GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 3T/1988

Le Grand Architecte de l'Univers

La Franc-Maçonnerie étant un ordre initiatique, les francs-maçons se réu­nissent dans des travaux de loge dont le support essentiel est le rituel. Le rituel utilisé par la Grande Loge de France est celui du rite Ecossais Ancien et Accepté et le point d'appui fondamental de ce rite est la réfé­rence au Grand Architecte de l'Univers. La Grande Loge de France tra­vaille donc à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers et tout est pensé, édifié, concrétisé, consacré à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers.

Une notion essentielle mérite quelque développement d'autant qu'elle explique en grande partie la différence entre les obédiences maçonniques. Pour être clair, il est indispensable de retourner au point de départ, à savoir l'origine de la Franc-Maçonnerie spéculative. Celle-ci commence véritablement à s'organiser au début du 18ème siècle avec notamment la création de la première obédience maçonnique à Londres en 1717, et la rédaction par Anderson en 1723 des Constitutions définissant la Franc- Maçonnerie universelle et ses principes. C'est à ses constitutions que se réfère aujourd'hui encore la Grande Loge de France. Il n'est pas dans notre propos d'en donner le texte complet. Nous nous contenterons sim­plement d'en extraire un article significatif se rapportant à notre préoccu­pation présente. Cet article concerne Dieu et la religion et dit ceci : «Un maçon est obligé par sa tenure d'obéir à la loi morale et s'il comprend bien l'art, il ne sera jamais un athée stupide, ni un libertin irreligieux. Mais, quoique dans les temps anciens les maçons fussent astreints dans chaque pays d'appartenir à la religion de ce pays ou de cette nation, quelle qu'elle fut, il est cependant considéré maintenant comme plus expédient de les soumettre seulement à cette religion que tous les hommes acceptent, laissant à chacun son opinion particulière et qui consiste à être des hommes bons et loyaux ou hommes d'honneur et de probité quelques soient les dénominateurs qui puissent les distinguer ; aussi la maçon­nerie devient le centre d'union et le moyen de nouer une véritable amitié parmi des personnes qui eussent du demeurer perpétuellement éloi­gnées».

Il est aisé de remarquer que ni le mot Dieu, ni même l'expression Grand Architecte de l'Univers ne sont une seule fois employés. On objectera sans doute que le mot religion peut les évoquer mais tout de même, il n'y a là rien d'explicite. Nous pouvons même penser que le terme religion avec les développements qui l'accompagnent indique sans doute beaucoup plus une morale universelle qu'une religion révélée. Cela peut apparaître comme un paradoxe venant de la part d'Anderson auquel il faut d'ailleurs associer Désaguliers. En effet tous deux étaient pasteurs et parfaitement attachés à leur église. Mais nous pouvons estimer qu'intellectuels partici­pant aux idées de leur époque, ils pensaient à une religion universelle, chrétienne sans doute, mais non dogmatique. Cette pensée constituait une incitation à ne pas compliquer le débat religieux par l'élaboration d'un ordre prenant des positions définies sur des questions dogmatiques. On peut considérer qu'ils souhaitaient que cet ordre soit une structure de con­ciliation entre des options religieuses opposées et en déduire que le silence sur le Grand Architecte de l'Univers et Dieu était délibéré de la part d'Anderson. Cela supprime les risques de discorde et jette les bases d'un ordre initiatique, le plus universel possible.

Cette orientation est celle dite des «modernes». Elle sera contestée par ceux que l'on dénommait les anciens. Cette opposition sera la cause essen­tielle de la division de la première Grande Loge de Londres. Cet antago­nisme est encore d'actualité de nos jours. En effet, nous avons deux orientations.

La première, celle d'Anderson, à peu près universellement admise, n'émet à aucun moment l'obligation de croire en un Dieu révélé pour être admis dans l'ordre et fait référence non à une conception religieuse définie mais à une spiritualité plus large.

La deuxième orientation est celle de la Grande Loge dite des anciens qui prétendent maintenir les anciennes traditions abandonnées par les moder­nes... Leur livre de constitution affirme dans son article 1 une vision très éloignée de la tradition andersonnienne et commence comme suit : «Un maçon est obligé par sa tenure de croire fermement et d'adorer fidèlement

le Dieu éternel aussi bien que les enseignements sacrés que les dignitaires et pères de l'Eglise ont rédigés pour l'usage des hommes etc.».

Cette vision quelque peu doctrinaire des anciens finira par l'emporter en Angleterre si bien que les modernes disparaitront dans la fusion qui donnera naissance à l'actuelle Grande Loge Unie d'Angleterre.

Cette victoire des anciens aura une conséquence encore visible de nos jours, c'est la position du Grand Orient à l'époque face à ce dictat de la Grande Loge d'Angleterre. Malgré le Convent de 'Lausanne qui tente de définir une approche plus modérée, plus proche de l'idéal andersonnien, le Grand Orient modifie en 1877 l'article 1 de sa constitution ce qui débouche sur la disparition de l'invocation du Grand Architecte de l'Uni­vers en 1884. Cette décision fondamentale provoquera d'importants changements au sein de la Franc-Maçonnerie française. On peut citer cette phrase entendue au cours du convent du Grand Orient de l'époque. Le Convent de la Franc-Maçonnerie française divorce avec «l'Antique Foi spiritualiste» autrement dit dans ce cas de figure, la liberté de conscience signifie rupture complète avec tout principe de foi quel qu'il soit.

La suite des événements verra cette position servir de prétexte à un certain nombre de francs-maçons français qui souhaitaient perpétuer l'écossisme ancien et accepté de pure tradition. De fait, les loges bleues du Suprême Conseil de France s'émanciperont pour former en 1894 l'actuelle Grande Loge de France. Celle-ci devient la troisième unie, celle qui se situe entre le dogme de la croyance définie à l'anglosaxonne et la voie totale­ment opposée qui, elle, a rayé de ses constitutions la référence du Grand Architecte de l'Univers. Cette troisième voie le Grand Maître Jean Verdun la définit comme «celle qui veut s'affirmer par elle-même sans que rien ne lui soit imposé de l'extérieur, celle qui ne condamne pas le choix des autres, celle qui s'est même nourrie de la première, com­me de la deuxième voie mais pour en faire la synthèse dans la tolé­rance».

Cette troisième voie consiste à rassembler ce qui est épars en laissant à chacun sa liberté de pensée.

Cela nous amène à dire que la voie de l'Initié face à la conception du Grand Architecte de l'Univers doit être une approche que l'on peut quali­fier de symbolique. Faire appel au Grand Architecte de l'Univers comme référence à un symbole semble de nature à retrouver le Centre d'Union cher à la Franc-Maçonnerie et à sa volonté d'Universalisme. C'est l'idée de la Grande Loge de France. Le symbole moyen universel de communi­quer donne ainsi libre cours à l'interprétation que l'on veut en faire. Cer­ner le Grand Architecte de l'Univers comme un symbole permet de rap­procher l'agnostique du croyant et laisse la porte ouverte à la recherche de la vérité, but essentiel de la Franc-Maçonnerie. Le franc-maçon, mieux que quiconque, peut affirmer que la pensée symbolique est apte, plus que tout autre, d'appréhender un tel concept, une telle réalité dans la mesure où le symbole au sens strict ne représente pas mais évoque, suggère. Les francs-maçons de la Grande Loge de France invoquent le Grand Archi­tecte de l'Univers au début et à la fin de leurs travaux rituels ; l'énoncer, c'est affirmer une souveraine perfection à partir de laquelle peut s'ordon­ner, s'organiser et se bâtir la perfectibilité de l'Homme.

La pensée maçonnique, la foi maçonnique même consistent d'abord à affirmer cet ensemble de valeurs spirituelles qui sont la liberté, la justice, la fraternité, à affirmer la valeur de l'esprit contre tout ce qui le nie et veut le mutiler ou le détruire. Tout cela est symbolisé par le Grand Architecte de l'Univers.

Le franc-maçon est, par définition, un initié. L'initiation est la vie même, mais une vie rendue plus consciente et c'est là un des buts majeurs de la Franc-Maçonnerie. Dans ce contexte, il est difficile de vivre le Grand Architecte de l'Univers comme un dogme car, vécue de l'inté­rieur, la Franc-Maçonnerie est une abstraction, une recherche détachée du quotidien et de la vie courante. Elle entraîne, la plupart du temps une profonde mutation du comportement, de la manière d'être, des rela­tions avec autrui et une autre façon d'appréhender la réalité. Elle pro­voque chez celui qui a bien compris une attitude plus cohérente, un esprit plus ouvert à toutes choses, un caractère plus serein, une diminution très nette de l'égocentrisme. L'initiation pousse celui qui la vit vers la soif et la passion de la connaissance. Voilà pourquoi nous trouverons à la Grande Loge de France des croyants, des agnostiques, des déistes, des mystiques, des rationalistes etc. qui ensemble confrontent leurs réflexions pour tenter de discerner la vérité. Tous sont conscients des limi­tes de leur connaissance, des limites de leur pensée et dans ce contexte réa­lisent l'extrême importance de placer au-dessus de leur intelligence respec­tive une référence au Grand Architecte de l'Univers détachée de toute contrainte.

Grand se réfère à ce qui est plus vaste que l'individu.

Architecte se réfère au principe du Constructeur de toute forme de vie quelque soit ce principe.

Univers se réfère à l'aspect supra humain de ce principe.

Dans cette réflexion, le problème de l'existence ou de la non existence de Dieu ne se pose pas. Le Grand Architecte de l'Univers n'est ni un Dieu ni un objet de croyance, ni un dogme. Le fait d'être initié n'implique ni d'être croyant ni d'être mystique. Le fait d'être initié implique de recher­cher en communauté le principe de vie en ayant conscience que sans doute nous n'y parviendrons jamais. Mais cette recherche est la plus exaltante des aventures humaines, car la Franc-Maçonnerie n'est pas l'expression du définitif.

Publié dans le PVI N° 70 - 3éme trimestre 1988  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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