GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 3T/1986

De quelques aspects de la main *

 
PRÉAMBULE

Nous menons notre existence terrestre au long du temps et au travers de l'espace. Ce sont nos cadres, nos limites. Nous en sentons l'étroitesse ; c'est un poids qui pèse comme une gangue sur notre esprit, c'est une camisole qui rend gauche notre gestuel.

L'homme est un éternel personnage d'Homère et il suit l'ex­périence de l'Odyssée. Pour s'embarquer sur cette route du péle­rin, notre compagnon comme nous-mêmes, a besoin de la marche, de la voix, de l’œil, et aussi de la main. La marche est celle des

pérégrins, la voix est celle de l'appel proche ou lointain ; elle est issue du verbe créateur dont elle est le complément indispensa­ble. L'ceil est celui du regard ; il se rapporte à l'intelligence. La main indique, saisit, touche ; elle est un reflet de l'affectivité et de l'âme.

La main, c'est le geste en soi.

La main est effort donc volonté ; elle est message en même temps. Cela implique que la volonté d'émettre le message entraîne une réception de ce qui est transmis. L'interprétation est d'autant plus délicate que toute l'intensité, la nuance du geste, peut n'être pas appréhendée et que d'autre part le message peut et doit aller au-delà de soi.

Cela tient au double aspect moteur opératif d'une part, et com­munication spéculative de l'autre. Le premier aspect est l'instru­ment de l'homo Faber grâce auquel il a construit d'autres ins­truments de travail. Le second aspect est une métaphysique du toucher sensible qui exprime, recherche, traduit ou transmet.

La main peut être caresse, pardon, mais elle peut aussi, appuyer sur le bouton en un geste inconsidéré pour que se déclen­che la déflagration mortelle qui replongera dans la profondeur des ténèbres l'homme à la main de lumière.

Il appartient à l'homme de conduire sa main car elle l'aide à placer sa personnalité dans l'espace et le temps, à vivre tout sim­plement, à la condition qu'il sache mener sa main en sachant se mener lui-même.

LA MAIN DE CHAIR

Description

La main a trois parties, les doigts, la paume et les lignes.

Les doigts

Les doigts sont au nombre de cinq. Le pouce n'a que deux phalanges et il s'oppose aux autres doigts ; on dit qu'il sert de pince. Le mot pouce vient du latin pollex et Montaigne nous expli­que que le verbe pollere en latin signifie "pouvoir beaucoup, être puissant, avoir de l'influence" c'est le maître-doigt conclut l'au­teur des Essais.

L'index tire son appellation du fait qu'il sert à désigner, c'est- à-dire indiquer : le doigt de Jupiter.

Le doigt du milieu est le médius; il serait lié à Saturne.

L'annulaire était au moyen-âge l'annulier et plus tard l'anne­lier. Il serait lié au coeur comme l'index le serait au foie et le médius à la rate, mais il s'agit en l'occurrence du coeur tendre et sensible et c'est pourquoi on y glisse l'anneau du mariage.

Le dernier, ou petit doigt, est l'auriculaire ; on disait dans l'an­cien langage, le "grat-oreille" car il paraît, depuis Denys, Tyran de Syracuse, qu'il n'y a pas de meilleur instrument pour cette opération-là !

La paume

La paume comprend les parties proéminentes ou monts, par rapport à une partie centrale plus creuse, ou plaine, on dit aussi plaine de Mars.

Les sept monts sont le mont de Vénus, à la racine du pouce, sous l'index le mont de Jupiter, sous le médius le mont de Saturne, le mont du Soleil est sous l'annulaire ce qui va de soi, sous le petit doigt : le mont de Mercure, près du poignet le mont de la Lune que l'on appelle aussi le mont de Diane, et entre le mont de la Lune et le mont de Mercure, on trouve enfin le mont de Mars.

Les lignes

Il y a trois lignes principales et cinq lignes secondaires. D'abord, la ligne de vie entre pouce et index qui circonscrit le mont de Vénus et va jusqu'au poignet.

Ensuite, une ligne naturelle, ou ligne de tête traverse la plaine de Mars et va vers le mont de la Lune ou de Mars. Enfin, la ligne de cœur ou ligne mensale commence au bas du mont de Mercure et va vers Jupiter ou entre Index et Médius.

Les autres lignes sont :
   la ligne de chance ou de Saturne,
   la ligne de soleil ou d'Apollon,
   la ligne hépatique ou de Mercure,
   l'anneau de Vénus,
   la rascette ou restrainte ou racine de la main et qui peut com­prendre deux ou trois lignes.

Types de mains

On peut dire qu'il y aurait comme types de mains :
   - des mains pratiques,
   - des mains vulgaires ou insignifiantes ce qui n'est pas forcé­ment la même chose,
- des mains passionnées,
- des mains brillantes,
   - des mains intellectuelles.

La main pratique est souvent sans finesse et sans beauté ; elle sera carrée, grosse. Elle est matérielle et utile.

La main vulgaire sera dure et épaisse et l'insignifiante pourra être trop petite ou trop grande, molle, sans relief.

La main passionnée est forte, charnue, résistante, aux doigts gros et courts, rarement allongée. C'est une main d'un travailleur enthousiaste, tourné vers sa fonction.

La main brillante n'est jamais grande ; elle est jolie, équilibrée, ni carrée, ni courte. C'est la main sociable, habile, souple, mais surtout elle est une main des apparences, et non des profondeurs.

Les mains intellectuelles sont charnues, souvent osseuses et même sèches, les doigts sont assez forts et longs. C'est une main patiente et persévérante, au service de principes et d'idées.

Mais dans la pratique, cela n'est pas si simple. La main de Ver­laine, par exemple, était une main brillante, mais avec un aspect déformé et malheureux, mais aussi étincelant et spontané, corres­pondant au côté créatif-instinctif du poète en même temps qu'à ses déviations et à ses malheurs.

La main de François Coppée, autre poète, mais moins génial, indique la brillance et l'absence de force et de pratique, mais avec la vivacité autant que la vanité qui ont marqué les écrits de cet auteur de second plan.

Formes de mains

Extérieurement, une main peut être carrée, pointue ou spatu­lée selon la façon dont se termine le groupement des doigts.

Il ne faut pas non plus oublier la couleur ou les couleurs et les poils.

Les couleurs sont souvent des indications de santé. Le rouge et le violet sont indication de mauvaise santé mais aussi de paresse, la main trop blanche ou trop foncée, tirant sur le citron par exemple, est une main inquiétante tant sur la santé que sur le caractère. Une main rosée avec des veines transparentes est une main saine, avec de l'esprit et de la bonté ; une main bistrée allie bonne santé et bon esprit.

Un peu d'anatomie

Les cinq doigts sont séparés les uns des autres par quatre commissures dont celle du pouce qui, par sa dimension permet à ce doigt de jouer ce rôle de pince dont on parle si souvent.

La face interne ou palmaire est constituée d'une peau dure mais sensible. C'est l'aspect travail avec le serrage et les prises qui vont des plus fortes aux plus douces.

Le revêtement dorsal est fait d'une peau plus souple, mobile, élastique pour pouvoir suivre les mouvements que les doigts font avec la paume. C'est le côté esthétique et social de notre main.

Le squelette de la main est un chef-d'oeuvre mécanique de vint- sept osselets qui permettent la force, la stabilité et la mobilité à partir des huit premiers qui forment le carpe, c'est-à-dire le poignet.

Les doigts ont une organisation motrice complexe qui permet la flexion mais aussi le rapprochement ou l'écartement.

L'enroulement d'un doigt se fait harmonieusement grâce au rapport de longueur des trois phalanges qui correspond à une série numérique de Fibonacci (1, 2, 3, 5, 8, 13, 21).

La commande du système est assurée par cent cinquante mille fibres nerveuses issues de cinq racines cervicales organisées à travers un réseau complexe que l'on appelle : "le plexus braquial".

La main comprend trois nerfs moteurs :
        Le radial : poignets et doigts.
        Le médian : qui notamment permet la pince du pouce,
        Le cubital : qui assure l'inclination du poignet, la force de serrage.

Le cortex qui assure la gestion sensitive et motrice de cha­que partie du corps accorde à la main une surface égale à la face et supérieure à tout le reste des autres parties du corps.

Le système sensitif permet de connaître le chaud, le froid, le poids, les caractéristiques d'un revêtement.

Cette sensibilité influe sur la connaissance et par suite sur la parole qui décrit, traduit, interprète.

Il n'est pas étonnant que le sculpteur Rodin, véritablement fas­ciné par la main ait laissé, outre les oeuvres connues où les mains tiennent une grande place, comme Le Bourgeois de Calais, Adam, le Penseur, Saint Jean Baptiste, Pygmalion et Galathée, soit plus de quatre cent cinquante mains de terre cuite ou de plâtre étudiées par lui, un certain nombre d'oeuvres qui ne sont que des mains : des mains d'amants, la main de Dieu, la main crispée, le Secret, sans compter des dessins de mains et des gouaches traitant du même sujet. Une des plus typiques, est peut-être celle de Rodin que l'on a appelée la Cathédrale ou l'Arche d'Alliance, où le sculp­teur a découpé un couple de main formant ogive qui nous fait atteindre, par ce créateur de génie le palier du sacré par un dédou­blement créateur.

En conclusion, il est incontestable de ces descriptions que la main est une des plus précieuses parties du corps de l'homme.

Pour Zoroastre, c'était "un miracle de l'admirable nature", pour Plutarque "la cause de la sagesse humaine".

Un Jésuite érudit du XVlle siècle rapporte les définitions suivantes :

"La merveille du monde, le secours de l'amitié, la pourvoyeuse de l'existence, l'arme du corps, la défense de la tête, le satellite de la raison, l'interprète de l'âme, la dispensatrice de l'âme divine, le nerf de l'éloquence, l'officiante de la sainteté."

C'est que seule la main de l'homme, dans ses formes si variées, mérite toutes ces qualifications. Ce n'est pas en tant que main qu'elle est tout cela, mais parce qu'elle est instrument de l'es­prit, du caractère et de la volonté, que la diversité de ses aspects aide à faire apparaître et transmettre ce qui vient d'au-dessus. Elle est instrument, mais un instrument d'expression d'une individua­lité au service de l'ensemble des hommes.

LA MAIN-OUTIL : SYMBOLE DU TRAVAIL

La main-outil est symbole du travail et de l'action et également symbole de la création, mais aussi quelquefois symbole du mal.

Si la main est action et création, c'est parce qu'elle s'inscrit dans l'espace. Elle est la maîtresse des directions et donc de l'espace.

Aristote pensa même qu'au-delà de s'inscrire dans l'espace pour l'indiquer et le connaître, elle pouvait permettre d'apprivoi­ser le temps. Le philosophe grec voyait la possibilité d'inverser le sens du temps en faisant de l'homme celui qui ne sera plus dans l'obligation de subir mais qui utilisera le temps pour construire.

Aristote comparait même la main à l'âme et la définissait comme un "instrument d'instruments".

Gallien, au lie siècle après Jésus Christ, insistait aussi sur la main, "outil et privilège de l'homme".

Elle est l'outil primordial car sans elle l'homme ne trouverait pas ses nourritures matérielles et spirituelles qui sont son essence même : le pain et le vin. La terre donne le grain du blé et le raisin de la grappe. La main transforme par des interventions multiples commandées par l'intelligence de l'homme, le blé en pain, la vigne en vin.

Mais elle tente de donner à l'homme ou revanche ou consola­tion. Elle joue son rôle dans le "Qui suis-je ?", en fouillant une biologie délicate et une métaphysique éternelle. Mais surtout elle va être construction-création et action-réalisation et remplir une partie du vide angoissant.

La main créatrice, est peut-être ce qui frappe le plus. On peut partir comme on l'évoquait avec Rodin, de la main de Dieu, ce Dieu biblique qui créa l'homme et la terre, puis, de la création du pre­mier inventeur ou façonneur d'outils et d'oeuvres d'art ; pour cer­tains, la création divine et la création humaine sont associées ; l'idée des Romantiques est parvenue jusqu'à nous, l'artiste deve­nant idéal humain car il crée et n'a plus à imiter.

Mais si elle est travail et création, c'est sans doute parce qu'elle permet l'action.

La main s'ouvre. La main se replie. Il existe dans l'infinité des mouvements et des gestes entre ces deux limites des énormes pos­sibilités physiques de la main. L'homme s'ouvre et se ferme comme la main. La Société progresse et s'ouvre ou s'enferme sur elle- même. Ce sont les mains de l'action ; action directe ou action par lutte.

C'est la main d'ordre, au doigt tendu levé vers le ciel ou tiré vers quelque chose ou quelqu'un. Un proverbe chinois dit : "Quand la main désigne le but, l'innocent regarde la main".

C'est aussi la main qui bouge sans cesse, dès la naissance, et qui sera main de connaissance, et de connaissance de soi d'abord comme le fait le nouveau-né. Cette main ensuite va s'ins­crire dans l'espace et aborder l'action de connaissance du monde. Le mot hébreu Yada, La Connaissance, vient de yad, la main.

C'est peut-être quand elle est la main du don qu'elle symbo­lise le mieux l'action.

Aton, le dieu d'Egypte, donne la vie par la croix symbolique. Adam gisant sur le sol dans la fresque de Michel Ange, offre sa main au doigt de Dieu pour recevoir l'étincelle de vie.

Mais, comme le chantait Verlaine, la main peut faire tout le bien et aussi tout le mal.

C'est la main qui fait souffrir, qui tue ou qui va vers le péché. Est-ce là la main de Satan ou une simple main commune ?

C'est une main qui se place dans l'Enfer de Dante et dans les Fleurs du Mal.

Ne faut-il pas y voir aussi la dualité, bien - mal, noir - blanc, avec droite et gauche.

La prééminence technique, religieuse et morale est accordée à la main droite en raison de justifications théoriques, telles que configuration du cerveau, position foetale ou autre, mais aucune n'est convaincante. La main gauche est côté d'ombre ; elle est néfaste et sinistre, le côté où le soleil se couche en venant de la droite, c'est la main dans la lumière du levant, main de lumière Christique avec des références aux aspects solaires des traditions pythagoriciennes, celtiques et égyptiennes, cette dernière retenant une main gauche passive mais réceptrice et une main droite active et donatrice.

Ce binaire simple de nos mains se rattache au destin et à la question posée devant Oedipe.

L'Oedipe que nous sommes tous, a reconnu l'aurore et la soi­rée dans cet animal qui marche à quatre pattes le matin, à deux pattes à midi et à trois au crépuscule. Cet animal reconnu par lui- même, c'était l'homme, nous faisons de même. Oedipe venait de percer, en répondant à l'énigme, le mystère du temps et celui de l'humanité, et sans cependant savoir quel est son nom, d'où il vient, où il va ; mais destin tragique, il va se crever les yeux lorsqu'il verra la vérité en face. Avait-il touché la main du mal ?

LA MAIN DU DESTIN — UN PEU DE CHIROMANCIE

"Hasard ou nécessité" disions-nous à l'instant sans vouloir parodier le célèbre livre du savant et philosophe Monod.

La chiromancie, c'est-à-dire présager de la destinée de l'homme par sa main, est un art plus qu'une science dont les ori­gines sont très anciennes. Les deux mots grecs qui forment le mot chiromancie sont main et divination, c'est-à-dire que l'on est en présence d'une étymologie très claire.

Souvent, la chiromancie est mêlée à l'astrologie ou à d'autres sciences. Sputina, devin romain, avait conseillé à Jules César de prendre garde aux calendes de Mars parce qu'il avait vu dans sa main gauche "une demi-croix née en la plaine de Mars, dont l'ex­trémité tendait au Bélier".

Il est certain que l'église s'est émue du fatalisme découlant d'un tel art, et de l'hétérodoxie qui s'en suit. On a brûlé des chiro­manciens en les assimilant à des libres-penseurs.

Le XVIII° siècle toutefois, avec son esprit d'étude et de soif de vérité démontrée, va marquer la décadence de cet art qui revivra dans la seconde moitié du XIXe siècle surtout à partir de l'ou­vrage d'un certain D'Arpentigny, qui publia une chirogomonie en 1856.

LA MAIN SOCIALE : SYMBOLE DE COMMUNICATION

La main, symbole social, est une main-communication, une main-langage.

La main est langage d'accompagnement musical quand elle est celle du chef d'orchestre, du guitariste, du joueur de M'vet ou de Kota.

La main est de réunion et de salut : on se serre la main quand on se rencontre ou quand on se quitte. Elle est lien et reconnaissance.

Elle est l'organe de la sympathie qui rapproche les hommes ; elle garde l'empreinte de ce qu'elle a perçu au toucher lorsqu'elle a, par sa souplesse et sa mobilité, épousé la forme de l'autre et avoir ainsi pu coïncider de l'autre d'une manière ou d'une autre.

Cette main sociale est une main de message.

Il est une main très particulière, qui est une main affective. C'est celle que l'on pourrait appeler la main de caresse.

On cherche, par le toucher, un accès à une intériorité. Racine évoquait la règle de : "De plaire et de toucher".

L'homme fait un effort pour atteindre l'autre et la main, par les prolongations de sa gestuelle, le met sur cette voie. La main, qui est essentiellement le contact, est un instrument de recher­che de l'intangible.

Cette suprême tension d'un être pour aller vers l'autre est très souvent : la caresse. Il y a des multiplicités de caresse.

La caresse de partage, symbole de compréhension et de retour au calme.

La caresse de consolation en est proche ; elle est conçue de partage mais aussi d'accueil ; c'est la main de l'enfant dans celle du père ; c'est un geste d'appui ou de prise en charge de la douleur.

La caresse amoureuse et même érotique n'est pas simplement attouchement. Suivre de la main les lignes d'un corps, ce n'est pas apprécier une forme ou un tissu, c'est l'intégration à un être et à sa vie, et s'en intégrer en retour.

Mais cette main sociale a un troisième aspect fondamental assez proche de son aspect de relation et de message. Cette main de relation, est une main de transmission.

Elle est, par le geste qu'elle dessine, symbole de salutation, particulièrement chez les asiatiques. On ramasse presque la terre avec ses mains, et on élève jusqu'à la hauteur de la poitrine au niveau du coeur cette terre ancestrale qu'on a fait le signe de ramas­ser. C'est aussi un geste d'ampleur qui rapproche du sacré en allant de la terre à l'homme et au-delà de l'homme au cosmos.

Les exemples de force, beauté, sagesse et puissance seraient nombreux de cette transmission, pour laquelle la main joue son rôle indispensable.

LA MAIN DE PROMETHEE OU MAIN METAPHYSIQUE A L'IMAGE DE DIEU

La main oedipienne, insérée dans l'espace et le temps, se rat­tache aussi à cette entreprise prométhéenne, socio-politique, par laquelle l'homme cherche à "élaborer une surexistence faisant de lui son Maître, son Dieu et son Sauveur, afin de se guérir du mal du temps et par là de lui-même". (J. Brun, page 42).

Allant au-delà, l'imagination angoissée de l'homme a voulu prolonger et dépasser sa puissance pour atteindre la force du magique et du sacré.

C'est le rite religieux de l'imposition des mains, vocation du toucher et du signe de la main. C'est la transmission d'une pré­sence qui remonte au sacré d'origine. La main accueille et com­munique une Présence qui la dépasse.

C'est la main de Tantale, et plus encore celle de Prométhée.

L'outil manié et la machine créée, permet à l'homme de s'in­sérer dans un monde agrandi.

Mais cette puissance multipliée sans limite n'est-elle pas sur­naturelle ? Elle se rattache à l'angoisse de l'homme et à sa peur métaphysique. Alors, n'est-ce pas là la main des dieux, ou la main de Dieu, c'est-à-dire la main de toute la connaissance, la yad, deve­nue yada.

L'iconographie ou l'ceuvre d'art représente l'expression divine comme dans les Christ en majesté de nos églises : la main de Dieu signifie Dieu dans la totalité de sa puissance. L'histoire biblique le reflète : si Dieu touche l'homme, Il lui transmet sa force divine.

La riche et difficile série des Mudras et des Hastas c'est-à- dire les positions des doigts et des mains dans le monde hindouis­tes et dans le monde bouddhique, sont aussi du domaine de l'ap­proche du sacré.

Les Mudras proviennent de rites extrêmement anciens. Les mains y jouent un rôle incantatoire d'évocation ou d'invocation.

Le terme Mudra signifie le sceau et son empreinte, les ges­tes des doigts et les compléments féminins d'un dieu. Le sceau et la complémentarité féminine d'un dieu, sont des matrices, des moules. Le geste des doigts tient à la fois du sceau qui signe les décisions et les choses créées, et du sein d'où jaillit le mot, l'idée.

Le caractère rituellique des Mudras était renforcé par la rigueur du secret.

Chez les Bouddhistes, la main droite symbolise le monde des Bouddhas et la main gauche le monde des hommes, et chaque doigt a une attribution particulière.

Le jeu des mains et des doigts se réfère aux relations entre le Cosmos et les Hommes. C'est par lé que ses gestes touchent au Sacré.

« Les deux mains jointes, imitant le bouton de lotus fermé, s'ouvrent peu à peu et font assister à l'éclosion d'une fleur manuelle. »

Et que dire du symbole sacré de puissance dans tous les domaines, que celui de ces dieux orientaux munis de multiples mains aux multiples fonctions, dont celle du don, mais aussi celle de la vengeance ou de la punition.

En général la main droite est la main bénissante parce que Divine, mais la gauche a été déléguée au pouvoir royal, symbole de puissance mais aussi de cet exercice O combien difficile qu'est la Justice.

Quand Saint Louis rend la justice sous son chêne, il est un roi de droit divin qui a reçu cette délégation. Au Moyen-âge, la jus­tice étant qualité royale, autant que la main gauche de Dieu était en rapport avec la justice et la droite avec la miséricorde comme dans la Schekinah de la Kabbale.

CONCLUSIONS

Les quelques aspects de la main que nous venons de voir nous amènent à penser que dans sa gestuelle, la main est un symbole typique du binaire, non pas parce que nous avons deux mains, mais parce qu'elle est le signe d'un individu particulier et qu'elle s'ins­crit en même temps dans l'espace. Sans être un adepte de chiro­mancie, la main est la marque d'un intérieur profond, volontaire et sensible, et elle inscrit des destins.

La main est la mesure de l'homme ; il faut aussi qu'elle soit sa sagesse.

Cette main est de convergence. Comme une croix, elle reçoit des lignes de force, elle en mesure le poids et en connaît aussi les possibilités de transformation.

Elle est carrefour d'hier et de demain ; elle est identification par les empreintes digitales mais les gestes qu'elle fait inscrivent cette personnalité dans le cours de l'histoire et des siècles.

A côté de cela, si nous procédons à une projection transcen­dentale de cette gestuelle manuelle, on s'aperçoit que les deux vocations principales de la main : la prise et le toucher, peuvent ne plus se compléter et peuvent même entrer en opposition.

Mais si la prolongation transcendentale de la gestuelle manuelle privilégie le toucher ou le geste de transmission, la main nous dirige vers le Sacré.

Cette gestuelle permet d'y parvenir en partant de l'homme qui va se dépasser lui-même dans une symbolique et un rituel. L'homme qui parvient par son geste à maîtriser sa nature, au lieu de laisser se déchaîner des amplifications infernales, va s'élever au-dessus du matériel et du terrestre.

Nous avons vu que nos gestes de la main sont en rapport direct avec notre personnalité dont le siège principal est dans notre cerveau. Ce sont des centres psychiques qui agissent sur les pos­sibilités et les forces qui sont en nous.

Comme nous l'avons vu, le geste a toujours un fond ou un pro­longement profond et c'est bien là que se trouve le symbole. Le terme bien français de manifestation vient de main, car ce qui est manifesté peut être pris par la main, mais au-delà du manifesté, existe le non-manifesté et que là obligatoirement, on rentre dans le domaine de l'ésotérisme.

Mais le tout un chacun de tous les jours applique ce symbo­lisme courant de la main qui est celui de la communication. Le geste du silence, le signe du secret, les gestes d'indication ou de désignation, les gestes de comptage ainsi que l'immixtion dans la symbolique des nombres.

Prendre, donner, voire demander la main sont de tous les jours et cette main quotidienne va elle-même très au-delà de ce qu'elle est et de ce qu'elle fait. Elle devient symbole d'union d'autant qu'il faut avoir communiqué, par elle, avant de réunir. Quand le sculp­teur de Vézelay ou Le Gréco, font des mains démesurées à leurs personnages, ils illustrent ce dépassement constant de la main dans son rôle social notamment et le font s'inclure à nouveau dans le sacré, au-delà de la peur humaine, de l'espace et du temps. C'est une main de tous les jours qui permet de vivre mais c'est une main en éternelle projection vers des zones plus élevées.

Ne faut-il pas que cette main, symbole d'union et de frater­nité, dans une gestuelle simple, continue à se dépasser dans une approche du sacré très humaine, mais transcendée car elle peut à tout instant basculer et redevenir comme nous l'avons vu, la main du mal, la gestuelle de satan. Notre main s'inscrit dans sa symbo­lique comme une grande roue qui tourne sans fin, de temps en temps, elle s'envole, quelquefois, elle écrase.

C'est la Vie.

La main de la vie de chaque jour et de chaque geste avec cette faculté importante d'aller au-delà, sans cesse.
   Elle est constamment geste et symbole.
   Elle est outil du pain et du vin.
   Elle est lien et message.
   Elle est de protection et de destin.
   Elle décrit la parabole qui va de la terre au cosmos. Elle est de Tentale, d'Oedipe ou de Prométhée.
Mais au pire de l'angoisse souvent dans une gestuelle du secret, elle va de la misère à l'espoir comme le chantait Eluard en 1942 :
« Les pauvres ramassaient leur pain dans le ruisseau
Et j'entendais parler doucement, prudemment
D'un ancien espoir grand comme la main. »

Claude Ducreux

* Ce texte est la synthèse d'une étude plus détaillée menée par Claude Ducreux.

Publié dans le PVI N° 62 - 3éme trimestre 1986  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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