GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 1T/1988 |
Spiritualité et tolérance La Tradition de la
Grande Loge de France fête le solstice d'hiver et Saint Jean l'Evangéliste
comme d'ailleurs elle célèbre le solstice d'été et Saint Jean Baptiste. A cette occasion de
la Saint Jean d'hiver, je présenterai quelques réflexions sur l'Evangile de
Jean et plus précisément sur les cinq premiers versets de son Prologue. Il s'agit là
d'éclairer et de donner sens à la référence à la Bible que fait la Maçonnerie
traditionnelle française. Tout d'abord l'Evangile de Jean. Ce quatrième
Evangile, quatrième Evangile car il n'a pas pu par l'originalité de sa parole
et l'intériorité de son discours prendre place dans l'ensemble des
Synoptiques. Cet Evangile a nourri les traditions ésotériques, qu'elles soient
sérieuses ou qu'elles soient plus farfelues, au sens que Malraux conférait à ce
terme en faisant signe au Gargantua de Rabelais. Il faut aussi dire qu'il
s'agit de l'Evangile de Lumière, de l'Evangile d'Amour. Aussi ce texte
constitue-t-il un des éléments fondamentaux de la Tradition occidentale.
Cependant d'autres textes bibliques sont l'objet d'une lecture privilégiée en
Maçonnerie et plus particulièrement à la Grande Loge de France. La Génèse,
certes, mais aussi et peut-être surtout le Livre des Rois avec le récit de la
construction du Temple de Salomon. Sans doute en passant de l'hébreu au grec,
de la Thora à l'Evangile des tournants culturels s'accomplissent. Mais si
certains s'efforcent de déceler dans ces tournants des ruptures voire des brisures,
le Maçon y entend bien plutôt l'écho d'une parole d'unité mais non
d'uniformité. Une parole de création, une parole poétique au sens où la poésie
est création, une parole qui dit et porte à la présence les multiples visages
du sensible en leur harmonie. Aussi écoutons-nous ces paroles poétiques comme
celles de la création spirituelle, comme celles de l'esprit comme vertu de
création, vertu qui fonde en nous notre humanité et que, plus qu'un autre, le
Maçon s'est donné la tâche de développer et de faire rayonner. Cette création, cette
construction que nous faisons nôtre est tout aussi spirituelle que matérielle.
Elle est celle tout autant du Temple de pierres que celle d'une Jérusalem
céleste. S'il est vrai qu'à l'écoute des textes bibliques on ne peut entendre
tout à fait la même chose dans l'Hébreu de la Genèse qui dit "au
commencement Dieu créa la Terre et le Ciel", et dans le grec de Jean qui
dit "au commencement était le Verbe", il n'y a pas pour autant de
discordance mais bien plutôt une symphonie de deux paroles. Certes les processus
de création décrits dans la Genèse et dans les autres livres de la Thora sont
empruntés à des techniques : aux techniques du potier, aux techniques du
sculpteur, au point que les Proverbes font dire à la Sagesse qu'elle est auprès
de Dieu comme Architecte. Nous pouvons ainsi
y dételer l'éloge du travail opératif qui donne forme et esprit à une matière.
L'introduction par Jean du grec "Logos" renouvelle et modifie quelque
peu la conception de la création. Le modèle n'est plus technicien mais verbal.
C'est la parole qui, immédiatement, dès son énonciation inscrit dans le réel ce
qu'elle nomme. Le mot crée le réel. Nous y sentons l'influence du rationalisme
et de l'idéalisme grecs. La Franc-Maçonnerie initiatique, symbolique et
traditionnelle telle du moins qu'elle se pratique à la Grande Loge de France se
plaît à faire résonner ensemble ces deux paroles, ces deux paroles de création
afin d'affirmer sa vocation créatrice, sa vocation tant opérative que
spéculative : vocation spéculative au sens où la vraie spéculation ou la vraie
connaissance est une opération de l'esprit et aussi au sens où toute opération
manuelle est la manifestation d'une spéculation de l'âme. Aussi la
Franc-Maçonnerie est-elle l'exercice de la raison et de l'esprit pour construire
les hommes, pierres d'un Temple qui n'est point fait de pierres mortes mais
d'un Temple aux pierres vives pour reprendre une fois encore une expression de
Rabelais. C'est pour cela que
la Grande Loge de France se définit elle-même dès le premier chapitre de ses
Constitutions comme un Ordre initiatique, traditionnel et universel, fondé sur
la Fraternité. constitue une alliance d'hommes libres et de bonnes meurs„ de
toutes races, de toutes nationalités et de toutes croyances. La
Franc-Maçonnerie a donc pour but le perfectionnement de l'humanité. A cet
effet les Francs-Maçons travaillent à l'amélioration constante de la condition
humaine tant sur le plan spirituel et intellectuel que sur le plan du
bien-être matériel. Il s'agit là d'un
double pari. D'un pari sur le sens et d'un pari sur l'homme. Un pari sur le
sens est un pari sur la transcendance qui donne sens aux mots, aux actes et aux
choses. Aussi si les Francs- Maçons pratiquent des rites, c'est pour manifester
concrètement dans leurs paroles, actes et comportements que contrairement à la
routine et à l'habitude profanes, ils cherchent à faire signe verres le sens.
C'est pourquoi la Grande Loge de France travaille à la Gloire du Grand
Architecte de l'Univers. Le Grand Architecte de l'Univers est pour nous un
symbole librement interprétable qui ne serait être renfermé ou réduit dans une
définition, que ce soit Dieu, l'Humanité ou toute autre tentative de
définition qui affirme la transcendance sans pour autant en exclure aucune. Ce premier pari sur
le sens et la transcendance en appelle un second sur la dignité et la liberté
de l'homme. L'initiation ou plus prosaïquement et plus approximativement la
libre recherche, le penser libre, qui ne serait se confondre avec la simple
libre pensée avec ses connotations restrictives d'aujourd'hui, implique un
sujet libre et digne qui choisit librement et dignement de s'engager dans la
'voie de la recherche sur le chemin de la pensée dans une quête initiatique.
Aussi parce qu'elle est un Ordre symbolique et traditionnel, la Grande Loge de
France ne peut qu'être entièrement et intimement attachée aux Droits de
l'Homme. Elle refuse ainsi toute pseudo philosophie et toute idéologie de
l'exclusion puisqu'elle se dé: finit comme un centre d'union des hommes en leur
diversité. Mais revenons
quelques instants encore à la référence qui est faite à la Bible, du moins au
sein de la Grande Loge de France. La Bible y est désignée comme le Livre de la
Loi Sacrée. Le Livre qui à la fois fait signe vers la transcendance et appelle
à une libre interprétation de son texte. La Bible, Thora et Nouveau Testament,
Livre des Rois ou Evangiles, n'a donc pas dans les Loges le sens du livre de la
révélation, même s'il y a des Maçons qui en leur conscience et en leur foi, le
reçoivent aussi comme tel. Elle est Volume de la Loi Sacrée. Par l'ouverture de
ce Volume on rappelle qu'il ne serait y avoir de progrès sur le chemin de la
connaissance sans progrès dans le champ de l'éthique. Si précédemment le pari
sur le sens et l'invocation au Grand Architecte de l'Univers fondait le pari
sur la liberté et la dignité de l'homme, il faut maintenant dire que le pari
sur l'homme, sur sa dignité, sur sa liberté fonde en retour la possibilité
d'un pari sur le sens. C'est bien parce que l'homme est capable de rompre avec
la sphère de la volonté de puissance pour celle de l'amour et de la fraternité
qu'il peut parier sur le sens et la transcendance. L'une des originalités de la
démarche maçonnique c'est que l'exigence éthique précède et conditionne l'ouverture
à la connaissance. Ainsi la Bible à la Grande Loge de France comme Volume de la
Loi Sacrée est Livre de la Tolérance ; celui au sein duquel Bayle puisait des
exemples pour défendre la liberté de conscience ; celui que Spinoza lisait et
soumettait à la critique historique et à l'exégèse rationnelle pour y trouver
argument de la nécessaire liberté de penser. Ainsi la Franc-Maçonnerie telle
que la conçoit la Grande Loge de France s'engage sur ce double pari, sur ce
pari sur le sens et ce pari sur l'homme : elle invoque le Grand Architecte de
l'Univers et affirme en même temps la dignité, la liberté et les droits de
l'homme. Elle assure ainsi
le passage pour chaque homme à la libre recherche sans jamais nier les
enracinements personnels, culturels ou religieux de chacun de ses membres. Elle
assure la liberté de pensée qui est plus que la simple liberté de conscience.
La liberté de conscience est tolérance négative, celle qui tolère l'erreur
supposée chez l'autre qui ne fait qu'accepter son errance. La liberté de pensée
est une tolérance positive, celle qui transforme l'errance en quête, qui
affirme la nécessité de la pluralité des chemins de cette quête afin que règne
la fraternité entre les hommes. |
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