GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 3T/1981


La Grande Loge de France,

Terre d’Asile Maçonnique

Le 23 octobre 1921, la Grande Loge de France avait été l'une des Puissances maçonniques qui avait signé la déclaration de principe du Congrès International de Genève.

Cette déclaration précisait notamment :

— La Franc-Maçonnerie a pour devoir d'étendre à tous les membres de l'humanité les liens fraternels qui unissent les Francs- Maçons sur toute la surface du globe.

A ce principe, la Grande Loge de France n'a jamais failli depuis ce jour.

Le 25 avril 1922, le Conseil Fédéral adressait une circulaire à toutes les loges pour leur demander d'organiser les secours pour les victimes de l'effroyable famine qui régnait alors en Russie.

Dans les temples de la rue Puteaux, siège de l'Obédience, plusieurs Loges regroupaient alors les exilés Russes. Au banquet du Convent de 1923, ce fut le frère Kousmins-Karavaeff, de la Loge « Astrée » qui prit la parole au nom des Francs-Maçons russes pour remercier la Grande Loge de France de l'accueil qu'elle avait réservé à ses compatriotes exilés.

Ce fut à ce moment que l'Obédience fut proclamée « Terre d'asile maçonnique ». En fait, il n'y avait là que la confirmation d'une tradition très ancienne. Déjà, au début du XVllle siècle, les premières loges spéculatives implantées en France dans la région de Saint-Germain-en-Laye avaient été créées par des officiers écossais et irlandais obligés de fuir leur pays après la défaite des Stuarts.

Il demeure que ce fut après la guerre de 1914-1918 que les réfugiés politiques affluèrent dans les temples de la rue Puteaux. Les Loges travaillant en langue russe au sein de la Grande Loge de France devaient tenir un congrès à la fin de janvier 1949 et rappeler leur histoire déjà vieille de 27 années.

        La Loge « Astrée », créée en 1922, se voulait gardienne des anciennes traditions de la Maçonnerie russe ; elle s'intéressait surtout aux questions philosophiques et sociales.
        « L'Aurore boréale », créée en 1924, se consacrait à des recherches métaphysiques.
        « Hermès », créée elle aussi en 1924, s'intéressait surtout aux problèmes économiques.
        « La Toison d'or », créée en 1924, regroupait essentielle­ment des originaires du Caucase, de la Géorgie, de l'Arménie et des montagnards mahométans.
        La Loge « Gamaïounne », fondée en 1930, s'efforçait avant tout de répondre aux aspirations d'une nouvelle génération d'émi­grés.
        La Loge « Lotos », fondée en 1933, regroupait des Frères qui cherchaient à développer dans la Franc-Maçonnerie les affinités nées dans l'exil.

La « Toison d'or » allait donner naissance à deux nouvelles Loges. Les montagnards et les Géorgiens créaient en effet « Pro­méthée » alors que les autres membres de la Loge se regroupaient au sein de « Jupiter » qui allait devenir le plus actif des Ateliers russes de la Grande Loge de France.

Il existait, bien entendu, entre ces différentes Loges de même tradition, des collaborations étroites. Ainsi, « Hermès » avait pris en charge la formation maçonnique des jeunes Frères de tous les Ateliers russes de Paris.

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Il suffit aujourd'hui encore de parcourir l'annuaire de la Grande Loge de France pour constater que chaque nouvelle persécution dans un pays d'Europe a provoqué tout naturellement la naissance, au sein de notre Obédience, d'une nouvelle Loge d'accueil regrou­pant des Francs-Maçons en exil.

La Loge espagnole « Francisco Ferrer » a commencé ses travaux à Paris en 1910. La Loge « Rafla Libera » a vu le jour en 1913. La même année naissait la Loge espagnole - Plus ultra ».

Le 13 avril 1924, le Conseil Fédéral élevait une double protes­tation, d'une part contre la déportation du professeur Miguel de Unamuno, recteur de l'Université de Salamanque, d'autre part contre la condamnation en Russie des professeurs de Kiev.

Le Convent de 1926 adressa un message de sympathie à tous les persécutés politiques du monde.

C'était alors la montée du nazisme en Allemagne.

Le 6 mai 1933, la Grande Loge de France s'associait à la résolution prise à Bruxelles par le Comité Exécutif de l'Associa­tion Maçonnique Internationale qui déclarait :

« Le Comité Exécutif, profondément ému par les violences et les mesures d'exception dont sont l'objet dans certains pays, et particulièrement en Allemagne, plusieurs catégories de citoyens en raison uniquement de leurs origines, de leurs croyances ou de leurs opinions, fidèle aux principes de liberté, de tolérance et de justice qui sont à la base de l'Ordre Maçonnique, stigmatise devant la conscience humaine ces procédés de persécution indignes de nations civilisées, assure toutes les victimes de la sympathie agissante et incite toutes les puissances maçonniques du globe à s'unir pour assurer le respect des principes de liberté et de dignité humaine qui sont l'honneur de notre civilisation. »

A partir de 1934, ce sont les Francs-Maçons allemands, per­sécutés par le nazisme, qui se regroupent au sein de la Grande Loge de France.

En 1939, à la veille de la guerre, la dernière grande cérémo­nie maçonnique célébrée dans le temple de la rue Puteaux est l'intégration solennelle à la Grande Loge de France de la Loge

« Mozart », fondée par des Frères autrichiens qui ont été chassés de leur pays par l'arrivée des troupes hitlériennes.

En cette circonstance, le Grand Maître Michel Dumesnil de Gramont déclare :

« Frères de « Mozart », quelques-uns d'entre vous sont parfois venus remercier en ma personne la Grande Loge de France de l'hospitalité qu'elle a été heureuse de vous accorder et de l'empressement avec lequel elle vous a octroyé une patente de constitution. Croyez-le, ce n'est pas à vous de nous remercier.

C'est à nous bien plutôt de vous témoigner notre gratitude pour votre exemple de fidélité à l'Ordre Maçonnique que vous nous apportez aujourd'hui. C'est à nous, Maçons libres encore de poursuivre leurs travaux, de proclamer notre reconnaissance envers vous, Maçons proscrits qui, en ces jours chargés d'angoisse, êtes venus nous donner une retentissante profession de foi et d'espérance maçonnique. »

Le Vénérable de la nouvelle Loge, après avoir évoqué plusieurs des dignitaires autrichiens déjà tombés dans les bagnes nazis, répond alors au Grand Maître :

« Si je regarde ce Temple brillamment illuminé, je pense douloureusement à ce carré long de la Grande Loge de Vienne dans lequel nous avons reçu la lumière. Il est détruit, à moins que l'on en ait fait un musée antimaçonnique. On a pu détruire nos Temples, ô mes Frères, ils ne tueront jamais l'Esprit. »

L'écho de ces paroles prophétiques ne s'est pas encore dissipé dans le Temple de la rue Puteaux que déjà commence pour les Francs-Maçons français le temps des épreuves et des persécu­tions.

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A la fin de la guerre, on vit renaître les Maçonneries allemande, autrichienne et italienne. Par contre, les Loges durent se mettre en sommeil en Pologne, en Roumanie, en Tchécoslovaquie, en Yougos­lavie. En Espagne et au Portugal, les Francs-Maçons étaient tou­jours traqués.

« Copernic », Loge de tradition polonaise, avait été créée en 1940 à Paris, « Exilio », de Montpellier, regroupe des républicains espagnols à partir de 1945. A Toulouse, ce fut à partir de 1946 la Loge « Reconstruction », puis à Paris à partir de 1947, la Loge « Espafia ».

En 1951, deux Loges de tradition roumaine virent le jour : « La Chaîne d'union » et « La Roumanie unie ». Elles ont depuis donné le jour à « La Chaîne d'union écossaise ».

« Martinovics », fondée en 1956, est une Loge de tradition hongroise.

Terre d'accueil maçonnique, la Grande Loge de France l'a été également par les positions publiques qu'elle a su prendre contre toutes les intolérances et toutes les iniquités. Depuis, nous avons vu venir à tous nos Frères d'Egypte, d'Indochine, d'Afrique du Nord.

Au Convent de 1950, présentant un panorama de la Franc- Maçonnerie Universelle, Michel Dumesnil de Gramont, alors Grand Chancelier de la Grande Loge de France, affirmait que la Maçonnerie de l'Europe représentait la Maçonnerie militante et souf­frante. « C'est elle, disait-il, qui définit une politique propre à satis­faire un désir d'universalisme fraternel ».

Le Convent de 1956 entendit et discuta un rapport sur les Maçonneries persécutées à travers le monde.

Au Convent de 1972, les Députés des Loges votèrent une motion par laquelle la Grande Loge de France dénonçait la violence raciale et politique au nom de laquelle venaient d'être commis les crimes qui avaient ensanglanté les Jeux Olympiques de Munich.

* * *

Aujourd'hui encore, il n'est de semaine où nous ne devions accueillir quelques-uns de nos Frères sud-américains, qu'ils aient été chassés de chez eux par une dictature militaire ou par une révolution populaire.

Chez nous, ils ne trouvent pas seulement le secours matériel et l'accueil que nous leur devons. Ils trouvent surtout la chaleur d'une fraternité retrouvée.

C'est le Grand Maître de la Grande Loge d'Iran (en exil) qui confiait récemment au Grand Maître de la Grande Loge de France :

« Depuis que l'intolérance et le fanatisme on détruit nos Temple, et nous ont chassés de notre patrie, c'est seulement dans votre maison qu'il nous arrive d'oublier que nous sommes des exilés. »

Publié dans le PVI N° 42 - 3éme trimestre 1981  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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