GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 4T/1981

Cagliostro, Homme de Lumière

Interview de M. Ribadeau Dumas par Albert Monosson

* M. François Ribadeau Dumas, vous êtes écrivain, et aussi histo­rien. Vous venez de publier un deuxième ouvrage sur Cagliostro qui a pour titre K Cagliostro, homme de lumière » aux Editions phi­losophiques.

Vous évoquez, dans cet ouvrage, l'appartenance de Cagliostro à des Sociétés initiatiques, et notamment à la Franc-maçonnerie. Or, Cagliostro a souvent eu la réputation d'être un aventurier. Vous prenez, avec beaucoup de vigueur, sa défense. Pouvez-vous m'in­diquer vos raisons ?

** François Ribadeau Dumas : deux faits ont dirigé ma démarche. En premier, l'appartenance du célèbre mage du XVIIIe siècle à plu­sieurs fraternités spiritualistes, où il joua un rôle important, et ensuite, ayant eu les minutes du procès de 1789 à Rome où il fut arrêté et jugé par l'inquisition romaine, et condamné à mort, j'ai considéré que l'on a été fortement injuste à son égard, car il fut, en réalité, un homme de bien.

Alexandre Dumas a rendu célèbre Cagliostro, sous le nom de Joseph Balsamo. Quelle était, selon vous, sa véritable identité sur laquelle les historiens ne sont pas d'accord ?

** Alexandre Dumas a consacré, avec sa verve endiablée, plu­sieurs romans à Cagliostro, qui sont d'une folle extravagance. Mais il est rigoureusement exact que le célèbre mage s'appelait Giuseppe Balsamo, né à Palerme, de parents siciliens, modestes commerçants, en 1743.

Comment s'est-il appelé Cagliostro ?

** Il avait pour ancêtres plusieurs Balsamo qui furent des Che­valiers de Malte connus. Du côté de sa mère, des Cagliostro éga­lement, au service des fraternités spiritualistes. Quand, en 1766, il se rendit à l'île de Malte, le Grand Maître Don Manoel Pinto del Fonseca le reçut à bras ouverts, l'initia à la Chevalerie de Malte, et en le recevant dans l'Ordre, lui conféra le nom de son parent maternel, et il devint Alexandre de Cagliostro. Donc, là, aucune supercherie.

Vous défendez ardemment Cagliostro. Vous reconnaissez tout de même qu'il a eu une jeunesse aventureuse.

** On ne peut nier qu'après avoir été au séminaire, il voyagea comme petit dessinateur, il épousa une charmante petite Romaine et l'on attribue au jeune couple certaines opérations qui furent loin d'être orthodoxes. Mais qui, avant d'entrer en sainteté, n'a eu une jeunesse très peu conforme à sa destinée ? Saint Paul lui- même n'était-il pas le persécuteur des premiers chrétiens, avant de devenir l'apôtre que l'on connaît ?

Ce qui m'a frappé, à la lecture de votre ouvrage, ce sont les nombreux voyages de Cagliostro qui rencontrait beaucoup de Grands de ce monde. Etait-il, comme Casanova, ou le comte de Saint-Germain, un envoyé secret ?

** Il est exact que Cagliostro a beaucoup voyagé et, à l'origine, à l'instigation tout d'abord de l'Ordre de Malte qui lui en donna les moyens.

Il voyagea à travers l'Europe, de 1776 où il était à Londres jusqu'en 1779, où il vécut plusieurs années à Strasbourg ; il visita les Confréries, les Loges maçonniques d'Europe et l'Inqui­sition devait lui reprocher d'avoir été reçu par les Illuminés de Bavière, qui n'étaient pas, en réalité, un Ordre maçonnique, mais une organisation révolutionnaire secrète.

Il a été notamment à la cour du prince de Brunswick, puis du roi Frédéric II de Prusse, puis Stanislas de Bologne et du prince de Courlande, pour n'en citer que quelques-uns.

* Vous parlez beaucoup des pouvoirs secrets de Cagliostro. En avait-il réellement selon vous ?

** Je suis persuadé qu'il avait des pouvoirs. En premier lieu, il a été un guérisseur qui, selon de nombreux témoins, a réussi des guérisons stupéfiantes ; à tel point qu'à Strasbourg, le car­dinal de Rohan le pria de venir à Paris soigner son oncle le maré­chal de Soubise qui était moribond, abandonné des médecins, et que Cagliostro sauva.

En second lieu, en ce siècle si paradoxal que l'on a coutume d'appeler le Siècle des Lumières, il existait dans l'élite un attrait extraordinaire pour les sciences occultes : la divination, la magie, l'évocation des morts, la recherche de la jeunesse éternelle, sans compter la transmutation des métaux. Songez que l'empereur François de Lorraine, père de la reine Marie-Antoinette, était entré en Maçonnerie, dans l'espoir de voir le métal brut devenir de l'or. Tous ces pouvoirs ont été attribués à Cagliostro. Je ne fais que relater ici des opinions que je ne prends pas, certes, pour des vérités.

* Précisément, puisque vous parlez du cardinal de Rohan, croyez- vous que Cagliostro a joué un rôle quelconque dans l'affaire du collier de la reine ?

** L'affaire du collier de la reine, en 1785, a été une formidable escroquerie, mais qui a eu des conséquences extrêmement graves pour la royauté française. Je vous rappelle en quelques mots le scénario : le cardinal de Rohan voulant conquérir les faveurs de Marie-Antoinette qui le méprisait, entra en relation avec l'aventurière Jeanne de la Motte pour lui déclarer qu'il pouvait y parvenir en offrant à la reine un somptueux collier. C'est elle qui s'empara du collier après un simulacre dans le parc de Versailles. On ne retrouva jamais aucun diamant du célèbre collier.

Pour échapper aux poursuites, la dame dénonça Cagliostro, ce qui valut à ce dernier de faire un an à la Bastille, dont il devait, d'ailleurs, prédire la démolition. Son acquittement fut triomphal, mais cette affaire ayant eu un tel retentissement, la reine, outra­gée, fit exiler Cagliostro que la foule porta en triomphe.

*  Quittons l'affaire des diamants ; j'aperçois sur la couverture du livre la représentation de la déesse Isis. Quelle était l'origi­nalité de l'Ordre maçonnique créé par Cagliostro et qu'il appela le rite égyptien ?

** Oui, les alchimistes, les hermétistes se référaient à la mytho­logie égyptienne car, disaient-ils, l'Egypte fut le berceau de la Sagesse. La déesse Isis, en recueillant les membres épars d'Osiris qui avait été massacré et en lui rendant la vie, a été considérée comme la Grande Magicienne et vous savez que c'est l'un des thèmes principaux des Sociétés initiatiques, à savoir la résurrec­tion après la mort du Vieil Homme d'où, en particulier, la légende d'Hiram, mort et ressuscité.

*    Le rite créé par Cagliostro eut-il un grand succès ?

** Nettement, dans la ligne des rites maçonniques, très floris­sants au XVIIIe siècle et, des cérémonies mytérieuses de Martinez de Pasqually et du dominicain alchimiste Pernety, son Rite Egyp­tien fut hautement apprécié pour son inspiration illuminative très exhaustive, sa pensée, son orthodoxie très maçonnique.

*    Ce procès de Cagliostro que l'on qualifiait d'homme frivole, a révélé que cet homme est mort, victime de ses idées. Qu'en pen­sez-vous ?

** Il faut, en effet, rendre justice au thaumaturge, épris d'idéal, qui, injustement, fut condamné pour son appartenance à la Maçon­nerie et, par amalgame, on l'accusa de blasphèmes, de sorcellerie, etc.

Pour éviter sa libération par Bonaparte dont l'armée était sur le point de s'emparer de l'Italie, il fut purement et simplement étran­glé dans sa cellule de la prison de San Leo, où je me suis rendu, et ses ossements furent dispersés, ceci en 1795.

On pouvait aisément comprendre les raisons de ses bour­reaux ; n'avait-il pas répondu, lorsqu'on lui demandait s'il retour­nerait en France ?

— Assurément, pourvu que la Bastille soit devenue une pro­menade publique !

Sa prédiction se réalisera. Alors, n'ai-je pas eu raison d'appe­ler mon livre : « Cagliostro, homme de lumière » ?

Publié dans le PVI N° 43 - 4éme trimestre 1981  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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