GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 4T/1975


La Compréhension de l’Autre

 et la Tolérance

Pour bien préciser le rôle de la Grande Loge de France dans les divers aspects de la pensée contemporaine, il n'est sans doute pas inutile, sinon de remonter à ses origines, du moins de s'arrêter un instant sur ses prin­cipes fondamentaux dans leur plus récente rédaction, celle de 1968.

Dans notre Constitution, il est proclamé que la Franc-Maçonnerie a pour but essentiel « l'amélioration constante de la condition humaine, tant sur le plan spirituel et intellectuel que sur le plan du bien-être matériel », et le document ajoute : « Dans la recherche constante de la vérité et de la justice les Francs-Maçons n'acceptent aucune entrave et ne s'assignent aucune limite.

C'est pour cela que les Francs-Maçons de la Grande Loge de France s'efforcent de trouver la voie qui conduit au perfectionnement intellectuel et moral de l'humanité et travaillent individuellement et collectivement pour diminuer au maximum possible la souffrance des humains et accroître ce que nous appelons couramment leur bonheur.

Nos rituels, nos coutumes, notre symbolisme, sont essentiellement des moyens psychologiques pour nous préparer à cette recherche de la vérité et de la justice.

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Mais d'abord qu'est la vérité ?

Suggérons la définition suivante : la vérité est l'accord parfait entre une affirmation de faits et toutes les expérimentations possibles.

Mais une affirmation n'est vraie et totale que dans un domaine donné, dans un laps de temps donné et dans des conditions données. Elle ne peut donc être universelle.

Ce que nous appelons habituellement la vérité n'est donc que la descrip­tion du réel dans un domaine donné, dans un temps donné et dans des conditions données.

Et le réel est une vérité qui ne peut être que partielle ou provisoire dans le temps et dans l'espace.

Nous devons donc être prudents dans nos affirmations et toujours prêts à la critique. Car nos affirmations ne sont trop souvent que le résultat d'un pari avec plus ou moins de probabilités de vérité.

D'où cette prudence dans nos jugements. De ce fait, très souvent, dans nos Loges les jugements diffèrent de l'un à l'autre. Chacun respecte la pensée d'autrui dans sa libre expression.

Chacun est libre de critiquer la pensée de ses frères mais doit surtout remettre sur la sellette sa propre pensée.

Le Maçon, dans sa Loge, recherche la synthèse des diverses conceptions, synthèse qui convient le mieux à élaborer une morale et une condition d'action qui conduira au but envisagé.

Notre travail consiste d'abord à exprimer nos conceptions individuelles le plus clairement et le plus concrètement possible. Il consiste aussi à savoir écouter les conceptions des autres avec respect, certes, mais avec le plus d'esprit critique possible. Il consiste enfin à savoir modifier honnêtement son point de vue quand on a découvert des éléments cachés que l'on ne soupçonnait pas et qui modifient nos conclusions.

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Savoir raisonner correctement est aussi un grand sujet de méditation dans nos Loges. Beaucoup de personnes font de la logique sans le savoir, comme M. JOURDAIN faisait de la prose. Mais la logique a ses fondements et ses règles qu'il s'agit de savoir utiliser avec maîtrise, ce qui n'est pas si facile qu'il peut paraître.

Les règles de la logique actuelle ne sont pas définitives, loin de là. Combien, inconsciemment et en toute bonne foi, sommes-nous exposés à ce que l'on appelle des sophismes, c'est-à-dire à des déductions qui ne répondent pas au réel expérimental.

C'est là, peut-être, la source vive des plus grands malheurs de l'humanité. Les Grecs anciens, ces grands penseurs, ont bien médité sur les sophismes. Rappelons Zénon d'Elée avec son exemple d'Achille et la tortue. Il montre et prouve par un raisonnement qui semble impeccable qu'Achille, qui court après la tortue, ne l'atteindra jamais, alors que la plus simple expérience nous prouve immédiatement le contraire.

Combien de raisonnements honnêtes et scrupuleux sont du même type. GALILEE a été condamné par le Pape et la curie, qui arguaient que son raisonnement était contraire au bon sens, et cependant...

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Les physiciens, dans leurs recherches, se heurtent souvent à des diffi­cultés de base dans l'énoncé de leurs prémisses et de leurs axiomes. Par exemple on peut citer les questions suivantes : Divisible ou indivisible, fini ou infini, onde ou corpuscule, et combien d'autres.

Et cependant il faut agir. Alors on raisonne par ce que l'on appelle complé­mentarité. On choisit les axiomes les plus fructueux, quitte, à l'occasion, à changer d'hypothèses et de principes.

Les découvertes surgissent où on les attendait le moins. FLEMING est avisé qu'il a été commis une erreur dans son laboratoire, de ce fait, une expérience de culture devient inutilisable et il faudra tout recommencer. Alors le génie du savant découvre que cette erreur engendre une découverte fonda­mentale et il en conclut sans idée première, à la naissance de la pénicilline qui va bouleverser bien des concepts médicaux.

On parle souvent du nez de Cléopâtre ou du calcul de Cromwell.

C'est pourquoi le Franc-Maçon, devant le réel du moment, reste prudent et parfois sceptique.

Voilà pour la vérité.

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Abordons maintenant la morale comme règle de conduite dans les rapports entre humains, comme règle à respecter pour la bonne marche de l'huma­nité par rapport à nos buts, comme nous venons de le dire.

Cette morale, cet ensemble de règles qui a pour fondement la justice, qu'on le veuille ou non, ne peut être qu'évolutive selon les situations et les événements.

Longtemps on a cru que le perfectionnement de la morale conduisait à un ensemble définitif et absolu. L'expérience nous a enfin montré qu'il n'en est rien. Nous-mêmes l'avions cru mais nous avons été dans l'obligation d'en arriver à cette conclusion et l'étude de la morale, de la justice, est un sujet constant d'évolution sans fin.

C'est pourquoi il est dit que dans nos Loges l'élaboration de ce que nous appelons notre édifice, ne sera jamais terminée.

Donc, dans nos travaux, dans nos recherches, dans nos conclusions, il y a bien souvent des différences de points de vue qui s'affrontent, cela est inévitable, mais aussi précieux, voire indispensable pour rechercher l'efficacité.

C'est pour cela que nous attachons une si grande importance à la tolérance dans nos principes et c'est là que je voulais en venir.

C'est pourquoi nous nous efforçons d'avoir pour principe et règle absolus de laisser à chacun la liberté d'exprimer ses opinions alors même que nous ne les partageons pas toujours.

Cela consiste, non à renoncer à ses convictions, ou à s'abstenir de les manifester, mais à s'interdire tous moyens violents, injurieux ou dolosifs, en un mot à proposer ses opinions sans chercher à les imposer.

Mais alors se pose une question : la tolérance a-t-elle des limites ? Je réponds OUI, devant l'intolérance.

Et pour conclure, je ne peux pas m'empêcher de citer notre Frère VOLTAIRE qui, dans son dictionnaire philosophique au mot Tolérance écrit

Qu'est-ce que la tolérance ? C'est l'apanage de l'humanité. Nous sommes pétris de faiblesse et d'erreurs. Pardonnons-nous réciproquement nos sottises, c'est la première loi de la nature.

Voilà pourquoi tous les membres de la Grande Loge de France font de la tolérance leur principe absolu, et voilà pourquoi tous les Francs-Maçons s'efforcent de s'entendre pour le plus grand bien de l'humanité.

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Ainsi, les auditeurs qui nous ont fait l'honneur de nous écouter ce matin, auront peut-être une idée plus claire de nos préoccupations dans les divers aspects de la pensée contemporaine.

NOVEMBRE 1975


Publié dans le PVI N° 20 - 4éme trimestre 1975   Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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