GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 3T/1989

Les chemins de la Fraternité

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Suite :  5éme orateur

Michel Barat

M. Henri Tort, nous vous remercions. Vous avez su montrer que ce que nous appelons l'Europe, et surtout ce que nous appelons l'humanisme européen, avait ses racines dans ces rencontres de Jérusalem et d'Athènes mais pas dans une rencontre d'exclusion, mais dans une rencontre qui vise dans le sens noble, celui du XVIIIème siècle, celui des lumières, celui qui s'appelait le cosmopolitisme. A cette image, avant de céder la parole à Madame Veil, à Madame le Ministre qui souhaite entendre les deux plans régionaux, nous disons régionaux mais ici le mot régional signifie l'ensemble du continent sud-américain, du Pérou et de l'Argentine, je vais donc donner la parole à Ricardo Noriega Salaverry, Grand Maître de la Grande Loge du Pérou pour qu'il nous présente ce plan en lui deman­dant de bien vouloir être très strict sur le respect horaire.

Ricardo Noriega Salaverry

Madame le Ministre, Mesdames qui nous accompagnez, Mesdemoiselles,
Chers Frères de la Grande Loge de France, Grands Maîtres qui êtes avec nous,
Chers Frères Maçons, Chers participants,

Jean-Jacques Rousseau nous avait dit : «Sens-toi homme, sens-toi heu­reux d'être homme, mais rappelle-toi toujours qu'en te sentant heureux il y a d'autres gens qui sont enchaînés ». C'est une chose que nous n'oublions pas, c'est une chose que la Grande Loge de France nous rap­pelle dans les différents thèmes qui ont été fixés pour ces Rencontres de la Fraternité. Nous croyons que tout le monde, à toutes les époques, tous ceux qui ont appartenu aux institutions maçonniques, se sont sentis heu­reux mais je crois aussi que jamais il n'ont oublié qu'il y a d'autres hom­mes qui souffrent, d'autres hommes qui sont en but à toute une série de problèmes.

Il y a là une certaine dichotomie, il y a là une possibilité pour la philoso­phie maçonnique d'intervenir. Il y a d'un côté le bonheur, il y a d'un côté la préoccupation pour nos semblables et leurs problèmes. Les Grands Maîtres de la Maçonnerie latino-américaine souhaitent discuter avec vous, souhaitent s'entretenir avec vous dans un esprit de fraternité pour vous faire part de nos préoccupations. Nous avons dit cet après-midi que la fraternité ce n'est pas le patrimoine de la vieille Europe, la fraternité ce n'est pas le patrimoine de la nouvelle Amérique, non, la fraternité c'est le patrimoine de l'humanité tout entière. Et les Maçons nous ont appris que nous devons tendre la main sans regarder la couleur de la peau de celui à qui nous tendons la main. Nous ne devons pas non plus écouter la langue qu'il parle, ni essayer de savoir quelle est son idéologie, quelle est sa croyance politique, quelle est sa nationalité, car pour nous existe seul l'humain, l'humain seul existe et nous devons tendre la main en respec­tant deux conditions incontournables, tout d'abord notre croyance en l'Être suprême car nous croyons tous au Grand Architecte de l'Univers et, d'autre part, nous croyons à l'immortalité de l'âme.

Qu'est-ce que la Maçonnerie et comment peut-on la décrire en quelques minutes à ceux qui ne la connaissent pas ? Eh bien, nous commençons nos travaux, avec nos Frères Maçons, nous avons, avec les Maçons, cons­truit les grandes cathédrales d'aujourd'hui, ces grands temples sont le témoignage de tout ce qu'a réalisé la Maçonnerie. En 1717, le temple spi­rituel, bâti au Grand Architecte de l'Univers, ce temple physique est devenu le Maçon spéculatif et s'est traduit par une obligation consistant à faire de chacun de nous un temple spirituel. On a beaucoup parlé de Maçonnerie, on a dit que nous étions contre la religion, et surtout la reli­gion catholique; on a dit que nous avons manigancé contre l'Eglise ; le droit canonique 23.35 parlait des hommes qui donnent leur nom à la secte maçonnique qui sans cesse est en train de manigancer contre l'Eglise qui seront excommuniés. En fait, dans ce texte, il n'est question ni de Maçon­nerie ni d'excommunication. On dit simplement que les gens qui mani­gancent contre l'Eglise seront punis par une peine juste et que ceux qui dirigent cette machination seront punis plus sévèrement. Ce qui veut bien dire que dans la région du monde où nous habitons, d'où nous venons et qui est très pauvre de par ses richesses matérielles mais qui est très riche au plan spirituel, nous ne manigançons pas, nous ne faisons rien qui soit contre l'Eglise, nous essayons simplement d'agir pour faire en sorte que l'humanité progresse.

J'aimerais pouvoir, Mesdames et Messieurs, vous montrer qu'il n'y a pas d'ennemis pour les Maçons, dans la Maçonnerie tout ce que nous ensei­gnent les vieux Maîtres de cette vieille institution, c'est une chose, une seule chose, la fraternité. On nous a rappelé ici que nous avons un grand projet en Amérique latine, c'est le plan maçonnique régional. Je parle ici du Mexique, de l'Amérique du Sud, je parle de l'Amérique centrale et je parle également des Caraïbes. Vingt-et-un pays qui souffrent actuelle­ment du fait de toute une série de situations nous interpellent et lorsque nous sommes réunis, nous, Maçons, autour du Grand Architecte de l'Univers, nous nous vêtons avec élégance, nous sortons de nos loges, nous sortons de nos pays mais nous n'oublions jamais que pour nous une chose est très importante, c'est les autres. Nous leur donnons parfois, lorsque nous sortons de nos réunions, bien vêtus, à ceux qui nettoient le pare-brise de nos voitures, une petite pièce pour qu'ils puissent s'acheter un petit morceau de pain. Je crois que dans la Maçonnerie américaine nous voulons aller plus loin avec, comme première priorité, ceux qui ont les plus grands besoins. Nous voulons être au service de la société et je crois que la Grande Loge de France a bien compris, a bien entendu notre message. Jean Verdun avait été invité à la Grande Loge du Pérou et il a pu voir comment, tout à côté de Lima, dans un village extrêmement pauvre, qu'il est très difficile de vous décrire, car cette pauvreté on ne trouve pas de mot pour l'exprimer, il n'y a pas de véritables maisons, il n'y a que des sortes de baraquements, il n'y a pas d'eau, il n'y a pas les éléments essen­tiels, fondamentaux pour pouvoir vivre, et les habitants de ce village meu­rent des conséquences de cette pauvreté.

La Grande Loge du Pérou dispose, dans cette localité, Mi-Peru, d'un ter­rain de 15 000 m2. Un centre éducatif sera ouvert là-bas ; nous appren­drons aux habitants de ce village à produire et nous leur apprendrons éga­lement à vendre leurs produits car les produits qu'ils pourront fabriquer et vendre leur permettront de couvrir leurs besoins minimums. Dans l'industrie alimentaire, dans l'industrie de confection et dans l'industrie de la chaussure, nous formerons des gens, nous formerons les habitants de ce village pour qu'ils puissent produire ce dont ils ont besoin pour s'ali­menter et pour se vêtir. Ce grand centre éducatif, en cours de construction actuellement, sera bientôt opérationnel grâce à l'appui de tous nos Frères et nous estimons que leur apport est particulièrement significatif. Mal­heureusement, nous n'avons que très peu de temps pour vous faire pait de notre préoccupation, on a dit tout à l'heure que les Maçons respectent les horaires, j'aimerais respecter l'horaire qui m'a été imparti et je me con­tenterai donc de vous dire que vous êtes ici réunis, au cours de la réunion à laquelle vous assistez on parle de fraternité, on parle de l'histoire maçonnique, et j'aimerais vous dire que pour nous, la fraternité ce n'est pas une belle parole, ce n'est pas un mot certes merveilleux, la fraternité, ne consiste pas seulement à parler de l'histoire de cette fraternité, pour nous la fraternité c'est agir, c'est intervenir, c'est oeuvrer pour ceux dont les besoins sont les plus criants. J'aimerais vous dire que nous ne sommes pas ici comme Maçons pauvres en train de vous demander une obole, ou vous demander l'aumône, je crois que ce qui est beaucoup plus important c'est que nous comprenions tous ensemble toute l'importance d'oeuvrer dans un but commun et ce qui est important, c'est que vous compreniez tous que nous sommes, nous les Maçons latino-américains, un groupe capable de mener de grands projets, que nous sommes, en Amérique latine, des hommes qui veulent faire quelque chose pour traduire, dans la réalité concrète, l'amour et la fraternité.

Nous vous demandons de nous aider, nous exigeons que vous nous aidiez et savez-vous pourquoi nous l'exigeons ? Parce que nous avons été, dans notre passé, très riches économiquement et vous étiez, vous, très pauvres. La vieille Europe avait regardé, à l'époque, l'Amérique comme une source incommensurable de richesses. Les choses ont changé. Mainte­nant, d'ailleurs, Le Grand Maître argentin, Alejo Neyeloff, nous rappel­lera, tout à l'heure, quelle était la place qu'occupait l'Argentine parmi les riches nations de cette planète et sur ce grand continent, nous nous posons la question de savoir ce qui se passerait si vous, Européens qui êtes riches aujourd'hui nous oubliez. Il y a des choses excessives qui se passent aujourd'hui, crimes de sang, consommation de la drogue, l'hédonisme exacerbé, qui sont de véritables plaies pour notre planète. Je crois qu'un Ordre tel que le nôtre, qui est essentiellement spirituel, doit intervenir, doit faire quelque chose, sans défendre de religion spécifique mais simple­ment pour défendre le Grand Architecte de l'Univers et nous devons faire cela tous ensemble pour éviter que la planète entière ne courre à sa ruine, à sa perte.

Cette Europe démocratique, cette Europe à laquelle nous croyons beau­coup, cette Europe doit devenir notre interlocuteur, notre partenaire dans des projets communs, car nous ne vivons pas séparés les uns des autres et s'il y a entre nous des frontières, nous n'oublions pas que l'Europe s'est lancée dans une œuvre très intelligente qui consiste précisément à les éli­miner. Le drapeau de l'Europe montre que les frontières sont en train de disparaître et Madame le Ministre, qui est avec nous cet après-midi, nous connaissons tous votre sensibilité européenne et nous sommes convaincus que vous comprendrez la portée et le sens des paroles que nous pronon­çons ici, nous voulons aider, nous, Maçons, et nous voulons être aidés.

Pour conclure, je voudrais vous dire qu'au Pérou, nous devons nous baser sur une très ancienne culture souveraine et fraternelle qui était l'empire des Incas. Vous me permettrez de remettre au Grand Maître de la Grande Loge de France une relique de cette très vieille culture et à ce Grand Maître qui travaille dans un hôpital, nous avons voulu lui donner un instrument chirurgical utilisé par l'ancienne civilisation des Incas. Grâce à cet instrument, les Incas procédaient à des trépanations à crâne ouvert et je crois qu'il y a également là-dedans un message spirituel qu'ils transmettaient à ceux qui souffraient. L'influence des mauvais esprits était censée disparaître lorsqu'on ouvrait le crâne des patients. Nous avons rapporté un tel outil de trépanation non seulement pour le Grand Maître mais également pour Jean Verdun qui nous a accompagnés lors de notre visite au Pérou. Nous souhaitons que ces Grands Maçons utilisent ces instruments pour que nos têtes puissent s'ouvrir, pour que l'on puisse ouvrir la tête de tous ceux qui croient que les frontières sont nécessaires.

Publié dans le PVI N° 74 - 3éme trimestre 1989  -  Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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