GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 3T/1981

Pourquoi devient’on Franc-Maçon ?

 
Parmi toutes les questions qu'un homme de bonne foi, mais non averti ou mal informé, se pose au sujet de la Franc-Maçonnerie, il en est une qui revient très souvent, et c'est : « Pourquoi devient- on Franc-Maçon ? ». C'est une question simple, claire, importante, à laquelle nous devons essayer de répondre aussi simplement et clairement que possible.

Il faut savoir, tout d'abord, que les réponses à cette question sont nombreuses, car les raisons qui poussent des hommes à demander leur admission en Maçonnerie sont très diverses. Mais nous n'en retiendrons que deux, qui sont le plus souvent exprimées par les postulants eux-mêmes.

La première de ces raisons est fournie par la vie de tous les jours. Aussi heureux que soit un homme au sein de sa famille ou dans sa profession, il lui arrive d'éprouver le besoin de contacts humains différents de ceux qui lui sont donnés par sa vie quoti­dienne et de participer à une association dont il sait qu'elle est habitée par un esprit d'amitié fraternelle.

Sur ce premier point déjà, son attente ne sera pas déçue : la Franc-Maçonnerie est bien un rassemblement dans lequel, sans que viennent s'interposer des considérations de condition sociale, de foi religieuse, de conviction philosophique ou politique, les par­ticipants s'appellent entre eux « Frères » et se considèrent mutuel­lement comme tels. Les Constitutions d'Anderson qui, depuis 1723, sont la Charte de l'Ordre maçonnique, déclarent entre autres que « la Maçonnerie est le Centre d'Union et le moyen de nouer une amitié sincère entre des personnes qui n'auraient pu (sans elle) que rester perpétuellement étrangères (les unes aux autres) ».

Cela était déjà vrai au début du XVIlle siècle, cela n'a jamais cessé de l'être.

La deuxième raison qui incite généralement un « profane » à demander l'entrée du Temple est d'ordre intellectuel ou spirituel. Est-il nécessaire de rappeler en passant qu'il n'est nullement besoin qu'un homme soit un « intellectuel », au sens professionnel du mot, pour avoir des préoccupations d'ordre intellectuel. Il suffit qu'il soit un homme d'esprit ouvert et qu'il pense à quelque chose de plus qu'à son confort matériel et à son gagne-pain de tous les jours. Or l'homme qui réfléchit se pose des questions auxquelles il se sent tantôt capable et tantôt incapable de trouver des réponses. Dans un cas comme dans l'autre, il souhaite confronter ses réponses ou ses interrogations à celles d'autres personnes. Il sait, pour l'avoir entendu dire, qu'en Maçonnerie il pourra le faire sans crainte, sans gêne, sans réserve mentale d'aucune sorte, car la Loge maçonnique a la réputation d'être un lieu où règne la tolé­rance. Là encore, le candidat n'aura pas fait fausse route, car la tolérance est une des qualités majeures de l'esprit maçonnique.

Mais qu'on ne s'y méprenne pas. Pour le Franc-Maçon, tolé­rance n'est pas synonyme de complaisance. Elle n'est pas non plus cette attitude un peu hautaine et condescendante qui consiste à permettre à l'autre de s'exprimer, tout en conservant soi-même, et quoiqu'on puisse dire, la certitude d'avoir raison à tout prix et de posséder la vérité. La vérité n'est pas une, mais multiple ; chacun de nous en détient une part. La tolérance que pratique le Franc- Maçon est d'abord respect de l'autre. Ce respect le conduit à être attentif à l'autre, réceptif à ses propos, de sorte que, par un effet naturel d'une communication ainsi libérée, il pourra découvrir dans la pensée d'autrui le mot, la phrase ou l'idée qui viendra enrichir sa propre pensée ou rectifier son propre jugement. De vertu passive qu'elle était, la tolérance se transforme ainsi en vertu positive, active, constructive.

Esprit de fraternité, tolérance constructive, voilà ce qu'apporte d'abord la Franc-Maçonnerie à ceux qui frappent à la porte du Temple. Est-il, dans les rapports entre les hommes, vertus plus belles, plus fructueuses, plus nécessaires que ces deux-là ? Prati­quées par tous les humains à la surface de la Terre, elles suffi­raient à elles seules à assurer la paix du monde.

Fraternelle et tolérante, la Franc-Maçonnerie peut donc être définie comme une micro-société de confiance dans un monde de méfiance.

Ce n'est pas faire oeuvre originale que de dire que le monde actuel est en crise. On ne cesse de le répéter de toutes parts, et on a raison. Crise économique, sociale, politique, cela est déjà suffisamment grave en soi ; mais aussi crise morale, ce qui est peut-être plus grave encore.

On a toutefois tendance à oublier — ou l'on feint d'ignorer — que ce phénomène n'est pas nouveau. On commettrait une erreur à vouloir le limiter à notre seule époque et à le présenter comme le produit inéluctable de la seule civilisation industrielle. L'histoire de toutes les civilisations nous montre surabondamment que l'hu­manité connaît des crises morales depuis des millénaires et des millénaires, et probablement depuis que les hommes vivent en groupe. De plus, il est important d'observer que des crises morales se sont manifestées et se manifestent encore dans tous les types de structures sociales, des plus simples aux plus complexes et même des plus libérales aux plus autoritaires.

Que devons-nous en déduire ?

Il va de soi que certains régimes politiques sont à bannir dès que la liberté et les droits de l'homme sont en jeu, et la Franc- Maçonnerie n'a jamais cessé de le faire tout au long de son his­toire. Mais s'agissant de la dégradation des moeurs et des esprits, on est bien obligé d'admettre, à la lumière de ce qui vient d'être constaté, que le fautif n'est pas tant le type de société que l'hom­me lui-même, à la fois esclave et victime de ses instincts et de ses passions. L'argument selon lequel une société sécrète ses propres tares n'est pas de nature à exonérer l'homme de sa res­ponsabilité. Car s'il entend être libre, l'homme doit aussi être res­ponsable. Responsable de ses pensées, de ses paroles et de ses actes. La liberté et la responsabilité sont liées l'une à l'autre de manière indissoluble. Le plein exercice de l'une exige le plein exercice de l'autre. Or, la vérité nous oblige à dire que, de tout temps, l'homme a davantage été enclin à revendiquer ses droits qu'à assumer son devoir.

Mais, pour pénible qu'il soit, ce constat ne conduit pas le Franc-Maçon au découragement ni à une vision pessimiste dumonde à venir. Bien au contraire la Franc-Maçonnerie, croyant en la perfectibilité humaine, est optimiste par définition et par voca­tion. L'homme détient en lui une parcelle de lumière qui le rend perfectible. Il ne dépend que de sa volonté de se parfaire en agissant d'abord sur lui-même, ce qui lui permettra de surcroît d'agir utilement dans la société. C'est ce qu'ont choisi de faire les Francs-Maçons : tailler et polir la pierre brute, symbole de l'hom­me, pour l'insérer harmonieusement dans l'édifice commun, sym­bole de l'humanité tout entière.

« Utopie, disent les sceptiques, changeons d'abord les institu­tions et l'homme changera ». Ils donnent ainsi la priorité, je devrais dire l'exclusivité, au problème des structures et remettent à plus tard, bien plus tard et sans doute à jamais, le problème des cons­ciences.

Nous, Francs-Maçons de la Grande Loge de France, nous pen­sons qu'il n'est pas réaliste de prétendre que le sort de la condi­tion humaine sera résolu de cette manière-là. Nous ne sommes pas de purs esprits, ni des anachorètes, ni je ne sais quels gourous, mais des hommes, pétris comme tous les autres de chair et de sang, et qui vivent comme tous les autres la dure réalité de notre temps. Nous savons que, face à l'injustice et à l'égoïsme, des réformes politiques et sociales sont nécessaires, urgentes même, car la détresse n'attend pas. Mais autant qu'à la justice, nous croyons à l'Amour.

Or l'amour est en nous comme la graine est enfouie dans le sol. Et tout comme la graine, il ne demande qu'à germer et à porter des fruits. Encore faut-il faire l'effort d'en prendre cons­cience et cultiver l'Amour comme on prend soin de la graine. Le Franc-Maçon y est conduit par son cheminement initiatique.

Car si la Maçonnerie unit tous ses membres et tous les humains dans un même amour fraternel, si elle pratique la Tolé­rance qui est le corollaire de cet amour, elle est aussi une méthode de réflexion qui, pas à pas, degré après degré, accompagne le Franc-Maçon sur la voie de l'Initiation.

Méthode de réflexion et non pas école de pensée, car l'Initia­tion maçonnique ne dispense aucun enseignement doctrinal ou dogmatique, n'impose aucune idée toute faite. C'est le Franc-Maçon lui-même, seul avec sa conscience mais entouré de l'affection de ses Frères, aidé par cette entité vivante, ce placenta nourricier qu'est sa Loge, c'est le Franc-Maçon lui-même qui accomplit son approche de la vérité, cette vérité qui n'appartient qu'à ceux qui la cherchent et non à ceux qui, orgueilleusement, prétendent l'avoir trouvée. S'il est résolument décidé à polir la pierre, s'il sait décou­vrir le sens profond de nos rituels et l'idée cachée sous le symbole, s'il est déterminé à combattre l'ignorance, le fanatisme et l'ambi­tion vaniteuse, s'il sait aussi donner sans recevoir et aimer sans espoir d'être aimé, alors il aura fait un grand pas vers son perfec­tionnement.

Il sera donc mieux armé pour affronter les rigueurs d'un monde déshumanisé où la folie des hommes l'emporte sur la raison et même sur la bêtise, où les appétits matériels passent avant la simple dignité humaine, un univers où l'asservissement des esprits et des personnes emprunte froidement le visage de la justice, où le terrorisme aveugle tient lieu d'action idéologique, où l'indiffé­rence à la sous-nutrition de populations entières prend des allures de génocide, un monde, somme toute, où les hommes n'ont plus honte de rien et même pas d'eux-mêmes.

Il nous importe peu, à nous Francs-Maçons, d'être une mino­rité. Le nombre n'est pas tout. Nous persistons à oeuvrer sans relâche à la réalisation de notre idéal, dans le respect de la Tradi­tion que nous ont léguée nos Anciens et que nous nous efforçons, à notre tour, de transmettre à tous ces jeunes hommes de valeur en quête de spiritualité qui, de plus en plus nombreux, viennent se joindre à nous. Malgré les grandes difficultés de notre temps, qui conduisent une certaine jeunesse à désespérer, nous voulons réhabiliter l'espérance, à l'image des bâtisseurs de cathédrales, maçons opératifs, qui, animés par leur foi, maniaient l'outil et taillaient la pierre avec ferveur, alors qu'ils savaient que leur vie ne serait pas assez longue pour qu'ils puissent voir l'ouvrage achevé, mais savaient aussi que leurs enfants ou ceux des géné­rations futures pourraient le contempler un jour.

Mais ce dépassement de soi-même ne peut s'obtenir dans l'inertie et la passivité. Il exige un effort continu sur sa propre vie intérieure et un élan fraternel vers autrui.

C'est ce que nous tentons de faire, nous tous qui nous réunis­sons dans nos Loges, comme le font tous les Francs-Maçons répandus à la surface de la Terre. Et ainsi, à force de persévérance, à force de pratiquer dans nos Tenues, sans passions ni préjugés, le libre examen de la thèse et de l'antithèse pour en dégager la synthèse qui doit nous éclairer, peut-être parviendrons-nous à éclairer, peut-être parviendrons-nous à entrevoir ce qui donne un sens à la vie, à distinguer l'essentiel de l'accessoire, et à contri­buer, dans la limite de nos moyens, à faire régner l'harmonie dans nos coeurs et parmi les hommes.

Dans le calme voulu de nos Loges, à l'abri des turbulences de l'actualité qui ne fait que passer même si elle est angoissante, la Franc-Maçonnerie, société initiatique, se veut être le lieu privilégié où s'élabore le progrès de l'esprit, et c'est en cela qu'elle est à la pointe du progrès humain.

***

Voilà, me semble-t-il, pourquoi on devient Franc-Maçon de la Grande Loge de France, voilà aussi pourquoi on le demeure, c'est à-dire un ouvrier qui travaille sans cesse sur le chantier, pour que l'humanité comprenne qu'elle est en train de perdre son âme, si ce n'est sa vie, pour que le vent de folie qui souffle sur le monde s'apaise avant qu'il ne soit trop tard, pour que la puissance de l'Amour ait enfin raison de la violence et pour que l'homme ne soit plus le pire ennemi de l'homme, mais son Frère.

AVRIL 1981

Publié dans le PVI N° 42 - 3éme trimestre 1981  -  Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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