GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 4T/1977

Le Temple

L'homme, après avoir établi sa demeure, s'être protégé, a pensé remercier toute la puissance de la nature ; il a voulu chan­ter les louanges de ce monde mystérieux. Il a dressé deux colon­nes pour observer le lever de l'astre lumineux qui paraît tout régler, et dont le parcours indique le rythme des saisons. Puis il a relié ces deux colonnes et il a établi un local, un abri, dans lequel les rayons lumineux ont pu encore pénétrer.

Et parce que l'homme est à la fois craintif et vindicatif, il a voulu honorer le dieu Soleil, le Créateur du Tout, en chantant des hymnes ; en le suppliant il lui a demandé des faveurs. Cette prière, acte de remerciement, est parfois devenue une injonction car il fallait agir sur les forces de la nature, les domestiquer, les rendre favorables aux projets des hommes.

Le temple est né. Non seulement il abrite l'homme qui peut s'y recueillir en dehors des intempéries, mais il devient la demeure de Dieu qu'on y enferme, et que l'on vient supplier. Pour mieux honorer ce Divin personnage, on lui consacre ce qui est le plus beau, le plus noble, et cet édifice construit avec amour doit aussi défier le temps. Les hommes veulent laisser un témoignage dura­ble de leur court passage sur terre.

Mais ce temple doit représenter le « Cosmos », un mot inventé par Pythagore ; aussi sera-t-il créé et ordonné harmonieu­sement. Il y aura accord entre l'Univers, le Temple et le corps humain.

Cette maison de Dieu, maison de l'espoir, est aussi celle de la réalité. Le peuple se trouve bien à l'aise dans la maison de Dieu. En dehors du Saint des Saints où trône l'Arche d'Alliance, du chœur où seuls les prêtres peuvent pénétrer, on peut vivre, parler des libertés communales dans le reste de l'église. C'est ce qui se produit dans l'église romane. Mais il est vrai qu'au Moyen age chacun s'exprime librement, et les symboles qui ornent cet édifice consacré résument toutes les réalités. Du monde de tous les jours on atteint la plus sublime pensée et il se produit un équilibre complet entre le matériel et le spirituel. Dans le temple médiéval nous trouvons une merveilleuse harmonie entre les forces populaires et la philosophie spirituelle du culte.

Ne croyons pas ces légendes selon lesquelles le peuple aurait construit l'église, ou la cathédrale dans un acte de foi. En dehors de ces beaux clichés il faut reconnaître que ce sont des ouvriers spécialisés qui ont édifié ces audacieuses demeures du Divin ; mais ces maçons, ces artistes, ont leurs souches directes dans le peuple qui conserve l'indépendance de ses instincts. Dans ces formes expressives de l'architecture, de la sculpture, l'histoire sainte, les mythes chrétiens se transposent dans les actes de la vie journalière. L'église, la cathédrale frémit et vibre aux rumeurs de l'activité générale : on y découvre l'âme malicieuse, naïve d'un peuple émerveillé et libre. C'est tout l'emportement sensuel d'une époque riche et frémissante d'idées.

Si nous avons dû évoquer ces églises des époques romanes et gothiques c'est parce qu'elles bénéficient encore des grandes lois du sacré et qu'elles sont très nombreuses sur notre sol. Mais toutes les églises bénéficient de valeurs symboliques semblables.

L'orientation reste sans doute le point principal ; le prêtre regarde le soleil levant et le plus souvent le chœur se situe à l'Est, la porte à l'Ouest. N'oublions pas d'ailleurs que Templum signifiait le secteur du ciel observé par l'augure qui délimitait ainsi une surface bien déterminée. Puis le mot a désigné le lieu, l'édifice à partir duquel on pratiquait l'observation du ciel. Ainsi le « Temple » s'associe à l'observation du mouvement des astres. Ce lieu est ainsi pénétré par les forces naturelles, l'influence magique où les effluves, les forces cosmiques entourent et mar­quent les assistants. En ce lieu peuvent se dérouler des rites de magie cérémonielle.

Avec ce que nous venons de dire, on songe au Temple défini par la Bible dans Rois et Chroniques ; c'est celui que fit édifier Salomon entre 1014 et 930 avant J.-C. L'Eternel a confié le plan de ce temple à David on le construit à Jérusalem, le lieu le plus saint, considéré comme le centre de la terre. La Bible mentionne Hiram dont le rôle est essentiel dans la construction de ce monu­ment sacré dont la réalisation dura sept ans.

Mais ce temple détruit par Nabuchodonosor vers — 589 sera reconstruit par Zorababel au temps de Josué. Ce temple sera lui aussi détruit par Titus en l'an 70 de notre ère. Les constructeurs Hiram, Zorababel, puis Phaleg (l'architecte de la Tour de Babel) donnent lieu à des rites Compagnonniques et Maçonniques — ; ces scénarios atteignent une véritable grandeur et marquent tant la maçonnerie des premiers degrés que celle des Hauts-Grades ; et ceci dans divers rites. Zorababel apparaît plus dans le rite anglais, particulièrement dans la Maçonnerie de l'Arche. Mais le thème d'Hiram, le maître architecte, assassiné par trois mauvais compa­gnons, est le plus répandu. Aux côtés d'Hiram la légende compa­gnonnique fait travailler maître Jacques et le père Soubise, deux personnages non cités dans la Bible.

Retenons aussi que le Temple de Salomon est construit par une main-d'œuvre étrangère, celle de Tyr ; les tribus sont alors errantes depuis Abraham jusqu'à Moïse et Josué. Mais avec la construction du Temple le peuple devient sédentaire ; chassé il reviendra dans son pays et alors Zorababel se sert de la main- d’œuvre locale d'Israël. Ce double aspect, nomade et sédentaire, qui reste attaché à l'histoire juive se répercute sur le compagnon­nage : le compagnon qui est rattaché à son pays, à sa famille, est aussi un nomade qui se déplace sur son « Tour de France ».

Mahomet vénère la pierre d'angle, travaillée et polie, emblème de la civilisation qui sait se servir du compas et de l'équerre. Dans Esaïe on lit (XXVIII, 16, 17) : « Voici, je mettrai pour fondement une pierre en Sion, une pierre éprouvée, une pierre angulaire et précieuse pour être un fondement solide : celui qui croira ne sera point confus. Et je mettrai le jugement à l'équerre et la justice au niveau... »

La Loge de Marque, dans son grade de Mark Mason qui conserve des rites très opératifs, fait aussi allusion à la construc­tion du Temple de Salomon et aux ouvriers employés à cet ouvrage sous la direction d'Hiram. Mais on y incorpore le verset du psaume relatif à la pierre rejetée par les constructeurs et devenue pierre d'angle : « La pierre qu'ont rejeté ceux qui bâtissaient est deve­nue la principale de l'angle. C'est là l’œuvre du Seigneur et elle est admirable à nos yeux ».

Cette pierre spéciale n'est autre que la clef de voûte, de forme différente des autres pierres de la construction qui, elles, sont cubiques. Elle est tout d'abord refusée par les surveillants, car elle ne s'inscrit pas dans la réalisation générale de l'édifice ; mais cette pierre rejetée sera reconnue par le maître de la Loge de Marque qui connaît le plan de l'eeuvre (ou la venue du Christ au Sommet de l'angle du Temple, à la place du « Trou du foyer » qui unit le Temple au Cosmos, et où passe le rayon solaire tom­bant au centre du foyer). Cette pierre clef de voûte s'ajuste libre­ment ; elle constitue la preuve de la capacité du candidat, mais elle donne aussi toute la force à l'édifice qui sans elle s'écroulerait.

D'après la représentation courante, le ciel a la forme d'une voûte : donc en toute logique la coupole représente le ciel. L'esprit magique établit des correspondances entre les formes, les idées, des relations qui peuvent nous paraître actuellement purement affectives, mais dans la mentalité de cette époque il y a transfert de qualité, efficacité par les substitutions entre idées et objets. Ainsi naît la loi d'analogie, de correspondances.

C'est pourquoi dans l'art de bâtir on trouve de nombreux édi­fices circulaires, parfois aussi dénommés chapelles des Templiers, bien que ces constructions soient fort anciennes en leur principe. L'image très bien conservée est celle du Saint Sépulcre dont la forme se retrouve dans les baptistères romans. Mais cette rotonde est d'origine constantiniènne. De nombreux édifices religieux sont ainsi des édifices circulaires établis sur une base carrée ; en sym­bolisme le carré surmonté d'un dôme équivaut à la terre située sous le ciel. Dans les pays orientaux le monarque se déplace dans un carrosse carré surmonté d'un dôme ; il prend place sous un parasol ; nos rois reçoivent leurs onctions sous un dais et l'on pourrait évoquer de nombreux exemples montrant la place de ces premiers citoyens protégés par la puissance céleste, ne serait-ce que par les formes de chapeaux.

Ainsi la Loge maçonnique, qui est le Temple, doit être orientée, ne disposer que d'une seule porte munie d'un judas ; elle s'étend de l'Occident — emplacement de la porte — à l'Orient où siège le Président. Sa largeur s'étend du midi au septentrion, sa hauteur va du nadir au zénith. Le zénith est en réalité limité par une voûte azurée parsemée d'étoiles ; ce plafond est même parfois traité en forme de coupole pour bien représenter la courbe des cieux.

La voûte azurée et étoilée de la loge représente l'homme placé dans son espace vital ; il peut ainsi prendre conscience de cette hauteur infinie ; ces régions supérieures lui sont inaccessibles. D'ailleurs à certains degrés initiatiques, le néophyte doit s'élever, et une échelle rituelle le conduit au « ciel » ; l'homme acquiert alors un pouvoir sacré.

Le Temple, la Loge, représentent l'Univers où règne l'équilibre, l'harmonie, la beauté.

Publié dans le PVI N° 26 - 4éme trimestre 1977  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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