GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 2T/1975

Le Symbolisme du Caducée

1. — Préambule.

Le caducée...

Bien que cet emblème reste fort présent dans notre vie il n'en demeure pas moins mystérieux. Que représentent ces deux serpents entrelacés autour d'un mât central Souvent stylisé, le caducée ne fait apparaître qu'un seul serpent ; sur l'emballage des produits pharmaceutiques ce reptile semble vouloir s'abreu­ver à une coupe ; il diffère par sa représentation plus ou moins « modernisée », de celui que l'on voit sur le pare-brise de la voi­ture laissée en stationnement parfois illicite : mais ce signe pro­tège le véhicule et le met à l'abri des contraventions.

Nous avons pu entendre des voix sentencieuses et graves dire, avec une ironie mêlée de compassion, que le médecin en ne représentant qu'un seul serpent se définissait hélas trop bien ; les deux serpents prouvaient un équilibre naturel, tandis que le seul serpent montrait le Savoir ; la médecine en supprimant le second reptile précisait qu'elle ne possédait plus la Connaissance, ce dépôt sacré. Ainsi l'emblème avec un seul serpent montrerait que la médecine, art empirique, a perdu son côté divin.

Nous ne devons pas oublier que les premiers guérisseurs ont été les représentants directs de la divinité. Communiquant avec la puissance créatrice, ils ont eu une compréhension universelle, cosmique, de toutes les lois qui régissent notre monde. Ils ont su par la pénétration de leur esprit ce qu'était le mal et son re­mède, ce qui était bon ou néfaste pour la vie d'autrui. Instruits de toutes choses, ils ont orienté l'existence de leurs semblables ; chefs, rois, ils ont été ces bergers qui savent diriger. Parce que les plus éclairés ils sont aussi restés les plus humbles ; ils ont su prier, clamer la puissance de celui dont ils n'étaient que les représentants. A une époque où le sacré et le profane étaient liés, ces hommes ont été à la fois prêtres et rois, guérissant tant le mal moral que physique ; Jésus, après Melchisédech, incarne ces vertus ; ils ont été les chamans, ces hommes doués de pouvoirs qui ont paru mystérieux pour tous ceux de l'extérieur, pour tous ceux qui n'avaient pas la foi. Le pouvoir d'essence religieuse de ces dépositaires de la force divine s'est transmis jusqu'à nos derniers rois qui avaient conservé la possibilité de guérir ; les monarques de France imposaient leurs mains sur les plaies des patients atteints du mal des écrouelles. Guérir était ainsi l'apa­nage du chef, de celui qui était au-dessus des autres puisqu'il avait reçu un signe personnel, des dons particuliers.

Dans ces conditions pourquoi ce seul serpent du caducée ne peut-il figurer que le Savoir ? Ne représente-t-il pas la Connais­sance, le seul côté bénéfique de la force cosmique ? S'il est la Connaissance, il est bien inutile de situer un autre serpent, ou tout autre serpent, car à quoi bon virtualiser les quatre colonnes du Temple pour celui qui est au centre de toutes choses, de toutes idées, et qui de là rayonne dans la compréhension totale de tout ce qui nous entoure ? Pour l'élu, pour l'initié, tout paraît simple, concis puisqu'il peut tout voir, tout entendre, tout comprendre.

Bien loin de nous l'idée de vouloir affirmer que celui qui a appris l'art de guérir est au-dessus de tout autre être ; mais ce­pendant pour pénétrer l'esprit de la nature, l'essence des choses, il faut être en état de réceptivité, avoir reçu un don, un pouvoir qui ne peut paraître que surnaturel à tout autre homme qui ne bénéficie pas de ce dépôt. Le Sage, le Saint, l'Initié doivent émer­ger du flot humain. Celui qui guérit doit avoir — ou devrait avoir — un pouvoir de compréhension lui permettant de donner un médi­cament, un remède qui complètent une nature imparfaite. Comme le montre l'emblème du caducée, il faut revenir à la qualité origi­nelle en prenant le chemin direct, sur un axe bien vertical.

Mais comme le fait malicieusement remarquer le docteur François Lamasson le caducée est l'attribut de Mercure, Dieu du Commerce ; on pourrait donc concevoir que la médecine a partie liée avec le commerce ; malgré Jules Romains il n'en est heureu­sement rien pour la santé des humains.

Un ou deux serpents ? La question paraît perdre de son im­portance ; nous pouvons conserver notre foi en la médecine, en son sigle et nous pensons que la boutade de ces esprits chagrins ne repose que sur l'interprétation trop simpliste d'un emblème contemporain de l'existence de l'homme. Nous pressentons que le caducée a une valeur représentative, qu'il n'a pas seulement le besoin de signaler un homme qui a appris à soigner ses sembla­bles. Ce sigle a en lui-même une valeur particulière.

Mais pourquoi le serpent, cet animal rampant, visqueux, émule du diable entoure-t-il un axe vertical, qui après tout, si ce n'est un arbre, reste un simple morceau de bois ? Mais peut-être ce tronc scié est celui d'un pommier, ou d'un cep de vigne...

Le serpent, l'arbre ont joué un rôle si important dans la reli­gion chrétienne que nous nous débarrassons malaisément de ces clichés qui abondent sous nos yeux grâce à une iconographie fort vivante.

Si nous recherchons l'origine du mot caducée il semble que nous nous éloignons de cette représentation avec axe et serpent. Le mot caducée est en effet emprunté au latin caduceum, qui lui- même provient du grec kérux héraut, annonciateur. Que vient faire cet officier chargé de porter les messages, défis, déclarations de guerre et qui devait aussi régler le cérémonial des fêtes de che­valerie ? Mais dans sa racine figure le mot coq, cet héraut du soleil.

Nous rechercherons ainsi les diverses formes de caducée à serpent unique ou à deux serpents. Alors peut-être parviendrons- nous à une compréhension élargie d'un emblème fort connu mais toujours énigmatique.

2. — BREF HISTORIQUE

Cet insigne distinctif du Service de Santé militaire français a été choisi pour orner les boutons uniformes des officiers de Santé de la Marine selon l'arrêté du 19 Pluviose an VI (7 février 1798) puis ensuite par tous les officiers de Santé de l'Armée selon le règlement du 20 Thermidor an VI (7 août 1798). Le serpent d'Epi­daure entrelaçait trois baguettes figurant les trois branches de l'art de guérir (médecine, chirurgie, pharmacie) et était surmonté d'un coq, symbole de la vigilance en la République française. Or, en grec, caducée signifie « annoncer » et dans sa racine appa­raît le mot « coq » ; le coq, comparé au paon, symbole solaire et royal dans les mythes hindous, est aussi un animal détenteur d'un grand pouvoir prophylactique contre les venins.

Cet insigne a été adopté par d'autres armées nationales. Le 23 avril 1868, un ordre du Cabinet Suprême allemand attribuait aux médecins prussiens un bâton d'Esculape doré ; ornement conservé par la Wehrmacht, puis par l'armée fédérale. Le même bâton figure dans l'Armée anglaise à partir de 1898, uniquement pour les médecins et non pour les pharmaciens. Les Services de Santé des Armées belge, italienne, helvétique, des Etats-Unis d'Amérique utilisent ce bâton d'Esculape ou bâton serpentaire d'Es­culape, quelque peu différent du caducée qui comporte deux ser­pents.

C'est cependant en Grèce que nous trouvons la tradition la mieux établie. Les fouilles d'Epidaure nous ont beaucoup appris tant sur ce symbole que sur le culte qui y était attaché au IXe siè­cle avant J.-C. Les pratiques religieuses spéciales à ce temple se nommaient les « asklépicia », la ville d'Epidaure étant consacrée à Asklépios, dont le nom latinisé devint Aesculapius.

Esculape est une divinité de l'Olympe et bien des auteurs nous ont conté de façon différente l'histoire de ce demi-dieu. Asclépios est le fils de la mortelle Coronis, fille de Phlégyas roi de Thessalie ; séduite par Apollon, qu'elle ne devait cependant pas connaître, elle mit clandestinement un enfant au monde ; celui-ci est abandonné par sa mère sur le Mont Myrtion, près d'Epidaure ; une chèvre en prend soin, lui donne son lait tandis qu'un chien berger veille à sa sécurité.

Pour Hésiode et Pindare, Coronis aurait trompé son divin amant avec un simple mortel Ischys. Apollon tue sa maîtresse infidèle dont le corps est brûlé selon la coutume d'alors. Mais sur le bûcher funéraire le dieu, pris de remords, arrache des en­trailles de la mère son fils vivant qu'il confie à Chiron.

Ce savant centaure à l'étrange forme d'un homme-cheval, était né des amours de Cronos et de la nymphe Philyre ; il se dis­tingua par sa sagesse et sa connaissance ; ses disciples furent fort nombreux. Notons parmi eux Castor et Pollux, Amphiaraos, Pelée, Achille, Nestor, Ulysse.

Asclépios, formé par Chiron, apprit l'art de composer des simples et de fabriquer des remèdes. Doué de qualités natives supérieures à celles de son maître, il acquit rapidement une habi­lité extraordinaire.

Héros de la médecine, ce demi-dieu fait boire des remèdes, verse des collyres dans prescrit des onguents ; il est chi­rurgien, ouvre des poitrines, retire des pointes de flèche. Il sait même couper les têtes et les rajuster. Il ressuscite les morts tels

Glaucos, Tyndare, Hippolyte. Aussi Hadès, qui a peur de fermer les portes de son royaume, se lamente ; il dénonce ces guérisons miraculeuses qui peuvent troubler l'ordre de la nature. Zeus foudroie ce trop zélé guérisseur. Apollon pour venger la mort de son fils tue les Cyclopes, artisans de la foudre. On sait ainsi l'exil momen­tané d'Apollon sur la terre ; mais Asclépios malgré sa mort tra­gique eut droit aux honneurs divins. Asclépios apparaissait en songe à ceux qui venaient prier dans ses sanctuaires en lui deman­dant la guérison ou l'apaisement de leurs souffrances.

L'Iliade nous a rapporté la grande figure de ce héros, et l'on voit procéder ses deux fils Machaon et Podaleiros ; ils partici­pèrent comme combattants à la guerre de Troie mais ils quittaient le combat pour secourir leurs camarades blessés.

Au chant IV de l'Iliade, Ménélas est atteint. Agamemnon, chef suprême de l'armée grecque, réconforte son ami « Le fils d'Escu­lape soignera ta blessure et y mettra le remède qui apaise les cruelles douleurs » ; il fait ainsi chercher Machaon qui se trouve au combat. Au chant XI, Machaon est lui-même blessé à l'épaule droite par une flèche décochée par Pâris. Idoménée, roi de Crète, recommande le blessé à Nestor : « Hâte-toi ; un médecin vaut plu­sieurs hommes, car il sait extraire les flèches et répandre les doux baumes dans les blessures. » Bien que l'on connaisse l'im­portance du docteur, Podalire, frère de Machaon, lui aussi méde­cin, est au combat ; on ne le trouve pas pour venir au chevet de son frère. Aussi, une simple jeune fille Hécamède soigne Machaon et étanche le sang de la plaie (ch. XI-XIV).

Machaon, prétendant d'Hélène, soigna aussi Philoctète rongé par une plaie faite dix ans plus tôt par une flèche d'Héraclès. Ce guérisseur s'introduisit dans les flancs du cheval de Troie. Ma­chaon fut tué par Eurypylos, fils de Télèphe et ses cendres sacrées furent rapportées par Nestor dans un sanctuaire de Gérénia où les malades venaient demander leur guérison.

Machaon avait régné sur trois villes thessaliennes avec son frère Podalirios, lui aussi habile médecin qui soigna l'horrible bles­sure de Philoctète. Après la victoire des Grecs, Podalirios quitta Troie avec Calchas, Amphilochos et quelques autres héros. Il revint par voie de terre à Colophon, consulta l'oracle de Delphes et s'établit en Carie à Syrnos, où il épousa Syrna, la fille du roi. Leurs descendants étaient les Asclépiades, médecins grecs réputés qui se transmettaient les secrets communiqués par leur illustre ancêtre ; ils formèrent ainsi une confrérie sacerdotale.

Notons que le naturaliste Linné a donné les noms de Machaon et de Podalire à deux très beaux papillons.

Grecs et Romains associèrent vers 500 avant J.-C. le culte d'Hygie, déesse de la santé, à celui d'Esculape. Plus tard on fit d'Hygie la fille d'Esculape et on lui donna comme attribut le ser­pent d'Epidaure auquel elle présentait la nourriture. Nous retrou­verons la coupe d'Hygie comme emblème des pharmaciens.

Dans l'exercice de sa fonction de guérisseur, Asklépios se fait aider par des chiens, des serpents qui lèchent et sucent les abcès. Aussi dans la demeure de cette divinité on élève principa­lement des reptiles. La pratique de cette médecine a été consi­gnée sur des tablettes bien évocatrices.

Avant d'entrer dans le sanctuaire le malade doit se purifier ; il rend propre son corps par des bains, des fumigations, des fric­tions, mais pour être guéri il faut aussi des jeûnes prolongés qui préparent son âme. A la propreté corporelle correspond celle de l'esprit. Le malade participe alors à des processions : il psalmodie des chants sacrés, remet des offrandes au dieu. Ce n'est qu'à la suite de cette préparation minutieuse qu'on l'admet à coucher dans « l'abaton », le portique qui donne sur le temple. Asklépios visite alors les plus dignes ; il apparaît dans leur rêve, cet état si particulier.

Mais Asklépios se rend aussi près des malades ; il va par les chemins. Intéressé, il demande ses honoraires d'avance et pu­nit sévèrement ceux qui veulent tricher. Echédore, à qui Pandaros avait confié de l'argent voulu conserver ce dépôt : au lieu d'être guéri de ses taches sur le front il reçut celles de Pandaros qui, lui, fut guéri. Mais ce dieu peut se contenter d'un maigre salaire s'il a un interlocuteur honnête devant lui ; ce guérisseur a bon Coeur.

Les Grecs considèrent Esculape comme un médecin de cam­pagne : il a un langage simple, direct qui correspond à celui du malade ; Esculape est très humain.

Il est vraisemblable que les stèles aux inscriptions fort élo­gieuses nous transmettent des guérisons amplifiées et embellies. Ces pierres, sortes d'ex-voto, nous content en fait des miracles. Nous avons peine à croire à ces cures, mais au demeurant n'est- ce pas le propre du miracle de paraître invraisemblable ?

Le culte d'Esculape naquit à Tricca, où Machaon et Podalire virent le jour. De là il se répandit à Gerenia, puis à Epidaure, dont le temple devint le plus célèbre des sanctuaires. On apportait des offrandes aux serpents et c'est ainsi qu'il nous reste de nom­breuses pièces de monnaie où l'on voit Esculape avec son serpent consacré, de l'espèce parinâ, nommée aussi parôos à cause de sa couleur cuivrée. D'après les prêtres ces serpents s'introdui­saient la nuit dans la chambre des malades endormis, leur appor­tant ainsi la guérison.

La réputation des serpents d'Epidaure s'étendit sur les autres pays. Aussi lorsque la peste fit des ravages à Rome, en l'an 460 de sa fondation, c'est-à-dire 293 ans avant notre ère, les Romains envoyèrent une ambassade de dix notables, commandés par Ogul­nius, avec mission de rapporter un des serpents sacrés. Le ser­pent s'enroula autour d'un bâton durant le temps de la traversée ; mais en vue des côtes il se jeta à l'eau, traversa le Tibre et gagna la rive à la nage. A en croire les historiens (1) la peste s'arrêta dès l'arrivée de cet animal. D'après Ovide (2) Esculape se serait lui-même transformé en serpent pour venir à Rome guérir les mal­heureux. Devant un tel bienfait les Romains ne pouvaient qu'élever un temple au dieu guérisseur : on choisit la pointe de l'île du Tibre où le serpent avait abordé et une pierre fut dressée à cette proue : le serpent d'Epidaure s'enroulant autour d'un bâton com­mémora cette action, tandis que d'après Pline (3), bien des mé­nages élevèrent des serpents dans leur foyer : ils étaient nom­més les Epidaurii.

Cependant à l'époque romaine les croyances religieuses s'affaiblirent, les malades n'eurent plus foi dans leur rêve ; la guérison devait être prompte. Si Esculape prescrit, les prêtes in­terprètent de plus en plus librement l'ordonnance du dieu.

D'après la statuaire grecque, Esculape est un homme très fort, à la large poitrine, aux épaules puissantes, à l'imposante charpente, mais il n'est jamais un athlète. Ce dieu qui incarne la santé reste puissant et calme. Puis au cours des ans Asklépios s'affine ; et si autrefois il s'appuyait sur une grosse massue, son bâton devient cylindrique, puis encore s'allonge, pour être grêle ; le gros bout de la baguette se trouve en haut ; dégénérescence de la massue, le bâton du pèlerin est devenu la canne du dandy.

Ce bâton d'olivier rugueux, à noeuds — le ceryx — s'orne de deux serpents, non entrelacés mais formant guirlande. On le confond avec l'emblème de Mercure, où les deux serpents for­ment souvent trois demi-cercles, avec au-dessus d'eux deux ailes largement déployées ; ce sont peut-être les ailes de la colombe, messagère de Mercure.

Ainsi Mercure est confondu avec l'Hermès des Grecs, et les deux serpents enlacés de part et d'autre de l'axe vertical illus­trent la légende qui semble apparaître au Ve siècle avant J.-C. et selon laquelle Mercure aurait séparé les deux serpents se battant, en jetant entre eux une baguette ; ce serait un symbole de paix.

Si nous ne pouvons évoquer toute l'iconographie du caducée, notons cependant que ce symbole figure dans d'autres traditions fort anciennes. Le gobelet à libation de Gudea, provenant de Tello, conservé au musée du Louvre, outre sa dédicace « pour la prolongation de sa vie » situe deux serpents s'enlaçant autour de la hampe. Les Phéniciens associent les deux reptiles à l'arbre de vie mais, en Gaule, ce culte paraît être la survivance de concep­tions préhistoriques : le serpent cornu laisse des traces sur les dolmens gravés.

3. — LE SERPENT

Le serpent tentateur de la Genèse, enroulé dans l'arbre, conseillant à Eve de cueillir le fruit défendu, ne paraît pas avoir de rapprochement avec notre symbole. C'est cependant à partir du courroux de Dieu que le serpent doit ramper. Cette scène de la tentation, avec sa mystique sexuelle, se rapproche des récits mésopotamiens, où le serpent « Kerub » garde le chemin qui conduit à l'arbre de vie.

Dans toutes les figurations mithriaques le serpent, gardien de l'empyrée, s'enroule autour de la pierre génitrice. Ce reptile actif, principe agissant, est essentiellement mobile ; il est l'âme du mouvement, de l'hélice et cet animal tellurien personnifie la Terre Mère.

D'après Le Livre des Nombres (XXI, 6-9), et d'après saint Jean (III, 14-15 - XII, 32) celui qui a été piqué par le serpent n'a qu'à regarder le signe de Moïse, le serpent d'airain, pour vivre. Ainsi Dieu, en permettant cette figuration de l'image du brûlant serpent, a associé à la fois le mal et le remède. On songe au procédé ma­gique thérapeutique, fort proche de la formule de l'Atharva-véda : « Avec du poison, je guéris ton poison. »

En évoquant le nom de Jésus, on chasse le reptile, le mal. La Vierge Marie, les saints peuvent aussi neutraliser le venin de cette bête qui ne rampe que par la malédiction divine.

Ce serpent qui peut à la fois donner la mort et guérir l'hom­me a influencé bien des théories religieuses, bien des textes littéraires. Cet animal sacré représente la vie et, s'il a un pouvoir curatif, lorsqu'il se referme sur lui-même en se mordant la queue — l'ouroboros — il devient la vie indestructible, l'éternel recom­mencement de toutes choses ; il est l'image de l'CEuvre. Ce pur mouvement circulaire pénètre l'évolution consciente dans le Temps Eternel et nous accédons à la puissance bienfaisante, au monde de l'infini.

Les serpents ont joué un grand rôle dans les mystères d'Eleu­sis ; ces initiateurs apportent la connaissance. D'après la Gnose ce reptile n'est pas l'incarnation du mal, mais le porteur de la révélation, de l'esprit de Lumière, donc du Christ. D'après la mysti­que des nombres, chère à la Kabbale, le serpent, en hébreu nahash, représente 358 tout comme le Messie, Mashiha.

4. — SYMBOLISME DE LA PRUDENCE

Cette prudence du reptile a permis l'établissement de l'em­blème de la Prudence constitué par un miroir à main au manche enlacé par un serpent. C'est ainsi que l'en-tête du papier à lettre du Directoire Exécutif en 1795 consiste en une vignette surmontée d'un coq entouré à sa droite d'un caducée de Mercure (à deux serpents) et à sa gauche du symbole de la Prudence. Ce sym­bole figure sur le meuble qui supporte la presse des sceaux de l'Etat français. Or le miroir, reflet du ciel, réceptivité cosmique de Dieu, ne définit peut-être que ce monde de l'illusion, et sur cet écran insaisissable se dessinent les formes éphémères. Peut- être le serpent contemple-t-il le « vide obscur » dans ce miroir de vérité où apparaissent les archétypes éternels. La forme peut apparaître dans cette surface, mais elle ne s'y trouve pas enfer­mée ; cette nature illusoire participe à une géographie mystique, au pouvoir de l'imagination créatrice, puisqu'il y a à la fois reflet et correspondance, donc la vision intuitive d'une signification mys­tique.

5. — LE CADUCEE ET LA MEDECINE HERMETIQUE

Les deux serpents qui se battent représentent le désordre, le chaos ; avant de les équilibrer, il faut les séparer, c'est-à-dire les distinguer, connaître leur opposition, saisir leur contraire. Les deux forces opposées se résolvent dans l'unité, et la baguette, axe du monde, équilibre le chaos.

Avec la réconciliation des deux animaux, nous évoquons au point de vue alchimique l'union entre le feu et l'eau, deux élé­ments qui se définissent par deux triangles inversés, évolution et involution. Associés, ils créent le sceau de Salomon représen­tatif de l'union du ciel et de la terre. La Pierre est elle-même composée de deux substances ; et le mercure et le souffre ne sont-ils pas équilibrés par le sel ? Ce Mem négatif ne s'oppose- t-il pas au Shin positif pour s'équilibrer avec Aleph ?

Si l'or philosophique est la tige qui réunit finalement les deux serpents, cette effigie du Mercure philosophique apparaît ainsi dans un bas-relief de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

6. — LE FEU SERPENT

Dans la pensée hindoue, des organes sensoriels ou « Chakras » conduisent à la moelle épinière les énergies extérieures, les in­flux nécessaires à toute vie. En sanscrit chakram signifie roue ou disque en rotation, tandis que la Kundalini est une force su­prême qui repose endormie au bas du corps humain. Les exer­cices du yogi ont pour but d'animer cette Shakti divine qui, éveillée, s'élève sur l'axe de la moelle épinière suivant trois canaux, l'un central (Sushumma) et deux autres qui développent deux spirales entrecroisées sept fois. Ce trajet des nadis selon le plan de l'épine dorsale — le Brahmadanda ou bâton de Brah­ma — ressemble au tracé du caducée qui, lui aussi, possède souvent sept nœuds. Nous pouvons y retrouver aussi le symbole de la mystique sexuelle hindoue.

7. — CONCLUSION

Le caducée reste-t-il la représentation du serpent guérisseur de Moïse, l'emblème de la devination, le signe de paix porté par le roi et les hérauts d'armes ? Est-il le signe de la fécondité, ou celui de la prudence ?

Ce bâton a séparé et réconcilié les deux serpents antago­nistes, mais ce n'est qu'un sens altéré puisque deux forces contraires ne sont que complémentaires et que le bâton vertical peut tout résoudre par sa rectitude.

Le caducée est le principe d'union. Le reptile debout sur sa queue, enlacé ou non avec sa femelle, évoque la mystique sexuelle, l'union androgyne, celle du couple divin qui boit son breuvage d'immortalité ; cette sève qui s'élance, unit et féconde se résout en un seul terme qui s'épanouit au soleil, au ciel, dans la coupe des pharmaciens. Cet arbre de vie avec sa force jaillis­sante, renaissante, équilibrante, apporte le remède mystérieux, l'eau d'immortalité, origine mystique de la médecine.

S'il nous fournit la source de vie, l'éternelle Jouvence il ne suffit pas de savoir, de connaître, il faut aussi transmettre. Le caducée transmet ; il est comme le héraut, le messager des dieux, le serpent d'airain conçu par Moïse.

Si Mercure préside le commerce, le gain, Hermès interprète le verbe, il est le prophète qui dirige et conduit dans la paix ; le caducée a la puissance et la volonté d'interpréter le verbe.

Le serpent peut s'enrouler autour de l'arbre, autour de la montagne polaire ; il peut se diriger soit vers les états supérieurs, soit vers les états inférieurs ; ces deux aspects, qu'ils soient bénéfiques ou maléfiques, se résolvent toujours en un seul état.

La vérité reste une ; il ne peut y avoir qu'un seul chemin pour y parvenir, un chemin étroit, aride, mais qui est rectiligne,. bien droit comme l'axe qui nous occupe.

(1) Tite-Live, X, 47 ; Valère Maxime, 1,8 ; Aurélius Victor, 22.
(2) Ovide, Métamorphoses, Livre XV.
(3) Pline, Histoire naturelle, XXIX, 22.

Publié dans le PVI N° 18 - 2éme trimestre 1975   Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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