GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 1T/1977

Dialogue entre un Franc-Maçon et un Profane

Question :
Dans l'article premier de la Déclaration de Principe de la Grande Loge de France il est écrit : « La Grande Loge de France travaille à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers ». Qu'enten­dez-vous par là ?

Réponse :

C'est un fait. Les Francs-Maçons écossais de la Grande Loge de France travaillent à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers et ils ouvrent et ferment leurs travaux sous cette invocation, car ils pensent que ce symbole est essentiel et qu'il constitue la clef de voûte de tout l'édifice Maçonnique. Le Grand Architecte de l'Univers a pour eux valeur d'analogie. Dans la mesure où l'Univers peut être comparé à un édifice, c'est-à-dire à un ensemble ayant forme et finalité, il y aurait, à l'origine de cet Ordre, un être créateur et un principe ordonnateur qui serait à l'uni­vers ce que l'architecte est à l'édifice. Et de même que cet architecte a présidé à la création et à la construction du monde, de même que Hiram (1) a pensé et construit le Temple de Salo­mon, tout Franc-Maçon a le devoir de construire le Temple exté­rieur et intérieur. En travaillant à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers, la Franc-Maçonnerie écossaise manifeste son attachement à l'idée d'un univers où le sens l'emporte sur le non-sens, où la pensée et l'action de l'homme doivent être en accord avec la signification ultime de la réalité. Elle laisse aux théologies et aux systèmes métaphysiques le soin de définir le contenu et le mode d'être du Grand Architecte de l'Univers.
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Christ au Compas
Le Logos, Verbe-Raison-Vie tire le plan du monde qu'il inspire. XIII' siècle.
Question :
Votre Déclaration de Principe dit aussi que « Conformément aux Traditions de l'Ordre, trois Grandes Lumières sont placées sur l'Autel des Loges : l'Equerre, le Compas, et le Volume de la Loi Sacrée. »

Réponse :

C'est exact. Les Francs-Maçons prêtent leur obligation sur le Volume de la Loi Sacrée, ouvert sur l'Autel des serments et sur­monté de l'Equerre et du Compas. Tous leurs travaux se dérou­lent en présence de ce symbole unique aux triples dimensions.
Pourquoi, me direz-vous, ces trois symboles : 1° L'équerre : c'est un instrument rigide qui nous donne l'angle droit par lequel la pierre brute est rendue cubique et devient apte à être assem­blée en un édifice harmonieux. L'équerre permet de passer du désordre à l'ordre, de l'homme conçu comme nature désordonnée et livrée aux passions à l'homme soumis à la raison et à la volonté. Elle est symbole de rigueur, de rectitude vis-à-vis de soi et vis-à- vis des autres. Quant au compas, c'est un instrument essentielle­ment mobile et qui sert à tracer le cercle, sans commencement ni fin, et qui sert à mesurer. Il est le symbole de la mesure du mouvant par rapport à l'inerte, symbole de l'esprit dans son dyna­misme constructeur. L'Equerre et le Compas sont toujours asso­ciés et unis dans un rapport complémentaire, disons même dialec­tique. Enfin, cette Equerre et ce Compas, sont placés sur le Volume de la Loi Sacrée. Le plus souvent dans nos Loges, c'est la Bible (Ancien et Nouveau Testament) généralement ouverte à l'Evangile de Jean. Mais on peut l'ouvrir à l'Ancien Testament, au Livre des Rois par exemple. D'autres livres sacrés peuvent être utilisés, si l'impétrant est d'une confession différente : par exem­ple : le Coran, le Tao Te King, les Vedas ou le Zen Advesta...

Que peut signifier ce livre sacré pour un Franc-Maçon Ecos­sais ? Disons tout de suite, en conformité avec la philosophie de notre Ordre, qu'il ne peut avoir qu'une signification adogmatique et universelle et justement universelle parce qu'elle est adogma­tique. Nous voulons dire par là qu'il ne saurait être interprété à la lumière de tel ou tel canon, de telle ou telle religion ou de tel ou tel dogme. Il n'est pas pour nous Francs-Maçons Ecossais, le livre des Juifs, pas plus que celui des catholiques, pas plus celui des protestants ou autres anglicans. Il est pour nous le livre de tous les hommes de bonne volonté qui cherchent la lumière. Il est par-delà toute controverse théologique que nous écartons par principe et par définition, le livre de la Tradition, de la Lumière et de l'Amour des hommes. Nous retenons et ne voulons retenir de son message que cette parole essentielle, hier comme aujour­d'hui et aujourd'hui comme demain n Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Il s'agit bien pour nous de voir en tout homme, un frère, c'est-à-dire de le reconnaître et de le traiter non pas comme un étranger ou une chose, mais comme une personne, comme un homme. Et c'est en cela que nous serons dans la lumière car, ainsi que dit Jean dans ses Epîtres : « Celui qui dit être dans la lumière et qui a son frère en haine est dans les ténè­bres », K Celui qui aime son frère demeure dans la lumière ». (*).


C'est ici que l'amour fraternel devient lumière et que cette lumière se confond avec cet amour fraternel. La loi, notre loi est suspendue à cette seule idée de fraternité totale et universelle. Cette loi de charité et de justice, il ne s'agit pas seulement de la reconnaître, mais il faut surtout la pratiquer « Quiconque ne pratique pas la justice n'est pas né de Dieu » nous dit encore Jean et il ajoute « N'aimons pas en paroles mais en oeuvres avec vérité » (2). La vérité de notre amour ce seront nos œuvres qui en seront les témoins. Il s'agit de K pratiquer la justice » K faire » le bien (3). Si bien que dans cet esprit, le vrai fidèle c'est celui dont les œuvres sont bonnes même s'il s'écarte des dogmes. L'infidèle c'est celui qui tout en étant d'accord avec les dogmes, s'écarte du véritable esprit de charité. Or, le volume de la Loi sacrée dans la Loge rappelle et doit rappeler à chaque instant au Franc-Maçon qui est un homme, qu'il doit toujours s'efforcer d'obéir à cette loi de justice et d'amour.


Tel nous apparaît bien au-delà des rivalités religieuses et des querelles confessionnelles, le sens véritable de ce message, la vérité de cette loi.

Car il est profondément vrai que «  Si nous marchons dans la lumière, nous faisons société avec les autres » et que a celui qui aime ses frères est dans la lumière » (4). Ici encore amour et connaissance se rejoignent dans une seule et même idée, dans une seule et même espérance.
Comme l'évoquait au XVllle siècle le Chevalier de RAMSAY : «  La Franc-Maçonnerie est bien cette résurrection de la religion noachique, celle du patriarche Noé, cette religion universelle anté­rieure à tout dogme et qui permet de dépasser les différences et les oppositions de confessions », qui permet de dépasser toutes différences et toutes les divisions, ajouterons-nous, à condition certes, de bien vouloir entendre son message et son enseigne­ment.

Question :

Me permettez-vous, Monsieur, de vous poser une autre ques­tion. Votre Constitution que vous m'avez si aimablement donnée et que je viens de lire, dit que la Franc-Maçonnerie cherche la vérité et que dans cette recherche, il n'est admis aucune limite et aucune entrave, ce qui suppose la liberté de conscience comme règle. Dès lors ne pensez-vous pas qu'il y a contradiction entre ces deux affirmations, celle du Grand Architecte de l'Univers d'une part et d'autre part celle de la Liberté de Conscience ?

Réponse :

Non seulement il n'y a pas de contradiction entre ces deux affirmations, mais au contraire il y a complémentarité. On ne sau­rait affirmer la liberté de la pensée sans affirmer le Grand Archi­tecte de l'Univers, celui-ci apparaissant comme le support, le garant, le fondement de la liberté de pensée.
Ici, Monsieur, expliquons-nous. Certains vous diront et vous démontreront que la pensée humaine n'est pas libre ; qu'elle est déterminée par des facteurs biologiques, économiques et sociaux, et qu'elle l'est totalement. Ils nous assurent que notre conscience n'est que le reflet de tendances inconscientes, d'impératifs éco­nomiques et sociaux ou le fruit de notre ressentiment. Certes la pensée appartient en partie à l'ordre du fait et de l'histoire mais n'appartient pas qu'à eux seuls. Elle appartient aussi à un autre ordre, de Droit qui est celui de la Vérité et elle lui appartient dans la mesure où elle est justement recherche de la Vérité. Et c'est cette recherche de la vérité qui définit mieux que tout autre la pensée véritable. On ne saurait comprendre la nature de la pensée si l'on ne comprend en elle ce qui est intention, recherche de la vérité. Et remarquons ici que lorsque dans l'his­toire, des hommes ont demandé la liberté de pensée, ils ne deman­daient pas d'exprimer ce que leur dictait leur inconscient ou leur classe, ils ne demandaient pas de dire n'importe quoi, ils vou­laient exprimer la vérité ou ce qu'ils croyaient être la vérité. Ils nous montrent par là que pour eux, comme pour nous, liberté et vérité sont intimement, nécessairement liées, que la liberté de pensée ne peut exister sans l'ordre de la vérité.
Eh bien pour nous Francs-Maçons écossais, le Grand Archi­tecte devient fondement de cette vérité et si vous me permettez le langage philosophique, le Grand Architecte devient le fonde­ment ontologique de la Vérité. Mais ici, il faut tout de suite ajouter ceci : que le Grand Architecte s'il est Dieu est un Dieu ineffable, un Dieu absent, il est l'Etre Inconnu.

L'Etre qu'aucun homme quel qu'il soit, fût-il le Pape ou l'Arche­vêque de Canterbury, l'Etre qu'aucune confession religieuse, quelle qu'elle soit, juive, catholique, anglicane et protestante ne saurait définir et dont elle ne saurait imposer le contenu à la libre conscience des hommes. On peut même aller plus loin et dire que dans leur origine et leur authenticité les religions ne disaient pas autre chose. « Je suis ce que je suis » nous dit le Dieu d'Israël, ce qui signifie que moi homme je n'ai pas à cher­cher à le comprendre et à le définir. Et la révélation me direz- vous ? L'idée de révélation n'a rien à voir avec la Franc-Maçonnerie. La révélation concerne les consciences individuelles, qui sont libres de croire ou de ne pas croire au Dieu personnel de telle religion particulière. La Franc-Maçonnerie se situe au-delà de toutes les religions, de la révélation mosaïque, comme de la révé­lation chrétienne, ou musulmane. Voilà pourquoi, Monsieur, nous pensons que ces deux affirmations, celle du « Grand Architecte » et celle de la liberté de conscience ne sont pas contradictoires, mais encore une fois, complémentaires. Il n'y a de liberté véritable que si l'on pose, transcendant à tous les ordres de fait, ceux de la nature et ceux de l'histoire, un ordre de Droit qui devient l'unique recours de la conscience libre. C'est ainsi qu'en travail­lant à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers, les Francs- Maçons de la Grande Loge de France, affirment dans le même temps la liberté de la personne humaine.


Question :

La Grande Loge de France proclame son indéfectible fidélité et son total dévouement à la patrie, dites-vous dans l'article Ill. En élargissant la question, peut-on vous demander quels sont les rapports de la Franc-Maçonnerie avec la politique ou plutôt avec le politique ?

Réponse :

Il est dit, Monsieur, dans les Constitutions d'Anderson, article Il, qu'un Maçon est un sujet paisible des pouvoirs civils tant au lieu de sa résidence qu'à celui de son travail et qu'il ne sera jamais impliqué dans aucun complot ou aucune conspiration contre la paix et la prospérité de la nation, qu'il ne manquera à aucun de ses devoirs envers les autorités.
La Franc-Maçonnerie n'a jamais essayé de se placer en dehors des lois. Les Francs-Maçons respectent les lois civiles de la société dans laquelle ils vivent. Ils sont des citoyens loyaux et qui se veulent responsables.

En tant que citoyens, ils peuvent et ils participent souvent aux affaires de la Cité, comme les autres citoyens, mais contrai­rement à une opinion aussi répandue que fausse, ils ne reçoivent aucun mot d'ordre auquel ils seraient tenus d'obéir. Pas plus en politique qu'en religion, il n'y a de credo Maçonnique. Et dans les Loges, il est fréquent de voir se cotoyer sur nos colonnes, le

libéral » et le « socialiste », le « radical » et « l'indépendant », le « progressiste » et le « conservateur », comme se côtoient le juif » et le « chrétien », « l'intellectuel » et le « manuel » ; tous sont tenus par la discipline de la Loge, de respecter les opinions d'autrui et d'éviter les disputes et les querelles. N'est-ce pas d'ailleurs ce que disait déjà l'article VI des Constitutions d'Anderson et que nous nous efforçons d'appliquer avec toute la rigueur possible.
« Brouilles et disputes ne doivent point franchir la porte de la Loge et bien moins encore toutes querelles d'ordre religieux, patriotique et politique ».
 
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Le Grand Homme, les outils de l'architecte et l'âme universelle
(Bâle 1650)
Question :
Cependant, Monsieur, il n'est pas difficile de constater que des Francs-Maçons occupent très souvent des postes de haute responsabilité dans l'Etat et jouent un rôle considérable dans la vie politique de leur pays. Par exemple aux Etats-Unis où de nombreux présidents ont été et sont Maçons, en Amérique du Sud, en Angleterre et en France même ?
Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Réponse :

Eh bien, Monsieur et au risque de paraître me contredire, je vous répondrai justement parce qu'ils sont Maçons. Et je vous prie de m'écouter et de m'entendre. Il est vrai que la Loge n'est pas un « clan » politique et que toute « politique politicienne » comme on dirait, doit en être absente. Mais il est vrai aussi que le Franc-Maçon est un opératif, un constructeur, je veux dire qu'il n'est pas un pur contemplatif. Son idéal, il veut le réaliser, il veut le mettre en oeuvre. Aussi s'engage-t-il souvent dans les affaires de la Cité mais il s'efforce de le faire avec cette mesure, ce sens de la responsabilité, qu'il a appris en Loge. De plus s'il pense que la Franc-Maçonnerie doit s'attacher au perfectionnement de l'individu, à l'amélioration de l'homme, il pense qu'une des condi­tions de cette amélioration de l'individu se trouve aussi dans un aménagement social plus juste et plus « vrai ». En particulier, il ne saurait concevoir une société, où les droits de la personne humaine dans le libre exercice de sa pensée et de ses actes, ne seraient pas garantis et sauvegardés. Le Franc-Maçon n'est pas un homme désincarné, un animal réduit à sa seule dimension métaphysique ; il est aussi un être qui a une dimension sociale, politique et culturelle. N'oublions pas que nous sommes les héritiers des Maçons du Moyen Age. Au point de vue du travail, il faudrait distinguer le métier franc en face de la corporation. Sur le plan politique, les villes franches forment des îlots de liberté en face du pouvoir féodal, comme la Loge de Maçons francs et acceptés est un lieu de liberté en face de dogmatismes de toutes sortes, le Franc-Maçon est un homme libre. Des évé­nements qui sont encore dans toutes les mémoires pourraient en témoigner. Lorsque la France a été envahie et occupée, que les droits de l'homme ont été bafoués par le nazisme, nombreux sont les Francs-Maçons qui ont témoigné de leur indéfectible dévouement à la patrie et à la liberté et ont sacrifié leur vie pour les défendre.

Question :

Monsieur, il est une idée qui est d'habitude attachée à la Franc-Maçonnerie, c'est celle du secret. Y a-t-il un secret Maçon­nique et quel est-il ?

Réponse :

Oui il y a un secret Maçonnique. En quoi consiste ce secret ? Je ne peux pas vous le dire mais je peux vous dire ce qu'il n'est pas et cela vous permettra d'éliminer un certain nombre d'idées fausses. Rejetons d'abord ce qui a constitué jadis et ce qui cons­titue encore pour quelques esprits attardés, une calomnie gros­sière.
L'accusation du complot.

Dès la fin du XVIIIe siècle en effet, la Franc-Maçonnerie fut accusée de travailler en secret à renverser les trônes et l'Eglise. A la suite de l'Abbé Baruel, les anti-maçons les plus virulents virent en elle l'instigatrice de la révolution française y compris la terreur, et comble de stupidité, quelques dizaines d'années plus tard, des Maçons oublieux de leurs authentiques tradi­tions, acceptaient avec ravissement que leurs ancêtres aient joué un pareil rôle. Ignorance historique, que de crimes on commet en ton nom ! N'en déplaise aux maniaques de l'ubiquité maçon­nique, la devise de la République : Liberté, Egalité, Fraternité n'est pas sortie de nos loges et il y eut beaucoup plus de Maçons guillotinés que de Maçons guillotineurs. Les Maçons de ce temps étaient dans leur très grande majorité, royalistes, favorables certes à une évolution constitutionnelle de la monarchie, mais tout de même fidèles au trône. Quant à l'accusation de complot contre l'Eglise, elle est tellement peu fondée que la première Bulle d'excommunication « in eminenti » promulguée en 1738 par le Pape Clément XII, ne reproche que le caractère secret des réunions et, incapable de donner le moindre motif à la condamnation se réfugie dans la vague formule « pour des motifs de nous seuls connus ».

Même dans les grandes périodes anticléricales de la Ille Répu­blique, les Maçons dans leur ensemble n'ont voulu s'attaquer qu'à certains privilèges de l'Eglise et non à l'Eglise elle-même. Les discussions suscitées par les articles de la Loi de Séparation des Eglises et de l'Etat le prouvent, loi qui soit dit en passant, s'est révélée à l'avenir absolument providentielle aussi bien en ce qui concerne la subsistance matérielle des Eglises, que leur liberté, au point que celles-ci devraient considérer Emile COMBES et Aristide BRIAND comme de grands bienfaiteurs. Il y eu certes des excès et des prises de positions nettement antireligieuses, mais elles furent l'exception et disons-le tout net, personne aujourd'hui ne les considère comme d'inspiration maçonnique. Ou bien il faudrait considérer comme d'inspiration spécifi­quement catholique la propagande antisémite et antidreyfu­sarde de l'époque. Quant à l'accusation de complot contre l'Etat, la valeur des hommes politiques Maçons de cette époque, ainsi que leur patriotisme suffit à en démontrer l'absurdité.

Il semble qu'aujourd'hui on ait fait justice de tout cela.

Le secret Maçonnique résiderait-il donc dans nos rituels qui ordonnent nos cérémonies ? Non encore. Très tôt ces rituels ont été connus et on peut se les procurer avec une relative facilité. Le secret Maçonnique n'est ni politique, ni rituelique. Il est encore moins celui que posséderaient des hommes doués de pou­voirs magiques et mystérieux. On ne pratique dans les Loges ni envoûtements, ni invocations sataniques.
D'où vient alors la nécessité du secret maçonnique. A quoi lui-même correspond-il, puisque je l'ai dit, je n'ai ni la volonté, ni la possibilité de le communiquer ? Tout simplement de la nature même de l'initiation. A l'inverse du sacrement l'initiation ne confère pas une grâce « Ex opere operato », bien que comme lui elle veuille faire changer l'individu. Elle lui ouvre une voie, lui montre un chemin. Imaginons par exemple deux alpinistes placés devant la paroi abrupte d'une montagne. L'initié sera celui qui aura le regard assez perçant pour découvrir les traces de précé­dents passages et saura de plus les utiliser. Aux points d'appui qu'il aura pu repérer il ajoutera les siens propres et pourra ainsi mener à bien son ascension. Vous l'avez compris, même en utili­sant ce que son prédécesseur a laissé, il ne peut compter que sur son effort personnel. Le profane qui se prépare a être initié se trouve un peu dans cette situation. La tradition de notre ordre va lui présenter un certain nombre de symboles lors de la cérémonie d'initiation, symboles qui d'ailleurs l'accompagneront tout au long de sa vie maçonnique.

Quelques explications lui seront certes données, car un sym­bole, tout en ouvrant la voie à de multiples réflexions ne veut pas pour autant dire n'importe quoi. Cependant l'action essentielle du symbole sur l'être même de l'initié ne sera possible et efficace que si celui-ci fait l'effort de volonté nécessaire. De lui, dépend la réalité de l'initiation.


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Grand Temple de la Grande Loge de France.

Comment cet effort est-il fourni, quelle réaction suscite-t-il chez l'intéressé, à quoi aboutit-il, quel regard nouveau provoque-t-il sur le monde et sur soi ? Voilà autant de questions dont les réponses relèvent du véritable secret maçonnique. Secret qui existe donc pleinement, d'une part, parce que les réponses sont réelles, d'autre part parce qu'elles sont incommunicables. Seul celui qui vit ce genre d'effort peut savoir ce qu'il représente ; sans réelle participation, l'impression de l'extérieur ne peut qu'être inexacte. Si je reprends mon exemple de l'alpiniste, je ne puis m'empêcher de songer à toutes les critiques dont bien souvent ce sport est l'objet. Pourquoi tenter de telles ascensions, pour­quoi utiliser les chemins les plus difficiles ? Temps perdu, énergies et vies gâchées, telles sont les conclusions auxquelles arrivent ceux qui jugent cette activité du dehors. Le même genre de remar­ques s'entend à propos des rites maçonniques. Vus de l'extérieur ils sont plus ridicules qu'inquiétants, leur spectateur se trouvant dans l'impossibilité ontologique de les recevoir. C'est la raison fondamentale pour laquelle, la Franc-Maçonnerie ne voulant trom­per personne, les garde secrets. De plus, il ne faut pas oublier que ces rites ont pour but de transformer un être. Les effets qu'ils produisent, pour être durables et conduire à une réelle évolution ne doivent être connus que par l'intéressé lui-même. Quel homme se laisserait totalement pénétrer par le symbolisme, interpeller par le rite dans le plus profond de son être, s'il savait que ses réactions étaient épiées par des regards étrangers et critiques. Pour tout témoin, il faut qu'il n'ait que le Grand Architecte de l'Univers et lui-même, tout en se sentant soutenu par la présence fraternelle d'hommes qui ont subi et qui vivent la même initiation que lui. L'Eglise agit d'ailleurs exactement de la même façon en veillant au caractère secret des confessions. L'engagement solennel que prend le prêtre, l'entretien privé au cours duquel le fidèle expose ses problèmes, constituent autant de garanties don­nées à la personne humaine pour que les différentes phases au travers desquelles son être va passer pour se réconcilier avec Dieu, restent secrètes. Ainsi seront-elles vécues avec authenticité et efficacité.

Tout ce qui vise à l'évolution de l'être humain dans le sens d'une réconciliation avec Dieu ou encore, comme c'est le cas pour la Maçonnerie, dans le sens d'une recherche d'une meilleure har­monie avec les lois du Cosmos pour parvenir à la sagesse, tout cela ne peut s'accomplir valablement que dans le secret des cœurs.


Question :

Dans la Constitution de la Grande Loge de France, il est écrit « La Franc-Maçonnerie est un Ordre Initiatique traditionnel et Uni­versel fondé sur la Fraternité ».

Réponse :

Nous voulons dire d'abord qu'elle n'est pas une église, fondée sur une révélation, ce qui impliquerait une foi particulière. Mais elle n'est pas non plus et ne peut pas être une société de type profane, analogue soit à un parti politique, soit à un syndicat, soit à un club, fût-il progressif et de bonne compagnie.
Les Francs-Maçons sont des hommes qui cherchent la vérité ; ce qui implique deux idées en apparence contradictoires mais en fait complémentaires.
La première, et pardonnez-moi cette lapalissade, c'est que s'ils cherchent la vérité, ils ne la possèdent pas, et ne prétendent pas la posséder d'une manière ou d'une autre. Ce qui exclut par principe tout dogmatisme et tout fanatisme de leur part, ce qui entraîne nécessairement chez eux, la tolérance et le respect de la personne d'autrui.
La Franc-Maçonnerie, écrivait Oswald Wirth, se distingue des églises par ce fait qu'elle ne se prétend pas en possession de la vérité. L'enseignement Maçonnique ne comporte ni dogme, ni credo d'aucune sorte. Chaque Franc-Maçon est appelé à cons­truire lui-même l'édifice de ses propres convictions ».

Mais si le Franc-Maçon ne prétend pas posséder la vérité, il n'en résulte pas, par là qu'il professe un scepticisme systé­matique et un laxisme de la pensée et de l'action. Aussi diverses que soient leurs croyances religieuses et leurs convictions métaphysiques, les Francs-Maçons se rejoignent pour affirmer qu'il y a une vérité essentielle et primordiale dont le Grand Archi­tecte est le symbole éternellement vivant. Et c'est cette vérité qu'ils recherchent avec « leur âme tout entière » pour reprendre la si belle expression de Platon.

Tel est d'abord le sens de l'initiation, celui d'une quête, d'une recherche et d'une volonté de recherche jamais achevée. Cette recherche s'effectue, au sein de la Loge, sorte de Maître collectif, au moyen des rites et des symboles. Comme son étymologie l'indi­que, l'initiation est un commencement ; grâce à elle il s'agit de nous mettre en route, vers ce que nos vieux rituels appellent la lumière. Aussi ne faut-il pas la concevoir comme une sorte d'état, mais plutôt comme un acte, comme une longue chaîne d'actes, comme une méthode de recherche et d'élévation spiri­tuelle.

Cette initiation nous la poursuivons conformément à la tradi­tion millénaire des constructeurs-qui dans la pratique quotidienne du travail et de la réflexion réalisaient en eux-mêmes et dans leurs œuvres, l'équilibre de la sagesse, de la force et de la beauté, par une quête perpétuelle de la vérité et par une collaboration constante à l’œuvre de création. J'ajouterai que l'initiation Maçon­nique s'adresse à l'homme tout entier, certes à son intelligence et à sa raison mais aussi à sa sensibilité et à son cœur. L'initia­tion Maçonnique veut en principe apporter au Franc-Maçon une connaissance mais qui ne saurait se réduire à celle, abstraite et générale, que nous apporte la science technicienne ; l'initiation Maçonnique veut provoquer en nous une émotion et susciter un espoir. Sa finalité c'est de changer radicalement l'homme que nous sommes, d'opérer une mutation profonde de sa structure existentielle et morale, de faire naître l'homme nouveau.


Question :

Mais, cet ordre initiatique, dites-vous, est traditionnel, qu'est- ce pour vous que la tradition ? Que représente-t-elle pour un Franc-Maçon Ecossais ?

Réponse :

Dire de la Franc-Maçonnerie qu'elle est un ordre initiatique et traditionnel est à la limite un pléonasme. L'idée de tradition et celle d'initiation sont consubstantielles. Dire que la Franc-Maçon­nerie est une société traditionnelle, c'est dire que la tradition fait partie de sa nature même, de son essence.
Remarquons que lorsque Anderson énonçait les règles de la Franc-Maçonnerie spéculative, il est rattachait aux règles de la Franc-Maçonnerie opérative ; les Francs-Maçons opératifs eux- mêmes respectaient les traditions, et ainsi de suite jusqu'à une « Tradition primordiale », à laquelle d'ailleurs on peut attribuer le rôle, le statut d'un mythe. Cette expérience vécue de la tradi­tion conduit à une sagesse, celles de ces morts dont Auguste Comte a pu dire « qu'ils gouvernent les vivants ». Donc il nous semble que Tradition et Franc-Maçonnerie sont synonymes. Si la Franc-Maçonnerie perdait la tradition de ses rites d'initiation, elle deviendrait une sorte de club politico-philosophique.

Mais une tradition a un contenu. L'idée fondamentale de la Franc-Maçonnerie serait celle de cette voie initiatique qui passe par la recherche du vrai, du bien et du beau : sagesse, force, beauté, représentent dans nos rituels cette trilogie. Cette idée de tradition initiatique qui définit la Franc-Maçonnerie contient d'abord l'idée du secret. Le contenu d'une initiation est réservé aux seuls initiés et la communication de ce secret aux profanes est vaine, parce que déformante. A la limite, le secret Maçonnique parce que initiatique est intransmissible par le seul verbe ou la seule écriture. Pour être compris, il doit être expérimenté, c'est-à- dire vécu. Nous trouverions ensuite la tradition d'un Rite et d'un Rituel (en particulier les rites d'ouvertures et de fermetures qui ont pour fonction de séparer le monde « sacré » du monde « profane »). N'oublions pas que le lieu où se réunissent les Maçons est un Temple et que ce Temple a été consacré. Nous trouverions encore la tradition des degrés dans l'initiation elle-même, ici, Apprentis, Compagnons et Maîtres et enfin la pratique du symbo­lisme. Tradition et symbolisme s'impliquent réciproquement : une tradition transmet des symboles et réciproquement, une symbo­lique n'a de sens que par une tradition.


Question :

Mais qu'est-ce qui ferait l'originalité de la tradition initiatique de la Franc-Maçonnerie ?

Réponse :

L'originalité, le caractère propre de la tradition Maçonnique, ce serait sans doute de refuser l'opposition absolue entre science et sagesse, contemplation et action, matière et esprit. Vous avez pu remarquer que les symboles propres à la tradition Maçonnique sont principalement des outils (5) ; la règle, l'équerre, le compas, le maillet..., instruments d'une technique qui repose sur des sciences comme la géométrie ou l'arithmétique et vous savez comme moi selon une formule désormais célèbre que l'homme avant d'être « homo sapiens » a été « homo faber ». C'est par la fabrication et l'utilisation des outils que l'homme est devenu animal raisonnable, c'est-à-dire un homme véritable. Aussi bien l'usage symbolique des outils dans le travail Maçonnique est-il essentiel à notre tradition. De plus, la tradition Maçonnique exprime une attitude fondamentale de l'homme occidental, attitude que nous retrouverions d'ailleurs dans ses traditions religieuses et philosophiques et qui consiste non pas à opposer l'esprit et la matière et à essayer de dépasser celle-ci en la niant et en s'ins­tallant dans un vague et hypothétique « Nirvana », mais en s'efforçant de connaître sa structure et son fonctionnement pour la dominer et la transformer selon les lois de l'esprit lui-même. Ce qui amène ce même homme, et le Franc-Maçon en est comme la vivante incarnation, non plus à séparer radicalement et à opposer absolument, la contemplation et l'action mais au contraire à les concilier et à les unir. Cette idée de contemplation, de connaissance et cette idée d'action impliquent l'idée de liberté, de la liberté de la pensée et de la liberté de l'action. Ici, on peut faire remarquer que la Franc-Maçonnerie a recueilli l'héritage du siècle des lumières qui est celui de sa naissance en tant que Franc-Maçonnerie spéculative, mais aussi celui de la Franc- Maçonnerie opérative : un Franc-Maçon c'est un Maçon libre.
Ainsi cette idée de liberté nous semble l'idée essentielle qui éclaire l'ensemble de toute la tradition Maçonnique.
 
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Parvis du Temple Franklin Roosevelt.
Question :
A plusieurs reprises, vous avez prononcé le mot de symbole, symbolisme, symbolique. Quelle est selon vous le caractère du symbolisme Maçonnique et quelle est sa valeur ? Quelle est aussi son origine ?

Réponse :

Le symbolisme Maçonnique n'a pas une origine mais en a plusieurs. Les symboles Maçonniques sont d'abord empruntés à l'art de bâtir, par exemple l'équerre, le compas, la règle, le maillet... D'autres trouvent leur origine dans la religion judaïque et chré­tienne comme le triangle, le delta lumineux, le pavé mosaïque, la chaire du Roi Salomon... et d'autres dans la tradition hermé­tique et alchimique, comme les quatre éléments, la terre, l'air, l'eau, le feu, ou bien le sel, le soufre et le mercure. N'oublions pas aussi les symboles chevaleresques comme les épées, les cordons, l'aigle... Vous voyez que la symbolique Maçonnique est très riche et se rattache à des traditions multiples et diverses. Mais plutôt que de me livrer à une interminable énumération, je voudrais avec vous m'interroger sur sa signification. Car compren­dre la signification du symbolisme, c'est comprendre ce qu'est et ce que veut être la Franc-Maçonnerie spéculative. Les diction­naires nous disent qu'un symbole est un signe de reconnaissance formé par les deux moitiés d'un objet que l'on rapproche, qu'il est par extension, un signe concret qui évoque quelque chose d'absent ou d'impossible à percevoir. Tout symbole comporte et réunit deux moitiés ou deux parties, l'une, si vous me permettez ce jargon, que l'on appelle le signifiant, l'autre que l'on appelle le signifié. Le signifiant, c'est la moitié visible du symbole, par exemple, cette équerre, ce compas que je vois, que je touche. Le signifié, ce à quoi renvoie le signifiant, c'est la moitié invisible, ineffable, ce qui positivement ne peut être vu, nommé mais seulement évoqué, suggéré. Ainsi tout symbole a deux caractères : il est à la fois fragmen­taire et complémentaire. Il est un fragment d'être qui renvoie à l'Etre et d'abord à cet être du sujet que je ne peux pas saisir objectivement, je veux dire ma conscience, c'est-à-dire ma liberté. Dans la connaissance symbolique je fais chaque fois l'expérience de ma liberté, comme libre interprétation. Le symbole renvoie ensuite à cet au-delà de l'objet, c'est-à-dire à cette structure fondamentale des choses que je ne peux jamais saisir totalement et appréhender positivement. Peut-être à ce que Platon appelait l'Idée du Bien, peut-être à l'Archétype fondamental, à ce que les méta­physiciens du XVIle siècle appelaient l'Etre. Ce signifiant, cet être fragmentaire, renvoie à son complémentaire, au signifié, au grand Tout, au Cosmos, à l'Etre lui-même. Le symbole est ainsi un fragment de vérité qui renvoie à la Vérité. C'est un fragment d'être qui renvoie à l'Etre. Et si dans notre vie quotidienne nous vivons dans le fini, la pensée symbolique nous permet d'accéder à l'Infini, que celui-ci soit du côté du Cosmos ou du côté de l'Esprit.

La pensée symbolique est une pensée qui par définition est ouverte, ouverte à tout ce qui dépasse l'homme et qui permet à celui-ci, par cette ouverture, de se dépasser. Or, dans notre monde et dans notre civilisation peut-on sauver l'homme sans faire appel à ce qui les dépasse ? Nous ne le pensons pas. La Franc- Maçonnerie écossaise traditionnelle veut être le lieu spirituel de ce dépassement, la voie de cette espérance.


Question :

La Franc-Maçonnerie est universelle. En quoi consiste cette universalité ?

Réponse :

Nous disons que la Franc-Maçonnerie est universelle. Elle n'est pas internationale. Nous voulons dire qu'il n'existe aucun organisme international supérieur aux Grandes Loges. Celles-ci assurent, chacune sur leur territoire, le maintien de la tradition initiatique. Les Conférences internationales peuvent réunir les Grands Maîtres de ces Grandes Loges mais elles n'ont aucun droit d'ingérence dans les affaires intérieures des Obédiences. En disant que la Franc-Maçonnerie est universelle, nous voulons dire que notre Ordre applique dans sa configuration matérielle, les principes moraux et spirituels qui constituent son âme. Elle réunit des Frères dans un effort initiatique commun par une méthode symbolique commune. Mais alors que l'universalité pour certaines institutions passe par la croyance et l'acceptation d'un dogme religieux ou idéologique, pour la Franc-Maçonnerie, l'universalité passe par la liberté de conscience et repose sur elle ; le Franc- Maçon est un homme libre dans sa Loge libre. Il s'agit par cette liberté et dans cette liberté de « réunir ce qui est épars » et de réaliser ainsi le « centre de l'union » « par une amitié vraie entre des personnes qui auraient dû rester éloignées les unes des autres ».

Question :

Monsieur, dans l'histoire on a souvent opposé les Eglises, et surtout l'Eglise catholique romaine et la Franc-Maçonnerie. Est-ce qu'il y a selon vous une incompatibilité entre la foi religieuse en général et la Franc-Maçonnerie ?

Réponse :

Pour beaucoup de gens encore, foi chrétienne et Franc- Maçonnerie sont incompatibles. La liberté de conscience prônée par notre Ordre, son excommunication par le Pape au XVIIIe siècle, ses combats contre le cléricalisme à la fin du siècle dernier appa­raissent comme autant de preuves d'une opposition irréductible. Certes le public intéressé par ces questions sait que des contacts officiels ont été renoués entre les Eglises et la Franc-Maçonnerie comme en a témoigné en juin 1971 la visite à la Grande Loge de France de Monseigneur Daniel Pézeril, évêque auxiliaire de Paris. Mais ce même public a entendu récemment les paroles d'un autre évêque, en rupture de ban avec Rome certes, clouant la Maçon­nerie au pilori, sous l'accusation éculée de satanisme. Le côté fanatique et extravagant de pareils propos n'a pas échappé bien sûr aux esprits avertis. Mais nous sommes « payés » pour savoir, nous autres maçons qu'il reste toujours quelque chose des calom­nies que l'on profère, surtout quand celles-ci sont de taille. Peut- être ne croira-t-on pas que les messes noires constituent une des pratiques habituelles des Loges, mais on risque d'en déduire qu'il n'y a pas de fumée sans feu et de voir ainsi dans de semblables accusations le reflet d'une inimitié essentielle entre la démarche maçonnique et celle de la foi.
Pour tenter d'y voir plus clair, il est bon ce me semble de faire en premier lieu un bref rappel historique. Les fondateurs de la Franc-Maçonnerie spéculative, les pasteurs Anderson et Désa­guliers étaient des chrétiens convaincus. L'obligation faite aux maçons de croire en Dieu est d'ailleurs inscrite à l'article I de leurs Constitutions. Et ce n'est certes pas l'esprit maçonnique qui vida les loges de leurs éléments catholiques dans nos pays latins, mais tout simplement la bulle pontificale d'excommunica­tion. Encore fallut-il attendre plus d'un siècle puisqu'en 1867 le Grand Orient de France commandait une messe à Notre-Dame pour les obsèques de son Grand Maître, le Maréchal Magnan. Pendant très longtemps on a donc pu être chrétien et même chrétien catholique romain et appartenir à une Loge maçonnique sans se trouver gêné. Les conflits qui ont pu survenir par la suite viennent beaucoup plus d'une évolution contre-nature de l'Eglise et de la Franc-Maçonnerie que d'une opposition essentielle.
Expliquons-nous. L'Eglise catholique romaine, la seule à être entrée en conflit ouvert avec les Loges a cru utile d'accroître son autoritarisme au cours du XIXe siècle. Le point culminant est incon­testablement le règne de Pie IX, avec des textes comme le Sylla­bus, l'Encyclique QUANTA CURA et surtout le vote lors du ter Concile du Vatican du dogme de l'Infaillibilité pontificale, venant couronner les luttes séculaires de la Papauté pour faire triompher sa primauté. Le dogme déjà considéré comme infaillible, c'est-à- dire comme expression absolue et totale de la Vérité, donc irréfor­mable, pouvait maintenant être proclamé, non plus par le Concile oecuménique seulement mais par le Pape seul, ce qui renforçait encore le côté arbitraire.

Quoi d'étonnant alors de voir le clérica­lisme de l'Eglise catholique s'accentuer. C'était là, la conséquence d'une « vaticanisation » outrancière de l'Eglise et d'un renforce­ment abusif de la puissance papale.

Aussi quand les maçons de nos pays latins se sont opposés à une pareille Eglise au nom de la démarche initiatique impliquant une recherche permanente de la Vérité, incompatible donc avec le catholicisme autoritaire et dogmatique dont je viens de parler, ils ne se sont pas véritablement attaqués à la foi chrétienne mais à des abus de cette foi. D'autres chrétiens, les protestants s'étaient opposés à l'autoritarisme du Pape et aux implications théologi­ques qu'il entraînait. En proclamant le principe de l'autorité de l'Ecriture Seule, Martin Luther replaçait le dogme à une place qu'il n'aurait jamais dû quitter, celle du point de repère pour l'esprit. Fait de mots humains empreint dans sa forme d'une logique humaine, soumis constamment à la Parole de Dieu, un tel point de repère ne saurait être infaillible. L'adhésion qu'il réclame ne signifie donc pas pour l'esprit un arrêt de la réflexion mais en fait une étape dans la recherche incessante d'une formu­lation toujours à améliorer de la Vérité. Cette conception du dogme, beaucoup plus conforme à la foi, au Dieu de la Bible dont le Nom est imprononçable est actuellement partagée par de nom­breux catholiques. La foi chrétienne est donc revenue à une cer­taine pureté dans une dimension oecuménique et apparaît dans cette forme-là comme parfaitement compatible avec une quête initiatique.
Encore faut-il qu'il s'agisse vraiment d'une quête initiatique, c'est-à-dire que la Maçonnerie qui la propose soit restée fidèle à ses traditions et à ses « Devoirs ». Quel que soit le nom qu'on leur donne, la Maçonnerie traditionnelle a des règles.

On objectera peut-être, que celles qui regardent la Maçon­nerie sont d'ordre rationnel, ce qui n'est pas toujours le cas pour la religion. C'est vrai, et nous touchons là une différence essentielle de la méthode entre le cheminement initiatique et le cheminement religieux. L'initiation fait en effet d'abord appel à une recherche personnelle à l'aide de la raison alors que la reli­gion sollicite la foi à partir de l'annonce d'une révélation. L'une utilisera des symboles, l'autre plus volontiers des énoncés théolo­giques pour stimuler l'esprit. Dans le premier cas on parlera sur­tout de l'homme et de ses rapports avec l'univers, dans l'autre, de Dieu et de ses interventions dans l'Histoire. Un exemple précis peut, me semble-t-il, illustrer cela. Dans les loges qui travaillent au Rite Ecossais et qui sont fidèles à la Tradition, le Volume de la Loi Sacrée, une des Trois Grandes Lumières de la Franc-Maçon­nerie, est la Bible. Disons nettement qu'à ce rite, il ne peut être que la Bible et voici pourquoi : tout le symbolisme du rituel écos­sais est emprunté à la Bible comme l'essentiel des récits qui illus­trent les passages du grade. Il est donc logique que ce livre repré­sente en loge la Tradition et on prête serment sur lui dans les occasions solennelles. Mais entendons-nous bien, au niveau maçonnique, il n'est pas demandé de reconnaître en lui la Parole de Dieu révélée. Une pareille reconnaissance est du domaine de la foi. Si d'aventure la Franc-Maçonnerie la demandait, elle nuirait à sa mission universelle en éliminant des spiritualités qui refuseraient de reconnaître la Bible comme Parole de Dieu, et elle empiéterait sur le domaine de l'Eglise qui seule a autorité pour prendre des positions théologiques. Et, dire que la Bible est la Parole de Dieu, est une affirmation théologique fonda­mentale, soulevant immédiatement différentes questions quant à la façon de la comprendre, questions sur lesquelles les Eglises et les théologiens ont effectivement à prendre position, mais cer­tainement pas les Francs-Maçons en tant que tels. La Franc- Maçonnerie doit rester un « Centre d'Union » et interdire dans ses loges tout ce qui peut diviser et opposer les hommes. C'est la raison pour laquelle la Grande Loge de France ne demande aucun engagement de type religieux. Elle respecte trop l'Eglise pour cela. Voilà, à très gros traits, les différences de démarches. Il appa­raît alors clairement, me semble-t-il que celles-ci ne s'opposent et ne s'excluent nullement, car le symbolisme n'est constructif que s'il s'appuie sur une tradition et la théologie ne remplit sa fonction que si elle ne se sclérose pas dans un dogmatisme aveugle. Quand au but, il est sensiblement le même et peut être résumé ainsi : la connaissance de l'Ordre qui nous régit, et le vie en harmonie avec celui-ci au fur et à mesure des progrès que nous accomplissons dans sa connaissance. Si nous restons sur le strict plan maçonnique, nous parlerons alors de progrès dans la voie de l'initiation, progrès dans la connaissance de Dieu, ajoutera le chrétien.

Dans le temps de crise que nous connaissons en ce moment, il serait utile pour l'humanité que les voies initiatiques et reli­gieuses soient de plus en plus vécues ensemble par les mêmes individus. Ce ne serait là d'ailleurs qu'un retour aux origines qui ne pourrait qu'être prometteur dans la préparation du lende­main spirituel.

Question :

Dans les Constitutions d'Anderson, c'est la première phrase, il est écrit que « Le Maçon est tenu par son obligation d'obéir à la Loi Morale ». Y aurait-il une morale qui serait particulière à la Franc-Maçonnerie ? Que peut signifier pour un Franc-Maçon cette expression « Loi Morale » ?

Réponse :

Je répondrai d'abord à votre première question et au risque de vous décevoir je répondrai, non. Non, il n'y a pas de morale particulière au Franc-Maçon si l'on veut dire que le Franc-Maçon posséderait un « truc » (pardonnez-moi ce mot), une sorte de système D qui lui permettrait de résoudre immédiatement et par une sorte de miracle, les difficultés morales auxquelles il se trouve confronté, comme tous les autres hommes. Non encore, si l'on veut dire que le Franc-Maçon est obligé de se sou­mettre aveuglément et « comme un cadavre » à une autorité supé­rieure qui lui dicterait des ordres — autorité qui découlerait elle-même d'une doctrine, d'un système métaphysique quelcon­que, d'une croyance religieuse, d'un engagement idéologique. Dans l'ordre de la connaissance comme dans celui de l'action, le Franc-Maçon est un homme libre. Il ne se soumet et ne saurait se soumettre qu'à sa conscience, et aux Valeurs que cette conscience libre découvre et reconnaît au cours de sa quête initiatique.
La morale du Franc-Maçon découle donc de la démarche ini­tiatique. Elle est liée au progrès de la conscience elle-même, à celui de la connaissance, étant encore une fois entendu que cette connaissance ne se réduit pas et ne saurait se réduire à la science positive et technicienne.
Dans La Loge, à l'abri des agitations du monde, par la pratique rigoureuse du rituel et grâce à l'outillage symbolique, le Franc- Maçon, avec ses Frères, va à la conquête de sa raison et de sa volonté, de son esprit, c'est-à-dire de son être vrai. Et c'est ainsi qu'il passe de la servitude à la liberté. La morale Maçonnique est d'abord un apprentissage de la liberté. Mais là encore, cette liberté, fruit de cet effort méthodique et de cette longue patience, ne signifie pas pour le Franc-Maçon, le déferlement incontrôlé des puissances inférieures du moi, le défoulement débridé de sa libido, le relâ­chement de toutes ses frénésies, encore moins la réalisation de sa volonté de puissance. Cette liberté, ou si vous préférez cette libération, fruit de la connaissance, elle signifie maîtrise héroïque de soi, domination de ses instincts et de ses passions. Et c'est peut-être, parce que le Franc-Maçon a appris à se dominer, à se maîtriser, à faire régner en lui « l'ordre intérieur », qu'il peut écouter l'autre et s'ouvrir à lui. C'est parce qu'il a fait « amitié avec soi » qu'il peut faire « amitié avec l'autre », avec tous les autres.
En ce sens la morale Maçonnique est l'apprentissage de la fraternité.

C'est parce qu'il a réalisé en lui l'équilibre et l'harmonie, qu'il peut les apporter au monde et aux autres hommes.

Vous voyez donc, Monsieur, qu'il ne s'agit pas pour nous de dicter une conduite, il ne s'agit pas de prêcher, il s'agit de propo­ser des exemples, il s'agit d'agir. Ne confondons pas morale authentique avec le moralisme et avec la moralisation qui n'en sont que la caricature. Vous voyez aussi qu'il ne s'agit pas égale­ment pour nous d'inventer de nouvelles normes de conduite ou de nouvelles valeurs. Mais il s'agit d'inviter tout homme à la réflexion et par un effort incessant de la volonté, par une recherche métho­dique et ordonnée de l'esprit et du cœur, d'inciter cet homme à retrouver la Loi Universelle et éternelle de Vérité, et d'Amour, inscrite dans la conscience de tout homme de bonne volonté. Voilà notre Loi Morale. Cette épuration, cette clarification est la première condition de toute action, qui se veut morale. C'est parce que le Franc-Maçon a fait triompher en lui la lumière, cette lumière qui l'éclaire et le transforme, qu'il peut ensuite apporter au monde un peu de cette lumière, pour éclairer et transformer ce monde. Mais me direz-vous, tout cela tient du rêve et de l'utopie plus que de la réalité. Sans doute. Mais déjà, il y a 25 siècles, le divin Platon dans la République, remarquait que la « science des sages était inutile parce que l'on se refusait à l'utiliser ». Même si aujourd'hui comme hier, le spectacle que nous offre le monde, lui montre la distance entre ce qui devrait être et ce qui est, entre l'idéal auquel il aspire et la sombre et triste réalité, le Franc- Maçon ne renonce pas et ne saurait renoncer à son « utopie » et à son « rêve », celui d'une humanité enfin réconciliée avec elle- même, dans la justice et dans 'la liberté. La Morale du Franc- Maçon, elle est faite de cette générosité, de cette foi et de cette espérance. « Les passions sont tristes, la haine est triste, a pu écrire un moraliste. La générosité et la joie vaincront les passions et la haine ». La Morale Maçonnique, elle est et surtout elle veut être l'exaltation de cette générosité et de cette joie, qui entraî­nera la libération profonde de tous les hommes.

(1) Hiram Architecte du Temple de Salomon, en qui la Franc-Maçonnerie reconnaît son Maître fondateur.
Certaines organisations Maçonniques identifient le Grand Architecte au Dieu personnel de telle ou telle religion particulière. Sans entrer dans des controverses théologiques, qui ne sont pas de notre compétence et qui seraient ici hors de propos, disons que la notion de Dieu n'est pas dépourvue de signification. Quant à son mode d'existence, la Grande Loge de France laisse chaque Maçon libre de sa croyance personnelle. Tout Franc-Maçon du Rite Ecossais, à notre sens, travaille à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers du seul fait qu'il est capable de consacrer à son Idéal une partie de son temps et de ses forces et de lui sacrifier éventuellement ses intérêts personnels et même sa vie.
Ce faisant, par définition, il agit à la Gloire du Principe inconnu d'où procèdent toute vérité et toute vie.
(*) Epîtres : II 9-11-10 Saint Jean.
(2) Epîtres III-18 Saint Jean.
(3) Epîtres III-7 Saint Jean.
(4) Epîtres 17-11-10 Saint Jean.
(5) Certes, il y a dans la symbolique Maçonnique des symboles qui appar­tiennent à d'autres catégories.
NOTE : Seuls des esprits mal informés de la nature de la tradition Maçonnique peuvent voir dans l'invocation au Grand Architecte de l'Univers, symbole de la souveraineté du Logos et de la présence du Volume de la Loi Sacrée, symbole de la tradition Initiatique, un obstacle à la libre pratique de leur recherche initiatique a leur démarche vers la connaissance.


Publié dans le PVI N° 25 - 1er trimestre 1977  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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