GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 1T/1983

Quelques Propos
En un Solstice d’Hiver

 
Fidèle à une tradition immémoriale puisque nos ancêtres opéra- tifs la respectaient déjà - sans qu'ils le tinssent pour leur saint patron, comme on l'a trop souvent répété à tort -, la Grande Loge de France célèbre Jean, ou plutôt les deux Jean.

L'un, au solstice d'été, le 21 juin : c'est le Baptiste, celui qui «  ... vint comme témoin pour rendre témoignage à la Lumière afin que tous crussent par lui. Il n'était pas la Lumière mais le témoin de la Lumière... ».

Ce jour-là, la Nature atteint sa pleine majesté. Après la longue et patiente élaboration invisible aux yeux des hommes qui ne veulent rien voir, comme il est dit que . certains voient sans voir et entendent sans comprendre », la Terre, d'inépuisable généro­sité, porte à maturité ses plus beaux fruits ; et, comme pour nous permettre d'en mieux contempler le spectacle et de nous en péné­trer, pressentant aussi sans doute que la Loi, l'ordre du monde, veut qu'ensuite, inexorablement, elle commence à décliner, elle offre les Jours les plus longs et les plus lumineux aux yeux de tous les hommes.

Ayant accompli sa fonction, elle va décroître, tout de même qu'après avoir baptisé le Christ, Jean le Baptiste va s'effacer : telle est la Loi comme le Précurseur le rappelle lui-même lorsqu'à Aenon, il déclare en son ultime témoignage :

   « Il faut que Lui grandisse
   Et que moi je décroisse. »

L'autre Jean, celui que nous fêtons aujourd'hui, en ce solstice d'hiver, c'est Jean l'Evangéliste, le fin de Zebedée, l'auteur du qua­trième Evangile, le plus ésotérique, celui de l'admirable Prologue :

   « Au commencement le Verbe était
   Et le Verbe était avec Dieu
   Et le Verbe était Dieu. »

C'est le texte auquel est ouvert en Grande Loge de France, le volume de la Loi sacrée, et sur lequel l'immense majorité des Francs-Maçons répandus sur la Terre, prêtent leur serment, en lui associant les deux autres grandes Lumières que sont l'Equerre et le Compas.

Ce n'est pas, et vous vous en doutez, que la Grande Loge de France se cherche un Saint Patron sous la protection ou l'invocation de qui elle se placerait ; ce n'est pas davantage qu'il puisse consti­tuer pour nous l'objet d'un culte, religieux ou païen ; mais c'est que l'ésotérisme johaniste représente un des aspects les plus fondamentaux de notre tradition et de notre démarche maçon­niques.

Sans vouloir nous livrer ici à une étude de cet ésotérisme car, d'une part, le temps dont nous disposons nous permettrait à peine d'en esquisser les grandes lignes et en dénaturerait par conséquent le contenu et la portée, et que, d'autre part, certains penseurs lui ont consacré de très pénétrantes études, et je pense en particulier aux pages admirables d'un Joseph de Maistre, d'un Albert Lantoine et, plus près de nous, de Paul Naudon dans son ouvrage « Les Loges de saint Jean et la philosophie ésotérique de la connaissance », contentons-nous de relever ici quelques affinités et convergences entre le message du « disciple que Jésus aimait N et celui du Franc-Maçon de la Grande Loge de France en 1982.

Jean, Feu-principe, est apôtre de Lumière, qu'il transmet.

Tel est le Franc-Maçon, dont le premier pas est quête de Lumière et qui, à la fin de chaque Tenue de sa Loge de Saint Jean où il est venu s'enrichir de l'apport de ses Frères et enrichir ses Frères de son apport, entend le Maître de la Loge, en renvoyer les membres vers le monde extérieur pour y poursuivre leur action.

Examinons ces deux points.

Que vient chercher, dans la Loge de Saint Jean, le profane qui volontairement s'est mis en marche vers un domaine autre que celui du monde dans lequel il était jusque-là prisonnier, conscient ou inconscient, de sa condition finie ? Qu'est-ce qui donne à cet homme la force de rejeter sa multiple servitude en frappant à la porte du Temple ? Rien d'autre — mais la démarche est essen­tielle — qu'une quête de Lumière ; la Lumière du coeur et de l'esprit, et non les prétendues vérités exhaustives de quelque dogmatisme borné et scélérat dans ses manichéennes affirmations, causes de tous les crimes contre les corps et contre les esprits ; ce qu'il vient chercher, ce n'est pas la CONNAISSANCE que seule la mort, notre ultime Initiation, nous apportera en sa totalité, mais la voie lumineuse vers cette Connaissance qui nous permettra de recou­vrer notre dignité humaine, notre véritable dimension par l'esprit triomphant de la matière.

N'est-ce pas ce que nous vivons en ce solstice d'hiver lorsque tout paraît s'enfoncer dans le Néant, mais pour mieux rassembler les forces nécessaires à l'ascension vers la Lumière ? Tout est consommé, oui, mais pour mieux renaître, comme il faut que pour­risse la graine enfouie pour que naisse l'épi chargé de vie.

C'est cela que vivra d'abord le profane — celui qui n'a pas encore été reçu dans le Temple — lorsqu'au jour de son Initiation, il plongera au fond même des Ténèbres de la Terre, dans le Cabinet de Réflexion, afin de mieux pouvoir se dépouiller de sa défroque, et entamer son ascension vers la Lumière, grâce à la purification par les éléments.

Commence alors pour l'Initié — celui qui a été mis sur la voie — un long travail sur lui-même, que nul ne pourra faire à sa place. Certes, il n'est pas seul ; un Frère est là à ses côtés, et un autre Frère encore, et la Loge tout entière, qui vont lui fournir les outils nécessaires ; mais ce maillet et ce ciseau qu'on lui aura confiés, ou plutôt transmis, comme il aura charge et mission de les trans­mettre à son tour, c'est lui qui devra en prolonger sa main pour dégrossir la pierre brute qu'il est, de toutes ses aspérités qui la rendent impropre, en cet état, à servir l'art royal de bâtir ; un constant effort sur lui est nécessaire pour lutter contre ces forces qui, inlassablement, voudraient le ramener au monde des ténèbres, des égoïsmes et des haines, des préjugés et des fanatismes. Il sait qu'il n'est pas homme libre tant qu'il ne s'est pas donné les moyens de l'être en rejetant les tentatives de ceux qui veulent, afin de mieux asseoir leur règne, le détourner de sa marche vers la connais­sance libératrice.

Tâche difficile, certes, mais exaltante, tant est vive la foi, et ferme la certitude que de la pierre brute naîtra la pierre cubique et parfaite qui viendra se sceller en harmonie avec les autres pierres cubiques et parfaites pour constituer le Temple lumineux de l'Huma­nité fraternelle.

Car c'est bien à la construction de ce Temple de l'Humanité qu'est destiné le travail qu'opère le Franc-Maçon sur lui-même.

Ecoutons parler le Maître de la Loge, à la fin des travaux, au moment où les Frères vont se séparer :

« Que la Lumière qui a éclairé nos Travaux continue de briller en nous pour que nous poursuivions au-dehors l’œuvre commencée dans le Temple... »

C'est le rappel de l'impérieux devoir qui nous attend : œuvrer pour que triomphe notre Idéal de Fraternité humaine.

Le Franc-Maçon, en effet, n'est, ni ne veut être, un homme perdu en la solitaire contemplation d'une réalité intérieure qui serait l'objet exclusif de sa recherche ; il n'est pas spectateur lointain, et quelque peu dédaigneux, des choses de ce monde.

Non, s'il recueille ses forces dans la silencieuse méditation et dans le fructueux échange avec ses Frères, hors de toute querelle partisane, il se sait aussi homme parmi les hommes, profondé­ment impliqué dans la prodigieuse aventure de l'humanité. Il se

sait — et le travail en Loge le lui rappelle en chaque instant — héritier spirituel des millions d'êtres qui, avant lui, glorieux ou humbles, ont travaillé pour que l'ange domine la bête, pour que des ténèbres jaillisse la Lumière ; héritier de ceux qui ont lutté pour que le fort n'opprime pas le faible ; pour que la justice se substitue à la violence ; héritier de ceux qui se sont sacrifiés pour libérer l'homme de toutes les servitudes physiques ou morales ; héritier de toutes les défaites subies, de toutes les humiliations souffertes, de tous les espoirs caressés, de quelques victoires remportées ; héritier de ceux qui ont clamé, en quelque langage que ce soit, sous quelque forme que ce soit, que la vie est Amour.

Et cet héritage lui impose des devoirs ; se refusant à accepter l'inéluctabilité du triomphe du mal sur le bien, il reprend les outils de ces hommes qui sont morts en lui confiant la mission de pour­suivre la tâche.

Car, cherchant dans le passé l'origine des maux qui ont meurtri l'humanité afin de mieux pouvoir les prévenir et les combattre, puisant aussi aux heures lumineuses les raisons d'espérer, le Franc-Maçon de la Grande Loge de France n'en vivra pas moins, mais au contraire mieux, la réalité présente. Il sait qu'aujourd'hui même, à l'heure où nous parlons, dans les geôles des pays totali­taires, de tous les pays totalitaires, de quelque bord qu'ils soient, quelque drapeau qu'ils agitent, quelque discours qu'ils tiennent, Il est de par le monde des êtres que l'on torture parce qu'ils refusent de se laisser laminer à l'horizontalité bestiale ; des êtres qu'on humilie et qu'on massacre — même nuit et même brouillard qu'hier, et pour les mêmes raisons. Il sait intensément le doulou­reux appel de l'enfant, innocente victime de nombreuses ambitions et de passions déchaînées ; il sait la peur et la misère...

Il sait, et il combat, comme ont combattu ses ancêtres. Il sait, et en témoigne.

Mais il témoigne aussi que la Lumière existe, la Lumière d'Amour qui, aujourd'hui, en ce solstice d'hiver, se concentre infiniment au cœur de l'Initié, pour mieux éclater au monde, et l'éclairer.

Il dit à ceux qu'accable la désespérance que l'aube va renaître, jaillissement de l'esprit, triomphant de la nuit.

Tout est en marche.

Déjà, la Terre se prépare pour de nouveaux épis.

Déjà, point à l'horizon l'ineffable clarté.

Et demain, à nouveau, l'Architecte renaîtra, et fleurira l'acacia, A la gloire du Grand Architecte de l'Univers.


Publié dans le PVI N° 48 - 1er trimestre 1983  -  Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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