GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 2T/1984

Francs-Maçons de la Grande Loge
de France en 1984

Quels sont ces francs-maçons de la Grande Loge de France, ces francs-maçons de 1984 ? Il m'a été possible d'en interroger un certain nombre et j'ai demandé à quatre d'entre eux de nous parler de leurs motivations.

Leurs réponses nous aideront sans doute à écarter certains cli­chés, souvent répandus dans le public, qui a parfois tendance à ima­giner les francs-maçons soit comme des hommes barbus style 3e République, sympathiques sans doute, mais tenant un langage archaïque, soit comme des hommes ajoutant systématiquement trois points à leur signature, organisant un tissu serré de relations d'affaires et tirant les ficelles du pouvoir. Ces clichés caricaturaux ont la vie dure. Lorsque j'étais jeune, le mot "franc-maçon" évoquait en moi, je vous l'avoue, l'image d'hommes passant beaucoup de leur temps à parler au lieu d'agir, et pourtant je savais, ne fut-ce que par l'exemple de mon père et de mon chef de réseau, que loin d'être de simples bavards, un certain nombre de francs-maçons s'étaient engagés très vite dans la résistance. Je savais que les régi­mes totalitaires pourchassent toujours la Franc-Maçonnerie, cen­tre de liberté qui apparaît intolérable à certains.

Qui sont donc les francs-maçons d'aujourd'hui? Il est certes toujours dangereux de se laisser aller à généraliser puisque cha­que Loge est seule habilitée à décider, cas par cas, d'admettre ou de ne pas accepter un candidat. Ces candidats se manifestent, en général, entre vingt-cinq et quarante-cinq ans ; certains se présen­tent plus tard, mais il est également intéressant de noter qu'à la Grande Loge de France un candidat sur vingt est admis avant l'âge de vingt-cinq ans. Ce n'est pas une règle, c'est une constatation. Les Loges s'efforcent aussi de recevoir des candidats représentant une grande diversité de professions, d'opinions et de croyances, afin que s'y retrouvent, pour de véritables échanges fraternels, des hommes qui, sans cela, seraient restés étrangers les uns aux autres.

Laissons maintenant la parole à nos quatre invités, et pour ne pas nous laisser tenter par la simple curiosité, nous ne nommerons personne.

Commençons par le plus jeune. Vous avez été initié à l'âge de vingt et un ans. Pourquoi des jeunes, aujourd'hui, font-ils une telle démarche ?

— Il y a, en effet, un certain nombre de jeunes dans ma Loge, comme d'ailleurs dans d'autres Loges. Il y a, par exemple, des étu­diants dont je fais partie, un artisan verrier, des musiciens.

Alors pourquoi fait-on une telle démarche ?

Pour ma part, j'ai demandé à être admis au sein de la Franc- Maçonnerie parce que je pensais y trouver des personnes qui m'ai­deraient dans ma démarche spirituelle et philosophique, des hom­mes ouverts à tout ce qui a fait notre héritage culturel et à tout ce qui l'enrichit encore aujourd'hui. Car la Loge maçonnique est un des rares endroits où, dans un climat de grande chaleur humaine, quelqu'un de vingt ans peut véritablement dialoguer, au sens plein du terme, avec des hommes d'une plus grande maturité.

On peut se demander pourquoi ? Tout simplement parce que je crois que la méthode de travail utilisée nous donne la certitude d'être entendus et nous enseigne également à écouter, sans a priori et sans préjugés. Si la jeunesse constitue ce moment privilégié pen­dant lequel l'être humain cherche son identité, c'est aussi celui pen­dant lequel il doit trouver son équilibre face à la société dans laquelle il va devoir entrer. En cela, la pratique du rituel en Loge, loin d'être quelque chose d'archaïque, ménage ces quelques temps de réflexion si nécessaires à la réalisation de l'être.

J'ajouterai que cette réalisation de soi, je l'ai ressentie person­nellement par un double sentiment : la liberté que l'on ressent à tous les niveaux dans la Loge, d'où peut-être l'adage "un maçon libre dans une Loge libre", et le sentiment d'appartenir à un groupe formé de personnes très différentes mais un groupe très soudé et, en plus, très sympathique.

Enfin, pourquoi ai-je choisi la Grande Loge de France parmi les Obédiences maçonniques? Il y a plusieurs raisons, je n'ai pas le temps de toutes les développer. J'en citerai une : parmi les jeunes francs-maçons, certains sont engagés politiquement, à droite comme à gauche, d'autres ne le sont pas. Mais nous sommes en tous cas d'accord sur un point : nous ne voulons pas retrouver, dans la Loge, le reflet des luttes politiques et nous apprécions particu­lièrement la discrétion de la Grande Loge de France dans ce domaine.

Notre deuxième invité est un responsable syndical, permanent d'une grande fédération ouvrière. C'est un homme de vingt-neuf ans, marié, père de deux enfants, et qui fut initié dès l'âge de vingt- deux ans. Quelle est donc votre motivation ?

— Je dois d'abord vous dire que, dans ma Loge, j'ai découvert des hommes intéressants, venus de divers horizons ; j'y ai rencon­tré, en particulier, des syndicalistes militant dans des secteurs tels que la métallurgie, l'E.D.F., la R.A.T.P., le syndicat des pilotes de lignes... Personnellement, j'ai choisi une organisation syndicale dont l'action me convient. Certains francs-maçons en ont choisi une autre. Ce que m'a apporté ma Loge, c'est la possibilité d'échanges personnels chaleureux et sincères. En effet, la vie syndicale con­duit souvent à des affrontements provenant de divergences et de différences qui n'enrichissent pas toujours sur le plan spirituel. Ce n'est pas le cas en Loge. Sans rien renier de mes engagements per­sonnels, j'ai pu écouter et "recevoir" de Frères engagés dans d'au­tres syndicats comme jamais je ne l'aurais fait dans un autre cadre.

Un responsable syndical, dans ce qui lui reste de temps libre, peut appartenir à la Grande Loge de France et communiquer avec des hommes d'opinions différentes sans oublier pour autant son engagement syndical.

A l'extérieur, nous combattons à notre manière les défauts de la société, sans jamais oublier cependant qu'en Loge nous essayons de nous améliorer en luttant contre nos propres imperfections. Dans ces deux cadres, j'ai la conviction d'agir en homme libre. J'espère que la Franc-Maçonnerie contribuera à faire disparaître en nous un certain nombre de préjugés et que cela aura une action profitable sur notre comportement social et sur notre ouverture d'esprit.

Je me tourne maintenant vers un pasteur protestant. A la Grande Loge de France, à l'image du pays, on trouve naturellement davantage de catholiques que de protestants. On trouve aussi des hommes qui pratiquent une autre religion ou qui ne pratiquent aucune religion.

Selon vous, que la Grande Loge de France apporte-t-elle aux hommes d'aujourd'hui, quelles que soient leurs croyances ?

— En France, comme d'ailleurs dans presque tous les pays d'Occident, les religions qui en ont fait la grandeur subissent une grave crise. Crise d'identité, crise théologique, inadaptation de leur langage au monde moderne, tous les diagnostics sont possibles. Dans de telles situations, un retour aux origines est toujours salu­taire. C'est pourquoi je suis persuadé que la Grande Loge de France, de par sa conception de la Franc-Maçonnerie comme voie initiati­que, donc comme retour à la tradition, peut aider à sortir de cette crise. Je ne pense pas obligatoirement au retour à une pratique reli­gieuse, démarche que je n'exclus pas car, dans de telles circons­tances, elle produit toujours un approfondissement de la foi. Mais cela ne regarde pas la Franc-Maçonnerie en tant que telle. Je pense, d'une manière plus générale, à un regain d'intérêt pour tout ce qui est spirituel, que cela appartienne à la religion ou à la philosophie, à une redécouverte de la transcendance sans lequelle la notion même d'initiation est, à mes yeux, vide de sens.

Enfin, et pour conclure sur ce sujet, il ne faut pas ignorer la resurgence de certaines formes de pensées religieuses fanatiques ; le fanatisme apparaîssant alors comme la seule voie possible pour rétablir la foi. Là aussi, la Franc-Maçonnerie, avec ses idéaux de tolé­rance et de fraternité, peut contrecarrer les effets néfastes de tel­les manifestations en rappelant constamment que tous les hom­mes sont frères et participent tous du même ordre symbolisé, chez nous, par le Grand Architecte de l'Univers.

Nous allons poser notre dernière question à un professeur d'université. Vous êtes professeur de biologie et vous appartenez, depuis trente ans, à la Grande Loge de France. Est-ce, selon vous, un faux problème que de demander à un homme de science ce que la Franc-Maçonnerie apporte à ses réflexions ?

— Pas le moins du monde, et de cela, je vous fournirai diver­ses raisons.

Notre époque connaît un développement explosif de l'ensem­ble des sciences. Celui-ci a pour contrepartie une spécialisation de plus en plus poussée du chercheur. Plus il avance dans la pratique de sa spécialité, plus il descend dans l'intimité des phénomènes. Il y a 150 ans, le physicien, comme le biologiste, étudiait et décri­vait des phénomènes macroscopiques, directement perceptibles par nos sens. Aujourd'hui, le premier a amené son étude au niveau suba­tomique, le second à l'étape moléculaire.

Une telle évolution, même si elle était inévitable, ne saurait tota­lement satisfaire l'esprit humain. Il peut céder un temps au vertige de l'analyse, mais il conserve toujours la soif d'une approche plus globalisante, allant davantage aux sources de l'Etre, qu'il s'agisse de la description de l'univers comme de lui-même.

Or, justement, l'initiation maçonnique va lui offrir cette possibi­lité. Elle lui apprend, en effet, à percevoir à travers l'objet singulier sa signification symbolique universelle. Elle lui permet à la fois de saisir l'importance de la pensée traditionnelle comme son actua­lité. Elle l'incite à rechercher les grands archétypes de l'homme et du cosmos.

A travers elle, l'homme de science est amené à concevoir qu'il n'y a pas de contradiction entre la démarche spirituelle et la démar­che rationnelle, qu'il ne lui est pas demandé d'abandonner l'une pour respecter l'autre.

Je crois aussi que sur un autre point d'importance, la Maçon­nerie peut apporter, sinon une solution, tout au moins montrer la voie. Il s'agit de la valeur éthique de la science. Les chercheurs sont de plus en plus confrontés à ce problème. Ils savent, pour des rai­sons trop connues pour y insister, que leur pouvoir sans cesse accru sur le réel a, pour contrepartie, la peur qu'il éveille. Pour fuir celle- ci, trop d'hommes aujourd'hui se tournent vers des croyances et des conduites aberrantes. Dans la mesure où le scientifique maçon ne saurait séparer la recherche de la vérité du bien de l'homme, il est plus à même que quiconque à s'interroger sur la valeur éthique de ses découvertes comme de celles d'autrui. Il sait qu'il lui faut chercher sans relâche à alléger les craintes à la fois confuses et profondes de ses contemporains par un incessant effort d'explica­tion. Mais surtout, il sait qu'il peut et doit éventuellement lutter afin que les pouvoirs politiques et économiques ne privilégient pas les seuls axes de recherches visant à accroître leur appétit de puissance et leur main-mise sur l'homme sans se soucier de ce qui lui est réel­lement profitable.

Nous aurions pu continuer ainsi à vous faire entendre d'autres membres de la Grande Loge de France qui vous auraient fait décou­vrir d'autres personnalités et d'autres formes d'engagement person­nel dans la société. Je leur ai trouvé à tous des caractéristiques communes ; ils ne prétendent pas être des saints ni détenir La Vérité. Ils disent que le chemin initiatique est difficile mais qu'il mène l'homme à l'essentiel. Ils admettent s'être parfois trompés lors de l'admission de certains candidats dont les motivations n'étaient pas, en définitive, tout à faire pures. Une fois admis, ces derniers ont souvent fait du tort à la réputation de la Franc-Maçonnerie, avant de la quitter, dans la plupart des cas, ce que le public ignore en géné­ral.

Quant à tous les francs-maçons, actifs et assidus, que j'ai pu questionner, ils m'apparaissent unis dans une même quête spiri­tuelle. Leurs croyances personnelles sont diverses et vous avez entendu comme ils respectent leurs différences. Ils se découvrent eux-mêmes en même temps qu'ils découvrent les autres grâce à la fraternité qui doit régner en Loge. Alliant la tolérance à l'exigence morale, ils vous ont dit, chacun à sa manière, qu'ils avaient retrouvé l'unité en s'efforçant d'avancer dans la voie de la connaissance par l'initiation.

Publié dans le PVI N° 53 - 2éme trimestre 1984  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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