GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 4T/1985

Pourquoi une franc-maçonnerie
strictement féminine ?

Nous sommes souvent interrogés par nos lecteurs, et par un certain nombre de lectrices, sur la Franc-Maçonnerie féminine.
Par déférence envers nos soeurs, nous ne traitons pas généra­lement nous-mêmes ce sujet. Le texte de l'émission « Les divers aspects de la pensée contemporaine », ci-après, est pour nous une excellente occasion de donner la parole à la Grande Loge Féminine de France de manière à ce qu'elle s'exprime elle-même sur la spé­cificité de la Franc-Maçonnerie féminine.

Le thème de notre entretien d'aujourd'hui est la Franc- Maçonnerie féminine. Ceci pour répondre à des questions qui sont posées avec insistance à la Grande Loge Féminine de France.

D'abord, la surprise : « Comment ? Il y a aussi une Franc- Maçonnerie pour les Femmes ? Il y a non seulement des francs- maçons travaillant entre eux, mais aussi des francs-maçonnes » ?

Toute de suite après viennent les questions sur la spécificité de la Franc-Maçonnerie féminine :

« Qu'est-ce qui distingue le travail des francs-maçons de celui des francs-maçonnes » ?

Et aussi : « Pourquoi une franc-maçonnerie strictement fémi­nine, pourquoi cette séparation, alors que ceux qui se réclament de la Franc-maçonnerie prônent la tolérance, l'ouverture et surtout la fraternité et l'égalité » ?

Enfin, ceux qui connaissent un peu le monde de la Franc- Maçonnerie demandent : « Pourquoi n'allez-vous pas vers les obé­diences mixtes puisqu'elles existent » ?

Ou encore : « Est-il vrai que les francs-maçons n'admettent pas les femmes en franc-maçonnerie, et pourquoi » ?

C'est à ces questions que nous voulons essayer de répondre aujourd'hui, en rappelant d'abord deux faits :

Le premier, c'est le contexte de l'époque dans lequel a été cons­tituée la Franc-Maçonnerie dans sa forme actuelle. Il existe un texte que l'on pourrait appeler la charte morale et juridique de la Franc- Maçonnerie et qui est la Constitution d'Anderson.

Elle exclut les femmes.

On est alors au 18ème siècle. La femme, à ce moment, n'a pas la place qu'elle occupe aujourd'hui dans la société. On est loin d'ima­giner qu'elle aurait un jour cette place, qu'elle sortirait de son foyer, irait travailler, prendrait part aux affaires de la cité, participerait à la vie sociale et politique, prendrait son autonomie...

Les francs-maçons de cette époque ont, en réalité, moins cher­ché à exclure les femmes qu'à entériner le statut social qui pesait alors sur elles. Pas seulement sur les femmes d'ailleurs : les hom­mes jugés non-libres, les esclaves, les handicapés physiques, par exemple. Tous ceux-là étaient également exclus parce qu'ils n'étaient pas considérés comme totalement autonomes, parce qu'ils ne semblaient pas avoir les moyens de penser librement.

La Constitution d'Anderson porte la marque des préjugés et des valeurs de son temps. Et cela n'a rien à voir avec l'initiation et tout le contenu spirituel de la Franc-Maçonnerie. Là, les femmes n'ont pas toujours été exclues : il est inutile de rappeler quel rôle impor­tant les femmes ont occupé à travers les âges dans tout le mouve­ment initiatique et la tradition.

L'époque actuelle leur a redonné cette place perdue ou oubliée. Il faut tout de même dire que l'exclusion des femmes ne fut jamais généralisée et absolue.

On crée, en effet, dès le 18ème siècle, des loges pour les fem­mes qui sont appelées « Loges d'adoption ». Ces loges restaient attachées et même dépendantes des loges masculines et surtout elles étaient le plus souvent cantonnées à un seul rôle de bienfai­sance. Mais il ne faut pas sous-estimer leur importance, comme le rappelle un historien de la Franc-Maçonnerie qui écrit :

« Ne nous fions pas trop au jugement facile des commentateurs qui compartimentent avec quelque dédain la maçonnerie féminine. La vérité est que là où elle existait, elle apportait une collaboration effective à l'élément masculin ».

Hélas les préjugés ont la vie dure. Et quand au 19ème siècle, des femmes sont régulièrement initiées et se mettent à participer à égalité aux travaux des francs-maçons, cela suscite pas mal de remous. Du côté des hommes.

Cependant l'évolution est irréversible et la Franc-Maçonnerie féminine se met vraiment à vivre.

Il faudra tout de même attendre près d'un siècle pour qu'enfin s'institue une véritable Franc-Maçonnerie féminine, autonome, régu­lière, reconnue, qui travaille librement et qui coexiste avec les autres obédiences.

La Grande Loge Féminine de France prend son statut définitif dès 1945, au moment où, après les interdits de la guerre, les francs- maçons recommencent à se grouper et à travailler dans les Loges. Bien sûr, l'évolution n'est jamais uniforme et il reste, même en maçonnerie, des bastions de conservatisme qui font que certaines Loges masculines s'irritent encore de la présence des femmes en Franc-Maçonnerie. Mais il faut dire qu'aujourd'hui la plupart des francs-maçons reconnaissent leurs soeurs francs-maçonnes même si nous avons choisi de ne pas travailler ensemble.

Le second point à aborder est celui de la spécificité d'une obé­dience féminine, comme la Grande Loge Féminine de France.

Le contexte, les conditions morales, sociales, économiques qui ont marqué l'histoire de la Franc-Maçonnerie en Occident, ne se sont pas brusquement évanouis. Si les femmes ont acquis des droits nou­veaux, l'essentiel reste à faire ; elles ont encore à conquérir un sta­tut, non plus seulement face aux hommes et encore moins « con­tre » les hommes, mais pour elles-mêmes. Elles ont une identité pro­pre qu'elles ont à intérioriser avant de l'exprimer au monde.

Il ne s'agit pas pour nous, francs-maçonnes, de brandir le dra­peau du féminisme virulent ; et l'égalité à nos yeux n'est pas autre chose que la prise en compte de ce qui fait les différences.

Or, il y a des modalités d'être, de penser, d'agir qui sont spéci­fiquement féminines. Il y a de même une réflexion, une recherche proprement féminines.

Il est évident pour nous qu'il y a, à côté de la Franc-Maçonnerie masculine, venant la compléter, l'équilibrer et l'enrichir, une Franc- Maçonnerie féminine qui doit exister.

De toute évidence il y a souvent une mauvaise compréhension de ce qu'est une obédience comme la Grande Loge Féminine de France quand on évoque le fait qu'elle est strictement ou exclusi­vement féminine alors que l'on n'a jamais reproché à nos Frères de ne travailler qu'entre eux.

En réalité, il ne saurait y avoir de discrimination à nos yeux. Il y a simplement un choix maçonnique, de mode de travail, de mode 66 de recherche. Parce que la Franc-Maçonnerie c'est cela : le choix libre et conscient d'une recherche profonde, d'une démarche initiatique. -

On est bien obligé d'admettre que les femmes apportent à une réflexion comme à une action, une dimension tout à fait nouvelle, parce qu'elle est différente de celle des hommes. Parce qu'il y a une spécificité féminine ; et c'est avec ce matériau que nous voulons mener notre recherche.

C'est tout cela sans doute qui justifie le choix qu'ont fait plus de 6 000 femmes en France de travailler dans une obédience maçon­nique féminine comme la Grande Loge Féminine de France.

Comment peut-on prétendre faire évoluer le monde, améliorer les choses, changer en profondeur et en positif les rapports entre les êtres (rapports sociaux, économiques...) si on ne sait pas d'abord ce que l'on est ? Si l'on n'a pas préalablement travaillé sur soi, acquis une maîtrise de soi, si l'on n'est pas reconnu dans le monde, avec nos différences et aussi ce qui nous appartient en propre, ce qui fait notre qualité irréductible d'être humain et notre spécificité de femmes ?

A notre sens, tout travail maçonnique commence là, dans cette connaissance de soi, dans cette conscience d'appartenir au monde. C'est le point de départ de toute recherche et de toute action.

Est-ce que le travail des Francs-maçonnes est différent de celui des francs-maçons ?

C'est une question importante à laquelle il faut une réponse à deux niveaux :

En premier lieu, non ! La démarche initiatique est la même pour une femme et pour un homme. La recherche spirituelle nous con­duit à utiliser les mêmes outils symboliques.


Les symboles sont universels ; ils n'appartiennent pas plus à un sexe, qu'à une époque ou à une race. Pour prendre la mesure de quelque chose, quelle que soit la culture ou la personne, il faut toujours un instrument, comme la règle, symbole de la rigueur et de la rectitude.

Si, sur ce plan-là, francs-maçonnes et francs-maçons travaillent identiquement, en revanche leurs approches diffèrent, leurs points de vue ne sont pas les mêmes, leur utilisation de la mesure est dif­férente et donc, leur action dans le monde sera autre.

Les femmes ont eu une autre histoire que les hommes, comme elles ont une autre complexion physique et psychologique. Il est bien compréhensible qu'elles ne voient pas les choses de la même manière et qu'elles apportent des solutions différentes aux problè­mes posés.

On parle d'intuition féminine et de logique rationnelle qui serait typiquement masculine. Bien entendu, c'est très schématique et réducteur comme idée, mais ce qui est vrai, ce sont les différences profondes qui font qu'une femme est une femme et que, si elle doit avoir les mêmes droits qu'un homme, elle ne doit en aucune manière être comme un homme, mais être elle-même, pleinement.

Etre égal, ce n'est pas être identique ou s'aligner sur le même modèle.

Ce que nous, maçonnes, voulons, ce n'est pas imiter nos Frè­res. Non. Nous voulons faire comme nous, les femmes, nous les francs-maçonnes, savons et pouvons faire. Et nous voulons que cette deuxième voie existe et s'exprime : c'est, nous le croyons, important de nos jours.

L'idéal maçonnique est de travailler sur soi pour travailler à l'amélioration de l'humanité.

Ambitieux et magnifique projet, qui ne peut se comprendre que si l'on intègre les deux éléments complémentaires que sont l'homme et la femme, les deux pôles masculin et féminin, qui organisent la vie et le monde.

C'est pourquoi la Franc-Maçonnerie féminine, et l'action spé­cifique de la Grande Loge Féminine de France, sont un espoir cer­tain d'équilibre dans un monde qui en a de plus en plus besoin.

Alors, en conclusion, comment se présente la Franc-Maçonne aujourd'hui ?

Une femme comme les autres, une femme dans la vie de tous les jours, mais qui possède une grande faculté d'écoute (par l'oreille et par le cœur), ce qui en fait un élément modérateur, générateur de chaleur humaine. Et une femme en recherche de spiritualité.

Dans un monde où il semble ne plus exister de place pour l'im­muable et le permanent, elle est rattachée au permanent par la Tra­dition, et en même temps, elle participe à tous les progrès. Elle est de son temps, voire en avance sur son temps ; et toujours au tra­vail, toujours en alerte pour participer au bonheur de l'humanité, ce à quoi elle s'est engagée le jour de son initiation. Elle est là, pré­sente, apportant dans toute discussion, en toute occasion, le calme, la sérénité et la profondeur de vue acquis dans le silence des Tem­68 pies maçonniques. Elle est venue dans le Temple pour éveiller ses possibilités latentes, pour se remettre en question, encore et tou­jours, pour tenter de se surpasser. Et ce travail, elle l'accomplit à son profit d'abord, au bénéfice de tous ensuite.

Publié dans le PVI N° 59 - 4éme trimestre 1985  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

P059-7 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \