GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 2T/1975

Œcuménisme et Universalisme

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Il y a à Bouc-Bel-Air, une chapelle fondée en 1970, sous l'égide de l'Asso­ciation Œcuménique du Domaine de la Salle. Elle reçoit à tour de rôle, les fidèles des cultes catholique, reformé, israélite et les membres de la Grande Loge de France.

C'est là une initiative décentralisée, unique en France, à laquelle, nous, Maçons, nous sommes trouvés tout naturellement associés.

Nous sommes toujours là quand il s'agit de réunir, pour réfléchir en commun.

Et ainsi, la Franc-Maçonnerie, qui n'est pas une religion, se trouve être le lieu de rencontre privilégié des religions.

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Nous avons d'abord quelques souvenirs communs avec nos amis juifs, ne serait-ce que les liens qu'ont tissés nos ennemis, ceux qui nous ont pourchassés pendant un certain temps ; et pendant longtemps nos noms furent accolés.

Nous avons connu quelquefois, à des degrés moindres, les mêmes pour­suites et les mêmes tourments.

S'il n'est jamais facile d'être juif, il est souvent difficile, et il est encore quelquefois impossible d'être Franc-Maçon.

Une bonne partie du Rituel, au moins au grade de Maître est d'essence hébraïque, nos tabliers de Maîtres le proclament et vous le savez, nous nous prétendons descendants des constructeurs du Temple de Salomon. Vous savez que le meurtre d'Hiram revêt pour nous une grande importance et nous disons que le Vénérable ou le Grand Maître, qui préside une Tenue Maçonnique, se tient dans la chaire du Roi Salomon, il détient là une autorité sans faille, celle du Constructeur.

Vous le voyez, avec nos frères juifs, nos liens sont immenses.

Bien aimés frères protestants, vous jouez chez nous, Maçons, un rôle important et peut-être plus important que vous ne le pensez, certaines fois.

Nous sommes proches souvent par cette revendication du droit d'être différents, et comme autonomes, dans la recherche de la vérité.

Comme nous, avec Esaïe le prophète, vous pensez, nous pensons que « les Ténèbres ne règneront pas toujours sur la terre où il y a des angoisses. »

Mais vous croyez que ce n'est pas tellement sur nos actes que nous serons jugés —, mais vous pensez, un peu comme nous, que ce sera sur la force d'amour que dégagera chacun d'entre nous, amour vers le Créateur, amour vers les autres hommes.

Là, nous nous rejoignons étrangement. Et c'est bien là, l'amorce d'un uni­versalisme.

La grande simplification des rapports de l'homme avec Dieu, entraîne pour vous une espèce de relation privilégiée de l'homme avec le Cosmos, comme est privilégiée, la relation d'amour de l'homme avec ses semblables.

Tous ces points nous rapprochent chaque jour.

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Amis catholiques, et pourquoi ne pas le dire, Frères Catholiques, vous entrez cette année dans l'année Sainte, année fondamentale puisqu'elle suit ce gigantesque monument d'amour fraternel que fut « Pacem in Terris », et parce que cette année Sainte se situera au niveau de la mise en place des décisions antérieures, « .... vers la réconciliation », écrivait récemment un de vos philosophes, Jean Guitton.

Et c'est une année Sainte qui est chère à nos coeurs aussi, dans la mesure où elle annonce cette grande réconciliation.

Mais vous ne pouvez oublier, frères catholiques, que nos pères, que nos anciens, ceux dont nous tenons en droit fil, de bouche à oreille, sans interrup­tion — ceux dont nous tenons l'Initiation, celle qui se transmet comme la vie, sans jamais la moindre interruption, que nos anciens ont construit pour eux, pour nous, pour vous, en trois siècles, entre les années 1000 et 1300 : 80 cathédrales, 500 grandes églises, entre 20 et 30.000 petites et moyennes Eglises. ' '

Ainsi, des milliers d'hommes, sous la direction des Maîtres Maçons, construi­sent ensemble la Cité de Dieu, qui demeure leur préoccupation essentielle.

Ils unissaient esprit et matière et cette unité est fondamentale, et constitue une grande •partie de notre leçon.

Il faut donc fabriquer l'Eglise, et nous avons été, si vous le permettez, mes frères catholiques, les premiers dans la Fabrique, puisque la Construction échappait en général à l'Evêque.

Pour trouver d'autres exemples, dans la religion catholique, qui rejoignent notre symbolique de la Construction, pensons à la « pierre angulaire » qui est bien une expression évangélique. Et le souverain Pontife est tout de même, le grand architecte des Ponts, et c'est là, un rappel bien vivant de la symbo­lique de la Construction. Les Maîtres Maçons évoluent, de Notre-Dame de Paris au Mont Saint Michel, de Cologne à Cantorbery, de Reims à Strasbourg.

Ces gigantesques élans ne connaissent ni frontières, ni langages, ni esprit, ni matière séparée, mais il faut bien qu'ils se comprennent pour bâtir, il faut bien qu'ils s'aiment pour oeuvrer.

Mais aussi, de plus, ces constructeurs étaient des Initiés, ce qui signifie qu'au delà des mots qui effrayent un peu, puisque notre langage paraît quel­quefois hermétique, il existe quelques principes fondamentaux, quelques grandes règles.

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Pour nous, Maçons Ecossais, deux grands principes : FIAT LUX, d'une part, ORDO AB CHAO, d'autre part.

ORDO AB CHAO.

C'est la notion d'ordre cosmique des choses qui sont en place, c'est un symbolisme lourd, fondamental ; tout ce qui est externe, profane, hors du Temple, c'est pour nous, le chaos, — seul l'Univers, le monde, le cosmos est ordonné, orienté, réglé, comme l'est la Loge.

Le travail maçonnique est multiple, il consiste à construire le temple, comme nous l'avons vu, et comme les Eglises le firent matériellement.

Mais il consiste aussi à construire le Temple, que représente le Monde, — construire le Temple habité par les autres hommes, — construire son Temple personnel — construire sa propre personnalité.

Construire, c'est mettre en ordre, c'est rassembler ce qui est épars, rassembler les éléments de la construction et, sous la direction du Maître, élever la demeure, celle qui a un sens, qui est orientée.

Pour l'homme lui-même, c'est ordonner ses pensées, ses sentiments, ses impulsions, vers un but qui le dépasse lui-même, et là aussi, rassembler vers une unité, aller vers ce que nous appelons l'unité initiatique.

Notre Grand Architecte de l'Univers est UN, comme la tradition initiatique est UNE, sans cassure, entre l'esprit et la matière, entre la forme et le fond.

Unité aussi, dans la grande règle d'amour, car nous rejetons ces diffé­rences arbitrairement créées entre la chair et le coeur, qui, dans l'unité fonda­mentale, peuvent donner lieu à ce qui nous est le plus cher : la Vie.

FIAT LUX,

C'est le début de la Genèse, mais c'est aussi, fondamentalement, initia­tique et maçonnique.

C'est le pendant, c'est le répondant de ORDO AB CHAO — c'est la brusque sortie des ténèbres, c'est la naissance par le verbe créateur.

C'est notre symbolique, parce que la lumière c'est l'ordre, celle qui illumine la Loge, microcosme du monde.

C'est ce qui différencie nos travaux des ténèbres extérieures, — c'est la victoire, hélas momentanée dans le monde où nous vivons, de l'esprit sur la matière, et nous devons en profiter pour tendre vers l'unité.

Le symbolisme est riche, qui va des ténèbres vers la lumière. Il est tout à la fois, la marche vers la lumière et la marche vers sa lumière — la mise en ordre de sa personnalité.

Mais peut-on aller au-delà, dégager quelque éthique plus vaste, la lumière ajoute-t-elle aux ténèbres antérieures ? Non, hélas et heureusement. Dans les ténèbres, tout existe, mais tout est comme privé de sens, privé de jouis­sance.

Le lent travail du Macon, sa permanence, son effort dans la construction d'un monde meilleur tant extérieur qu'intérieur, ce cheminement vers la lumière — cela représente une tentative pour passer du virtuel à l'action.

C'est aussi un immense effort vers les autres hommes — un effort rendu de plus en plus difficile, dans un monde où les hommes se replient sur eux- mêmes.

Au-delà des problèmes de vocabulaire, nos deux grands thèmes ORDO AB CHAO et POST TENEBRAS LUX ne peuvent qu'être communs, à nous Maçons Ecossais et aux fidèles des diverses Eglises.

Comment ne pas nous retrouver dans ce symbolisme de la Construction du Temple ? Ce merveilleux agnostique que fut Saint-Exupéry trouvait sa voie d'élection :

« Citadelle, écrivait-il, je te construirai dans le cœur de l'homme.

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Mais deux autres thèmes nous sont chers, et ils devraient nous permettre d'aller plus loin sur le chemin qui nous est commun : le grand diptyque initia­tique de « MORT et RESURRECTION ».

Une des plus grandes, parce qu'elle est brève, parce qu'hélas, elle est unique — parce qu'elle est très peu connue, une des plus grandes cérémonies maçonniques c'est la cérémonie funèbre.

Elle n'est composée que de quelques mots prononcés devant le corps du maçon qui vient, comme nous disons, de passer à l'Orient Eternel.

Mais, qu'est-ce qui nous oppose les uns aux autres, qu'est-ce qui peut nous opposer dans la conception de l'Orient Eternel, dans l'approche que nous pou­vons en avoir dans sa symbolique si lourde de lumière ?

Sur ce chemin, ne sommes-nous pas là en ce moment, étrangement frères et au-delà des mots et des appellations ?

Nous sommes frères, mais nous sommes votre lieu géométrique, parce que nous sommes radicalement différents des religions et c'est paradoxalement ce qui nous rapproche.

Radicalement différents parce que les religions reposent sur des dogmes, plus ou moins souples, mais sur des dogmes, et nous nous interdisons de les apprécier ou de les juger.

Nous sommes radicalement différents parce qu'organisation initiatique ne recrutant que par cooptation ou presque.

Seule la Tradition s'impose à nous, parce que nous sommes société fer­mée, puisque secrète, ce qui choque quelquefois ; mais nous ne pouvons travailler qu'à l'abri, en Loge, hors du temporel.

Nos vocations ne sont pas contraires, mais sont complémentaires : nous sommes voués à rassembler, sous une forme ou sous une autre, les meilleurs d'entre tous, pour qu'ils se comprennent, pour qu'ils se parlent et qu'ils finissent, ou commencent par s'aimer, ce qui est la même chose.

Où mieux se rencontrer qu'en Maçonnerie ? Là ou elle est interdite, c'est la liberté qui est interdite.

Maçonnerie et Liberté coïncident en général, encore que quelques tyrans plus ou moins éclairés aient conservé une maçonnerie qui, quelquefois encore que rarement, peut faire figure d'otage.

Si nous demeurons, parmi les derniers groupements interdits, ne serait-ce pas que certains Etats, certains pouvoirs, craignent plus que tout, la voie d'une spiritualité intemporelle, mais où s'élabore la pensée nécessaire à l'amélioration des hommes.

Ce sont des voies qui échappent à l'emprise temporelle, et certains le supportent mal pour ensuite ne plus le tolérer.

* * *

L’œcuménisme c'est la réunion des Eglises sur un ou deux grands thèmes, l'Universalisme, c'est la croyance fondamentale en ce que tous les hommes peuvent être sauvés — et aussi le sentiment profond que le monde forme un tout, le sentiment d'une unité profonde et totale.

Nos divergences sur ce point fondamental ne sont pas à craindre.

Toutes les scissions, toutes les cassures, tous les problèmes de géné­rations opposées, de sexes opposés, de religions opposées, ne sont au fond qu'artificielles et superficielles, parce qu'elles ont été, sont ou seront momen­tanées, événementielles.

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Il convient d'en terminer sur le plan de notre symbolisme par un des thèmes, les moins connus, mais des plus attachants parce qu'il réunit la poésie, et la densité symbolique — celui du Labyrinthe.

Au Moyen Age, on parcourait le Labyrinthe à genoux, et l'on dit que le parcours valait pèlerinage en Terre Sainte.

Pourquoi ce cheminement vers le sacré, ce cheminement lent et ardu, où mille voies sont possibles, mais une seule est bonne : c'est la voie vers le centre du monde, vers la Terre Sainte : aller là où est parti le verbe créateur.

Parcourir le labyrinthe, c'est aller à l'origine de toute chose, aller vers le Saint des Saints.

Ce labyrinthe, nous pouvons ensemble le prendre comme un symbole commun de la longue marche difficile, hasardeuse mais réfléchie, non point vers le repos mais vers plus de lumière spirituelle.

Notre but, notre lien à tous, notre utilité parce que nous avons, nous Maçons, l'expérience de relier ce qui est épars, c'est l'Universalisme.

Nous pouvons nous répéter : tous les hommes peuvent être sauvés, la réalité est une.

En 1975, cela représente, dans l'immédiat, sous nos yeux, une civilisation occidentale face aux problèmes, vrais ou faux, des sources énergétiques en voie de raréfaction, l'amorce possible d'une civilisation où l'objet n'est plus de consommation accélérée et retrouverait sa valeur, mais où les hommes plus fraternels supporteraient certainement mieux les épreuves auxquelles ils sont voués.

Un millard d'hommes affamés !

Si l'Universalisme implique que nous formions un tout, nous faisons un tout avec eux, avec ce millard de mal nourris — c'est avec eux que nous composons le monde — que nous faisons partie du même cosmos. Tous ont le même besoin de Pain et d'Amour.

Les êtres sont différents, irremplaçables sans hiérarchie aucune, mais tous solidaires. Pour nous tous, Frères : quelle tâche que de répandre cette notion, de la faire comprendre, tous ensemble, quel labyrinthe à parcourir en commun.

* * *

Depuis quelques siècles, patiemment la Franc-Maçonnerie réunit les hommes et leur apprend à parler, à se parler, à s'apporter réciproquement quelques parcelles de lumière et d'amour, puis à transporter cette lumière en chacun, au dehors du Temple, en ce rayonnement qui modifie lentement les rapports humains.

Cette expérience est à votre disposition, comme l'expérience de l'intolé­rance que nous avons subie et vécue, et que nos Frères connaissent encore.

On apprend beaucoup dans l'inconfort de la souffrance, apprenons ensemble — enseignons ensemble et terminons ensemble sur la phrase d'un homme un peu en marge, puisque c'est un poète, un « initié du cœur ».

C'est Maïakovski qui écrivait :
« Je suis là, partout où est la douleur
Je me suis crucifié sur la moindre larme ».

MARS 1975


Publié dans le PVI N° 18 - 2éme trimestre 1975  -
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