GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 1T/1975

Harmonie des Arts

La Franc-Maçonnerie de la Grande Loge de France, respectueuse des tra­ditions médiévales héritées de l'Antiquité, réserve une place non négligeable à la connaissance des Arts.

D'ailleurs en son sein, une commission spécialisée assume une double mission, celle d'éclairer les Frères sur l'évolution du monde artiste hors les Temples, en même temps qu'elle apporte aux profanes, les reflets d'une expression artistique dont la symbolique de prime abord reste inaccessible au plus grand nombre.

C'est ainsi que le Musée Maçonnique de la Grande Loge de France vient d'entreprendre une action d'envergure pour réunir dans ses collections des œuvres demeurées éparses.

Le monde artiste, maçonnique ou profane, trouvera bientôt là, matière à commun enrichissement.

Parmi les disciplines artistiques qui requièrent aujourd'hui l'attention du public, il en est une qui réunit en notre Obédience, un grand nombre d'artistes interprètes :

LA DANSE

Déjà, il y a deux siècles, en 1774, des Maîtres à Danser se retrouvaient à Paris, dans deux Loges : « Les Vrais Amis », et « La Réunion Sincère ».

A cette époque, un compositeur de musique de Danse, René-Gabriel GARDEL précédait d'un siècle la venue dans les Ateliers parisiens d'un célèbre musicien de Ballets : Léo DELIBES, qui prêtait fréquemment son concours aux Colonnes d'Harmonie de la Respectable Loge : « Les Frères Unis Inséparables » et dont nous venons, en frontispice de cette émission, d'écouter une phrase musicale (1).

Quel est donc ce phénomène social, qui, à travers les millénaires, les siècles et les décennies, parvient jusqu'à nous, pour occcuper une place si importante dans la vie culturelle d'une nation ?

Pour les uns, phénomène social sécurisant ou même contraignant.

Pour d'autres, la Danse s'avère un phénomène d'investigation, en dehors des limites habituelles du champ social.

Pour nous, Francs-Maçons de la Grande Loge de France, il n'est pour l'individu, aucune limite imposée à la recherche ! C'est ainsi, que tout en suivant des cheminements différents, les uns emprunteront la voie des abstrac­tions intellectuelles, tandis que d'autres mesureront le progrès de leur effort, au gabarit des contraintes corporelles.

Prenons l'exemple du Danseur, considéré comme Artiste-Créateur. Pour lui, le travail musculaire quotidien est en soi le cas type de la remise en cause permanente des techniques formatives de l'individu.

En cela, il rejoint, au sein de la Société, le Sportif, citoyen d'un type nouveau, objet d'admiration flatteuse. Le but visé n'est plus pour l'Artiste, l'amélioration d'une quelconque performance ! Mais l'élargissement de possi­bilités d'exprimer, offertes par le geste et par la totalité du corps humain, considéré ici en tant qu'instrument, certes, mais acccordé aux besoins res­sentis par l'Homme dans son dialogue avec le reste de l'Univers.

« Connais-toi toi-même ! ». La devise socratique ne s'applique pas au Danseur, uniquement en qualité d'affirmation philosophique, mais elle est l'ordre, — le commandement —, nécessaire, auquel il doit impérativement obtempérer, s'il veut déclencher en lui les ressorts psychiques et physiques qui lui permettront — en décrivant une parabole — de se translater d'un plan sur un autre, en dehors de tout effort apparent.

* * *

La Danse en général, est l'affirmation victorieuse de l'homme désani­malisé, après qu'il soit passé de la posture d'appui sur quatre pattes, à celle de l'équilibre sur deux membres. C'est, pour les hominiens, avant même celle de la domestication du feu, la plus importante des conquêtes. Ainsi en se différenciant de la bête, l'homme s'est plu à s'imaginer Divinité, dans sa déraisonnable, mais aussi dérisoire entreprise. Pour mieux établir un lien de parenté avec DIEU, il n'a pas craint d'affirmer avoir été créé à son image !...

Si la Danse est pour certains un mode d'évasion d'un monde trop familier, elle reste aussi un moyen de quête, de découverte, de prise de conscience. Elle parcourt les trois dimensions.

Par les transes et l'extase, elle conduit au seuil de cette quatrième dimension, celle que notre Sérénissime Grand Maître, PIERRE-SIMON, avec NEWTON, assimile à la notion de Grand Architecte de l'Univers.

Après Jean-Georges NOVERRE, Roger GARAUDY et Paul VALERY (2), VAGANOV synthétise trois courants de la pensée émanant d'esprits éclairés, pour qui la danse est autre chose qu'une vaine ou gracieuse gesticulation, dénuée de signification apparente.

Si la Danse occidentale du type « Académique «, par exemple, est castra­trice lorsqu'elle est entravée par le carcan des dogmes religieux, elle est un merveilleux moyen de communiquer avec l'Autre.

Elle n'est pas esthétisme, mais Beauté, elle requiert la Force et commande la Sagesse.

Sous ses divers aspects et dans ses diverses formes, elle n'est pas néces­sairement un spectacle, mais plutôt un langage que l'on entend avec les yeux.

La Danse aujourd'hui, comme autrefois, est outil de formation du corps. Ce corps, avide de s'exprimer dans le langage de l'ineffable, s'évade parfois dans un état d'apesanteur, qui confère au geste humain l'harmonie de senteurs mystérieuses, la vision d'un rythme, le tact d'une saveur. Lorsque — infini­tésimal instant — les sens se libèrent en Lumière et que la matière se trans­cende en Esprit.

La Danse n'est pas en soi un phénomène nouveau ; ce qui est nouveau aujourd'hui, c'est son identification à de conventionnels moyens de recherches pour pénétrer le domaine de l'irrationnel, du sublime, de l'inadéquat !...

Quand elle prend la forme « Classique », appréciée des balletophiles, elle devient langage symbolique.

Le Franc-Maçon confronté à son OEuvre — on disait Chef-d’œuvre au temps du compagnonnage — est dépourvu, dépouillé, démuni...

C'est un homme nu, solitaire entre ses Frères ! Pour lui, l'Art, trop souvent considéré en tant qu'objet de culture, ne peut jamais être un trop facile moyen-alibi servant à masquer les fins d'une propagande quel que soit le cercle d'où elle émane.

Charnelle, funéraire, de fertilité... ou irréelle, subconsciente, onirique, la Danse libère l'Homme de l'humus originel.

* * *

Au début était le rythme !...

Pour le Franc-Maçon Ecossais existe le Rite..., acte traditionnel, efficace. Il permet, dans le respect d'une discipline librement consentie, la transcen­dance de l'Initié, par ce que d'aucun dénomme « ascèse initiatique «.

Au sein d'une même Loge se retrouvent des Frères qui ne sont pas encore parvenus à un égal niveau dans leur propre initiation, mais qui avec constance travaillent au « Grand CEuvre '.

Ces méthodes maçonniques permettent de comprendre les raisons qui incitent tant d'artistes, créateurs ou interprètes, à rejoindre nos Colonnes !

Car la Maçonnerie leur permet l'épanouissement de leur personnalité à l'intérieur du Temple, « Lieu clos et couvert » où ils apportent la générosité de l'Artiste... et reçoivent à leur tour, les enseignements de ce qu'il est convenu d'appeler « l'Art Royal . qui, comme la Danse — dans son acception la plus large — remonte, lui aussi, aux origines les plus lointaines de l'Humanité.


(1) SYLVIA, Léo DELIBES, par The Philharmonie Orchestra, violon-solo : Yehudi Menuhin.
(2) « Lettres sur la Danse », J.-G. Noverre, Editions Lieutier, « Danser sa Vie », R. Garaudy, Editions Le Seuil. « L'Ame et la Danse », Paul Valéry. Editions Gallimard.

DECEMBRE 1974


Publié dans le PVI N° 17 - 4éme trimestre 1975   Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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