GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 1T/1980

L'Initiation, Chemin de Vie

En quoi l'initiation est-elle chemin de vie pour le franc-maçon ? que propose-t-elle, quel est son but ?

Il se résume en un mot que l'on retrouve dans toutes les traditions, et qui est réalisation. Réalisation signifie rendre réel ; Mais qu'a-t-on à rendre réel ? essentiellement deux choses qui sont en nous potentielles, un ordre du monde et un être spirituel.

Nous avons en effet, par l'initiation à rendre d'abord réel en nous, un ordre du monde ; car la Franc-Maçonnerie dit qu'il est un ordre du monde, que le monde est soumis à des lois, que toute vie est soumise à des lois, que la vie est un dialogue incessant entre l'ordre et le désordre et que, si le temps normal est une tension vers le désordre, l'initiation est une réalisation de l'ordre.

Cette initiation tend ensuite à rendre réel en nous un être potentiel, que l'on appelle spirituel, cosmique ou transcendantal ; certains le qualifient de divin ; mais les mots importent peu et nous n'avons pas à nous laisser abuser par eux même s'ils ont été dénaturés par certaines religions ou traditions ; l'initiation doit donc nous amener à concevoir d'abord cet être spirituel, à lui donner vie, pour le mener ensuite à maturité.

Le but fondamental de l'initiation est ainsi de rendre réel un ordre cosmique et de donner naissance à un être spirituel qui est en nous potentiel. Cette initiation peut mener, dans quelques rares cas, à ce que l'on a appelé l'illumination, c'est-à-dire à la fusion ultime et totale avec le cosmos et avec le principe premier.

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Quels moyens nous sont donnés pour être initiés ? Ils sont de deux ordres, le travail sur nous-même et les rites, on peut résumer le travail sur soi-même en trois mots : éveil, ascèse, conversion.

L'éveil nous permet d'avoir la conscience claire de ce qu'est l'initiation et la volonté d'y tendre. L'éveil nous fait perdre cons­cience qu'il nous faut d'abord nous transformer nous-même, qu'il nous faut d'abord agir sur nous-mêmes avant de vouloir agir stir le monde, car il nous faut nous transformer nous-même avant de vouloir transformer le monde, car il suffit peut-être de se trans­former soi-même et d'agir sur soi-même pour agir sur le monde et le transformer. L'ascèse, dès notre entrée en maçonnerie, notre rituel nous dit que l'initiation est une succession de morts et de renaissances et que cette succession de morts et de renaissan­ces ne peut se faire qu'à travers une ascèse et des épreuves. L'ascèse nous permet de plus, et c'est fondamental, de devenir transparent à nous d'abord, aux autres ensuite et au monde enfin, cela en occultant ce que les traditions appellent selon les cas, l'ego ou le moi, c'est-à-dire un être spécifique qui est en nous avec ses problèmes, ses pulsions, ses complexes, ses besoins, sa volonté de puissance et de pouvoir, qui nous empêche, lors­qu'il est trop important, d'être transparent, être à nous-mêmes et aux autres.

Cette ascèse nous permet donc d'une part de naître et de renaître à différents plans spirituels à travers des épreuves et d'autre part de tendre vers la transparence.

Le troisième mot est conversion, mais dans son vrai sens ; là non plus il ne faut pas se laisser abuser ; la conversion définit, fondamentalement, le passage d'un regard extérieur à un regard intérieur, d'une oreille extérieure à une oreille intérieure, et donc d'une approche extérieure du monde et de soi-même par le sens, par la raison et par le mental, à une approche intérieure, et cela pour mieux se connaître. Il est indispensable en effet de se con­naître parce que se connaître c'est connaître les lois de la vie ; nous sommes un microcosme à l'image du macrocosme : nous sommes réunis aux mêmes lois que tout être au phénomène vivant ; si donc nous arrivons à nous connaître, alors nous savons « l'univers et ses dieux » ; c'est d'ailleurs un des buts des sym­boles, mythes et rites que de nous permettre cette connaissance extérieure, fondamentalement différente d'une connaissance intel­lectuelle ou scientifique car elle est vécue, globale et immédiate ; c'est cela que doit nous permettre l'initiation, de vivre de façon totale et immédiate ce que nous sommes et ce qu'est le monde ; mais cela réclame une conversion, à savoir de passer d'une écoute extérieure à une écoute intérieure, c'est-à-dire d'être à la recherche de notre intériorité. En effet, si nous avons à rendre réel en nous un ordre du monde qui y est potentiel et si nous avons à donner naissance en nous à un être spirituel, il nous faut nous « convertir «, il nous faut chercher cette vérité qui est en nous.

Ainsi le premier outil qui nous permet d'accéder à cette initiation est un travail personnel.

Le second est le rite. Il faut dire et redire que le rite est une médiation et que le rite est opératif.

Le rite est une médiation ; ce n'est pas un but en soi ; nous ne sommes pas des fétichistes qui pratiquons le rite pour le plaisir de le pratiquer ; nous pratiquons le rite parce qu'il est le moyen, l'outil qui nous est donné pour vivre cet ordre du monde et le réaliser.

Le rite est de plus opératif. Il n'est pas une pièce de théâtre, une abstraction, un jeu intellectuel, il a trait à la réalité, dans son essence même ; le rite donne la vie et construit car il rend réel dans la Loge et en nous cet ordre du monde ; par là-même il nous sacralise en nous rendant conforme aux lois de la vie, à l'ordre idéal du monde, à l' « ordre du ciel « de la tradition chinoise.

Le rite est opératif ; ainsi un rituel d'ouverture de la loge construit un temple, réellement, concrètement, De plus, à chaque fois que nous édifions un temple à l'aide de notre rituel d'ouver­ture, nous rendons un peu plus réel en nous l'ordre du monde et de la vie. De même un rituel d'initiation est opératif en ce qu'il crée réellement, concrètement, véritablement un être spirituel, en ce qu'il lui donne vie ; de plus, à chaque fois que nous vivons un rituel d'initiation, nous réalisons un peu plus cet être spirituel qui est en nous.

Cette opérativité du rite fait d'ailleurs que le temps que nous construisons à chaque tenue n'est parfait que dans la mesure où tous les frères qui sont sur les colonnes y collaborent de tout leur être, de toute leur âme ; si en effet l'un d'eux n'y participe pas, il manque quelque chose à cette loge qui est ainsi impar­faite, mal formée.

De même, lors d'un rituel d'initiation, l'être que nous essayons de faire naître ne peut être parfait que si tous les francs-maçons qui sont sur les colonnes vivent cette initiation avec lui, meurent avec lui, souffrent avec lui et renaissent avec lui. Si l'un d'entre eux n'y participe pas il lui manquera longtemps quelque chose.

Il nous faut donc dire que ces rituels d'ouverture d'initiation doivent être vécu par tous et totalement, sans affectivité ni intellectualité, tout simplement par une décision globale et totale de tout l'être.

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C'est en cela que l'initiation est chemin de vie, chemin de vie d'abord pour le franc-maçon, chemin de vie ensuite pour la Franc-Maçonnerie. C'est en effet parce qu'elle rend réel, parce qu'elle réalise, que l'initiation peut permettre aux francs-maçons d'être des hommes de lumière et à la Franc-Maçonnerie de tendre à accomplir son destin qui est d'être un des lieux spirituel du XXI° siècle.


Publié dans le PVI N° 36 - 1er trimestre 1980  -  Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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