GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 3T/1982 |
L'Universalisme Maçonnique Quand on évoque
aujourd'hui la notion d'universalisme maçonnique, on songe presque toujours
immédiatement à la fraternité. Reconnaître comme frère, en donnant à ce mot
tout son sens, celui qui ne parle pas la même langue, ne professe pas la même
religion ou la même philosophie, n'est pas issu d'une même race, autant
d'obligations qui sont faites à chaque Franc-Maçon, tout cela n'indique-t-il
pas clairement que l'ordre maçonnique est universel parce qu'il est d'abord
fraternel ? Cette impression
n'est certes pas fausse, mais terriblement incomplète. Un point essentiel de
référence manque en effet pour resituer la fraternité à sa juste place, celle
de conséquence et non de cause. Je veux parler de la religion universelle à
laquelle les rénovateurs de la Franc-Maçonnerie du début du dix-huitième siècle
se référèrent tous, le pasteur James Anderson, dans ses Constitutions, comme
le Chevalier de Ramsay dans ses discours. Ce rappel est fondamental aux yeux de
tous les Francs-Maçons soucieux de fidélité à leur tradition, et par-là même,
de leur régularité initiatique. Sans ce rappel, la fraternité se réduit à un «
copinage » de plus ou moins bon aloi que les anti-maçons français ont souvent
relevé, non sans raison hélas, dans quelques cas. Coupée de ses racines
spirituelles, la fraternité sombre vite dans la caricature et n'a d'universelle
qu'une médiocrité ouvrant la porte à toutes les dégradations. Aussi Anderson, dès
l'article 1 de ses Constitutions, indiquait- il clairement que le maçon devait
se réclamer de « cette religion, que tous les hommes acceptent, laissant à
chacun son opinion particulière et qui consiste à être des hommes bons et
loyaux... », l'athéisme stupide et le libertinage irréligieux étant
explicitement écartés. Qu'est-ce donc alors que cette religion universelle dont
se réclamèrent pendant longtemps les Francs-Maçons, à commencer par le
Chevalier de Ramsay dont le discours de 1736 influença tellement la
Franc-Maçonnerie Écossaise ? En 1742 il écrivait en effet à son ami le Docteur Stevenson
« Défenseur et Martyr de la Religion Universelle est l'inscription que je
désire voir inscrire sur ma tombe et au frontispice de mon oeuvre ». Disons
tout de suite qu'au XVIII° siècle cette idée n'était pas particulière aux
adeptes de la Franc-Maçonnerie, c'était là un concept très généralement
répandu. Il découlait tout naturellement d'une certaine confiance en la raison
humaine, capable de concevoir l'existence de Dieu comme Ordre de l'univers et
par là même une Loi Morale commune à tous les hommes. Cette loi était la loi
d'amour qui culminait dans le christianisme, christianisme antérieur au Christ,
dans ses principes bien entendu. Le titre d'un ouvrage anglais de 1730 est à
cet égard bien révélateur : « Le christianisme aussi vieux que la création ».
Nul doute alors que, pour le maçon, celui-ci ait été à l'origine de toutes les
démarches religieuses et philosophiques liées ou non à la révélation biblique,
le point de référence chronologique était Noé. Citons deux textes
révélateurs, le premier emprunté au discours de Ramsay de 1736 dans lequel, à
propos de l'antiquité païenne, l'orateur dit : « On y célébrait des mystères où
se trouvaient plusieurs vestiges de l'ancienne religion de Noé et des
patriarches » ; le second emprunté à un ouvrage du même Ramsay : « Les vestiges
des plus anciennes vérités se trouvent chez les sages de toutes les nations, de
tous les temps et de toutes les religions, tant sacrés que profanes, ces
vestiges sont une émanation de la tradition antédiluvienne et noachique, plus
ou moins voilés ou dégénérés ». Précisons en outre
que la tradition judéo-chrétienne ne
méconnaît pas cette religion naturelle
puisque pour les juifs, les païens relèvent de l'alliance
avec Noé et que pour
les chrétiens ces mêmes païens ont
bénéficié d'une révélation
naturelle. Voir
le chapitre II de l'épître de Saint Paul aux Romains. C'est donc faire
preuve d'une singulière mauvaise foi que de conclure que la référence à la
religion naturelle, universelle, conduit à l'indifférence religieuse ou encore
n'est qu'un paravent de l'athéisme. Ce ne fut pas le cas au XVIII° siècle
puisque Ramsay, comme beaucoup de ses amis, demeurèrent de fervents
catholiques. Ce n'est pas le cas non plus aujourd'hui. Cela conduit cependant à
remettre en question tous les systèmes dogmatiques qui visent à séparer les
hommes pour les conduire ensuite immanquablement à s'affronter et à s'opposer.
Les Papes des XVIII° et XIX° siècles, si soucieux d'établir une église
autoritaire centralisée, ne tirant en fait sa force que de son intolérance et
de son intransigeance, ne s'y sont pas trompés en renouvelant plusieurs fois
Leurs condamnations contre notre Ordre. D'une certaine façon ils ont vu juste !
Une catholicité au sens étymologique du terme, fondée sur l'intolérance et le
dogmatisme autoritaire, ne pouvait supporter la catholicité maçonnique,
tolérante parce qu'adogmatique, ne rejetant aucun système religieux ou
philosophique parce que les croyant tous issus d'un tronc commun. Quelle valeur
attribuer aujourd'hui à cette notion de religion naturelle, universelle ?
Garde-t-elle son actualité pour la Franc- Maçonnerie de Rite Écossais Ancien et
Accepté que nous pratiquons à la Grande Loge de France ? Peut-elle l'aider à
remplir son rôle auprès des hommes de cette fin du XX° siècle tellement marquée
par l'indifférence spirituelle et le matérialisme ? En ce qui concerne
la valeur de la notion de religion universelle je pense que celle-ci demeure
aujourd'hui intacte sinon renforcée. Même si certaines données modernes de
l'histoire des religions ont remis en cause des filiations simplistes ainsi que
des systèmes de comparaison ou de chronologie, tout dans les recherches
actuelles sur la spiritualité incite à réunir ce qui est épars plutôt qu'à
opposer. La distinction fondamentale entre le mythe et l'histoire a tiré
beaucoup d'esprits religieux éclairés d'un dogmatisme diviseur-donc diabolique.
Le symbolisme a retrouvé ses lettres de noblesse, même pour tous ceux que nous
appelons les profanes. Ainsi, contrairement à ce que croit une majorité
d'ignorants, l'entente est beaucoup plus facile entre des spécialistes de la
Bible, de religions ou de confessions différentes, qu'entre des non-
spécialistes. L'ignorance a toujours beaucoup plus divisé les hommes que la
science, surtout en matière spirituelle. C'est pourquoi la
réponse aux deux autres questions ne peut qu'être positive. Oui, la référence à
la religion universelle garde toute son actualité pour la Franc-Maçonnerie de
Rite Écossais Ancien et Accepté. D'abord parce que, comme nous venons de le
dire, la science confirme cette grande intuition maçonnique, ensuite parce que
cela fournit à tous les membres de notre Ordre une précieuse indication quant à
l'objet essentiel des recherches qui doivent inspirer tous leurs travaux en Loge.
Je veux parler de la recherche initiatique qui sera toujours de nature
spirituelle, en référence constante au rituel. Nos réunions ne sont ni ne
doivent être des cours du soir durant lesquels peuvent être débitées avec plus
ou moins de talent des compilations mal digérées de livres. A cela il faudrait
préférer un travail maçonnique purement rituel qui aurait au moins le mérite de
faire connaître le symbolisme de la Franc-Maçonnerie. Mais, et c'est là la
particularité du Rite Écossais Ancien et Accepté, celui-ci vise à une
transformation de l'être par les intermédiaires de l'esprit et du corps. D'où
une maçonnerie vraiment spéculative, c'est-à-dire insistant sur la recherche
intellectuelle, obligeant donc à des travaux. Mais comprenons- nous bien : à
des travaux maçonniques, c'est-à-dire à des recherches et à des résultats
vécus et exprimés en fonction d'un rituel et du grade qui s'y réfèrent. Et je
rappelle que le Rite Écossais Ancien et Accepté en comporte 33. Un Frère qui
parle à ses Frères en Loge ne leur fera donc jamais un cours de spiritualisme
ou de philosophie. Il livrera, ou tout au moins, il tentera de livrer une part
de son être, de son vécu initiatique en fonction du sujet qu'il aura à exposer
et bien entendu du grade auquel travaillera l'assemblée maçonnique où il
s'exprimera. Au coude à coude avec ses Frères en humanité et en initiation, il
rendra compte de sa recherche de la vérité au travers de ses centres d'intérêt
comme de son expérience initiatique. Il ne renoncera donc pas à ses préférences,
bien au contraire, mais il en témoignera sans que celles- ci deviennent des
obstacles entre lui et ses Frères, parce qu'il aura la conviction qu'elles ne
sont en fait que des reflets de la religion universelle ou encore de la vérité
une, à laquelle chaque homme peut avoir part en en rendant compte toujours
imparfaitement. D'où la tolérance et la fraternité comme conséquence, fruit
d'un compagnonnage de lutte dans la progression de l'esprit vers la lumière. Une telle activité
spirituelle ne peut pas ne pas avoir d'influence dans la Société humaine
d'aujourd'hui. On comprendra d'emblée qu'elle n'a pas besoin de communiqué de
presse ou de déclaration fracassante à la remorque de l'actualité. La
Franc-Maçonnerie telle que nous la concevons à la Grande Loge de France n'a
pas besoin d'être la mouche d'un coche politique ou religieux et encore moins
d'en vouloir paraître l'attelage. Son rôle demeure celui qu'avait fixé Anderson
: le Centre d'union de tous les hommes initiables, et ce dans l'esprit le plus
universaliste possible. Aussi nous nous devons, au nom de la référence de la «
religion universelle », de jeter un cri d'alarme en face de l'inculture des
générations montantes et de leur retour au dogmatisme, dans les domaines
religieux, philosophique, politique et idéologique. Le deuxième danger est
certes en grande partie la conséquence du premier. Il est aggravé cependant par
des décennies d'incohérence et de désordre qui appellent toujours des réactions
opposées. Voilà pourquoi celles-ci risquent d'être violentes. Des effets de
l'incohérence et des désordres spirituels et moraux, nous ne pouvons que
prendre actes. Il n'en est pas de même de l'inculture contre laquelle nous
devons lutter. Dès 1736 Ramsay avait pressenti le mouvement encyclopédiste
parce que ce qu'il impliquait au niveau des connaissances, et surtout de leur
mode d'approche, lui apparaissait comme le corolaire de la démarche
maçonnique. Le goût de la science et des arts libéraux étant à ses yeux une des
qualités essentielles pour appartenir à la Franc- Maçonnerie, Ramsay prônait
l'élaboration d'un ouvrage qu'il appelait « Dictionnaire universel des arts
libéraux et des sciences utiles », demandé déjà selon lui par plusieurs Grands
Maîtres de pays européens. « Par là, précisait-il, on réunira les lumières de
toutes les nations dans un seul ouvrage qui sera comme une bibliothèque
universelle de tout ce qu'il y a de grand, de lumineux, de solide et d'utile
dans tous les arts nobles. Cet ouvrage augmentera dans chaque siècle, selon
l'augmentation des lumières, et il rendra partout l'émulation et le goût des
belles choses et des choses utiles.. Même s'il y eut peu d'encyclopédistes
maçons, on ne peut nier l'influence de la maçonnerie dans la naissance du
mouvement et surtout ensuite pour son soutien. C'est pourquoi, nous Francs-
Maçons du XXe siècle, nous sentons-nous exhortés au combat contre l'ignorance,
à la promotion de la culture et à la défense de ce que nous avons acquis, je
veux parler de notre civilisation occidentale et de notre art de vivre que
d'aucuns décrient trop facilement. La tentation serait grande, pour ce dernier
exemple, de dire à ceux qui dénigrent d'aller voir ailleurs, d'autant plus que
dans les pays du monde libre les portes sont grandes ouvertes. Mais en tant
qu'initiés, une telle réponse ne nous satisferait pas. Elle serait trop
négative et pas assez constructive. Aussi est-il de notre devoir de ne pas être
indifférents aux problèmes touchant l'instruction publique et la culture en
général, comme d'être vigilants en face de toutes les entreprises
d'abrutissement collectif dont notre civilisation n'est pas exempte. Voilà pourquoi des
combats de différentes formes ne sont pas à exclure. Le Franc-Maçon est un
homme de paix certes, mais il aime trop la paix pour ignorer que sans justice
et sans bonté celle- ci n'est qu'un leurre. De plus le Rite Ecossais Ancien et
Accepté de par sa tradition chevaleresque ne peut prendre son parti d'une paix
dont le prix serait le triomphe de l'injustice et du mal grace à l'ignorance et
au fanatisme. A l'heure où tant de forces spirituelles déclinent,
démissionnent, ou, pire encore, pactisent avec le matérialisme, sachez que la
Franc-Maçonnerie Écossaise veut lutter. Elle le dit haut et clair pour être
entendue de ceux qui ne veulent pas baisser les bras et parce que, le combat
étant de dimension mondiale, elle doit être forte pour pouvoir le mener. Mais
qu'on ne se méprenne pas, ne cédant à aucune panique, elle continuera à
choisir avec rigueur ses combattants, entendant mener une lutte qui demeure à
la hauteur de ses grands desseins de libération et de perfectionnement de
l'humanité. AVRIL 1982 |
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