GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 4T/1979


Psychologie du Racisme

Le mot racisme a une résonance magique et une forte tonalité affective. A la une des journaux il éveille passions, contradictions et soulève l'indignation. Pourquoi donc — tel le fantôme de la maison hantée — le racisme rôde-t-il sournois, parmi nous, tou­jours prêt à surgir sous des formes diverses qui connaissent parfois des succès de masse ? Paradoxe apparent dont l'approche psychologique peut expliquer l'enracinement profond et la menace constante.

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LE PREJUGE RACISTE

Le préjugé raciste s'appuie sur une contre-vérité. La spécifi­cité psychologique des races, sur laquelle il s'est toujours fondé, est niée par les scientifiques.

Qu'au XVIIIe siècle les premiers anthropologistes, séduits par la notion de hiérarchie raciale, aient pu tenter d'extrapoler du physique à l'intellect et au psychique ne saurait surprendre.

Ils ne faisaient que suivre l'opinion commune qui ne doutait pas de la supériorité des Blancs sur les Noirs. La craniologie débutante leur semblait suffisante pour étayer cette thèse à partir des critères morphologiques. Il est vrai qu'ils étaient tous parti­sans convaincus de l'esclavage. Cette démarche, scientifique­ment égarée, couvrant de son autorité d'absurdes théories, devait justifier les affabulations des premiers théoriciens du racisme.

Que ce soit au XIXe siècle Arthur de Gobineau, comte et diplomate français, usant de ses loisirs pour élaborer « une théorie destinée à éclairer le sens de l'histoire, l'évolution des diverses communautés qui y participent » ou l'Anglais Cham­berlain, l'un et l'autre affirment l'inégalité des races en se fon­dant sur les travaux des anthropologistes. Le second, gendre posthume de Richard Wagner, n'hésite pas — dans le subjecti­visme le plus pur — à identifier la race à partir de la seule psychologie. Des vulgarisateurs habiles répandent ces thèses dans des ouvrages de second ordre, romans à bon marché et brochures diverses. Leur succès est grand dans certains milieux qui y puisent les arguments d'un Edouard Drumont, d'un Charles Maurras. Le nazisme — les marquant de sa cruauté naturelle — en tirera des conclusions exterminatrices.

Est-il besoin d'ajouter que le préjugé raciste, scientifique­ment frauduleux, ne s'appuie sur aucune base objective solide. Même les travaux célèbres de Konrad Lorenz, couvrant une large gamme de cultures primitives et rapportant à l'instinct naturel les réactions agressives, sont contestés par beaucoup. L'hérédité ne détermine pas les capacités mentales et les comportements psychologiques. Ceux-ci sont le fait de l'apprentissage, de l'édu­cation et donc façonnés selon l'ambiance culturelle. C'est préci­sément des diversités du contexte culturel que résultent les disparités qui s'établissent inévitablement entre les individus. Mais ces différences ne sauraient se traduire en termes de hié­rarchie ; elles ne sont que les témoins de l'adaptation à l'envi­ronnement. En tout état de cause, c'est cette diversité des hommes qui constitue le point de départ de la démarche raciste.

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LA TENTATION RACISTE
Les mobiles inconscients du racisme

La tentation raciste sommeille au cœur de chacun. Affirma­tion brutale, provocante — mais aussi inquiétante — qui traduit l'extraordinaire dynamique affective qu'engendre chez l'individu la conscience de soi-même et de ses différences avec autrui. Le racisme est en effet, avec ses contradictions et ambiguïtés, refus de l'autre.

La personnalité raciste apparaît sous les traits de l'autorita­risme. Peu enclin à l'introspection, le raciste entretient avec les autres des relations dépourvues d'affectivité, au contenu pauvre et très conventionnel. Conformiste, il est avide d'un pouvoir qui donnera libre cours à son intolérance et à son agressivité. Car c'est bien celle-ci la composante la plus apparente de sa démarche.

Pour la justifier, le raciste accentue les différences qui le séparent de l'Autre. Que celles-ci soient minimes ou grandes, réelles ou imaginaires, elles sont immédiatement généralisées. Un juif est-il avare ? ils le sont tous ; ce n'est pas un Arabe qui est paresseux, mais tous les Arabes. Ce qui n'exclut pas d'avoir généralement son bon juif ou son bon Arabe pour se donner bonne conscience. Situation commode pour le raciste qui trouve, dans l'infériorité supposée de l'autre, compensation à sa propre médiocrité.

Les conditions d'élaboration de cette personnalité en expli­quent la nature. Toute personnalité se définit de manière pro­gressive autour d'un point d'équilibre entre les multiples con­traintes psychologiques que subit la conscience. L'instabilité est telle que le refus de l'Autre constitue la meilleure barrière de protection. C'est dire que selon les individus et leur niveau d'équi­libre, l'aptitude à résister ou à céder à la tentation raciste est plus ou moins grande. Que de frustations en effet depuis la pre­mière d'entre elles qu'est le sevrage ou la séparation de la mère ! Inhérentes à la vie familiale, à l'éducation, elles engendrent inévi­tablement une réaction de révolte. Cette agressivité — elle-même Intériorisée — est porteuse d'énergie affective que des soupapes de sûreté projettent sur certains objets. Parmi ceux-ci figurent les différences de l'Autre, surtout s'il appartient à une « race maudite » historiquement admise.

Le refus de la différence apparaît dès lors Refus de Soi- même détourné sur l'Autre pour préserver sa propre personnalité. Transfert d'agressivité qui justifie d'accuser l'Autre, devenu vic­time, car porteur d'une menace supposée. Selon les impulsions personnelles et le milieu culturel, l'agressivité se porte préfé­rentiellement sur le juif, l'homme de couleur ou un autre.

Véritable haine de la différence, le racisme traduit non l'am­pleur réelle des disparités mais la conscience qu'a l'intéressé de sa propre faiblesse.

La tentation raciste est à la mesure d'un Moi demeuré pri­mitif, peu différencié, submergé sous la pression des conflits où la réalité le jette. Dans une perspective freudienne, elle inter­fère au plus profond de la sexualité et exprime un fantasme d'auto- engendrement. Y a-t-il meilleur témoin de celui-ci que la pureté du sang volontiers invoquée par le raciste ? Démarche liée au besoin obsédant de nier sa propre castration — donc ses limites — et apparentée au désir inconscient de retour à l'état prénatal. Rien d'étonnant alors à ce que l'homme d'une autre race, incarnation de la différence par son seul physique, réveille l'idée redoutée, et sans cesse refoulée, de la mère interdite au désir et donc de l'impossible toute-puissance. Charge affective énorme ainsi transférée sur la race d'où l'extraordinaire dynamique et le succès facile des thèses racistes.

Cet autre dont les différences avivent le désir interdit porte la responsabilité d'une angoisse qui se retourne contre lui. Il incarne l'animalité la plus vile ; il doit expier et disparaître. C'est la condition pour que le raciste soit libéré de sa propre angoisse. D'où l'étonnante vitalité destructrice du racisme dont les géno­cides arménien et nazi du XX° siècle sont une tragique illustration.

L'analyse psychologique, même sommaire, fait apparaître une tentation raciste profonde, menace constante et pernicieuse, tou­jours prête à s'éveiller. Il est facile de se proclamer antira­ciste ; sans doute est-il plus malaisé de ne pas être raciste.

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PSYCHO-SOCIOLOGIE DE L'IDEOLOGIE RACISTE
De l'Ethnocentrisme au Racisme militant

Tout comme l'individu, le groupe tient à affirmer son identité face aux différences anthropologiques et culturelles qui le sépa­rent des autres collectivités. Ainsi s'établit entre les groupes une véritable surenchère de qualité qui les conduit à se proclamer collectivement et individuellement les meilleurs.

Cet ethnocentrisme est une attitude universelle mise en évi­dence dans les sociétés les plus primitives : les Cheyennes ne se désignent-ils pas eux-mêmes d'un mot signifiant « êtres humains » tout comme les Indiens Guayakis s'intitulent Aché ou «  personnes », les uns et les autres exprimant ainsi un sentiment de supériorité, peut-être vague mais certain.

Difficilement maîtrisable, inhérent à la nature profonde des hommes l'ethnocentrisme n'est en soi guère dangereux. Il ne fait que traduire un refus collectif des différences aboutissant à une méfiance de « l'étranger » sans intention véritablement agressive. Le comportement de certaines tribus nomades d'Amazonie, qui évitent de se rencontrer dans leurs déplacements en est l'illus­tration.

Mais l'ethnocentrisme — s'il n'en est pas la condition suffi­sante — porte en germe une condition nécessaire du racisme. Que les disparités culturelles soient rapportées à la nature bio­logique des individus — même si cette interprétation est imagi­naire, sans fondement — et le refus de la différence prend une tout autre signification ; voici franchi le pas qui conduit à l'idéo­logie raciste. Le contenu de celle-ci inventé, les fantasmes sont élaborés au nom d'une prétendue supériorité héréditaire du groupe. Fort heureusement, le passage de l'ethnocentrisme au racisme n'a lieu que sous certaines conditions.

Il faut en effet que l'ambiance valorise les différences pour que s'explicite ouvertement la démarche raciste. L'histoire nous montre le racisme toujours étroitement imbriqué à son déroule­ment ; les inévitables tensions qui la jalonnent constituent en effet le bouillon de culture propre à son émergence. Ces épiphé­nomènes servent de révélateurs au racisme social latent qui rapi­dement détourne désirs de révolte et haines de leurs objectifs premiers pour les diriger sur une minorité bouc-émissaire.

Que des antagonismes religieux aient ainsi pu amorcer cer­tains racismes n'a pas lieu de surprendre. Sans doute l'antisé­mitisme est-il né d'un antijudaïsme religieux ; mais les théologiens ont abandonné leur mise en cause et leur racisme antijuif demeure.

En fait, c'est dans les domaines socio-économique et surtout culturel que se situent les facteurs révélateurs.

Le racisme est-il un substitut à l'opposition des classes dans la société ? Telle est du moins l'opinion des marxistes qui y voient un dérivatif dont use la « classe dominante » pour imposer son idéologie. Interprétation excessive sans doute mais qui a l'avantage de souligner la composante socio-économique de l'agres­sivité raciale. D'ailleurs, même s'ils ne la partagent pas, tous les sociologues s'accordent pour faire des contraintes sociales des révélateurs du racisme ; les individus « exploités » ou simple­ment « frustrés » tournent toujours leur agressivité vers les mino­rités sans défense. L'Allemagne hitlérienne polarisa la révolte, née de la crise économique, contre les juifs tenus pour en être responsables. Même perfidie chez les exploitants d'Afrique du Sud ou d'Amérique qui cachent une politique de profit derrière l'alibi du racisme antinoir.

Ce sont surtout les oppositions culturelles qui révèlent le racisme. Toute culture implique un mode de vie, un système de référence. L'un et l'autre contribue à définir l'identité du groupe qui en fait — non un acquis — mais une propriété de nature et s'efforce de la préserver. Toute confrontation des cultures, cata­lyse le souci de protection du groupe et peut ainsi induire le racisme. Mais à l'inverse, et de façon assez curieuse, la dilution des cultures dans l'égalitarisme croissant des sociétés modernes fait également naître un racisme, témoin du désir de préserver le groupe d'une homogénéisation susceptible de gommer ses particularités propres. C'est en ce sens qu'on a pu qualifier le racisme de « fruit du siècle des lumières », image qui n'est para­doxale qu'en apparence.

Au total, il apparaît que les mécanismes psychologiques du racisme échappent par nature à toute possibilité de maîtrise défi­nitive. Le racisme s'enracine dans l'inconscient pour des motifs qui tiennent à l'histoire affective de l'individu. Motifs obscurs mais qui n'en sont que plus puissants, empêchant le raciste de renoncer à sa démarche même s'il en perçoit intellectuellement la faus­seté. Il plonge par ailleurs au plus profond de la culture des socié­tés servant de réponse aux frustrations qu'elles secrètent.

Gardons-nous donc de verser dans l'utopie. Tout autant que nier l'évidence, il est vain d'espérer la disparition du racisme. Il faut au contraire compter avec la menace constante qu'il fait peser sur le monde.

Face au danger doit se poursuivre un combat inlassable. Non seulement en dénonçant devant l'opinion tous les faits de racisme, si mineurs soient-ils. Mais par une mobilisation des esprits, une vigilance de tout instant, un effort personnel continu afin que — dans le respect de l'altérité — se transmette d'homme à homme un message de fraternité.

Publié dans le PVI N° 35 - 4éme trimestre 1979  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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