais la bête féroce aussi, aime son enfant. Frère, qu'est-ce que cela, disait-il ? C'est une parenté d'âmes et cela est possible seulement pour l'homme. Je crois qu'en disant cela, je voulais faire la synthèse ; vous l'avez faite, car vous exprimez la diffé­rence entre une fraternité universelle et des fraternités de rencontre qui ne sont que des fraternités d'exclusion.

Avant que vous ne partiez, permettez-moi de vous remettre, au nom du Grand Maître de la Grande Loge d'Argentine, Alejo Neyeloff, une plaquette de la Grande Loge d'Argentine. Permettez-moi aussi de vous remettre, au nom du Grand Maître de la Grande Loge de France, un fou­lard dont la composition symbolisant l'Europe, a été faite par un Frère lyonnais . Et permettez-moi de dire que nous y voyons ici un acte symboli­que puisque l'Amérique latine représentée sur la plaquette et l'Europe représentée d'une manière symbolique seront ainsi réunies.

La parole est maintenant au Grand Maître de la Grande Loge Valle de Mexico, Salvador Gamiz Fernandez.

Salvador Gamiz Fernandez

Très Respectable Grand Maître Guy Piau de la Grande Loge de France, Chers Frères de la Maçonnerie française,
Très Cher Frère Yuri Nicolau, Président de la C.M.I.,
Très Respectables Grands Maîtres des divers pays du monde ici présents, Honorable assistance,

La Très Respectable Loge « Valle de Mexico », par mon intermédiaire, salue fraternellement les maçons du monde et spécialement, notre amphy­trion, la Grande Loge de France ainsi que son Grand Maître Guy Piau et ses Grands Officiers que je remercie de m'avoir fait l'honneur de m'invité à participer à cette mémorable assemblée représentative de l'intellectualité maçonnique de notre temps.

Être en France, Messieurs, émotionne mon esprit, car ce grand pays a été le berceau de nobles idéaux qui, disséminés universellement, ont encou­ragé d'historiques mouvements sociaux d'indépendance et de souverai­neté nationale entre lesquels se détachent ceux réalisés en Amérique Latine au 19ème siècle.

Être ici et parler des origines maçonniques et françaises de la Fraternité en Amérique est *une excellente opportunité pour nous retrouver dans l'His­toire, fortifier nos liens d'amitié et étudier ensemble de nouveaux moyens pour faire face aux dangers et avatars de notre époque.

Notre objectif, mes frères, doit être le maintien d'une paix durable et le respect des droits des nations, pour vivre dans de nouveaux systèmes qui permettent l'interdépendance en rendant possible la jouissance des droits humains comme garantie pour maintenir la stabilité du monde, tout cela soutenu par l'usage pacifique des grandes avancées scientifiques, techni­ques et culturelles réalisées par l'humanité à ce jour et dans la correction de toutes et chacunes des erreurs humaines enregistrées déjà dans l'his­toire universelle et qui nous met aujourd'hui au bord d'une troisième guerre mondiale et de la mort de la nature.

Permettez-moi, Chers Vénérables Frères, de rendre le meilleur hommage à tous les héros de la Révolution Française réalisée il y a 200 ans, au sein de grandes épopées du peuple français qui par sa vigoureuse action révo­lutionnaire, détruisit l'absolutisme et l'ignominie ; beaucoup d'entre eux étaient maçons qui, inspirés par la pensée du Grand Maître André Michael Ramsay, consigné dans son discours de 1737, luttèrent pour la création de la République qui rendait effectifs les idéaux de Liberté, Ega­lité et Fraternité. La tolérance religieuse, l'optimisme pour le futur de l'humanité, l'opposition à une autorité excessive de l'Eglise, la confiance dans le pouvoir de la libre raison, l'intérêt pour les problèmes sociaux, pour les techniques et métiers, le respect de l'expérience, l'enthousiasme pour la connaissance et le progrès. Tout cela exprimé fièrement par l'esprit de l'époque, conditionné par l'influence de l'encyclopédisme de l'illustration de la Maçonnerie même donnant ainsi à la France l'image d'une étoile, symbole d'intelligence et pulsatrice de la pensée la plus avan­cée de l'époque.

Rappelons que de nombreux Espagnols et Américains furent enthousias­més par la France du 18ème siècle qu'ils considéraient comme l'archétype de la civilisation moderne ; ils admiraient ses idées politiques au travers desquelles se généralisa toute leur culture ; ils vinrent donc à elle à la recherche d'éducation et de formation. Ici, ils connurent notre fraternité maçonnique, devinrent nos frères et en leurs liens d'origine, avec des Français émigrés en Espagne ou en Amérique, ils étendirent notre grande institution ainsi que l'influence des idéaux de Liberté, Egalité, Fraternité.

L'Espagne a modifié son destin sous l'influence des Loges maçonniques inspirées par la Grande Loge de France et l'esprit révolutionnaire. Nous savons qu'elles furent proscrites jusqu'en 1808 quand l'invasion française fit renaître avec force leur activité, faisant entendre leurs voix aux « Cor­tes » de Bayonne et de Cadix qui demandaient la liberté des peuples ; la fraternité et l'égalité entre Américains et Espagnols ; la suppression des monopoles et privilèges ; l'abolition de la marque d'infamie aux métisses et mulâtres ; l'abolition du tribut de service des Indiens et des travaux for­cés ; la suppression des cérémonies du Pardon Royal ; la représentation aux « Cortes » de fiscalisation des Indiens ; la séparation des fonctions administratives et judiciaires ; la création de tribunaux d'appel et l'aboli­tion de la traite des esclaves.

Bien que la Constitution de Cadix fut signée en 1812, ce n'est qu'en 1820 que Fernando VII la jura, obligé par la rébellion libérale.

Cette nouvelle Constitution espagnole donnait d'amples pouvoirs aux Cortes réduisant le rôle du Roi au Pouvoir Exécutif, proclamait la souve­raineté nationale, décrétait la liberté de la presse et d'expression, abolis­sait l'Inquisition ; établissait la parité entre les colonies et la métropole quant à leur représentativité aux « Cortes » et la distribution d'emplois administratifs ; supprimait la préhende ecclésiastique, réduisait les dîmes ; abolissait les ordres monastiques et la Compagnie de Jésus.

Sans aucun doute, ces victoires maçonniques résonnèrent dans les pays du Continent américain en réaction contre les systèmes imposés par la conquête. Personne n'ignore que Simon Bolivar, José Martin, Sucre et Hidalgo, entre autres, étaient imprégnés des enseignements de la Révolu­tion Française, non seulement par la connaissance des grands ouvrages des penseurs français, mais aussi par leur intégration et participation à la grande fraternité maçonnique de leur époque qui était imbue des idéaux de Liberté, Egalité, Fraternité. Comme exemple, rappelons-nous le Congrès de Chilpancingo, réalisé en 1813 dans mon pays proclama le 22 octobre de cette année là la première Constitution mexicaine, laquelle nomma notre frère Morelos, Chargé du Pouvoir Exécutif ; qui abolit l'esclavage ainsi que les distinctions de caste, abroge les impôts indivi­duels sur les Indiens, et établit le système représentatif national, la sépara­tion des trois pouvoirs, la liberté d'expression, le fait que la souveraineté émane du peuple, que la loi est l'expression de la volonté générale et que le bonheur est constitué par la jouissance de l'Egalité, la Sécurité, la Pros­périté et la Liberté, droits fondamentaux de l'Homme en Société.

Donc, s'il est certain que la Fraternité s'est générée progressivement au sein de la Franc-Maçonnerie, il n'y a aucun doute qu'il était indispensable que cet idéal se propageat avec les libéraux et les maçons aux grands mou­vements sociaux universels. Nous devons par conséquent admettre que l'idée de Fraternité en Amérique, naît conjointement avec les idées de lutte pour l'indépendance et la souveraineté de nos nations, ainsi que pour l'établissement, avec le temps d'un système laïque qui nous a permis d'évincer définitivement l'ingérence du Clergé politique des nations et de leurs gouvernements pour obtenir la liberté de conscience, d'expression et de Foi, seul chemin pour développer la formation de l'homme nouveau américain. Il faut reconnaître donc que l'origine maçonnique et française de la Fraternité en Amérique est un phénomène historique qui est à l'ori­gine de la naissance de la maçonnerie en Europe, selon certains auteurs, ici même à Strasbourg et que pour des raisons économiques propres aux nouveaux systèmes politiques fut projeté jusqu'en Amérique Latine pour donner un sens et une bannière à sa lutte pour l'indépendance. C'est donc bien un phénomène de caractère universel qui surgit grâce au développe­ment de la pensée et de l'intellect de l'Homme, de sa décision d'être libre et capable de construire son propre destin, parce que nous avons vécu dans le perpétuel désir d'en finir avec les guerres et atteindre les droits les plus sacrés de chaque nation.

En vérité, la philosophie apparut en la vieille Grèce et nous sommes encore à nous poser la question de savoir si la matière est antérieure à la pensée, si la nature est antérieure à l'homme. Si au contraire, la pensée précède la matière, en conséquence, l'homme serait étranger à la nature et son apparition s'expliquerait uniquement par la volonté d'un être surna­turel. La Franc-Maçonnerie peut continuer à philosopher sur ce problème historique mais le monde d'aujourd'hui est différent de celui d'hier, de celui de la vieille Grèce, de celui des cultures assyriennes, sumériennes, babyloniennes et égyptiennes et à celles qui apparurent dans les siècles antérieurs du nôtre.

Aujourd'hui, le monde présente une ambivalence sociale au milieu de deux systèmes qui se disputent la domination de l'humanité. Les deux uti­lisent les progrès de la science et de la technologie selon leur convenance pour obtenir le pouvoir absolu.

Cependant, l'organisation sociale de nos pays adopte un certain nombre de mesures de caractères économique et politique que l'on ne doit pas sous-estimer. De plusieurs façons, il semblerait que l'homme ne trouve plus son chemin et s'est converti en destructeur de son propre destin, de son environnement, de ses possibilités d'hériter une société harmonieuse et juste où brillerait la Fraternité.

Il est nécessaire de convertir la Fraternité en un mécanisme d'entente pour trouver le moyen juste qui prolonge l'histoire de l'humanité; penser à la Fraternité avant de penser à la mort, à la ruine de notre terre, à la destruc­tion de nos enfants et au génocide que représenterait le néant, Fraternité pour conserver et améliorer la vie, Fraternité pour éviter la guerre, Frater­nité pour tresser des liens d'interdépendance entre les peuples, en favori­sant l'intérêt de chaque nation, en rejetant l'obscurantisme et l'oppres­sion de la conscience et en défendant finalement l'unité de la société par rapport à l'homme et à la femme, en créant la garantie à laquelle nous avons tous droit, de l'accès à la culture, aux arts, à la science et à la tech­nologie, à la vie.

La Fraternité doit faire imposer le développement culturel sans frontières parce que la culture n'en a pas. La Fraternité n'est pas un simple senti­ment dans la pensée de l'homme, elle doit être une forme d'action des hommes et de tous les êtres humains pour éviter la discorde, la haine, la terreur et la crainte; éviter que le pouvoir soit un instrument d'agression et de soumission afin qu'elle fleurisse par la volonté de tous les hommes avec l'usage de ses plus belles libertés individuelles et collectives. La Fra­ternité est aujourd'hui la reconnaissance des sociétés humaines, conscien­tes et responsables de leur présent et de leur avenir.

La Franc-Maçonnerie doit se convertir de nouveau en promoteur effectif des changements de société pour éviter que ses détracteurs la considèrent comme une organisation calme et occulte en marge des peuples. Si Ram­say était le chantre de la Liberté, l'Egalité, et la Fraternité, aujourd'hui, il est temps de rechercher à adapter ces idéaux à la réalité, définir leurs vraies limites et les possibilités de leur application réelle, d'écouter les jeu­nes d'aujourd'hui, anxieux de trouver de nouveaux modes de convivence, mais il faut éviter l'implantation de sociétés qui promettent le paradis et qui doivent tout reconsidérer en quelques années parce qu'elles ne surent prévoir les conséquences sociales à court ou moyen terme qu'amène tout changement. Nous ne devons pas nous convertir en «Ames en peine» per­dues dans l'espace à la recherche d'une espérance et d'une foi totalement illusoires.

Il est urgent pour nous maçons d'être de notre temps en refusant de nous constituer en entités passives devant les phénomènes sociaux.

La tâche centrale est de convertir la merveilleuse Fraternité qui naquit en France, s'étendit en Espagne et essaimât victorieusement sur le continent Latino-Américain à la recherche d'horizons nouveaux où nos enfants trouveront l'exercice conscient de leurs grandes responsabilités. Parce que, eux, nos enfants, avant de disparaître dans la boue de la guerre, sans savoir à quoi servir, doivent être les constructeurs modernes d'une vie nouvelle en laquelle nous aurons tous les mêmes chances, opportunités et devoirs, pour forger le monde auquel nous aspirons, quand nous considé­rons la Fraternité comme le symbole de l'existence humaine. Gardons présent que l'unique paradis de notre vie est le monde terrestre d'où a surgi notre existence. De nous-mêmes dépendra toujours ce qui adviendra en lui mais ne vivons jamais dans le rêve et l'illusion, parce qu'il faut vivre avec les expériences actuelles, valorisant notre mission historique en fai­sant de ce paradis l'unique centre où l'homme est l'unique être qui peut transformer la nature à son profit et à celui des autres.

Ainsi donc, l'intégration de la Fraternité humaine doit projeter les gran­des aspirations de la société pour les situer comme uniques responsables de ce qui peut nous arriver, de ce que nous pourrons hériter dans le futur, et finalement de pouvoir réaliser les grands efforts nécessaires pour trans­mettre historiquement les connaissances de la technique, de la science et de la culture, aux nouvelles générations qui soient capables de ressentir l'esprit profond de la Fraternité et adopter la responsabilité des hommes d'hier pour continuer le processus de la construction de sociétés qui satis­fassent en son temps et espace, les ambitions, les désirs et les espérances pour son avenir dans le but final que la vie devienne généreuse et que ses bénéfices parviennent aux générations futures.

Nous sommes à l'aube de voir la vie vaincre la mort. Dans cette grande bataille, levons les bras de tous les Maçons pour construire la grande chaîne d'union et donner force à la Fraternité pour que l'espérance des humains soit le produit de l'action vivante et fraternelle pour construire le monde que nous méritons aujourd'hui et qui sera le meilleur héritage de nos enfants.

Soyons les maçons de la Grande Fraternité pour transformer la vie et créer le plus grand bonheur de tous les temps. Cela doit être le monde d'aujourd'hui, de demain et des générations à venir.

Publié dans le PVI N° 74 - 3éme trimestre 1989  -  Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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