GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 3T/1982 |
Jean, beaucoup plus que
Jean... Si tous les
Francs-Maçons du monde, quelle que soit leur race, leur religion, leur vision
philosophique, célèbrent d'un même élan et d'un même cœur la Saint-Jean d'été,
comme il y a six mois, du même cœur, du même élan, ils célébraient la
Saint-Jean d'hiver, c'est, bien sûr, parce qu'ainsi ils s'inscrivent dans la
lignée ininterrompue des initiés qui, en tout temps et en tout lieu, fêtèrent
les deux pôles de la course du Soleil. Solstice d'été,
solstice d'hiver sont les portes obligatoires que l'initié doit franchir pour
s'identifier au rythme profond de la vie et percer le mystère de la nature
cosmique. Mais par delà la
course du Soleil, par delà le rythme des saisons se cachent des vérités
essentielles que les solstices ne firent jamais que suggérer et que les deux
Saint-Jean portent sous leur manteau aux couleurs du temps. Ce n'est pas un
hasard si l'Evangéliste a été placé au solstice d'hiver, celui des ténèbres
mais celui aussi qui annonce la renaissance du Soleil, et si le Baptiste siège
en pleine lumière alors que la nature déploie à profusion ses richesses et ses
charmes. Ce n'est pas un hasard si l'Evangéliste annonce la Lumière au cœur de
la nuit des hommes aveuglés par leurs passions et leurs pauvres certitudes, et
si le Baptiste, lui, nous promet la passion brûlante de la voix clamant dans le
désert, le feu inextinguible qui assurera la mort et la renaissance de
l'initié. En sachant bien que la Connaissance éclaire mais qu'elle brûle aussi
l'imprudent ou l'inconscient, celui qui n'est pas préparé ou peu apte à la
recevoir... Mais qu'est-il donc
ce Jean le Baptiste qui parcourt, vêtu de sa peau de brebis, un bâton à la
main, la campagne de Judée et qui prêche l'arrivée d'un Sauveur, de celui qui,
plus grand que lui, baptisera de feu et non plus d'eau ? ... Un pauvre hère, un
illuminé, un vagabond qui délire et. dont la tête ne vaut guère plus que la
danse d'une courtisane ? ... Et pourtant ce vagabond, cet illuminé porte en lui
le pouvoir de transmettre ce qu'il ne possède pas lui- même. C'est par lui que
le Verbe s'incarne, c'est par lui que l'Esprit se manifeste. Jean, beaucoup plus
que Jean... Mais pourquoi ? Mais comment cela est-il possible ? Si l'on se
contente de lire les Ecritures rien ne nous éclaire. Il nous faut donc tenter
de comprendre d'où vient ce Jean. De la secte des
Esséniens, bien sûr. Cela a été dit et répété. Cela ne fait plus de doute pour
personne, aujourd'hui que ces Esséniens sont mieux connus grâce aux
découvertes de la Mer Morte. Jean a rencontré sans doute le Maître de Justice
dont parlent les manuscrits, prophète et initié doté de la grâce et d'une
profonde et admirable humilité. Ce maître ésotérique était lui-même nourri de
la Gnose, c'est-à-dire de la connaissance secrète, de la connaissance
ésotérique de Dieu. Le Maître de Justice est allé en Egypte. Il y a interrogé
les fidèles thérapeutes du désert, bien proches par la doctrine des Esséniens.
Il a rapporté de l'Egypte ces enseignements secrets dont Jean, par la suite,
put bénéficier. Jean connut par ailleurs l'essénien Dosithée, un ascète qui
appartenait à la secte des Sadocites, autre mouvement gnostique. Jean s'inscrit
ainsi dans l'immense mouvement qui, du Septentrion au Midi et de l'Orient à
l'Occident, fonde sa vision de l'équilibre du monde sur le combat des ténèbres
et de la Lumière. Héritier de Zoroastre qui nous a laissé cette prière à Ahura
Mazda, l'Etre suprême, le dieu de Lumière : « Feu d'Ahura Mazda nous venons
implorer de toi ces faveurs... Nous te vénèrons, ô Ahura Mazda, nous
t'invoquons. Nous t'implorons par toutes les bonnes pensées, par toutes les
paroles saintes, par toutes les bonnes actions. Nous proclamons ton corps le
plus brillant de tous les corps, ces lumières et la plus élevée des élevées,
celle qui s'appelle Soleil ». Héritier de
Pharaon, le prêtre-roi, et des initiés du Temple de l'Homme égyptien où le
Feu-principe, le dieu Phtah uni à Amon, la Lumière incréée et à Kneph, la
sagesse et la vérité, constituent la trinité sacrée, les trois aspects du Dieu
unique symbolisé par le Soleil auquel Thoutmosis Ill rendait hommage en ces
termes sur le fronton du temple de Medinet Abou : « C'est lui le Soleil qui a
fait tout ce qui a été fait et rien n'a été fait sans lui jamais, le père des
choses, le créateur de la vie et de la lumière ». Héritier des
révélations d'Eleusis quand on célébrait la cinquième nuit des mystères par
une immense procession aux flambeaux et quand l'epopteia, la dernière phase du
processus initiatique, se déroulait dans une lumière éblouissante. Héritier des cultes
celtiques lorsqu'à l'heure du solstice, au coeur des menhirs, s'allumaient des
centaines de bûchers alliant le feu de la terre et le feu du ciel, chacun de
ces bûchers étant entouré de neuf pierres qui recevaient le nom de « cercle de
feu ». Ce même feu qui
brûle perpétuellement dans tous les temples de l'Inde où il y a un autel
consacré à Agni, l'Ancien des jours, dans les temples parsis qui perpétuent le
culte d'Ahura Mazda, le dieu de Lumière, ce même feu enfin, qui, dans la Bible,
est l'attribut même du Seigneur au nom imprononçable lorsque celui-ci se manifeste
dans le Buisson ardent ou lorsque, donnant les tables de la Loi au guide du
peuple hébreu, il apparaît sur son trône comme la « flamme du feu » et qu'un «
fleuve de feu coule devant lui ». Jean le Baptiste
est ainsi l'héritier de tous. Il porte en lui, l'initié du désert, le feu
brûlant que l'eau ne peut éteindre mais au contraire ne fait qu'aviver. Jean, beaucoup plus
que Jean... Fils de la Lumière mais aussi combattant pour la Lumière comme le
prouvent les manuscrits de la Mer Morte qui révèlent la profonde parenté de
l'essénisme et des conceptions mazdéennes. « Le fidèle de la secte de
l'Alliance, écrit ainsi M. Dupont-Sommer, est essentiellement un soldat de l'armée
de la Lumière et la communauté est conçue et organisée tout entière comme une
milice divine ». N'est-ce pas là le rôle capital dévolu de tout temps à
l'ésotérisme, gardien de la Tradition primordiale obscurcie, occultée au cours
des temps par l'épaississement des ténèbres, la montée de la Matière enserrant
l'Esprit de sa gangue de fer ?... Est-il tellement
étrange cet héritage de Jean le Baptiste ? ... Certes, il a fallu des siècles
et des siècles au dogmatisme romain pour l'oublier, pour l'occulter. Et encore
l'ésotérisme chrétien en poursuivait-il plus ou moins la leçon. Mais
aujourd'hui nous pouvons bien le proclamer cet héritage, alors que l'on tente
de revenir aux vérités essentielles de l'Eglise primitive et que l'on sait que
l'art chrétien des catacombes ne dédaignait pas d'emprunter aux mystères
éleusiniens plusieurs de ses dieux : Apollon, le dieu de Lumière venu du Nord,
Orphée qui, dans une étonnante figurine longtemps conservée au Muséum de
Berlin, prend la place du Christ sur la croix, Hermès psychopompe, le dieu qui
conduit à l'initiation les fidèles d'Eleusis, lui-même héritier de l'Anubis
égyptien, qu'on peut assimiler à ce Saint Christophe cynocéphale conduisant à
l'illumination christique dont on trouve de curieuses images aussi bien en
Irlande qu'en Russie, à Byzance qu'au mont Athos. Ce même Christophe qui est
aussi, dans la tradition alchimique, le porteur d'or... Et la foi de Saint
Paul — le cardinal Daniélou le démontre lui- même fort bien — ne
rappelle-t-elle pas étrangement et jusque dans les paroles de l'Apôtre sur les
mystères, la révélation, la connaissance, la foi de Oûmran ? N'est-ce pas
Paul, et non Jean, qui a dit : « Dépouillez-vous des oeuvres de ténèbres et
revêtez les armes de Lumière... » ? Et n'oublions pas non plus que les
chrétiens ont hérité de l'essénisme, par le Baptiste, nombre d'usages dont
celui de marquer au front du signe Tau les nouveaux membres de la communauté. Les livres
apocryphes tel celui d'Enoch, véritables traités initiatiques, furent exclus
par l'Eglise romaine dès le IV° siècle comme ils l'avaient été auparavant par
la Synagogue des Sadducéens. Etrange conjonction en vérité ! Seuls le canon
abyssin et l'Eglise grecque en conservèrent des traces durables. Or ce rejet,
on le sait aujourd'hui, a été une erreur capitale car il ne permettait plus
d'expliquer ni le Baptiste, ni l'Evangéliste, ni les sources profondes de
l'enseignement de Jésus. Comme tout s'éclaire en revanche lorsqu'on sait que le
contenu de la Gnose, c'est-à-dire de la Connaissance, est unique, à travers les
siècles comme à travers les religions et les civilisations. Jean, beaucoup plus
que Jean... C'est ce Jean porteur de la Tradition, ce Jean exemplairement
révélateur avec son double, l'Evangéliste, que les Francs-Maçons veulent
honorer et aimer. Car ils savent,
eux, ils l'ont appris sur leur chemin initiatique vers la Lumière et vers
l'Amour, que nous ne sommes jamais les « fils de personne ». Que la chaîne est
sans fin des initiés, des sages et des prophètes. Qu'il faut être soit un
révolutionnaire aveugle soit un dogmatique stupide pour penser qu'on puisse
jamais faire table rase, qu'on puisse renier, oublier, mépriser l'héritage. Les Francs-Maçons
de la Grande Loge de France, tout comme Jean, héritier lui-même de l'essénisme
et annonciateur du christianisme, se situent dans la lignée, sans commencement
ni fin connus, de la Gnose unique de la Tradition universelle. La voie qu'il ont
choisie est une voie intérieure. Même s'ils n'en oublient jamais pour autant
leurs devoirs d'hommes et de citoyens au dehors. Le chemin initiatique qu'ils
suivent est celui de la délivrance, en laissant aux religions le soin de mener
leurs adeptes vers le salut. Il n'est pas pour
eux de confusion possible. Car ils connaissent les trois composantes de l'homme
reconnues par toutes les traditions dans toutes les initiations : le corps,
l'âme et l'esprit. La première est du domaine des réalisations temporelles,
indispensables. La seconde appartient à celui de la religion ésotérique ou de
la philosophie existentielle. Mais la troisième est pour eux la promesse de
l'achèvement spirituel. Alors, certes, peu
importent la voie suivie, le choix des enseignements ou des morales, peu
importe l'héritage le plus proche dont on se réclame. Comme il y a plusieurs
demeures dans la maison du Père, si l'on en croit la Bible, il y a de nombreux
chemins pour accéder à la montagne initiatique. De même que la Gnose est
unique, toutes les voies sont, fondamentalement, dans leur essence, identiques. C'est d'ailleurs ce
qu'exprimait en des termes admirables ce grand initié soufi que fut Mohyiddine
ibn Arabi dont nous aimerions, en conclusion, graver les paroles dans notre
esprit, dans votre esprit, car elles sont l'eau la plus pure, la voix de
l'universel Amour : « Mon cœur est
devenu capable de toute forme ; il est un pâturage pour les gazelles et un
couvent pour le moine chrétien et un temple pour les idoles et la Kaabah du
pèlerin et la Table de la Thorah et le Livre du Coran. Je suis la religion de
l'Amour quelque route que prennent ses chameaux ; ma religion et ma foi sont la
vraie religion »... JUIN 1982 |
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