GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 4T/1986 |
Le Franc-Maçon, architecte de la Cité idéale ? L'énoncé de
cette
question est, du fait de l'absence de verbe dans le procès
d'énonciation, à
peine interrogatif. Supprimons un instant, à titre
d'hypothèse, le point
d'interrogation sur lequel a monté notre voix : l'expression
« architecte de la
Cité idéale » paraît substantiellement
liée à la qualité même du Franc-
maçon.
D'ascendance hiramite, la Maçonnerie nous fait d'emblée
partager l'idéal de
beauté qui dut présider à la construction du
Temple de Salomon. A l'amont de notre
tradition se trouve, opérativement exprimée, cette
combinaison de sagesse,
force et beauté qui inscrit par le nombre d'or le message d'une
intelligence
collective dont témoignent, pour notre espace de
civilisation depuis
l'Antiquité, les constructions élevées sur les
rives du Nil et les rivages
méditerranéens et, plus tard les voûtes et
flèches dressées sous les cieux de
France et d'Europe par nos ancêtres Francs-maçons
opératifs. Si nous dirigeons
nos regards vers l'aval du fleuve qui nous emporte et dont nous sommes
le
courant, quelle tâcha s'offre à notre
persévérance sinon celle de construire,
sans doute indéfiniment, le Temple de l'Humanité ? Et si,
hommes de désir
quoique voués peut-être à l'éternelle
frustration de Sisyphe, nous tombons
d'accord avec cette expression sur le sens à donner à
notre effort, ne nous
apparaît-il pas que la « Cité idéale »
est une autre façon de nommer le «
Temple de l'Homme » auquel nous oeuvrons ? La réponse est donc
« Oui » sans hésitation : le Franc- maçon est de droit, sinon de fait, désigné
par la Tradition comme l'architecte de la Cité idéale — ce dont prend acte,
nous semble-t-il, cette phrase apparemment anodine (mais comme tous nos textes
sagement pensée) dans le chapitre premier de notre Constitution : « Les Francs-Maçons
travaillent à l'amélioration constante de la condition humaine, tant sur le
plan spirituel et intellectuel que sur le plan du bien-être matériel. » Or c'est à partir
de cette claire réponse, de cet engagement sans ambiguité à construire la Cité
idéale en accord avec notre Idéal de Franc-Maçon, que surgit justement la forêt
des questions. Tout d'abord, et
compte tenu du fait que l'initiation nous oblige à une perpétuelle remise en
question, à une permanente interrogation sur nous-mêmes, nous devrons
confronter la réalité vécue au mythe de constructeurs qui anime notre quête. En
d'autres termes, nous devrons prendre conscience des difficultés qui
dissuaderaient nombre d'entre nous de prétendre à ce poste d'architecte mis au
concours de nos plus nobles ambitions et des plus justifiées si nous nous
référons à nos mythes fondateurs. Après avoir examiné de tels scrupules qui
peuvent sembler, après tout, l'expression de notre collective honnêteté intellectuelle,
il sera temps de dire à quelles finalités répondrait le plan, élaboré en
commun, de la Cité idéale : les architectes Francs-Maçons devant leur planche à
tracer ne sauraient en effet rien dessiner sans un rappel de leurs principes ;
c'est à cette condition que le caractère unitaire de l'effort reste
perceptible, sous la manifestation de nécessaires différences. Et en dernier
lieu — en suivant, en quelque sorte, l'ordre séphirotique descendant le long
de l'Arbre de Vie, en passant du « Monde de création » au « Monde de formation
» puis au « Monde d'action » sans entrer pour autant dans les détails du
Royaume manifesté — nous envisagerons certaines actions et méthodes qu'il ne
nous parait pas impossible de vouloir inscrire au niveau des faits, afin que
l'objectif de la Cité idéale devienne la cible désormais concrète, ou
imaginativement palpable, de nos travaux. Non, il ne faut pas
mépriser, il ne faut pas négliger, il faudra au contraire
utiliser la peur
salutaire, la crainte vertueuse de se sentir chaque fois
inférieur à la tâche
exigée de nous : il faillirait à l'esprit
maçonnique celui qui, oubliant le
conseil d'humilité évoqué en maintes pages de nos
rituels et en la plupart de
nos préceptes, voudrait autoritairement imposer sa vision de la
Cité idéale à
l'exclusion de toute autre. On se souviendra toujours avec profit des
propositions politiques égrenées au long des
siècles par les penseurs de
l'Utopie : la vie en commun selon Pythagore, la République de
Platon, la Cité
du Soleil dans l'imagination de Campanella, la découverte
de ce pays nulle
part existant dans l'Utopie de Thomas More, les «
phalanstères » de Charles
Fourier, la politique vue comme « science de la production
» à travers le «
Cathéchisme des Industriels » de Saint- Simon... Ces
rêveries socialisantes de
l'Antiquité, du XVI° siècle et du XIX° ont
été relayées, au XX°, dans certaines
hypothèses de science-fiction romanesque, par la cauchemardesque
utopie du «
meilleur des mondes ». Nous savons mieux à présent
— et ce n'est pas te succès
relatif du socialisme « pratique d'un Karl Marx qui nous
démentira — que
l'idéal, dégénéré en
idéologie, débouche sur les formes diversement
meurtrières
d'un anarchisme de principe et d'un totalitarisme de fait. Un
danger de
fanatisme sourd de la pureté même et de la quête de
l'Absolu. L'antidogmatisme
qui nous préserve de tels excès est-il encore agissant
lorsque nous faisons
pleinement nôtre le projet de la Cité idéale ? Ne
sont-ils pas insidieusement
périlleux le désir et la volonté de puissance,
dès qu'ils touchent au destin
global de l'humanité ? Ne vaudrait-il pas mieux, somme toute,
rester prudemment
théoriques et ne vivre qu'à l'intérieur du temple
les essais du prototype de
cité idéale que constitue la Loge ? Cette attitude, sans
doute, tendrait à nous
conforter dans une manière de bonne conscience pharisaïque,
sur l'acte, jugé
suffisant, d'une simple adhésion à la pensée de la
cité idéale loin de toute
éventualité de réalisation. Bonne conscience a
tout prendre moins nocive,
pensent certains, que l'esprit de révolution
inhérent aux perspectives de
bouleversement offertes par de trop grands travaux : devons-nous, mes
Frères,
devenir bon gré mal gré des révolutionnaires par
le fait d'avoir accepté de
travailler au chantier de la Cité idéale ? N'est-il pas
plus sage de temporiser,
de remettre indéfiniment au lendemain le tracé de
l'épure, puisque nous
hésiterons toujours, en perpétuels apprentis, à
croire sans réserve d'humilité
à notre maîtrise et à notre sagesse ? D'ailleurs
nous ne disons rien qui ne
soit vrai, sinon vérifiable, en déclarant que le travail
colossal de ce
chantier illimité exige un délai de
réalisation indéfini, sinon infini. Et
puis à supposer qu'elle cesse d'« être », au
sens purement platonicien de
l'adjectif « idéal », si nous imaginons que son
« Idée » puisse venir informer
la « materia prima » des peuples de la Terre, la
Cité à laquelle aujourd'hui
nous ne faisons que de rêver appartiendrait alors, et
chuterait, au monde de
l'imparfait, du transitoire, du mélange inextricable de Bien et
de Mal...
L'Idéal est certes un magnifique mot, mais immobile au ciel de
la Valeur, il ne
semble pas compatible avec le dynamisme de notre pavé
mosaïque ou, plus
simplement, avec le temps de l'Histoire. Or n'est-ce pas
justement cette familiarité que nous entretenons avec les structures intimes
du réel, cette connaissance que nous acquérons de l'ambivalence humaine et
cosmique dans la contemplation du blanc et du noir et de leur équilibre, en
considérant les colonnes d'entrée du Temple de Salomon, qui nous qualifie comme
les maîtres potentiels du Chantier, parce que nous serons justement les
derniers à nous laisser prendre au piège de déclarations idéalistes ? Nous ne
confondons pas l'Idéal impérissable avec la pâle et imparfaite traduction qu'en
font en général les hommes. Aussi voudrons-nous
édifier la Cité idéale tout en acceptant d'ceuvrer dans le relatif, sachant que
l'Idéal, dans sa signification absolue ne s'atteint pas, pas plus que
l'Initiation ici-bas ne s'achève... Mais prenons garde ! On sait qu'une
certaine philosophie de l'intention, valant action, a fleuri dans la morale
jésuite du XVIle siècle, lui attirant, sur le mode péjoratif sa réputation de
« jésuitisme » : la même rumeur ne risque-t-elle pas de courir à notre sujet si
l'on nous sentait par trop résolus à négocier avec les méandres du réel la
courbe des avenues que nous traçons vers l'idéal ? J'insiste sur cette question
: le maçonnisme sera-t-il, dans la langue de nos ennemis, le « jésuitisme » du
XXle siècle ? A l'opposé du
danger qu'il y aurait à se contenter des « consolations » de la Philosophie, il
y a en effet celui de se perdre dans une extériorisation imprudente. D'un côté
certains ne conçoivent d'agir qu'à l'abri de la citadelle et des fictions qui
nous isolent du profane : pour ceux-là, « Vérité au-dedans, erreur au-dehors »,
comme eût dit Pascal ; de l'autre on est pressé d'effacer toutes frontières et
sous le prétexte généreux d'humaniser la cité, on glisse vers des tentations «
mondaines », on introduit inconsciemment des germes de décomposition au coeur
de l'Ordre maçonnique. La voie du milieu
est étroite plus que jamais entre le Clair et l'Obscur du Pavé mosaïque. Si nous désirons
être des « politiques » au sens large du terme — comme l'impliquent les
connotations du concept de cité — nous aurons soin de dérober nos principes,
nous cache- rons ces fontaines inspirantes aux regards, excités par la curiosité,
de l'homme du commun non initié, et nous devrons, pour ce qui nous concerne, ne
pas les perdre de vue un seul instant, afin de les mettre en application et
d'en féconder le « champ du possible », autant qu'il est en notre pouvoir. Ces principes ont
pour nous la simplicité incontournable et la vertu des grandes évidences. Quel que soit notre
degré de religiosité ou d'incrédulité, ni sottement croyants ni athées
stupides, nous avons foi en la destinée surnaturelle de l'homme, en cette
progression vers la Lumière et vers l'Omega d'une fraternité réellement
universelle dont notre chaîne d'union offre en somme le modèle. Nous voulons
donc, en toutes circonstances, imposer la subordination du matériel à l'humain
et faire connaître que l'Homme existe, et qu'il est perfectible sous la
condition que chez lui s'harmonisent les notions d'Etre et d'Avoir. Précisons
bien qu'il ne s'agit pas de faire prédominer l'une sur l'autre, au sens où la
première deviendrait le tyran de la seconde. Nous ne sommes pas dans une
conception théologique où l'âme ne se sauverait qu'au mépris du corps. Selon
notre conception traditionnelle de l'homme, l'esprit « intellectif », l'âme «
affective » et le corps cohabitant dans le respect d'une hiérarchie
bienfaisante à tous les étages de l'être. A quelque niveau de spiritualité que
nous puissions atteindre, nous savons nous souvenir de la mise en garde de
Pascal :« Qui trop fait l'ange fait la bête ». Aussi serons-nous attentif (ce
serait un point à développer dans notre 3e partie) à ce que des stades,
gymnases et autres palestres s'occupent des corporelles académies, tandis que
les Académies (avec un A majuscule), qu'elles soient littéraires, artistiques
ou scientifiques, s'occuperont d'entretenir les muscles de l'esprit. Il existe des
valeurs humaines qui sont perçues comme un Idéal et vers lesquelles tendent
naturellement les hommes non pervers. Certaines sont communes à l'humanité
entière (le respect du courage, la condamnation du crime à des fins personnelles
par exemple ; d'autres ne sont pas encore le partage de tous (ainsi les valeurs
liées à la conception de la liberté individuelle par rapport à la survie du
groupe et de la famille), mais elles deviennent peu à peu un acquis commun dans
la perspective de l'évolution historique. Notre projet global
est d'exalter en général les valeurs salvatrices et du groupe et de l'individu.
Aussi sommes-nous habilités à rassembler ce qui est épars, à faire entendre la
loi universelle des droits et des devoirs égaux pour tous, dans la tolérance,
l'entr'aide et l'affection mutuelle. Les hommes étant complémentaires, dans une
société donnée mais aussi sur un plan mondial (ce qui rend légitime un dessein
politique mondialiste), il nous incombe de rechercher toujours le point de vue
de l'unité, qui fait apparaître les divergences comme richesses ; il nous faut
donc nous garder de stigmatiser les différences et, au contraire, postuler l'harmonie
de ce qui s'affirme actuellement comme oppositions tant au niveau interhumain
qu'à celui des relations entre la Cité des hommes et la Nature. C'est par cette
sagesse immémoriale, jadis illustrée par les Pythagore, les Socrate, les
Platon, les philosophes stoïciens, que nous serons en effet des «
révolutionnaires », dans le sens — astronomique — où notre globe repasse chaque
année par équinoxes et solstices. Une telle volonté
repose sur notre capacité à laisser s'épanouir notre compréhension du monde au
contact des ternaires l'un sur l'autre emboîtés, qui sont comme les tambours
des colonettes dressées autour du tapis de Loge. J'ai nommé : Sagesse, Force,
Beauté ; Paix, Amour, Joie ; Liberté, Egalité, Fraternité. Dans nos ateliers,
tout est dit depuis leur fondation, sur ce que seraient les bases d'une société
idéale. C'est pourquoi, comme je l'ai déjà affirmé, nous pourrions égoïstement
nous satisfaire de vivre en toute tranquillité, dans l’œuf matriciel de la
Loge, l'expérience purement maçonnique de la Cité idéale. Nous sommes
pourtant — et c'est notre devoir d'y répondre appelés à rayonner à l'extérieur
ce qui nous a été donné dans le temple. Il faudra donc tenter d'éclairer
l'obscurité dans laquelle se débattent, non pas tous (ne croyons pas être
partout les meilleurs) mais grand nombre de nos contemporains : Osons donc nous
aventurer à dessiner et à bâtir. Mais quel type d'action est à notre portée,
quelles méthodes se recommandent à nous en fonction des principes ci-dessus
évoqués ? Une certaine
conquête de pouvoir est inhérante à la poursuite de nos buts. L'architecte
n'est-il pas un « maître » — constructeur comme le suggère le radical de
prééminence « Arkhé » ? La connaissance que nous acquérons de nous-mêmes
renforce notre capacité à nous situer dans la société, et donc à nous rendre
socialement visibles, afin de remplir au mieux le rôle qui nous a été distribué
(à travers éducation, choix de métier, milieu). Je ne sais s'il serait toujours
sage de vouloir occuper, chacun dans son domaine d'activités, le poste de
Maître du chantier : au moins devons-nous faire en sorte que notre verbe ou nos
actions soient pris en compte et que nous ayons une part, la plus large qu'il
nous est possible d'assumer, selon nos talents et disponibilités, dans la vie
et l'organisation sociales. Faisons en sorte, puisque nous en sommes à ce point
de vue moraliste, que l'on ne puisse confondre cet engagement personnel avec
un militantisme vulgaire. Dans nos revendications, ne soyons pas « hommes de
ressentiment », et s'il arrive à aucun d'entre nous d'avoir à se « salir les
mains »(au sens sartrien !) sur le terrain de la politique politicienne, que ce
soit avec le secours de notre éthique, extériorisée en « constructivisme » : en
favorisant la liberté de parole et la discussion ordonnée qui sont les deux
piliers de la démocratie ! Osons d'ailleurs ce paradoxe, que ne renierait pas
un Tocqueville : plus une société est démocratique, dans le sens que nous
venons d'évoquer, plus elle a de chance d'être réellement une aristocratie ;
c'est-à-dire qu'elle saluera et utilisera les meilleurs comme étant les plus
capables. Elle en fera des responsables, non des privilégiés. Tel est le rêve
politique le plus constant caressé depuis la naissance de la philosophie dans
la Grèce du V° siècle avant notre ère. l'architectonique
sociale sur l'élite du cœur, de la /volonté, de l'intelligence, du travail.
Rien qui soit ici incompatible avec notre sens de l'Ordre. Le mot « cité
»
désigne à la fois la communauté des citoyens, dont
les rapports sont définis
par un ensemble de droits publics et privés, et
l'agglomération urbaine qui
découle du choix de vie en commun. Dans l'Antiquité
chaque cité, aux dimensions
de ce que nous appelons une ville, a commencé par être un
Etat : Athènes le resta,
jusqu'à sa disparition de la scène politique avec la
domination des princes
macédoniens, puis l'invasion romaine ; Rome sortit de ses
murs, devint cet
Empire élargi à l'Europe presque entière et au
bassin méditerranéen...
Aujourd'hui le concept de cité est distendu entre une
acceptation politique
très vaste, quasi abstraite, et l'acceptation matérielle,
concrète, de tissu
urbain. Dans l'un ou l'autre sens, ne peut-on affirmer que toute
cité a
toujours été « idéale » avant
d'être construite ? Elle a été voulue,
pensée,
tracée au pinceau, au crayon, à la craie, à la
charrue sur le terrain... et la
main des ouvriers bâtisseurs lui a conféré enfin sa
nature cubique, tridimensionnelle.
L'architecte Franc-Maçon, fournisseur des plans, ne doit pas
s'effrayer devant
le supposé caractère « statique » de
l'idéal poursuivi : pour répondre aux
promesses de l'adjectif, la cité devrait être, au
contraire, évolutive — ainsi
que le Temple, probablement, jamais achevé... Il sera bon, au
moins, de
l'édifier en harmonie avec sa situation géographique et
les particularismes
hérités de son histoire : c'est la meilleure
manière de garantir pour l'avenir
sa force plastique, son adaptabilité. Le respect du site
culturel n'est-il pas
en outre la façon la plus habile d'en susciter et d'en
maîtriser le
bouleversement ? La Tradition a comme Janus un double visage,
conjuguant au
futur les enseignements du passé et scrutant en permanence
le possible. C'est
parce qu'elle est une école de « réalisme »
que la Franc-Maçonnerie peut entreprendre
vers l'Idéal. L'Architecture
enfin est faite par et pour l'Homme. Si nous entendons le message de
Claude-Nicolas Ledoux, Franc-Maçon et architecte du XVIIIe siècle, dont on
célèbre en 1986 le 250e anniversaire de naissance, et si nous lisons la pièce
intitulée L'Architecte que la contemplation de ce personnage bâtisseur de «
visionnaire » ou utopiste a inspirée à notre Frère Jean Verdun, nous nous
apercevons que la Beauté ornant l'Utile, et l'Utilité soutenant en force le
Beau, restaurent le sens du sacré, reconduisent vers une Sagesse. La Saline
d'Arc et Senans est un temple en même temps qu'une usine, un sanctuaire à la
gloire du travail humain, donc nécessairement aussi un hommage au Grand
Architecte de l'Univers ; et, dans tous les cas, un espace de réconciliation
entre le profane et le sacré, la technique et l'art, la subordination et la
hiérarchie. Ne serions-nous que les « écologistes » d'une architecture et
d'une organisation urbaine et politique redimensionnées sur l'homme, tel que nous
avons l'habitude de le considérer, dans la vision unitaire et macrocosmique de
notre « situation », déjà nous pourrions nous déclarer sans trop perdre
prudence, participants au Grand OEuvre de la Cité à venir. L'initiation
maçonnique, donnant cours à notre désir d'apprendre à lire le monde comme on
déchiffre un plan, fait de nous, assez naturellement, les propagateurs d'une
vision de la société humaine « requalifiée ». Nous savons que les symboles sont
actifs, même sur l'âme de ceux qui ne les voient ni les entendent. Et je
croirais volontiers qu'une part non négligeable des maux dont souffre la
société actuelle provient de l'indigence symbolique, de la carence en
symbolisme, dans les banlieues tristes et laides. N'est-ce pas pour lutter
contre une semblable misère que Claude-Nicolas Ledoux projetait de dresser des
« colonnes pour des usines » ? Il nous incombe, Francs-Maçons, de nous
engager parmi les secouristes de cet imaginaire social en souffrance.
L'Architecture, dont Ledoux affirmait qu'elle est pareille « aux astres
bienfaisants qui éclairent le monde » est le paradigme le plus parlant de
notre volonté de construire multiforme. Et la Cité idéale, de même que l'Idée
chez Platon ou chez Kant, ne doit pas être regardée comme une chimère. Elle
sert de « prototype pour la détermination de la copie », dit le
philosophe ; « elle fournit à la raison une mesure indispensable » :
car « la raison a
besoin du concept de ce qui est parfait dans son espèce, afin de pouvoir
estimer et mesurer le degré et le défaut de ce qui est imparfait ». André UGHETTO |
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