GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 1T/1984

La Saint Jean d’Hiver
Et la Tradition Maçonnique

Une fois encore, nous voici au jour le plus court, à la nuit la plus longue de l'année. C'est en ce moment que les Ténèbres sont les plus épaisses. Mais c'est demain que les jours vont commencer à grandir, les Ténèbres à diminuer, que la Lumière va se faire de plus en plus visible. Nous voici au solstice d'hiver qui coïncide — et ce n'est évidemment pas un hasard — avec la date à laquel­le l'Eglise Catholique a fixé la fête de Saint Jean l'Evangéliste. Une fois de plus, reprenant la Tradition de leurs ancêtres opératifs, les Compagnons Francs-Maçons du Moyen Age, les Constructeurs de Cathédrales, les Francs-Maçons de la Grande Loge de France vont célébrer cette fête solsticiale, cette Saint-Jean d'hiver.

Pourquoi cette référence à Saint Jean ? Parce que, précisé­ment en raison de nos origines, nos Loges sont toutes des Loges de Saint Jean.

Parce que, depuis fort longtemps, les Francs-Maçons, opératifs d'abord, spéculatifs ensuite, ont été appelés n Frères de Saint Jean n.

Dans nombre de nos Loges, ce n'est pas un grand secret, la Bible est ouverte au prologue de l'Evangile de Saint Jean.

Mais alors, diront certains, la Franc-Maçonnerie est une reli­gion, et, qui plus est, un n dérivé n, si l'on peut dire, de la religion catholique. Non ! Nous avons déjà eu l'occasion de le dire dans cette émission il y a quelques années, mais il n'est peut-être pas mauvais de le répéter : la Franc-Maçonnerie n'est pas une religion. Nous ne sommes pas, en tant que Francs-Maçons, les adeptes d'une religion. Nous ne le sommes pas parce que dans nos Loges nous ne célébrons aucun culte, nous n'adorons aucun Dieu, et surtout, surtout, nous n'avons aucun dogme. Peut-on concevoir une religion sans dogme ?

Il est vrai que toute la symbolique maçonnique est imprégnée d'ésotérisme judéo-chrétien, depuis le Temple de Salomon jusqu'aux deux Saint Jean. Mais entendons-nous bien : ni la Bible, ni l'Evan­gile de Saint Jean, ne représentent pour nous, Francs-Maçons de la Grande Loge de France, un dogme. Nous ne saurions les prendre strictement à la lettre, ni les considérer obligatoirement comme la Volonté Révélée de Dieu. Ces Livres sont pour nous sources de symbolisme et c'est déjà un champ de réflexion immense, car le domaine du symbolisme est infini.

Il est vrai que les Francs-Maçons en général, et ceux de la Grande Loge de France en particulier, puisque c'est au nom de ceux-ci, et de ceux-ci seulement, que je m'exprime aujourd'hui, travaillent à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers.

Certes, ceux d'entre nous qui sont croyants identifient le Grand Architecte de l'Univers à Dieu — et c'est très bien ainsi. Mais la Grande Loge de France n'impose pas à ses membres la croyance obligatoire en Dieu et en sa Volonté Révélée. Chacun de nous est libre de ses opinions et de ses croyances, chacun de nous respecte celles des autres. La Fraternité ne peut à notre sens reposer que sur la Tolérance. Le Grand Architecte de l'Univers est pour nous tous un symbole et chacun est libre d'interpréter un symbole comme il l'entend, ou plutôt comme il le ressent. C'est la raison pour laquelle le concept du Grand Architecte de l'Univers a suscité, et continue à susciter dans nos Loges, d'innombrables travaux, d'innombrables interprétations. N'en citons qu'une (que nous avions déjà citée d'ailleurs ici même il y a quelques années). Pour nombre de nos Frères, le Grand Architecte de l'Univers c'est le Temps, le temps qui a façonné, architecturé, le globe terrestre depuis des millions d'années ; le temps qui a façonné, architecturé l'espèce humaine depuis les premiers hominiens jusqu'à l'homo sapiens. Ben entendu, une infinité d'autres interprétations ont été expri­mées. Ce n'est pas notre propos aujourd'hui. Notre propos en ce jour est de souligner que Saint Jean, comme le Grand Archi­tecte de l'Univers, est pour nous un symbole.

Un symbole, à la différence du signe (mathématique ou chimi­que), ne saurait avoir une interprétation unique et obligatoire.

Un symbole, pour un Franc-Maçon, est un lien entre le monde manifesté et l'ordre cosmique. C'est dans le Principe Universel qui gouverne cet Ordre Cosmique que nous pouvons synthétiser toutes les acceptions du symbole du Grand Architecte de l'Univers. C'est la croyance que nous ne sommes pas des passants, nés par hasard et traversant en aveugles un monde incohérent. Nous vou­lons ainsi échapper à l'alternative entre la croyance aveugle et le scepticisme destructeur.

Il est vrai que les Occidentaux modernes, imprégnés de carté­sianisme, ont souvent du mal à appréhender le symbolisme, qui s'écarte de la logique rigoureuse. Nos ancêtres, eux, étaient plus familiarisés avec l'emploi des symboles, des images, des para­boles.

C'est pourquoi, il faut appréhender cette célébration de la Saint- Jean comme s'inscrivant pour nous, non pas dans un contexte religieux, mais dans un contexte traditionnel. La Constitu­tion de la Grande Loge de France précise que nous sommes un Ordre Initiatique et Traditionnel. En quoi la célébration de la Saint- Jean peut-elle entrer dans la Tradition Maçonnique ? Qu'est-ce que la Tradition pour des Francs-Maçons ?

La question a été soumise à l'étude de toutes les Loges de la Grande Loge de France il y a quelques années et c'est aux répon­ses de nos Loges et au rapport de synthèse qui a suivi que j'em­prunterai maintenant quelques idées, puisqu'aussi bien ce n'est pas en mon nom propre que je parle aujourd'hui. Notre émission ne s'intitule-t-elle pas : « La Grande Loge de France vous parle » ?

Mais avant de vous parler de notre conception de la Tradition, dans laquelle s'insère la célébration de la Saint-Jean, je voudrais dissiper une équivoque. Ce titre « La Grande Loge de France vous parle » pourrait laisser penser que nos conférenciers — et moi- même aujourd'hui — parlons au nom de tous les Frères de l'Obé­dience. C'est à la fois vrai et faux. Il est vrai que nous pouvons parler au nom de tous les Frères de la Grande Loge de France sur des sujets purement maçonniques, surtout, comme c'est le cas pour la Tradition dont nous parlons aujourd'hui, lorsque ces sujets ont été étudiés par toutes nos Loges. Mais il est faux que nous puis­sions parler au nom de tous sur des sujets non exclusivement maçonniques. Comme tous les Francs-Maçons du monde, les Francs- Maçons de la Grande Loge de France sont des hommes libres. Chacun d'eux a ses opinions politiques, philosophiques, ou reli­gieuses, et les conserve. Chacun d'eux est libre de s'engager comme il le veut, quand il le veut, aussi intensément qu'il le veut, au service de ses opinions. Mais il ne peut le faire qu'à titre indi­viduel, et à titre individuel seulement. Il ne saurait en aucun cas engager les autres. Ses engagements personnels n'engagent pas sa Loge et encore bien moins l'Obédience. La Grande Loge de France n'est évidemment pas monolithique. Aucun de nous ne peut dire, sur un sujet non exclusivement maçonnique, sur un sujet de la vie courante : « Les Francs-Maçons de la Grande Loge de France pen­sent que... ». Le voudrait-il d'ailleurs, qu'il ne le pourrait pas. Notre Déclaration de Principes dit expressément ceci : « La Grande Loge de France ni ses Loges ne s'immiscent dans aucune controverse touchant à des questions politiques ou confessionnelles. » Et elle précise par ailleurs qu'il n'y a pas d'adoption de résolution, pas de vote, sur ces questions au sein de nos Loges. Il n'y a pas de vote car nous ne voulons pas qu'il puisse se dégager sur ces questions une majorité devant laquelle une minorité devrait s'incliner. Il n'est pas question de contraindre les opinions ou les sentiments de certains Frères. Il n'est pas question de parler au nom des autres. Nous sommes tous libres. Notre conception de la Fraternité nous conduit à rejeter tout ce qui divise, tout ce qui irrite, tout ce qui sépare, pour ne retenir que ce qui nous unit. Et justement la Tradi­tion Maçonnique, à laquelle nous revenons maintenant, est un facteur d'union.

La Tradition Maçonnique repose sur l'Histoire, sur les Rites et surtout sur le Symbolisme. Elle repose sur l'Histoire car la Franc- Maçonnerie spéculative d'aujourd'hui dérive, nous l'avons dit, de la Franc-Maçonnerie opérative, celle des Constructeurs. Elle est donc issue d'une capacité de l'Homme à participer à la création. Elle repose sur les Rites, qui sont les outils de réalisation. Enfin et surtout, la Tradition Maçonnique repose sur le Symbolisme, qui est le moyen de transmission. Car qui dit Tradition dit transmission — et transmission orale.

La Tradition est donc un modèle non dogmatique qui s'exprime par des symboles, variables suivant le lieu et le temps où il se manifeste. Mais le modèle, lui, reste le même. Alors, la question se pose : la Tradition est-elle fixe ou évolutive ? Cette question a entraîné et entraîne encore des discussions sans fin. C'est cependant probablement un faux problème. La Tradition est à la fois l'un et l'autre, fixe et évolutive, suivant la façon dont on l'envisage.

La Tradition est universelle dans le temps et dans l'espace. Elle est transmise par une chaîne d'union invisible remontant dans la nuit des Temps. Chacun de nous a reçu et reçoit chaque jour la Tradition, qu'il transmettra à son tour. C'est ainsi que la Franc- Maçonnerie est à la fois le passé, le présent et l'avenir. Chaque homme porte en lui l'expérience de générations innombrables. C'est ce qui lui permet de comprendre le passé, de s'y associer et de le reprendre.

Si l'Immortalité, au sens habituel du terme, n'existe pas, la Permanence, elle, existe et la Tradition est son support. Car qui dit tradition dit continuité, ce qui veut dire que la Tradition incarne des Vérités Universelles dont aucun individu, à aucune époque, n'a pu, ne peut ou ne pourra revendiquer la propriété exclusive. Vérités Universelles qui sont à la base de la complexité du réel dont l'hom­me fait partie intégrante et qui expliquent sa réalité, sa qualité, sa raison d'être. La Franc-Maçonnerie est donc un des rameaux de cette tradition primordiale qui se perd dans la nuit des Temps. Elle cherche la Connaissance, la Connaissance immanente, déjà présente dans un état de choses antérieur à l'Humanité. La Tradi­tion maçonnique est donc la manifestation contemporaine de la Tradition UNE, à la fois primordiale et ultime. Elle nous relie à l'ordre cosmique. Elle a trait à l'essence même des choses. — En cela elle est fixe —. Mais aujourd'hui, plus que jamais peut-être, la Franc-Maçonnerie doit rester cet Ordre Initiatique qui transmet la Tradition. Pour cela, les Francs-Maçons doivent s'ouvrir aux autres hommes. C'est ainsi qu'ils pourront être la conscience du monde contemporain.

Un Franc-Maçon est « un homme en chemin d'initiation ». C'est un homme qui n'a pas de certitudes, qui se remet perpétuellement en question, qui essaie de réviser chaque jour ses jugements. Pourquoi ? Parce que nous cherchons sans cesse à nous approcher de la Connaissance et que cette quête qui, nous le savons, ne sera jamais terminée, exige un effort constant sur nous mêmes.

— En cela, la Tradition est évolutive.

Oh ! Certes, cet effort n'est pas facile. Mais personne, à ma connaissance, n'a jamais dit qu'il était facile d'être Franc-Maçon. D'ailleurs, ce n'est pas la facilité que nous recherchons, mais la Lumière, qui nous sortira enfin des Ténèbres. Lumière de la Spiritualité, Lumière de l'Amour, Lumière sans laquelle aucun progrès n'est possible pour l'Homme.

Et nous voilà revenus au symbolisme de la Saint-Jean (dont nous ne nous sommes jamais éloignés malgré les apparences), puisqu'il est dit d'abord « Au commencement était le Verbe » et, peu après, « De tout être, il était la Vie et la Vie était la Lumière des Hommes ».

La lumière a toujours impressionné les Hommes. Elle a tou­jours suscité des réactions, religieuses d'abord, sociales ensuite, qui ont pris valeur de symbole. Lier la Lumière à la Conscience Cosmique n'est-ce pas le sens, tous les jours plus manifeste, de la convergence dont nous sommes les témoins privilégiés, entre l'évolution de la connaissance scientifique et la tradition primor­diale ? C'est ainsi que nous pouvons rapprocher la Lumière, qui dévoile toutes choses, de la Vérité, qui est la Nature dévoilée.

C'est ainsi que nous pouvons envisager la Lumière sous de multiples aspects :
— Lumière de la Raison, triomphant de l'Obscurantisme : c'est la Lumière de la connaissance rationnelle.
— Lumière cosmique des Grands Luminaires, le Soleil et la Lune, l'Irradiant et le Réfléchi, rythmant le cycle de la Vie.
— Lumière de l'Initiation, première Illumination.

Cette quête perpétuelle de la Lumière est pour nous volonté d'Espérance. C'est elle que symbolise la Saint-Jean d'Hiver, le Solstice d'Hiver, à partir duquel, comme je le disais au début de cet exposé, le soleil va reprendre son ascension, les jours vont s'allonger, la Lumière va se répandre, plus vive et plus intense sur la Terre.

C'est à l'aube de cette renaissance, à l'aube de cette espé­rance sans cesse renouvelée que je veux pour terminer, au nom de tous les Francs-Maçons de la Grande Loge de France et je suis sûr d'être en la circonstance le porte-parole de tous — adresser à tous les auditeurs de notre émission nos vœux fraternels et chaleureux. Nous souhaitons à tous un très joyeux Noël et une très heureuse année de Lumière en 1984.


Publié dans le PVI N° 52 - 1er trimestre 1984  -  Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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