GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 3T/1974

Saint Jean Baptiste

Il y a environ un mois c'était la Saint-Jean et les Francs Maçons fêtent la Saint-Jean. Ils fêtent même les deux Saint-Jean qui se répondent de solstice en solstice et dans une même joie :

le jour le plus court celui qui annonce le Renouveau, la Saint-Jean d'hiver, fête de l'Evangéliste, comme ils célèbrent le jour qui se lève tôt à l'aube, l'apogée, la Saint-Jean d'été celle de saint Jean-Baptiste.

Et pour nous, fêter la Saint-Jean c'est une fois de plus nous insérer dans la longue chaîne initiatique, dans notre tradition mais aussi en rappeler cer­tains éléments, les faire revivre car rien n'est plus fragile que la tradition orale. Elle court toujours le double risque de s'émietter, de s'effriter ou alors de s'enrichir d'éléments surajoutés. Il faut aussi tenter de trouver un prolon­gement immédiat à l'événement traditionnel, tenter de dégager une leçon, un signe, pour l'activité de demain, tenter de retrouver à travers l'ancien nom de Joannan qui signifie selon notre Frère Littré « Jehovah est clément » ou selon une traduction plus belle et plus exacte « Dieu a fait grâce. « Jean, écrit Flavius Josèphe, historien juif, son presque contemporain, était un homme bon qui prêchait aux Juifs de pratiquer la vertu, d'être justes envers le prochain, pieux envers Dieu et de recevoir le baptême, car si ce rite du baptême lui semblait utile ce n'était point pour effacer les pêchés mais seu­lement pour assurer la pureté des corps, l'âme ayant été antérieurement puri­fiée par la justice. Le peuple se groupait autour de lui et presque tout le monde était saisi par ses discours. Hérode le craignait. » Ces simples phrases ne suffiraient-elles pas à nous faire honorer un tel homme qui n'est pas encore, d'après la description de Flavius Josèphe, un Initié.

Dans la tradition juive, le passage de Flavius Josèphe témoigne de la qualité qu'on lui accorde, Jean-Baptiste fut un grand prophète. Il disparut pour renaître ensuite lorsque les relations judéo-chrétiennes s'améliorent.

Dans la tradition musulmane, Jean-Baptiste se maintient dans la ligne du prophétisme. Yaya est le prophète au don des larmes mais pour nous il est et demeure ce jeune Juif né dans •une famille à la vivante ferveur religieuse entre sa mère Elisabeth, cousine de Marie, et son père Zacharie, prêtre du Temple. Il a intensément connu, vécu, l'attente, cette ferveur spirituelle née d'un profond idéal vraisemblablement puisé au contact des Esséniens, cette communauté d'une ardente piété aujourd'hui scientifiquement connue. Elle nous touche profondément en raison même de sa spiritualité. Toute cette vie se déroule dans une région géographiquement déterminée voisine de Jericho, longeant le bras du Jourdain. Et c'est là que Jean-Baptiste se retirera pour baptiser dans le Jourdain après y avoir vécu ses années de fièvre reli­gieuse de l'adolescence et c'est là, aussi, qu'il viendra mourir la tête tran­chée par la superbe sottise d'Hérode. Toute une jeunesse passée dans l'at­tente de l'événement de la venue du messie d'Aaron et d'Israël, tendue dans l'attente, dans la préparation de cette venue dans la rigueur du désert où l'on se préparait spirituellement, c'est là beaucoup plus que la simple réunion de conditions historiques, c'est l'ébauche d'une ascèse, c'est déjà toute la spiritualité du désert que nous retrouverons ; et ces deux éléments : ascèse et spiritualité du désert, sont des éléments profondément maçonniques par la formation sans compromission qu'ils imposent.

Cet adolescent fervent, celui qui reçoit la parole, quel fut son rôle ? • Il vint comme témoin pour rendre témoignage à la lumière afin que tous crussent par lui. Il n'était pas la lumière mais le témoin de la lumière, le Verbe était la lumière véritable qui éclaire tout homme. » Tels sont les versets six et suivants de l'admirable Prologue du quatrième évangile et une exégèse d'une fantastique richesse existe sur ces quelques versets du prologue — dix-huit versets et plus de cinquante ouvrages récents ! —

Mais en outre, tradition, légende et recherche se confondent à l'appui de l'anecdote pour nous apprendre l'existence, aujourd'hui, de disciples de Jean, cette secte des 'Mandéens dont on ne sait d'où ils viennent exactement, tribu baptiste ne pratiquant qu'un seul rite, celui du baptême, baptême non chré­tien sans rémission des pêchés, donc baptême très différent de celui qui est pratiqué aujourd'hui.

Et puisqu'il est question de baptême, il faut l'évoquer, si le baptême ne jouait pas un rôle, sinon principal mais au moins essentiel, le nom de bap­ tiste ne serait pas demeuré. Jean baptisait mais il baptisait d'un baptême johannique qui n'a rien à voir avec le baptême chrétien, c'est le Rite Tradition­nel que pratiquait déjà les prosélytes juifs, que connaissaient bien les moines pratiquant l'ablution et un grand théologien catholique •pouvait écrire • le baptême pénitence de cette époque est une rupture avec l'existence passée et comme une naissance à une existence nouvelle •. Ensuite le baptême évo­luera mais perdra-t-il ce caractère ésotérique, ce caractère initiatique auquel nous demeurons sensibles ? • Moi je vous baptise dans l'eau mais il va venir celui qui est plus puissant que moi et qui vous baptisera dans l'esprit saint et dans le feu » écrira Marc.

Le baptême chrétien est-il la prolongation du baptême joanhique tradition­nel et très certainement initiatique ? Mais outre son rôle de lien entre le baptême traditionnel et le baptême chrétien, Jean apparaît à travers les ver­sets six à huit comme un témoin, le mot de témoin revient trois fois et qu'est-ce que ce témoin ? Juridiquement comme historiquement, c'est le garant, c'est la caution, c'est celui qui a vu et qui se distingue ainsi par rap­port aux autres, c'est à partir du témoignage que les premiers disciples s'atta­cheront à Jésus, c'est à partir du témoignage que se construit la foi, le témoin en est le support. Jean, dit Jésus qui venait vers lui, et il dit «  voici l'agneau de Dieu, voici celui qui prend sur lui le péché du monde » et Jean rendit témoignage disant «  J'ai vu l'esprit descendre sur lui comme une colombe » .

Et le problème de la foi serait ainsi posé séparant le monde entre ceux qui y croit et ceux qui n'y croit pas sans explication, ni raisonnement, ni expérience. Il n'y a pas d'accès intellectuel à ce domaine sauf pour tous en admettre l'existence comme à en sentir la poésie spiritualiste. Baptiste est témoin mais il fut aussi le messager, il fut le précurseur, l'annonciateur, il annonce la bonne nouvelle «  et alors venaient à lui Jérusalem et toute la Judée et toute la région du Jourdain » et la célèbre formule «  Voici que j'envoie un Ange qui préparera mes voies devant la face ». Jean-Baptiste annonce, Jean-Baptiste précède, annonciateur de la lumière il est la Voix et Jésus sera la Parole et cette dissociation symbolique caractérise mal le rôle du précur­seur, un de ses rôles fondamentaux.

Mais on n'en finirait pas avec le prophète, avec l'ange, tant sa tradi­tion est multiple. Ainsi de son passage dans le désert il faut rappeler, surtout ici, le rôle du désert, le peuple de Dieu y passera quarante ans avant la terre promise. La femme de l'Apocalypse vivra dans le désert nourrie par Dieu pendant mille deux cent soixante jours. Moïse est libéré de l'idolâtrie dans le désert et Jésus y sera tenté quarante jours.

Un siècle plus tard, Simeon Bar Yocchaï, inspirateur du zoar, après sa condamnation à mort ira avec son fils, vivre à sa manière la solitude du désert dans une caverne proche de la mer Morte ; leur exil quasi désertique durera douze ans.

C'est l'exil traditionnel, la solitude où s'accroît la spiritualité, où se forge l'Initiation. 'Mais notre ange, notre prophète, le premier, le plus grand « en vérité, je vous le dis, parmi les enfants de 'la femme il n'en a pas surgi de plus grand », reste un homme marqué par Dieu comme par la spiri­tualité. Mais homme, et c'est en homme qu'il ressentira le doute, cela nous le rend plus proche, plus tendre parce qu'il est plus fragile. C'est lui qui envoie les messagers à Jésus et qui fait demander : « es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » Lui, le plus grand, il est le, plus modeste, effacé par Jésus.

Le plus grand, le plus modeste, le plus humain, le plus sévère aussi, celui qui criait « Engeance de vipère qui vous a suggéré d'échapper à la colère prochaine ? ». Le jeune spiritualiste profond, le baptiste à l'action inlassable et quotidienne, le précurseur et la voix, le témoin, quelle richesse dans une multiplicité qui ne peut que nous émouvoir et nous ramener à notre véritable et misérable situation. Et quel lien entre ces éléments ? un seul, celui de l'Initié, celui qui considère qu'il n'y a rien au-delà de la grande règle de l'unité et qui relie ainsi : action et spiritualité, ascèse et humilité et pour nous, Maçons, il est celui que nous fêtons sans réticence dans la tradition et avec amour.

Publié dans le PVI N° 15 - 3éme trimestre 1974  -  Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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