GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 2T/1979 |
Fraternité Universelle « La
Franc-Maçonnerie est un ordre initiatique, traditionnel, et universel, fondé
sur la Fraternité ». Elle constitue une
Alliance d'Hommes libres et de bonnes mœurs, de toutes races, de toutes
nationalités et de toutes croyances. » Tels sont les deux
premiers paragraphes de notre Constitution. C'est donc une épreuve et une
gageure pour un Franc-Maçon de la Grande Loge de France que de venir vous
entretenir du Racisme, car pour nous Francs- Maçons le mot même de Racisme est
privé de signification. Nous pouvons penser
que plus personne n'oserait écrire comme le 8 août 1900 Paul Déroulède à
Maurice Barrès : » Oui, voilà ce que nous avons voulu, voilà ce que nous
voulons, voilà ce qu'il faut poursuivre : rendre à ce pays sa conscience
nationale, renationaliser la France que dénaturent les Naturalisés ; noyer le
flot étranger, germanique, saxon ou sémite dans l'immensité populaire ». En
1900, cette grande profession de foi nationaliste reposant sur la notion même
de Racisme n'était alors que le reflet politique des exactions racistes passées
ou futures. Que faut-il
rappeler dans la masse des manifestations délirantes ou quelquefois grotesques.
Les Nazis n'avaient rien inventé en imposant aux Juifs, en leur seule qualité,
arbitrairement déterminée de Juifs, le port d'un signe distinctif : le port de
l'Etoile jaune. Le Concile d'Arles en 1255 avait déjà, sept siècles plus tôt,
imposé aux Juifs le port de la Rouelle, signe particulier de couleur jaune qui
devait être cousu de façon fort apparente sur leurs vêtements. Vers 1391, un
siècle plus tard, 4 000 Juifs furent assassinés dans un progrome de Séville. Au
début du XV° siècle, la même mesure : le port de la Rouelle est étendu aux
Maures, c'est-à-dire aux Musulmans réunis cette fois aux Juifs dans le même
rejet par la toute puissante Eglise d'Espagne. Martin Luther King
n'est pas si ancien, puisque la commission chargée de retrouver les conditions
réelles de son assassinat n'a toujours pas déposé ses conclusions. Mais la
discrimination n'est pas purement religieuse, elle est bien d'essence raciale
et tend à séparer certains êtres humains minoritaires et arbitrairement
déterminés du reste de la Nation. Cette discrimination va — pour rester dans
l'Espagne d'alors — se manifester par une série d'interdictions qu'il convient
de rappeler car l'imagination paraît sans limites dans ce domaine :
interdiction de posséder des armes mais aussi privation du droit d'occuper
toutes charges et offices ; interdiction de changer de résidence ; interdiction
d'exercer certaines professions et quelles professions : boucher, épicier,
charpentier... ; interdiction de porter des vêtements de soie ; interdiction de
boire avec des Chrétiens, de manger avec les Chrétiens, de parler aux Chrétiens
; et, pour couronner la liste des interdictions, une obligation : celle de
porter la barbe. Le dérisoire se mêle à l'odieux. Ne nous attardons
pas sur les horreurs de l'Inquisition certes plus essentiellement religieuse
mais relevant du même caractère : ne pas supporter que l'Autre soit différent
dans sa couleur, dans ses moeurs, dans ses coutumes, dans ses croyances ou dans
sa façon de vivre. Pour sortir de
l'Espagne, rejoignons l'Italie pour rappeler que le mot « ghetto » naquit à
Venise où cet ensemble architectural du XVIe siècle demeuré intact, prend
aujourd'hui toute sa valeur émotionnelle avec ses immeubles inhabituels par
leur hauteur et §es tours qui flanquent les portes d'accès à ce parcage
obligatoire des Juifs. Nous savons les
efforts américains pour tenter de résoudre le problème de la coexistence d'un
peuple noir et d'un peuple blanc, et même la dernière guerre mondiale qui les
avait unis dans un même combat contre l'Allemagne nazie, qui elle avait érigé
le racisme en règle absolue, ne réussit pas à assurer cette coexistence. Si le
Ku Klux Klan n'attire plus l'attention ce n'est que depuis une ou deux
décennies. Mais nous avons à 'l'esprit ces luttes pour que de jeunes enfants
noirs puissent avoir accès aux mêmes écoles que les enfants blancs. Nous
connaissons aussi les pays de l'intégrale ségrégation raciale. Et puis,
l'assassinat du Pasteur C'est
volontairement que nous n'avons pas jusqu'alors parlé de la France, car son
histoire nous est plus familière. Au moins en ce qui concerne les Juifs,
l'affaire Dreyfus aurait dû être un sérieux avertissement et les études
éminentes de l'historien Poliakoff devraient constituer pour l'avenir la somme
de ce que nous ne pouvons plus ignorer. Mais nous savons — outre la 'lettre de
Déroulède, dont le thème doit bien demeurer dans certaines arrière-pensées,
caché sous la bannière honorable du nationalisme, le curieux privilège de M.
Darquier de Pellepoix. C'est bien un Français qui a nié l'existence même du
fantastique génocide nazi. Car le raciste même quand il se reconnaît, nie
souvent les mesures extrêmes auxquelles il parvient dans la logique absurde de
son système. C'est le cas du
génocide arménien par les Turcs en 1915. La solution à l'existence d'un peuple
« autre », étranger sur le territoire turc, l'Ararat, débute au mois d'avril
1915. La déportation systématique est assortie d'un génocide d'une grande
précision. Quelques exemples sont bien significatifs : sur un convoi de 3 000
exilés, ne parviennent à Alep que 35 femmes et enfants ; et sur un autre
convoi, sur 18 000 personnes, 150 femmes et enfants arrivèrent à destination.
Le 9 septembre 1915 est signé par Talaat le terrible décret : « Le droit des
Arméniens de vivre et de travailler sur le territoire de Turquie est totalement
aboli ; le gouvernement assurant toutes les responsabilités à ce sujet a
ordonné de n'en même pas laisser les enfants au berceau ». Combien de disparus
dans ces prémices au plus grand des génocides de l'histoire ? L'inorganisation
des populations visées, leur passivité pastorale ne permettent pas d'en fixer
le nombre avec exactitude mais on peut avancer le chiffre d'un million et plus
probablement un million et demi d'êtres humains, uniquement parce qu'ils
étaient Arméniens. Et c'est parce qu'ils étaient Tziganes qu'Hitler les dirigea
vers •les chambres à gaz. Le Nazisme avait tenté quelque délirante explication
scientifico-sociale à son Racisme antisémite et la multiplicité des progroms
préliminaires dès 1935 laissait entrevoir au moins les persécutions contre les
Juifs mais, rien ne laissait prévoir cette rafle des Tziganes et leur
extermination. Rien, sinon que partout, ils étaient « Autres », race ou
particularité de mœurs, vivant dans un monde qui leur était propre. Deux cents, trois
cent mille morts dans les camps de la mort, blonds ou bruns, amenés à la mort
parce qu'ils n'étaient pas comme les autres : c'est le Racisme à l'état pur. A
ce stade, nous avons pleinement conscience de ne rien apprendre à quiconque de
nos auditeurs mais il nous est apparu nécessaire de rappeler que la pensée
raciste ne peut mener à partir de petites interdictions qu'aux solutions
finales dramatiques. Il nous est apparu que l'émotion soulevée par le film
Holocauste 35 ans après le génocide nazi était révélatrice, car l'horreur
éclatée en 1945 était comme enfouie dans l'oubli en 1979. Comme est soigneusement
enfoui le génocide arménien de 1915, comme est enfoui le génocide tzigane
derrière les pancartes interdisant leur campement à l'entrée des villes. Notre civilisation
européenne constitue un bien étrange carrefour, car elle est lieu géométrique
entre les civilisations helléniques puis latines et les civilisations venues du
Moyen-Orient, ce que l'on convient d'appeler les civilisations
Judéo-Chrétiennes. Mais nous sommes aussi fils des Huns, des Vikings, des Goths
et autres Wisigoths, nous sommes fils des Barbares les plus sanguinaires qui
déferlèrent de par le monde. Certes, les notions
de civilisation l'ont emporté et les rapports de droit ont remplacé, du moins
en principe, les rapports de force. Tout cela est bien récent dans 'l'histoire
de l'humanité, moins de deux mille ans. Mais le Barbare est toujours présent ;
prêt à resurgir, et qui peut lui faire comprendre qu'il doit admettre l'autre,
l'étranger tel qu'il est. Le Barbare est fait pour vaincre, en tuant ou en
mourant, mais seule la victoire s'impose à lui, l'autre n'existe pas ou il
cède. Le Barbare qui git encore en nous ignore la Tolérance, et 'le mot
Fraternité ne s'étend pas pour lui à ceux dont il diffère. * * * La Grande Loge de
France a toujours cultivé en son sein ce double Idéal de la Tolérance et de la
Fraternité, nous le rappelions en notre début, mais rarement son action fut
menée sur le Forum. Cependant face aux
menaces constantes, fidèle à ses Idéaux de Fraternité et de Liberté incarnés
par des Frères comme Voltaire ou l'Abbé Grégoire, la Grande Loge de France a
décidé d'organiser une journée consacrée au Racisme avec votre participation. A
Paris le 16 juin 1979, aura lieu en l'Hôtel du Palais des Congrès, un colloque
consacré aux problèmes du Racisme. Et le même jour
dans les grandes villes de province, nous organiserons, selon leur vocation
propre, des journées de travail ou d'information, chacun apportant sa pierre à
la construction du Temple où ne peuvent régner que la Fraternité et la
Tolérance. La vaste Chaîne
d'Union qui relie entre eux les Francs-Maçons, s'étendra ainsi par-delà le
temps, par-delà l'espace à tous ceux, à toutes celles qui souffrirent ou
trouvèrent la mort, victimes de la bête Immonde, le Racisme. MAI 1979 |
P033-5 | L'EDIFICE - contact@ledifice.net | \ |