GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 4T/1977 |
La Marche vers l’Etoile Flamboyante et la Morale Maçonnique L'Etoile
flamboyante a derrière elle un riche passé
symbolique : celui des pentagrammes
égyptien, pythagoricien, gnostique. Ce symbole peut donner
lieu à des gloses
interminables... L'incertitude et l'abondance des
significations de la lettre
G sont encore plus impressionnantes... Heureusement l'analyse des
symboles est
un acte personnel et libre ; elle autorise celui qui en use
à ignorer
royalement les significations qui ne lui parlent pas
personnellement. Je vais
cheminer assez linéairement et aussi rapidement que possible
dans une analyse
du symbole de l'Etoile flamboyante et de la lettre G. I - LE SYMBOLISME DE L'ETOILE FLAMBOYANTE ET DU G a) L'Etoile flamboyante L'Etoile
flamboyante dérive du pentagramme, dont elle n'a retenu que
les contours. Le
pentagramme, suite de lignes brisées que l'on peut tracer et
retracer
indéfiniment, sans avoir à relâcher le
trait, apparaît à cause de cela comme
étant essentiellement un signe dynamique.
Toutes les anciennes croyances
et gloses à son sujet le définissent comme tel. Pour
les Egyptiens,
le pentagramme était le signe d'Horus, lui-même
symbole de la vie intarissable,
et semence universelle de tous les êtres. Horus, dieu
à tête de faucon dont un
oeil était le soleil et l'autre la lune, était la
permanence de la vie,
le « grand dieu qui traverse l'éternité
» et, pour cela, « le vieillard très
vieux qui donne le souffle à chaque corps »... Pour
les
pythagoriciens, d'ailleurs nourris par la sagesse
égyptienne, le « triple
triangle entrecroisé » était
également une référence
à la vie, mais il était,
plus précisément, une
référence aux lois qui
régissent harmonieusement le
monde. Pour eux le pentagramme était
étroitement lié au nombre d'or,
nombre de l'harmonie des proportions ; car le pentagramme peut faire
l'objet
d'une construction géométrique en
partant du grand côté d'un «
carré long »
(1,618 x 1). Cette conception de l'harmonie des lois de la Nature
restera à la
base de la philosophie initiatique occidentale, au moins jusqu'au XVIIe
siècle,
où elle trouvera sa plus belle formulation
exotérique dans « l'harmonie
préétablie » de G.W. Leibniz qui,
ça n'est pas pure coïncidence, était
à la
fois un philosophe spiritualiste et un
mathématicien de valeur (il découvrit
le calcul infinitésimal). Retenons
cette
référence à l'harmonie des lois de la
vie terrestre, car elle constitue pour
nous une première approche de la signification de l'Etoile
flamboyante. Platon
élève encore
la perspective quand il enseigne que les hommes ont
été créés par des
« dieux
étoilés » et que les hommes doivent retourner
à leur étoile après leur
mort. Ainsi
à la fin de
cette recherche symboliste sur l'Etoile flamboyante,
s'esquisse pour nous le
thème de la « marche vers
l'étoile » pour mieux
s'insérer dans
l'harmonie universelle, dans le vrai, le bien et le beau. b)
Le symbolisme
du G Quant
au G, qui
figure au centre de l'Etoile flamboyante, vous savez qu'il n'est apparu
que
tardivement dans les rituels, à la fin de la
première moitié du XVllle siècle
et, semble-t-il, dans les rituels français. Cette
dernière remarque n'est pas
sans importance, car, d'une part, elle rend
problématique la correspondance du
G avec le mot « God », et, d'autre part, elle nous
met sur une autre voie : les
Maçons français de l'époque
étaient entichés d'hermétisme. Partant
de là, je
pense que le G est l'évocation du nœud
doré (1); et, par ce biais, le G
serait lui aussi une référence au nombre
d'or. En effet, les anciens
mathématiciens étaient sensibles aux
résultats, parfois surprenants, que
donnaient certains pliages de figures
géométriques, elles-mêmes
matérialisées
par une feuille de papier convenablement
préparée. Or en faisant un nœud simple
avec une languette de papier maintenue bien à plat et non
froissée, on constate
qu'en regardant ce nœud par transparence, on distingue un
pentagramme
convenablement dessiné. Ce même nœud
fait de façon très lâche,
évoque un G.
Cette explication n'emporte certes pas d'adhésion
générale, mais elle a au
moins l'avantage de présenter l'Etoile flamboyante et le G
comme deux symboles
très proches, voire complémentaires, en fonction
d'une commune référence à l'harmonie
des choses de la Nature, ressentie à travers le
nombre d'or. Pour
en revenir en
G, quelle pouvaient être, dans les domaines de la
connaissance et de
l'esthétique, les meilleures illustrations de l'ordre et de
la clarté, si ce
n'est la Géométrie et sa
concrétisation (ou son initiatrice
peut-être)
l'Architecture ? c)
Le symbolisme
de la figure complète Ainsi
le symbolisme
de la figure complète (Etoile flamboyante et G) est une
référence à l'harmonie
du monde (2), autrement dit l'appel à connaître et
à respecter les lois qui
président à cette harmonie et, en
définitive, l'appel à
s'insérer
harmonieusement dans ce monde. L'interdépendance
de toutes choses en ce
monde laisse en outre pressentir que c'est la vie de toute
l'humanité qui est
en cause dans l'action de chaque individu. Le
pentagramme,
symbole dynamique, nous aide à comprendre le
caractère inépuisable de la
démarche à laquelle l'homme est
appelé ; la main et la plume qui le
tracent, dessinent tour à tour des chutes plus ou moins
brutales, des remontées
plus ou moins pénibles, des translations pas toujours dans
le sens favorable
(3) ; cela finit par un remontée vers le point le plus haut,
vers l'équilibre...
avant de recommencer un nouvel effort. A
ce stade de notre
réflexion, l'Alchimie peut nous aider à enrichir
la signification de ce
symbole. Certains ont noté que le G, sous sa forme
majuscule, avait une
ressemblance avec le theta 0 qui représente le sel
alchimique. Or le sel en
alchimie est le liant dynamique indispensable pour que s'unissent le
soufre et
le mercure, c'est-à-dire la forme et la matière,
l'actif et le passif, le
masculin et le féminin... A l'image du sel dans l'Alchimie,
l'Etoile
flamboyante symbolise cet éveil, cet
appel sans lequel rien ne se
produisait dans l'esprit du futur initié. Flamboyante,
l'Etoile évoque le fait
que le feu est allumé dans le cœur de
l'initié. Mais,
comme le
faisait l'alchimiste, il faut savoir bien conduire son feu
intérieur, grâce à
un contrôle de soi-même et grâce
à une connaissance des règles du Grand Art. A
l'image de la cuisson de l’œuf philosophal,
l'initié va tendre à sortir de
sa gangue, pour aller vers la purification totale. Telle est
la tâche du
compagnon. Quand l’œuf philosophal aura
été suffisamment chauffé, il sera
brisé et la pierre philosophale apparaîtra. Qu'en
faire ? Là, ça n'est plus
tâche de compagnon, mais tâche de maître.
On a un peu tendance à oublier que la
pierre philosophale en alchimie n'avait pas pour but d'obtenir la
richesse
(sauf pour « les faux disciples », comme
disait Paracelse), mais avait une fin
médicale et curative : elle permettait de faire de l'or
potable et des compositions
salines d' « élixirs capables de rendre
à l'homme la santé qu'il a perdue »
(Paracelse). Si le compagnon, en opérant
laborieusement la cuisson de son oeuf
philosophai, paraissait s'abîmer dans une démarche
intérieure, le maître, lui,
ayant la pierre philosophale en main, peur retourner au monde,
se
pencher sur le monde pour le soigner et lui redonner la
santé perdue... Tel
est, à mon
avis, symboliquement présenté, le projet que doit
avoir tout initié. Tel est le
sens de l'appel de l'Etoile flamboyante... sans oublier
toutefois que notre
vie n'y suffira pas, et que nous devrons inlassablement suivre le
tracé du
pentagramme au dessin toujours recommencé... car plus
nous approcherons de
la pleine compréhension, plus notre esprit sera exigeant
envers lui-même,
reculant ainsi indéfiniment la limite du possible. II - L'APPEL DE L'ETOILE FLAMBOYANTEQuel
est en termes
clairs, dégagés de tout symbolisme,
l'idéal à atteindre ? idéal
symbolisé
par le G tracé, immuable, au cœur d'une figure
symbolisant le mouvement.
Cette question a préoccupé, sous une
formulation ou sous une autre les hommes
de tous les temps et de toutes les civilisations ; elle
préoccupe l'homme
d'aujourd'hui avec une acuité particulière, car
il commence à se rendre compte
que, dans un monde devenu petit et étroitement solidaire, la
réponse adoptée
pour aujourd'hui engagera
irrémédiablement l'avenir. a)
Au plan de la
Philosophia Perennis, de la Philosophie Eternelle,
celle qui se préoccupe
des solutions valables en tous lieux et en tous temps, la
réponse de tous les
initiés, de tous les âges, de toutes les
religions, de toutes les écoles de
pensée spiritualiste, est uniformément
la suivante : il faut s'acheminer vers
le fond de son être et, en se retrouvant pleinement
soi-même, renaître
à une nouvelle vie. La
meilleure image
de cette transformation, c'est la chenille rampante, molle et
répugnante, qui
devient papillon ailé, aérien et splendide. De
même que le papillon ne rappelle
plus rien de son ancien état de chenille, de même
l'initié au fur et à mesure
de son achèvement perd toutes ses pesanteurs et ne s'en
soucie plus. Il
acquiert une maîtrise croissante de ses passions. Il serait
plus exact de dire
que ce sont ses passions qui le quittent, un peu, ainsi qu'un
psychologue l'a
noté, comme l'enfant qui grandit, est quitté par
ses jeux... De même, pour
l'initié approchant de la perfection, ce sont ses
passions, ses
divertissements oiseux, etc., qui disparaissent de son horizon. Toutes
les
expériences mystiques nous montrent que cet homme finit pas
n'avoir plus ni
dedans ni dehors. En lui tout est un. Cet
homme qui, jadis, se
référait à des barèmes
sociaux, moraux, religieux, pour accepter ou pour
condamner, pour peser ses pensées et ses actes, pour juger
ses voisins...
découvre, maintenant, qu'il est arrivé
dans « un univers privé
d'obstacles, parce que sans dualité
» (M.M. Davy). Jadis cet homme
était, suivant une image connue, enfermé dans une
prison qu'il s'était lui-même
construite ; il était un peu comme une araignée
qui se laisserait prendre à sa
propre toile. Maintenant qu'il a retrouvé
l'unité, il voit d'emblée les
autres hommes comme des frères. Il les
comprend pleinement ; il comprend
qu'il y ait des hommes en marche vers l'étoile, et
d'autres qui ne se décident
pas encore à sortir de l'ornière.
Simultanément l'équilibre de l'univers
lui
devient perceptible. Par un paradoxe simplement
apparent, cet « homme
intériorisé est parfaitement
incarné et ouvert à tous
» (M.M. Davy). Il
n'est pas
interdit de croire, avec Nicolas Berdiaev, ce philosophe qui
se situa à la
rencontre de l'Orient et de l'Occident chrétien, que
l'initié, arrivé à ce
stade, est devenu pour le monde une semence prolongeant
l’œuvre du Créateur..
Tout ce qui arrive dans le monde... a une source intérieure
spirituelle » a dit
Berdiaev. Il croit que l’œuvre des grands
spirituels peut « dépolluer » le
monde, non seulement le monde intérieur et moral, mais
même la réalité
quotidienne et concrète. D'autres que Berdiaev ont
également pensé que ces
grands spirituels avaient un effet multiplicateur du
Bien ; et, ici,
c'est l'image de la pierre philosophale qui revient ; il suffisait d'un
grain
de cette pierre pour provoquer une quantité d'or, des
centaines, et même des
milliers de fois, plus grande. Et, s'agissant d'hommes plus ordinaires
et même
ordinaires, on peut penser — et c'est ma conviction
personnelle — que toutes
les bonnes actions qui se produisent sur terre servent à
constituer un « trésor
de santé » pour toute l'humanité ;
toute mauvaise action vient entamer ce trésor
commun ; toute bonne action, si humble soit-elle, vient au contraire
accroître
le trésor. Il y a en outre ces grands spirituels qui ont un
« effet multiplicateur
» exceptionnel, à l'image des bons serviteurs de
la parabole des talents
(Matthieu 25:14 et Luc 19:11), qui avaient fait fructifier le
patrimoine de
leur maître pendant qu'il était en voyage... b)
Mais, dira-t-on,
le grand spirituel est une exception rarissime, et que
peut-on
raisonnablement souhaiter pour les simples hommes « de bonne
volonté » qui
actuellement avancent péniblement dans un univers
devenu sans signification,
ou aux significations bien confuses. Pour
tenter d'y
répondre, je crois qu'on ne peut pas faire mieux que de se
référer à l'analyse
d'un des hommes les plus « modernes » qui
soient — moderne, car il a marché
sur la lune — je veux parler d'Edgar D. Mitchell, le chef de
l'expédition
Apollo 14. Voici ce qu'il dit : quand je suis allé sur la
Lune, j'étais un
pilote de test, un ingénieur et un scientifique, tout aussi
pragmatique que
n'importe lequel de mes collègues... oui, j'étais
pragmatique, parce que mon
expérience m'avait montré, par-delà
tout doute, que la science « ça marchait
»... Et
pourtant, au
cours de son vol spatial, Mitchell commence à ressentir
« un respect étonné
et profond pour les capacités rationnelles de l'esprit
humain, capable de
trouver les moyens de guider une minuscule capsule de métal
à travers un
demi-million de miles dans l'espace, avec une telle
précision et une telle exactitude
»... Mais sa certitude d' « ingénieur
pragmatique » (c'est lui qui met ce titre
entre des guillemets) va subir une bien plus rude remise en question :
« Cela
débuta, nous dit-il, avec l'expérience
à vous couper le souffle » qui consiste
à voir la planète Terre flotter dans l'immense
espace... ». Mitchell décrit
longuement ce fabuleux spectacle. Et brusquement, comme en un
éclair, il fui
apparaît, à lui le pragmatique, que le
monde a une signification. «
C'était clair
et net, l'univers avait une signification et une direction. Ce
n'était plus
perceptible par les organes des sens, mais c'était cependant
présent : une
dimension invisible derrière une création visible
qui lui donne un dessein
intelligent et apporte un sens à la vie
»... Mais,
après
l'émerveillement, lui vint l'angoisse, car Mitchell continue
ainsi : « Puis
mes pensées se tournèrent vers la vie
quotidienne sur la planète. Alors mon
sens de l'émerveillement se transforma graduellement en
quelque chose de proche
de l'angoisse, parce que j'eus conscience qu'à ce
moment précis, où j'étais
assez privilégié pour contempler la
planète de 240 000 miles dans l'espace, les
habitants de la Terre étaient en train de se livrer
bataille, de commettre des
meurtres et d'autres crimes ; de mentir, de voler et de se battre pour
le
pouvoir et le statut social ; d'abuser de l'environnement... en
agissant avec
convoitise et cupidité ; de se faire souffrir les
uns les autres par
intolérance, bigoterie,
préjugé et tout ce qui ajoute à
l'inhumanité de
l'homme pour l'homme. C'était comme si l'homme
était totalement inconscient
de son rôle et de sa responsabilité individuels
dans le futur de la planète.
Il était aussi douloureusement évident que les
millions de gens souffrant de
pauvreté, de maladie, de misère et de semi-
esclavage étaient dans cette
condition du fait de l'exploitation économique, de la
domination politique, de
la persécution religieuse et technique et d'une centaine
d'autres démons
prenant leur source dans l'ego humain... » Et
alors Mitchell
note que la science, avec ses succès
technologiques, esquive ces problèmes,
ou, plutôt, qu'elle n'est pas à même de
les résoudre. Et il se pose les
questions suivantes : « comment
restaurer
une relation harmonieuse entre nous-même et
l'environnement ? Comment
réaliser le potentiel de l'homme
pour une société de paix, de création
et d'accomplissement ? »
N'est-ce pas, mes Frères, ce qu'a
évoqué
pour nous le symbolisme de l'Etoile flamboyante et du G ? Et
Mitchell
constate qu'il n'y a que trois solutions : —
ne rien faire, et
c'est la perspective d'un « effondrement massif de
l'ensemble mondial », —
« abandonner
la liberté personnelle de choix, aux mains d'un gouvernement
mondial ; la
tyrannie étant encore préférable
à l'anéantissement », —
ou, troisième
solution, promouvoir un nouvel éveil, un
élargissement de la
responsabilité individuelle afin de « rétablir
l'unité de l'homme avec
l'homme et avec l'environnement... » Je
passe sur une
bonne partie des analyses de Mitchell, montrant pourquoi, et
singulièrement, les
chercheurs scientifiques et les dirigeants doivent élargir
ce champ de
perception afin d'aboutir à une transformation de leur
conscience ; l'essentiel
étant que l'homme prenne « conscience de
son unité fondamentale avec les
processus de la nature et le fonctionnement de
l'univers ». Cela
revient à dire que l'homme doit évoluer de son
égocentrisme vers une nouvelle
image de l'homme et de l'universel. Et Mitchell tient à
préciser qu'il n'est
pas l'inventeur de cette conception, et que d'autres que lui se
préoccupent
aussi de restaurer l'unité de l'homme, de la
planète et de l'univers. c)
Et Mitchell
rappelle, comme je l'ai fait plus haut, que « tout
au long de l'histoire,
les prophètes, les sages, les saints, les
maîtres illuminés et autres hommes
et femmes éclairés, ont indiqué le
même but que celui qu'(il) cherche ». Et
il ajoute : « ils ont été
unanimes à déclarer que l'oubli de soi
et
le dépassement sont un aspect de la
conscience supérieure et la clé
de la connaissance directe ».
Mitchell constate l'étonnante
variété des moyens par lesquels les gens peuvent
grandir dans l'oubli
d'eux-mêmes : disciplines formelles comme le yoga et le
zen..., vie monastique,
etc. Mais il fait une place importante à des moyens qui
peuvent être employés
dans la vie quotidienne : l'étude, la prière, la
gentillesse, l'humilité et
les bonnes oeuvres. Peu importe que le moyen soit grand ou petit,
savant ou
élémentaire, l'essentiel c'est la
sincérité ; et alors se
produit le
changement de vie, et alors « le voyageur
reconnaît que, d'une façon
paradoxale, l'aspect le plus profond de lui-même ne
fait qu'un avec toute la
création ». III. LA MORALE MAÇONNIQUE COMME MOYEN D'ACCEDER Il
nous reste à
nous demander maintenant si la morale maçonnique
peut prétendre figurer parmi
ces moyens privilégiés, capables
d'unifier les espaces intérieurs et
extérieurs, dont Mitchell nous a rappelé
l'impérieux besoin. a)
Mais avant
d'aller plus loin, il faut bien marquer ce que l'on entend
par morale.
Cette précaution est particulièrement
indiquée quand on aborde le domaine de la
Franc-Maçonnerie, car elle ne se laisse pas mettre en
formules. La
Morale, au sens
courant du terme, est un ensemble de règles applicables
à la conduite de
l'homme envers lui-même, envers les divers groupes dans
lequel il est inclus. La
Morale, au sens
fondamental du terme (d'autres préfèrent parler
alors de Loi morale) c'est une
conception de la conduite de la vie fondée sur le
présupposé ou la conviction
que l'esprit gouverne l'humanité, que les
aspirations de l'esprit sont les
inspiratrices de la loi morale, et que seule cette
dernière peut donner une
orientation à l'évolution de
l'humanité. C'est bien évidemment en ce sens que
je me préoccuperai de savoir si la Morale
maçonnique peut prétendre
répondre
aux aspirations d'un Mitchell. b)
Il nous faut
rappeler les bases spirituelles de la Franc-
Maçonnerie. Elle continue une
antique tradition fondée sur la primauté
de l'esprit. La Franc-Maçonnerie
croit que l'on peut restaurer un idéal humain,
nourri de cette nostalgie du
retour intégral à l'Esprit. Nostalgie, en ce sens
que la Franc-Maçonnerie
n'ignore pas que la Tradition est, pour une grande part, perdue et que
l'on ne
peut plus guère espérer faire que quelques pas
vers l'antique vérité. Mais espérance
aussi, car la Maçonnerie a toujours
témoigné d'une foi dans le mouvement
vers un état supérieur de l'homme,
débouchant sur l'universalité avec
son couronnement : la Fraternité. Universaliste,
la
Maçonnerie est source de liberté
spirituelle. Après avoir incité
l'initié à fouiller au fond de
lui-même, à se dépouiller de tous
accessoires
trompeurs, la Franc-Maçonnerie le fait renaître
avec des aspirations nouvelles
qui deviennent comme un nouvel instinct, un sixième sens :
celui du Spirituel.
A partir de ce moment, l'initié perd de plus en plus le
goût des choix égoïstes
; il ressent un appel croissant vers la Vérité et
ce, dans tous les domaines
(loyauté des sentiments, rigueur de pensée,
simplicité dans les mœurs, etc.).
S'étant dépouillé de tout ce qui
n'était pas cohérent avec lui-même, il
baigne
de plus en plus dans un état de paix. c)
Telles sont les
bases spirituelles de la démarche sans cesse
répétée et sans cesse approfondie
que fait le Franc-Maçon. Une
première chose
est acquise : le Franc-Maçon se situe au-delà
des craintes métaphysiques.
Il n'agit pas en fonction de récompenses ou de
châtiments post-mortem. Il
est libre. La morale maçonnique se situe
corrélativement à ce même niveau
élevé ; elle est « une morale sans
sanctions », comme telle elle se situe parmi
les morales du niveau le plus élevé. Si l'on se
réfère à la dualité
qu'indique
Bergson dans son livre « Les deux sources de la morale et de
la religion » dans
lequel il oppose : — la morale close, fondée sur la notion
d'obligation et sur un impératif « pesant sur la
volonté à la manière d'une
habitude » morale essentiellement sociale et conservatrice, — la morale ouverte, d'essence
individuelle et créatrice ; morale des « grands
inventeurs moraux », elle ne se
présente plus sous les traits de l'obligation, mais elle est
comme un « soulèvement
des profondeurs » de l'âme, une aspiration,
« une émotion neuve...
génératrice
de pensée », si
l'on se réfère à
cette classification bergsonienne, dis-je, la morale
maçonnique est bien une
morale digne de figurer parmi les morales les plus
élevées. Second
point à
retenir : le Franc-Maçon acquiert un sens
synthétique de la Nature, ce
sens synthétique que la Tradition a transmis, vaille que
vaille, et que
l'initié redécouvre. Cette vision globale et
unitaire du monde conduit le
Franc-Maçon tout naturellement à
œuvrer à « rassembler ce qui
est épars
», c'est-à-dire à ordonner, articuler,
optimiser ce qui était divisé,
désordonné, relié par de mauvais
rapports. Il n'en garde pas moins conscience
que le monde est à la fois « un et
multiple », il ne croit donc pas
possible ni souhaitable de tout ramener à un principe
unique. Il pense qu'il
est néanmoins nécessaire de se situer, toujours, aussi
loin que possible du
chaos... Cette
vision
synthétique conduit le Franc-Maçon à se
préoccuper des autres hommes,
mais il sait qu'il est vain d'espérer les rassembler autour
d'un principe
unique, il conduit donc son action dans une optique de tolérance.
Et, le
sens très vif que le Franc- Maçon a des
complémentarités dans l'univers,
engendre en lui un sentiment de fraternité
; non pas une fraternité «
juridique » (la seule qui, parfois, subsiste entre fils d'un
même père quand
vient le moment de partager le patrimoine familial), mais une
fraternité
fondée sur un acte libre : l'acceptation de
l'autre, et le don de sa
personne à l'autre. Cette
conception
débouche sur une morale universelle.
Cela peut paraître banal de le
dire, mais, en être arrivé là, est en
soi un fait considérable. Le
Franc-Maçon,
comme nous l'avons vu, est largement ouvert à
l'espérance, à la foi en la
possibilité d'une évolution illimitée
vers la Spiritualité. Il ne peut donc
concevoir la morale que comme évolutive.
Tout naturellement, à notre
époque où se manifeste une pollution des esprits
(qui, par tous les
laisser-aller et les inconsciences qu'elle engendre, provoque une
rapide
destruction de la Nature), le Franc-Maçon se
préoccupe de provoquer une prise
de conscience, quant à l'issue fatale vers laquelle nous
achemine l'inconscience
actuelle. Cela suppose que la morale commune actuelle subisse
une véritable
métamorphose : que, de particulariste (au
plan de l'individu, et au plan
de chaque groupe, collectivité, Etat...) la morale
devienne universelle. Cela
suppose des choix fondamentaux, notamment l'abandon de la
quantité au profit de
la qualité dans tous les domaines. Il s'agit de repenser
complètement le
sens de la Vie, car il faut prendre conscience d'un fait qui,
jusqu'ici,
était peu ressenti, à savoir que, dans ce monde
devenu désormais petit, tout
acte individuel — en bien ou en mal — a sa
répercussion dans le total. Et il
apparaît, de plus en plus, que nos choix et nos actions
d'aujourd'hui auront
des répercussions graves, voire irréversibles,
sur le sort, le « salut » des
générations à venir. Il nous faut donc
dessiner une morale non seulement
évolutive mais prospective. Comment
faire
passer ce message aux hommes d'aujourd'hui ? C'était
la question
qui angoissait Mitchell. Les moyens d'information et
d'éducation ne manquent
pas et ils sont fort puissants de nos jours ; les manques sont ailleurs
: chez
les dirigeants notamment, auprès de ceux-ci la
Franc-Maçonnerie a aussi à
jouer un rôle d'information et d'éducation... et
si possible d'initiation... La
Morale universelle
apparaît comme un terme quelque peu ultime ; mais une
étape importante pourrait
être franchie si, au nom du vieux précepte
« ne fais pas aux autres ce que tu
ne voudrais pas qu'ils te fassent », on arrivait
à persuader l'opinion qu'il
est plus que temps, en cette période où
l'apocalypse nucléaire ou
concentrationnaire peut avoir lieu demain, de ne pas faire subir aux
autres ce
que nous ne voudrions pas subir... mais que nous risquons bien de subir
avec
eux !... *
* * Le
projet
maçonnique sur l'homme répond bien aux
aspirations de la nature humaine. Il se
confirme aussi qu'il est non moins capable de répondre aux
inquétudes de
l'heure. Je
vais maintenant
« personnaliser » cette conclusion. Je
soulignerai un
aspect sur lequel j'ai particulièrement
réfléchi, c'est le fait que la Morale
maçonnique est une morale sans sanctions.
Je crois qu'on ne peut pas
mieux souligner l'extrême élévation de
cette morale ; car cela veut dire que,
morale fondée sur le Don, elle relève
de l'ordre de l'Amour. Comme telle
elle ressortit à la célèbre formule de
saint Augustin : « Aime et fais ce que
tu veux ». Il
ne me semble pas
trahir la pensée de saint Augustin en faisant le commentaire
suivant : « Oui,
l'Amour te rend libre. Non pas libre à la manière
d'un voyageur perdu dans la
nuit, et que sa fausse liberté risque de conduire dans un
marécage sans fond ;
mais libre d'aller de toi-même vers le Bien. Oui —
curieux paradoxe — tu vas
aller librement vers le seul lieu où tu puisses aller : le
Bien. Ton acte
d'amour et ton libre choix ne sont en fait qu'un même acte
». ... C'est à ce
niveau que se situe la Morale maçonnique. En cela elle
rejoint l'extrême
pointe des grandes morales religieuses dont le couronnement
se trouve
condensé dans la maxime de saint Augustin, qui s'adresse
à ceux des fidèles de
toutes les religions qui sont capables d'être des «
voyageurs de l'en-dedans ». La
Vérité étant
nécessairement Une,
les
grandes morales ne sauraient diverger sur les points fondamentaux, sans
déchoir. Dans un domaine comparable, celui de la
diversité des religions,
Ramakrishna, après s'être mis à
l'écoute de toutes les religions, a formulé
cette synthèse royale : « Si tu as la foi, tu
obtiendras ce dont tu as soif »,
ce qui sous-entend « quelle que soit ta religion
». Au plan des réalités
terrestres et des grandes morales qui les animent, la vision unitaire
de
Ramakrishna peut se transposer en remplaçant « foi
» par « bonne volonté »,
ainsi que le suggère l'annonce faite dans la nuit de
Bethléem : « Paix sur la
terre aux hommes de bonne volonté ». Considérons
donc
que chacun peut, dans un contexte de respect mutuel, choisir
sa voie morale,
son moyen, son grand ou son « petit véhicule
» (comme disent les
bouddhistes)... pour aller vers l'Equilibre. Et il n'est pas non plus
interdit
de cumuler les moyens, quand ils sont compatibles. Or, à la
lumière de mon
expérience personnelle, je crois pouvoir affirmer que
l'ascèse maçonnique (car
c'est véritablement une ascèse au sens
étymologique du terme : action de
s'exercer pour acquérir une perfection), du fait de
sa neutralité dogmatique,
de son a-dogmatisme, peut être menée de
pair avec une ascèse religieuse,
l'une et l'autre pouvant aller du même pas vers le
sommet, l'une et l'autre
pouvant nourrir un dialogue intérieur fort enrichissant pour
l'initié. (2) Harmonie du monde créé. C'est ce qu'illustre le fait que le pentagramme s'inscrit dans la partie « cubique « de la pierre cubique à pointe, sans que jamais la pointe de l'étoile atteigne la base de la pyramide (monde des esprits) couronnant la pierre. Ce contact ne se fait que par les cercles qui ont servi à construire le pentagramme. (3) Le symbolisme considère généralement les déplacements vers la gauche comme étant néfastes. |
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