GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 4T/1979 |
Le Temple de Salomon Parmi les monuments
qui ont marqué l'histoire des hommes, une place toute particulière doit être
réservée au temple du roi Salomon. Il en est, certes, de plus anciens ; il en
est, certes, de plus splendides. Mais il n'en est aucun qui soit plus chargé de
cette intensité émotionnelle, tout à la fois magnifique et dramatique. Aussi,
n'est-il pas surprenant que cet édifice, qui a constitué à l'origine l'hommage
de son peuple à son dieu, ait acquis une valeur et une signification qui
dépassent de beaucoup sa destination initiale. Le livre des rois
rapporte que le Temple fut construit par Salomon dans sa plus grande gloire.
Quelques controverses se sont élevées sur les dates exactes du début et de la
fin du règne de Salomon dont nous savons qu'il dura quarante ans. Mais il
semble qu'on puisse le fixer entre l'an 972 et l'an 932 avant l'ère chrétienne.
Le livre des chroniques précise, quant à lui, que Salomon commença à bâtir la
maison de l'Eternel sur la montagne de Moriju, le second jour du second mois de
la quatrième année de son règne. Si on en croit les
Ecritures, la tâche de construire le temple a été confiée par Dieu lui-même à
Salomon. L'Eternel, en effet, avait jugé que le roi David, en raison des
guerres nombreuses qu'il avait menées, n'avait pas pu accomplir cette oeuvre et
que la mission en revenait à celui qui lui succèderait. « Ton fils, que je
mettrai à ta place sur ton trône, — dit Dieu au vieux roi —, ce sera lui qui
bâtira une maison en mon nom ». A vrai dire, cette
construction, comme on s'en doute, ne fut pas une mince affaire. L'ancien
testament rapporte que pour cette entreprise, Salomon compta parmi les sujets
de son royaume 70.000 hommes pour
porter les fardeaux, 80.000 hommes pour tailler les pierres dans la montagne
et... 3.600 pour les surveiller. On conviendra volontiers que ce taux
d'encadrement n'avait rien d'excessif ! ! ! Quoi qu'il en soit,
le projet se veut grandiose, ou plutôt royal, et Salomon le définit lui-même en
ces termes : « J'élève une maison au nom de l'Eternel, mon Dieu, pour la lui
consacrer, pour brûler devant lui le parfum odoriférant, pour présenter continuellement
des pains de propositions et pour offrir les holocaustes du matin au soir, des
sabbats, des nouvelles lunes et des fêtes de l'Eternel ». N'accusons pas trop vite
notre grand roi de mégalomanie. Le temple chez les Hébreux, comme d'ailleurs
chez d'autres peuples, est la maison de Dieu. Il est censé représenter
l'univers dans son entier et la terre et les montagnes et la voûte étoilée ; un
univers que Dieu habite et dans lequel il est constamment présent. Dans ces
conditions, selon un schéma qui sera repris par notre ordre maçonnique, tout
est symbole dans le temple. Le temple lui-même est un symbole, le plus grand
des symboles, le symbole qui renferme tous les symboles. Rien d'étonnant à ce
que tout y soit ordre et harmonie ; l'harmonie du temple lui-même n'étant en
miniature rien d'autre que l'harmonie du Cosmos. ** La construction du
temple de Salomon ne fut pas l’œuvre du seul peuple hébreux, même si celui-ci y
prit évidemment une part considérable. Nous avons trop tendance, en effet, à
considérer le monde antique comme une somme d'entités fermées, cloisonnées,
repliées sur elles-mêmes. Mille ans avant l'ère chrétienne, la Palestine se
présente comme un véritable carrefour où se rencontrent des civilisations
diverses. Le peuple hébreux lui- même a beaucoup voyagé. De Babylonie et de
Mésopotamie d'où il vint jadis sous la conduite d'Abraham, il a été initié à
l'art des palais, des temples et des jardins. Pendant sa longue captivité en
Egypte d'où Moïse le fit sortir, il a approché les secrets des Pyramides,
l'architecture, la géométrie, l'astronomie. La Palestine elle-même se trouve
sur la route de nombreuses caravanes ; certaines à travers, le désert de Schur
et la vallée du Nil établissent la liaison avec les profondeurs épaisses de
l'Afrique noire. D'autres, par la
Cilicie et l'Asie mineure, vont à la rencontre de la pensée grecque. D'autres,
enfin, par les vallées du Tigre et de l'Euphrate, jettent un trait d'union avec
l'irrésistible Orient. A l'époque de
Salomon, de nombreux étrangers sont installés sur le territoire de la Palestine
et le roi ne va pas manquer de faire appel à eux pour la réalisation de son
grand dessein. Il compta tous les étrangers qui se trouvaient dans le pays
d'Israël et en recensa cent cinquante-trois mille six cents. Parmi eux, il en
prit soixante-dix mille pour porter les fardeaux, quatre-vingt mille pour
tailler les pierres dans la montagne et trois mille six cents pour les surveiller
et les faire travailler. Les étrangers affectés à la construction du temple se
trouvaient donc en nombre égal à celui des Israéliens, avec une répartition
identique. Ces données
éclairent véritablement ce que fut cette oeuvre colossale. Le temple est, à
l'échelle évidemment de son époque, le produit d'une pensée universelle dont
les éléments épars ont été précipités dans le creuset de la Palestine. Ce
mouvement, en quelque sorte naturel, qui tenait à la géographie et à
l'histoire, a été renforcé par l'action du roi Salomon lui-même. Non content de
faire appel aux étrangers, il va faire alliance avec Hiram, roi de Tyr. Et c'est Hiram qui
fournira ces bois de cèdre du Liban qui sont si précieux pour la construction
du temple. Il fournira également des artisans, tailleurs de pierre,
charpentiers, orfèvres, experts dans l'exercice de leur art. En échange,
Salomon enverra à Hiram vingt mille cors de froment, vingt mille cors d'huile
d'olive et du vin, tous ces produits que la Phénicie était obligée d'importer.
Trente mille hommes de corvée furent alternativement envoyés au Liban pour y
ramener des cèdres. De grandes et magnifiques pierres furent taillées par les
Israéliens et les Tyriens. Les Ecritures nous
donnent un très grand nombre d'indications sur le temple, même si beaucoup
d'entre elles n'ont pas toujours un bien grand degré de précision. La maison de
l'Eternel se présente sous forme d'un rectangle dont la longueur (soixante
coudées) était triple de la largeur (vingt coudées). Devant le temple, un portique
qui répondait exactement avec ses vingt coudées à la largeur de la maison. Les
fenêtres ont été solidement grillées. L'édifice qui, outre le temple lui-même,
intègre le palais du roi et de sa suite nombreuse, comporte trois étages. Le
livre des rois rapporte que les pierres qui ont servi à la construction du
temple ont été auparavant si justement taillées que « ni marteau, ni hache, ni
aucun instrument de fer, ne furent entendus dans la maison pendant qu'on la
construisait ». Nous savons
également qu'après la construction du temple, Salomon en fit revêtir les murs
intérieurs de planches de cèdres et le sol de planches de cyprès de telle sorte
qu'on ne voyait aucune pierre. Le bois de cèdre offrait, par ailleurs, des
sculptures de coloquintes et des fleurs épanouies. Au fond du temple et en son
milieu fut établi le sanctuaire destiné à recevoir l'arche de l'alliance avec
l'Eternel. Salomon le fit couvrir d'or pur. Dans le sanctuaire se trouvent
également deux chérubins de bois d'olivier sauvage qui ont les ailes déployées. Outre les matériaux
qu'il devait lui fournir, le roi de Tyr allait également rendre un autre
service à Salomon. Il lui envoya un homme rempli de sagesse, d'intelligence et
de savoir-faire nommé également Hiram, ou plus exactement Hiram Abi, dont le
livre des rois nous dit qu'il était fils d'une veuve de la tribu de Nephtali et
d'un père tyrien. Notre maître Hiram est « habile pour les ouvrages en or, en
argent, en airain et en fer, en pierre et en bois, en étoffes teintes en
pourpre et en bleu, en étoffes de byssus et de carmin et pour toutes espèces de
sculptures et d'objets d'art qu'on lui donne à exécuter ». Bref, il est facile
de constater que celui que nous considérons comme notre précurseur était
vraiment passé maître des disciplines de son temps. Le roi Salomon allait faire
appel à ces compétences variées. Hiram reçut la
charge d'effectuer les deux colonnes d'airain placées à l'entrée du temple. Sur
ces colonnes ont été placés deux chapiteaux également en bronze ainsi que des
treillis en forme de réseaux, et des chaînettes qui sont d'ailleurs le pendant
de celles qui se trouvent dans le sanctuaire. Autour des treillis et pour
couvrir chacun des chapiteaux, se trouvent des grenades. Hiram dressa les
colonnes dans le portique du temple et nomma celle de droite Jackin et celle de
gauche Boaz. Mais là ne s'arrêta
pas la tâche d'Hiram. Il effectua également la mer de fonte qui servait aux
ablutions des purificateurs. Celle-ci se présentait sous une forme entièrement
ronde avec un diamètre de dix coudées. Des coloquintes disposées sur deux rangs
et fondues, avec elle, d'une seule pièce, l'entourent au-dessous de son bord.
La mer de fonte repose sur douze bœufs dont trois sont tournés vers le nord,
trois vers l'occident, trois vers le midi, trois vers l'orient. Hiram fabriqua
également des ustensiles divers pour le temple : des bassins, des cendriers,
des pelles, des tables sur lesquelles on mettait des pains de propositions, des
lampes, des brasiers. Le temple recevra également l'argent, l'or et tous les
ustensiles que David a consacré et qui viendront prendre place dans les trésors
de la maison de Dieu. La construction du
temple dura sept ans. Il en faudra encore treize pour celle du palais qui fait
partie du même ensemble. Lorsque le temple fut achevé, Salomon assembla à
Jérusalem les anciens d'Israël et tous les chefs des tribus, les chefs de
famille des enfants d'Israël pour transporter l'arche de David qui était à
Sion, à l'intérieur du temple. Les réjouissances furent immenses et conformes
aux traditions du temps. On immola, dit-on, vingt- deux mille boeufs et cent
vingt mille brebis tandis que sonnaient les trompettes. La fête dura sept
jours. Une grande multitude était venue depuis les environs de Hamath jusqu'au
torrent d'Egypte. Nous ne nous
attarderons pas sur les éléments de la prière de Salomon lors de la dédicace du
temple. Mais nous retiendrons que le roi souhaite que ce temple ait une valeur
universelle. Ainsi, il demande à Dieu que l'étranger qui n'est pas du peuple
d'Israël puisse venir y prier — conception audacieuse si l'on s'en tient aux
usages d'alors. Arrêtons-nous
quelques instants sur le personnage du roi Salomon qui fut incontestablement un
des plus grands rois de l'Antiquité. Le trait qui domine, tel qu'il nous est
rapporté par les Ecritures, est la SAGESSE. « Dieu donna à Salomon de la sagesse, une
très grande Intelligence et des connaissances multiples comme le sable qui est
au bord de la mer. La sagesse de Salomon surpassait la sagesse de tous les fils
de l'Orient et toute la sagesse des Egyptiens. Il était plus sage qu'un homme,
plus qu'Ethon, l'Ezrachite, plus qu'Heram, Calcol et Dardo, les fils de Machol
; et sa renommée était répandue parmi toutes les nations d'alentours. Il a
prononcé trois mille sentences et composé mille et cinq cantiques. Il a parlé
sur les arbres depuis le cèdre du Liban jusqu'à l'hysope qui sont de la
muraille ; il a aussi parlé sur les animaux, sur les oiseaux, sur les reptiles
et sur les poissons. Il venait des gens de tous les peuples pour entendre la
sagesse de Salomon, de la part de tous les rois de la terre qui avaient entendu
parler de sa sagesse. » Cette sagesse, il
allait d'ailleurs la rassembler sous forme d'une philosophie quelque peu
désabusée dans ce livre qui lui est attribué et qui reste parmi les plus
célèbres de la Bible, « l'Ecclésiaste ». « Quel avantage
revient-il à l'homme de toute la peine qui se donne sous le soleil ?
s'interroge le roi. Une génération vient, une autre s'en va, une autre vient et
la terre subsiste toujours. Le soleil se lève, le soleil se couche ; il soupire
après le lieu d'où il se lève de nouveau. Le vent se dirige vers le midi,
tourne vers le nord ; puis il tourne encore et reprend les mêmes circuits. Tous
les fleuves vont à la mer... L’œil ne se rassasie pas de voir et l'oreille ne
se lasse pas d'entendre. Ce qui a été, c'est ce qui sera, et ce qui s'est fait,
c'est ce qui se fera, il n'y a rien de nouveau sous le soleil. » Le sage sait
d'ailleurs que rien n'est gratuit, pas même la sagesse et il nous dit encore :
« Avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de chagrin et celui qui augmente sa
science augmente sa douleur ». Mais le sage connaît aussi la valeur des choses. « Une bonne
réputation vaut mieux que le bon parfum ». Ou encore : « Deux valent mieux
qu'un parce qu'ils retirent un bon salaire de leur travail. Car, s'ils tombent,
l'un relève son compagnon ; mais malheur à celui qui est seul et qui tombe,
sans en avoir un second pour le relever ». Et le sage sait enfin « qu'il y a un
temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux : un temps pour
naître et un temps pour mourir. » Pourtant, il ne
faudrait pas s'imaginer le roi Salomon sous les traits d'un bigot ridiculisé
par Molière qui n'aurait de cesse de serrer sa haire avec sa discipline. Même
si on doit faire la place à la légende — et, je l'avoue, je crois aux légendes
— il me plaît que le grand roi écrivît le livre que je considère comme le plus
beau de tout l'ancien testament, j'ai dit le cantique des cantiques. Or, ce
n'est rien d'autre qu'un chant d'amour à l'état pur, quoi qu'en disent et quoi
qu'en prétendent certains théologiens. « Tes yeux sont comme des colombes,
derrière ton voile
Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres Suspendues aux flancs de la montagne de Goload Tes dents sont comme un troupeau de brebis tondues qui [remontent à l'abreuvoir... Tes lèvres sont comme un fil cramoisi Et ta bouche est charmante Ta joue est comme une moitié de grenade Derrière ton voile Ton cou est comme la tour de David Bâtie pour être un arsenal Tes deux seins sont comme deux faons Comme les jumeaux d'une gazelle Qui paraissent au milieu des lis. » Le roi était un
connaisseur. Il savait, en effet, de quoi il parlait. Salomon aima beaucoup de
femmes, rapportent les Ecritures, « des Moahites, des Ammonites, des Edonites,
des Sidoniennes, des Hethiennes ». Il eut, nous dit-on, « sept cents princesses
pour femmes et trois cents concubines ». Je soupçonne que le livre sacré a, en
l'occurrence, un peu cédé à une imagination orientale mais qu'importe. Il
reçut même les hommages de la reine de Saba venue à Jérusalem pour éprouver sa
sagesse mais avec laquelle les relations ne restèrent pas purement plato-
niques. Ces nombreuses
femmes devaient provoquer à Salomon quelques ennuis. Non point que le grand
roi fut blâmé pour quelque libertinage. Mais les gardiens vigilants de la loi
d'Israël ne pouvaient tolérer que ces femmes fussent des étrangères. Or, la
première femme de Salomon fut précisément une Egyptienne, une fille d'un
pharaon dont le seul nom évoquait la captivité d'un peuple hébreux. Et les
autres appartenaient aussi à des nations vers lesquelles, selon la loi
hébraïque, les enfants d'Israël ne devaient pas aller. « Ces femmes, nous
disent les Ecritures, détournèrent le coeur de Salomon et l'inclinèrent vers
d'autres dieux. » Mais, ne nous
éloignons-nous pas de notre propos initial ? Le temple de Salomon ? Non. Car
tout est lié. Le temple que Salomon avait voulu comme un symbole de
l'universalité allait être détruit sous les coups du fanatisme et de
l'intolérance, Cette destruction allait venir, bien sûr, des ennemis de
l'extérieur mais aussi des querelles de ceux qui, se voulant les héritiers du
roi, oublièrent pourtant les principes de la sagesse. Le temple fut
détruit une première fois en 586 avant Jésus- Christ par Nabuchodonosor, roi de
Babylone. « Les Chaldéens, nous disent les Ecritures, brisèrent les colonnes
d'airain de la maison de Jahvé ainsi que la mer d'airain qui se trouvaient dans
la maison de Jahvé et ils en emportèrent l'airain à Babylone ». Toutefois, le
temple sera reconstruit une première fois sous une forme assez sommaire par
Zorobabel et d'une façon plus grande et plus belle par l'Iduméen Hérode le
Grand. Ces reconstructions ne correspondaient pas à la conception initiale,
bien que la construction d'Hérode fut magnifique. Le Christ connaîtra ce
temple. Il est tout neuf puisque l'édification n'a commencé que vingt ans avant
l'ère chrétienne et que les ouvrages extérieurs ne sont pas complètement
terminés. Le temple joue un rôle important dans la vie et dans la mort du
Christ. Jésus y passait ses journées durant le temps qu'il séjournait à
Jérusalem. Il y prêcha. Il tenta de s'y faire écouter, mais en vain. Jésus
n'aima jamais le temple. Il refusera d'en admirer la beauté qui, pourtant,
retenait ses disciples. Il disait qu'on avait fait de la maison de prières une
caverne de voleurs. Un jour, même, la colère l'emporta et il frappa à coups de
fouets les marchands qui y avaient installé leur étal. Un autre jour, il prédira
la destruction du temple car il est, à ses yeux, associé à l'enseignement des
Scribes et des Pharisiens hypocrites qui, selon lui, ont pris la clef de
sciences et s'en servent pour fermer aux hommes le royaume des cieux. Quelques
années plus tard, devant le sahedrin bien décidé à le condamner à mort, sera
retenue cette phrase imagée et peut-être aussi maladroite : « Je détruirai le
temple et je le rebâtirai en trois jours. » Effectivement, le
temple sera détruit en 70 après Jésus-Christ à l'heure de la première
insurrection juive. La destruction sera renforcée par Hadrien qui y fit élever
une statue de Jupiter. Sur l'emplacement du temple s'élève aujourd'hui la
magnifique mosquée d'Abd El Melik que le calife Omar qui s'emparera des lieux
saints en 638 commencera à construire de ses propres mains. Ainsi s'achève
l'histoire du temple de Salomon. Construit par les hommes pour unir les hommes
avec le principe universel, il a été détruit par les querelles des hommes qui,
souvent, s'égaraient dans leur passion. Et Jérusalem, lieu saint entre les
lieux saints que revendiquent plusieurs religions du monde, n'a souvent été que
le théâtre de la casuistique et des disputes scolastiques. Mais, surtout, la
ville fut l'enjeu de rivalités sanglantes conduites au nom de l'aveuglement de
la foi et d'une conception étrange de l'amour du prochain. Aujourd'hui personne
ne reconstruira le temple. Et le mur des lamentations à Jérusalem, s'il
rappelle cet emplacement illustre, symbolise aussi sa perte irréparable. Pourtant, nous ne
gémirons pas. Nous ne gémirons pas car nous savons. En dépit de toutes les
avanies de siècles secoués par les orages, il reste l'essentiel. Les matériaux
qui ont servi à l'édification du temple ont été retrouvés. L'esprit du temple
se perpétue. Aujourd'hui, en effet, dans des milliers de temples répandus sur
la surface du monde, les Francs-Maçons qui ont retrouvé l'enseignement de leur
Maître Hiram construisent leur temple, ou plutôt le temple, temple de la
sagesse, temple de la lumière, temple de la fraternité. Qu'importe alors que la
filiation ne soit pas nettement établie au sens historique du terme entre les
constructeurs du temple de Salomon et les constructeurs de cathédrales qui sont
nos lointains ancêtres. Qu'importe, enfin, que des solutions de continuité
parfois longues apparaissent de-ci, de-là dans l'histoire merveilleuse et
passionnante de l'ordre maçonnique. Il s'est établi une filiation spirituelle
infiniment plus forte que toutes les filiations charnelles, qui égrènent ses
maillons au rythme du temps. C'est la longue chaîne de tous ceux qui ont voulu
bâtir, la longue chaîne de tous ceux qui ont refusé l'égarement des passions et
les préjugés de l'ignorance pour porter leur regard vers la lumière. Et comment tout
cela fût-il possible ? Le mystère du temple nous apporte la réponse. Dans ce
lieu très éclairé et très fort, s'estompent, grâce à la pratique du symbolisme,
les différences de langage dues aux différences d'éducation et de formation
sociale. Le visible, a-t-on dit, n'est que le reflet de ce qui est invisible.
Et ce que le langage profane avec ses mots usés ne peut atteindre, le
symbolisme maçonnique permet de le pénétrer tout au long d'une découverte
initiatique. Alors commence véritablement une vie nouvelle plus riche de solidarité
et de morale. Le temple de Salomon qui s'identifie selon les prescriptions de
l'époque à la perfection même a été construit selon des règles bien précises de
la géométrie, selon des principes d'harmonie qui retrouvaient les nombres de la
nature, les rapports éternels des choses, les lois de l'univers, les rapports
du corporel et du spirituel, des forces des effets et des causes. Dans les
loges du Moyen Age construites souvent au pied des cathédrales, les maçons
opératifs se transmettaient les secrets de l'Art Royal et du nombre d'or. Ils
gardaient aussi la nostalgie de reconstruire le temple de Dieu en Terre sainte.
Aujourd'hui, dans un temple qui s'inspire dans sa disposition de l'antique
temple de Salomon, les francs-maçons échangent les secrets d'une méthode de perfectionnement
intérieur. Pour l'initié, le temple représente beaucoup de choses. C'est dans
le temple qu'il a subi la plupart de ses épreuves, effectué ses voyages
symboliques, reçu la lumière. C'est dans le temple qu'il a effectué ses travaux,
prononcé ses serments, rendu hommage au Grand Architecte de l'Univers. En
définitive, le mystère du temple nous révèle que le temple de Salomon et le
temple maçonnique ne forment qu'un seul temple. Certes, nous ne voulons pas
être présomptueux et nous savons que, comme tout ce qui relève du génie humain,
le temple n'est pas à l'abri des préjugés, des superstitions, des folies et des
mensonges. Mais nous savons aussi que dans le temple le franc-maçon peut progresser
sur le sentier de la sagesse qui, précisément, faisait la haute réputation de
Salomon. Alors, sont définitivement rompues les contraintes du temps et de
l'espace. La chaîne qui prend appui sur les colonnes du temple relie d'une
façon égale l'initié d'hier et l'initié d'aujourd'hui, comme elle reliera
bientôt l'initié de demain. Et dans l'enceinte pure et protégée, l'homme
retrouve tout ce qui le relie à son environnement cosmique, il retrouve la
grande harmonie des lois universelles, il retrouve le principe créateur d'un
univers ordonné. |
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