GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 1T/1972

La Fraternité Maçonnique devant la Mort

A la fin de l'automne passé, un de nos frères venait occuper, en un petit cimetière de la région parisienne, sa dernière place sur cette terre.

Un catafalque avait été élevé au bout de l'allée centrale pour arrêter, pendant un court instant, le cheminement du cercueil vers la tombe.

Autour de ce catafalque, vingt et un frères réunis formaient la « chaîne d'union courte », se donnant mutuellement les mains dont les bras étaient croisés. Ils portaient sur leurs épaules écharpes et sautoirs retournés, lais­sant deviner, brodés d'argent sur un fond noir, les attributs et les larmes d'un cérémonial de deuil.

Le Vénérable Maître de la Loge prit alors la parole :

« Mon Frère Michel, tu es venu frapper, un jour, à la porte du Temple, et cette porte, pour toi nous l'avons ouverte.

Tu es venu nous offrir ton travail, tes qualités exceptionnelles d'intelligence, de compréhension, de sensibilité, de fraternité tu es venu partager notre recherche, tu es venu aimer ce que nous aimons.

Alors, t'ayant laissé pénétrer dans notre chaîne d'union, nous l'avons refermée sur toi. Et c'est au cour même de ce cercle dans lequel tu venais d'entrer que, symboliquement nous t'avons « donné la lumière ». C'est de ce point privilégié que tu découvris les visages de ceux qui étaient déjà tes frères, de ceux qui, à cet instant, représentaient l'ensemble des Maçons vivant sur la surface de la terre, liés par la même quête, mieux encore que par nos mains étroitement unies.

C'est depuis ce point central que tu vins te mêler à nous, et prendre place dans notre chaîne pour tendre, à force de travail, de recherche et de méditation, à la parfaite maîtrise.

Si ces mêmes visages que tu découvris dans la joie cernent aujourd'hui, bouleversés, ton cercueil, si tes frères, qui t'avaient juré fidélité, sont venus jusqu'ici former, une fois encore, autour de toi ce cercle d'amour et de fraternité, c'est pour que de son centre partent les premiers pas que tu feras pour rejoindre la longue chaîne que forgent, depuis les chantiers du roi Salomon, les Francs-Maçons passés à l'Orient éternel, c'est pour qu'une dernière fois notre assemblée retrouve en son sein celui qui a reçu l'initiation suprême.

Comment te dire notre tristesse, mon Frère ? Comment te dire à toi qui, dimanche dernier encore, sus si bien mettre en évidence, alors que tu ne pouvais plus même articuler, combien la démarche de l'homme qui se croit civilisé est vaine, dérisoire et frivole, et combien a de grandeur la tranquille disponibilité de l'homme devant sa mort ?

Comment te dire à toi, dont la lucidité et le courage ont forcé notre admiration...

Comment te dire que nous ressentons cruellement ton absence ?

Mon Frère Michel, un des derniers mots que je t'ai entendu prononcer, et avec quelle difficulté, c'est le mot devoir. C'est probablement celui qui t'était le plus familier, c'est celui qui en loge, nous restera le plus familier.

Nous savons que rien ne meurt vraiment. Nous savons que rien ne commence, que rien ne cesse, que tout se poursuit ; c'est pourquoi tout simplement, au nom de notre Atelier de ton Atelier, tout entier, au nom de la Grande Loge de France, au nom de la Franc-Maçonnerie Universelle, je te redis, mon Frère Michel... au revoir. » 

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Les frères du défunt quittèrent alors la chaîne d'union. On s'empara du cercueil qui fut glissé dans la tranchée fraîchement ouverte. Un à un les officiants vinrent jeter sur la dépouille mortelle un rameau d'acacia.

L'acacia, symbole solaire, l'acacia, symbole de l'innocence, l'acacia, dont, selon la Légende, étaient faites l'arche sainte et la croix, l'acacia, arbre sacré de la maîtrise, l'acacia, emblème de la métamorphose et de la résurrection.

Le monde profane reconnaît bien volontiers l'existence de la fraternité maçonnique, mais il ne lui accorde souvent qu'une portée limitée aux biens de ce monde. C'est une erreur commune que de voir dans l'Ordre maçonnique une société d'entraide, alors qu'il est avant tout une société de pensée, une école d'ascèse initiatique pour l'homme seul et conscient de l'être.

La fraternité qui nous unit franchit victorieuse les barrières de la mort pour ceux d'entre nous qui savent s'en montrer dignes et assumer leurs res­ponsabilités d'hommes libres...

Nous évoquons aujourd'hui un problème qui préoccupe beaucoup ceux qui craignent de ne pouvoir rester seuls avec eux-mêmes à l'heure de la. mort.

Le monde dans lequel nous vivons se prête mal à la compréhension de la mort en tant que conséquence logique de la vie, car l'homme civilisé est coupé des contingences de la nature.

L'homme sauvage vivait avec la hantise permanente de la mort.

L'homme civilisé, encotonné de fausse sécurité, grisé de divertissement, oublie jusqu'à l'idée de sa fin inéluctable et celui qui meurt, meurt seul. Son semblable vivant ne sait lui apporter aucun réconfort, tout ce qu'il peut dire ou faire ne vise qu'à se justifier lui-même, à se réconforter lui-même.

Pour nous, Francs-Maçons écossais, la mort marque de son empreinte tout le cours de notre cheminement initiatique. Quand nous la rencontrons au détour de notre route, quand nous la voyons à l'ceuvre, quand nous la devinons présente près de nous, nous savons qu'elle est une nécessité qu'il faut regarder en face sans équivoque ni lâcheté.

Notre sérénité et notre confiance en notre communion fraternelle est exactement celle qu'exprima de manière si forte Mozart quand il se détourna de la composition de ce Requiem qu'il devait laisser inachevé pour écrire, d'une seule jetée, cette petite Cantate Maçonnique K 623 « Laut verkunde unsere Freude = achevée le 15 novembre 1791, trois semaines à peine avant sa mort.

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MOZART avait trouvé dans la Franc-Maçonnerie le réconfort d'une com­munauté fraternelle universelle qu'aucune religion n'avait jamais su ou pu appor­ter à son âme sensible.

Avant de mourir, il écrivit ce tout dernier chant d'espérance que vous n'entendez pas d'habitude après l'exécution au concert de cette petite cantate, car ce chant fait partie du rituel maçonnique de fermeture des travaux, c'est-à-dire du moment de réflexion que nous avons toujours, avant de nous séparer, pour nous demander si l’œuvre que nous avons entreprise servira au bonheur de tous les hommes..

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Pour une fois, et en souvenir de tous les frères morts dans l'espoir d'un monde meilleur pour tous les hommes sincères et honnêtes, laissez-nous vous faire entendre ce chant de confiante espérance qui devait être choisi un siècle et demi plus tard dans la patrie même de Mozart, comme hymne national.

(Musique)

MARS 1972

Publié dans le PVI N° 5 - 1éme trimestre 1972   Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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