GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 1T/1979

Egalité et Identité

C'est la Franc-Maçonnerie française qui a inspiré à la République sa devise : «  Liberté, Egalité, Fraternité ».

Cette formule ésotérique définit et résume à elle seule l'ascèse individuelle de l'initié dans le cadre collectif de la Loge.

Elle s'est trouvée projetée dans le monde extérieur où, sous la lumière crue de la rue, elle a pris peu à peu un sens et une portée radi­calement opposés à son contenu initiatique.

L'initié sait en effet que la liberté n'est pas un état absolu, objectif et définitif. C'est une situation relative, subjective et fugitive.
On n'est pas libre ou esclave. On est plus ou moins libre et plus ou moins assujetti aux contingences héréditaires, éducatives, sociales, économiques.
La liberté ne s'acquiert pas d'un seul coup comme on achète une paire de chaussettes ou une barre de nougat.
C'est une conquête de tous les jours, un effort opiniâtre de réflexion, de remise en cause, de retour sur soi-même, de vérification et de contrôle.

Par liberté, nous entendons la libération de l'homme qui, par un travail incessant, se débarrasse de tous les préjugés qui obnubilaient sa conscience et entravaient son action, afin de n'admettre pour valables que les contraintes naturelles de sa condition humaine.

La liberté du Franc-Maçon, c'est le refus des conditionnements arbitraires nés de la lente et insidieuse emprise de la Société sur I 'individu.

En contrepartie de cette liberté individuelle qui puise sa source dans le refus et cherche son aboutissement dans la connaissance, l'initié, qui se sait et se veut homme, s'efforce de dégager, d'éclairer et de pro­mouvoir ,les lois véritables qui régissent 'la vie en Société.

Car, loin de chercher à s'extraire de la collectivité, sachant qu'il est lui-même un élément original et unique du corps social, il sait aussi que sans la Société humaine où il est né et dans laquelle il doit vivre, il n'est rien.

Issu d'une chaîne infinie d'hommes et de femmes qui, avant de l'engendrer, ont vécu, souffert, travaillé, ri, pleuré, combattu et aimé de toute éternité, il sait qu'il leur doit son existence et qu'il ne peut s'acquitter de sa dette envers ceux qui l'ont précédé qu'en transmettant à ceux qui lui succèdent plus de savoir, plus d'intelligence, de compré­hension et d'amour.

C'est pourquoi, en condition de notre démarche incessante vers plus de liberté, nous inscrivons l'impératif de l'égalité des membres du corps social, tissu éternel de l'espèce humaine.

* * *

Mais, sachant que nous ne pouvons accéder à notre libération que dans la mesure où nous sommes capables d'éclairer notre route par la lumière de la raison, de l'intelligence et de la conscience, nous savons également que l'égalité est aussi éloignée de l'égalitarisme démago­gique des Sociétés contemporaines que la Justice est éloignée du droit positif variable et fluctuant qui gouverne ces Sociétés avec da prétention risible d'ériger en dogmes moraux des expédients inspirés par les nécessités économiques, démographiques, politiques et sociologiques du moment.

Pour les initiés que nous essayons de devenir, l'égalité ne consiste pas à retirer aux uns ce qui manque aux autres afin que tous soient logés à la même enseigne.

Nous savons ce qu'il en est des systèmes prétendument égalitaires où finalement c'est seulement l'asservissement de chaque individu qui constitue l'aboutissement suprême de l'égalité de tous dans la misère commune.

C'est bien pourquoi, de même que nous écrivons Liberté sous le vocable « libération », nous écrivons Egalité sous celui d' « équilibre ».

* * *

La véritable égalité ne consiste pas à donner à tous ceux qui compo­sent une Société des droits théoriques dont tous n'ont pas l'emploi et à leur imposer des obligations uniformes que tous ne peuvent pas remplir, mais à permettre à chaque individu de réaliser, d'exalter et de manifester sa personnalité propre en fonction de sa nature, de son caractère, de ses dons et de ses goûts.

Un collectionneur sédentaire d'oeuvres d'art n'aurait que faire du séjour gratuit au Japon, en Chine ou en Thaïlande que lui offrirait un gouvernement généreux et absurde.

Un passionné de sports d'hiver n'aurait que faire d'un abonnement gratuit à l'Opéra.
Un amateur de grande musique ne sacrifierait pas un concert à Pleyel pour une croisière en Méditerranée ou un match international de rugby.
La nature humaine est ainsi faite que les uns trouvent un plaisir immense là où les autres subissent une corvée.

Et c'est précisément par les moyens qui sont donnés à chacun de développer ses capacités et de satisfaire ses penchants que se mesure très exactement le degré de liberté qui règne dans une Société.

S'il plaît à certains hommes de se déguiser en femme et à certaines femmes de singer les hommes, aux personnes de petite taille de porter des talons hauts et aux gens corpulents de s'étouffer dans des corsets, laissons-les faire, grand bien leur fasse !

Mais gardons-nous de tomber dans le travers absurde de prétendre, sous prétexte d'égalité, assigner à chacun une vie identique à celle de son voisin.

Pour l'initié, l'égalité c'est l'équilibre constant qu'il doit réaliser, dans sa démarche vers la connaissance, entre sa condition charnelle et sa condition spirituelle, entre la matière et l'esprit, la terre et le ciel, le positif et le négatif. Car l'initiation est 'mouvement, et le mouvement se crée par l'équilibre rompu, et retrouvé à chaque pas.

Dans nos rapports et nos échanges permanents avec la Société dont chacun de nous est un composant irremplaçable, l'égalité c'est d'abord le droit d'être soi-même, sans honte ni gloriole, sans crainte ni agressivité.

Il n'y a ni fierté ni déshonneur, à être blond, brun ou roux, chrétien, juif ou musulman, Blanc, Jaune ou Noir, Français, Indien ou Javanais. Nous n'y pouvons rien !

Mais en tout cas, ce que nous sommes, efforçons-nous de l'être pleinement. Renonçons à paraître, à imiter, à jouer un rôle. Développons nos qualités et tâchons d'effacer nos défauts.

Une Société civilisée est celle qui confère à chacun de ses mem­bres, non seulement le droit, mais le pouvoir de se réaliser.
L'égalité c'est donc, au départ de l'existence, 'le droit reconnu, consacré et le moyen fourni à chaque citoyen d'être ce qu'il est.
C'est un problème d'institutions. C'est aussi un problème de men­talité.
Le droit à la différence ne se satisfait pas d'être seulement inscrit dans nos Constitutions et dans nos Lois.

Il ne vivra que le jour où il entrera dans nos moeurs et où nous aurons définitivement éteint les préventions et les répulsions a priori que nous inspire celui qui apparaît comme différent de nous-mêmes et de nos proches, le jour où nous aurons compris que celui qui parle notre langue maternelle, qui pratique notre mode de vie, qui est revêtu de vêtements semblables aux nôtres ne nous est pas forcément le plus proche.

* * *

L'égalité, c'est ensuite la possibilité offerte à chacun de choisir sa voie, d'orienter ses études, d'épouser un métier et de conduire sa vie.

Mais attention I Pour pouvoir choisir il faut connaître, pour com­mander il faut obéir, pour se gouverner il faut en être capable.

Combien d'enfants iraient à l'école s'ils étaient libres de n'y point aller ?

Sous prétexte de liberté donnée prématurément à des cervelles futiles, de combien de génies nos Sociétés ne se sont-elles pas privées ?

Ici se pose tout le problème de l'autonomie de la volonté.

N'est-il pas étrange de trouver sous la plume de deux philosophes aussi différents que Leibniz et Auguste Comte des formules aussi com­parables que celles-ci :

« Dieu seul est parfaitement libre, et les esprits créés ne le sont qu'à mesure qu'ils sont au-dessus des passions. » (Leibniz).

et :

« La liberté véritable se trouve partout inhérente et subordonnée à l'ordre tant humain qu'extérieur... Notre meilleure liberté consiste à faire, autant que possible, prévaloir ses bons penchants sur les mauvais. » (Auguste Comte).

Ainsi voyons-nous que la notion d'égalité dans le droit de choisir est étroitement dépendante de la qualité morale et intellectuelle de notre capacité de choix.

C'est précisément le rôle de l'Institution Maçonnique que de fournir aux hommes le moyen de se construire une conscience éclairée et, ainsi, de devenir maîtres de leur destin.

* * *

L'égalité enfin, et ce sera le troisième et dernier volet de notre triptyque, c'est surtout le droit de chaque homme et chaque femme au respect de sa personne.

Ce respect passe d'abord par le comportement de chacun à l'égard de chacun.

La vigueur physique ou la vivacité intellectuelle qui sont des dons de la nature ne confèrent à personne le droit de piétiner celui qui est moins bien loti.

C'est ainsi, en tout cas, que devraient raisonner les humains qui se veulent des hommes. Ce sont les animaux sauvages qui s'entre-dévorent dans le désert et les vaches qui se bousculent à l'abreuvoir.

Les mœurs du monde des affaires et le comportement des usagers des transports en commun ne donnent guère hélas une idée très élevée du niveau de civilisation auquel l'humanité a réussi à se hisser en ce dernier quart du XX. siècle

Or, c'est par là que devrait commencer à se répandre cette idée d'égalité sur laquelle les Sociétés profanes ne cessent de battre le tambour depuis que les Francs-Maçons dù XVIII. siècle la leur ont généreusement et peut-être imprudemment livrée.

C'est aussi à l'Etat qu'il appartient d'assurer et de faire assurer la balance égale des droits et des devoirs, et surtout des égards qui sont dus à chacun par les dépositaires de l'autorité publique.

Là aussi, il y beaucoup à faire pour que l'arrogance et la suffisance fassent place à la courtoisie et à la compréhension.

C'est toute l'atmosphère sociale qui serait transformée si, au niveau des individus et des institutions, les humains se décidaient à traiter leurs semblables avec humanité.

* * *

Nous sommes ainsi irrésistiblement conduits à constater que, quelle que soit l'excellence des principes, quelle que soit la perfection des institutions, la clé de notre bien-être, de notre équilibre et de notre bonheur, c'est au fond du coeur de chacun d'entre nous qu'elle est enfouie.

Dans nos Loges, nous l'appelons fraternité,

Dans les Sociétés profanes, elle se nomme solidarité, A l'échelle planétaire, elle pourrait s'appeler AMOUR.

FEVRIER 1979


Publié dans le PVI N° 32 - 1éme trimestre 1979  -  Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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