GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 1T/1972

La Franc-Maçonnerie
Universalisme et Secret
Dialogue entre le profane et le maçon

Demande. — Au cours de vos précédentes émissions, il nous est fréquemment arrivé d'entendre les porte-parole de la Grande Loge de France employer le vocable K Franc-Maçonnerie Univer­selle ». Pouvez-vous, sans violer les secrets de votre Ordre, nous dire en quoi consiste son universalisme ?

Réponse. — Monsieur, je peux répondre sans détour à votre question, et ceci sans violer aucun secret. En effet, le problème du secret maçonnique, comme toute question se rapportant à l'Ordre, est résolu aisément si l'on se réfère à ce qui constitue son essence et sa raison d'être : l'Initiation.

Car la Franc-Maçonnerie est essentiellement et, pourrait-on dire même, exclusivement, un Ordre initiatique.

Cela signifie que notre préoccupation dominante est d'engager nos adeptes dans la voie de la recherche de la vérité, leur donnant ainsi accès aux réalités substantielles.

Demande. — Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par vérité » et réalités substantielles ». Quelles sont les méthodes que vous employez pour y accéder ?

Réponse. — Si diverses que soient leurs opinions métaphysi­ques, les Francs-Maçons croient tous en l'existence d'un ordre uni­versel qui préside à tous les phénomènes, ceux de l'esprit et ceux de la matière.

Cette Loi, symbole rayonnant générateur et régénérateur, est source de toute puissance et de toute connaissance, elle est vie, force, amour.

L'initiation est une démarche qui conduit l'initié vers la connais­sance de la Loi et le maintient ensuite dans son sein. C'est donc une véritable exploration dont le sens est un effort vers l'unité et la finalité l'intégration de l'individu dans le sein du cosmos.

Cette initiation, nous la poursuivons conformément à la tradi­tion millénaire des constructeurs qui, dans la pratique quotidienne de la réflexion et du travail, réalisaient en eux-mêmes et dans leur oeuvre l'équilibre de la sagesse, de la force et de la beauté par une quête perpétuelle et dynamique de la vérité et par une collaboration active et constante à l'eeuvre de création.

La vérité ! Nous la concevons comme à la fois éternelle et uni­verselle, transcendante et immanente, occulte et visible, accessible à ceux qui s'attachent à mériter sa possession, ou plutôt à vivre en elle par leur travail inlassable et par leur participation aux réalités substantielles et concrètes de l'esprit et de la matière.

Nous nous séparons donc de ceux qui la conçoivent comme seu­lement transcendante, immatérielle et inaccessible autrement que par le moyen de la révélation, la pratique de l'abstention et de l'abs­traction, le mépris du concret.

Nous nous séparons donc de ceux qui la conçoivent comme seulement immanente, matérielle et accessible par les seules voies de la science et l'observation des phénomènes contingents de la matière, dans l'ignorance de la Loi qui les conditionne tous.

Mais nous, ne condamnons personne parce que nous ne nous enfermons point dans la certitude du dogme paralysant, parce que nous reconnaissons à quiconque le droit de chercher dans d'autres directions que nous-mêmes, que nous considérons la tolérance comme la condition essentielle de l'union des efforts, et que nous ne connaissons que deux remèdes à l'erreur le travail et la modes­tie.

Demande. — Vous n'êtes donc, si je comprends bien, ni complè­tement spiritualistes, ni absolument matérialistes. De quelle école vous réclamez-vous donc ?

Réponse. — Nous ne nous réclamons d'aucune école, d'aucune église, d'aucune philosophie. Nous n'en rejetons aucune, car cha­cune contient une part de vérité et peut contenir une part d'erreur. Pour découvrir, il faut d'abord chercher. Nous estimons que tout est lié, que tout dépend de tout et qu'il n'est point de choses maté­rielles ou immatérielles qui se puissent concevoir à l'état d'isole­ment. L'analyse suspend la vie, la synthèse la recrée. Il est donc également vrai de dire que nous puisons à toutes les écoles, à toutes les églises, à toutes les philosophies.

Vous avez ainsi réponse votre question touchant au secret-: le travail initiatique d'un Franc-Maçon est un labeur de tous les jours, de toutes les minutes. Il chemine pas à pas sur la voie de la connaissance, et il ne peut en brûler une étape sans sortir du che­min. Voilà en quoi consiste notre secret : suivre notre chemin. Ce secret est tout intérieur, il est inviolable, parce qu'il est incommu­nicable.

Quant à notre méthode, elle n'a rien de mystérieux. Elle réside dans l'emploi d'un instrument d'investigation et d'expression qui permet aux hommes de tous les . temps et de toutes les races de se comprendre au-delà du son fallacieux des mots. C'est le langage du sentiment et de l'imagination.

Il a pour nom : symbolisme.

Supposons des hommes de race, de formation, de langage et de culture différents, mettons-les en présence, nous n'en tirerons que l'odieuse cacophonie de la Tour de Babel ! Plaçons-les en revan­che devant un spectacle : une rivière, une mer en tempête, une chute d'eau, un clair de lune, un air de musique, une mère allaitant son petit, les mêmes pensées naîtront dans leurs esprits et, lors­qu'ils se détacheront du spectacle et qu'ils échangeront leurs regards, ils sentiront qu'un lien est né entre eux d'avoir éprouvé le même sentiment et vécu la même expérience. Et ceci est vrai que l'expérience ait été vécue au même lieu et au même moment, ou qu'au contraire elle se soit déroulée à des lieues de distance ou à des siècles d'intervalle.

Il ne m'est pas possible de vous expliquer avec plus de détails le cheminement de l'initiation par le symbolisme, non que je ne veuille point, mais parce que je ne le puis : l'initiation se vit, elle ne s'exprime pas.

Mais vous apercevez suffisamment, je crois, pourquoi chaque Franc-Maçon se sent solidaire de tous ses Frères proches ou loin­tains dans le temps et dans l'espace. Car la Franc-Maçonnerie est effectivement universelle dans le temps et dans l'espace, et elle noue entre ses adeptes un lien puissant et incomparable, parce qu'elle les unit non par le respect d'une discipline extérieure, maté­rielle ou morale, mais par les fibres mêmes de leur vie intérieure, par le sentiment et la réflexion.

Vous apercevez également que chaque homme, une fois entré dans le domaine initiatique, suit en vérité un chemin qui lui est rigoureusement personnel.

La méthode symbolique ne contraint la pensée de personne, le symbole n'impose rien, il suggère, il éveille, chacun y met ce qui correspond à sa nature profonde et tous y puisent leur inspiration.

Voilà pourquoi la Franc-Maçonnerie est une institution univer­selle sans revêtir la forme d'une organisation internationale.

Demande. — Qu'entendez-vous par là ?

Réponse. — En affirmant que la Franc-Maçonnerie est univer­selle mais non internationale, j'entends exprimer que notre Ordre applique, dans sa configuration matérielle, les principes spirituels qui constituent son âme. Il réunit nos Frères dans un effort initia­tique commun, par une méthode symbolique commune, mais il n'en­tend contraindre en aucune façon leur individualité qui doit, au contraire, s'affirmer et s'épanouir dans le cadre de cet ordre uni­versel dont nous parlions il y a un instant.

Les structures temporelles de l'Ordre sont soigneusement ins­pirées de son objectif spirituel : chaque Franc-Maçon est un homme libre. Il fréquente sa Loge pour y trouver l'aliment symbolique néces­saire à son initiation, mais il n'y reçoit ni mot d'ordre, ni consigne, et continue de vivre conformément aux seuls impératifs de sa cons­cience.

Chaque Loge maçonnique est également libre, elle choisit libre­ment ses chefs et si, depuis le XVllle siècle, elle doit, pour être reconnue régulière par les autres Loges du monde entier, avoir reçu patente constitutive d'une Grande Loge, il lui suffit de s'établir et de s'engager à oeuvrer dans le respect des règles symboliques tra­ditionnelles pour recevoir sa patente de l'Obédience sous la juri­diction territoriale de laquelle elle se trouve placée.

Car dans chaque Etat il existe une Grande Loge, organisme fédérateur et centralisateur des Loges symboliques de sa juridic­tion. Cette Grande Loge, dont les chefs sont élus par les représen­tants des Loges constituantes, est souveraine et indépendante.

Il n'existe en effet aucun organisme international supérieur aux Grandes Loges, chacune d'elles assurant sur son territoire national le maintien de la tradition initiatique.

Des conférences internationales réunissent périodiquement les Grands Maîtres de chacune des Grandes Loges, mais ces conféren­ces n'ont aucun droit d'ingérence dans les affaires intérieures des Obédiences nationales.

En effet, un Franc-Maçon est avant tout un citoyen respectueux des lois de son pays et il se doit d'abord à sa patrie et à sa famille.

Et de même que nous n'admettons pas qu'un organisme maçonnique intervienne dans la vie politique de ses adhérents, nous ne conce­vons pas qu'un organisme supra-national puisse, directement, ou indirectement, intervenir dans la vie d'une Grande Loge.

Demande. — Ces scrupules vous honorent, certes, mais le monde tend actuellement à s'organiser à l'échelle internationale, chaque jour de nouveaux organismes politiques, économiques ou financiers sont créés qui viennent se superposer aux Etats natio­naux. Peut-être un jour nos petits-enfants seront-ils citoyens d'un Etat mondial unique dont les anciens Etats ne seront plus que les provinces. La Franc-Maçonnerie restera-t-elle en arrière et conti­nuera-t-elle seule à demeurer attachée à la conception d'une souve­raineté nationale désormais dépassée ?

Réponse. — Les Francs-Maçons souhaitent ardemment que l'unité du monde se réalise. Mais ils pensent que cette unité se doit rechercher dans l'union des cœurs et la paix des âmes, plu­tôt que dans l'élaboration de structures politiques ou administrati­ves plus ou moins imposées.

L'unité du monde sera une vérité quand un Parisien se sentira le frère d'un habitant de Tokyo, de Leningrad, de Montréal ou d'ail­leurs. La fraternité des hommes est incontestablement en voie d'élaboration, les institutions se borneront à la consacrer. Mais l'ordre des facteurs ne peut être inversé sans faire intervenir l'into­lérable contrainte.

L'universalité dont la Franc-Maçonnerie propose au monde l'exemple ne découle, vous le voyez, ni d'une organisation fortement centralisée, ni d'une unité de pensée et d'action imposée par une discipline hiérarchique, elle est le fruit naturel de la pratique quotir dienne d'une éthique commune et de la poursuite collective d'une ascèse initiatique individuelle et par conséquent adogmatique.

La Franc-Maçonnerie, qui non seulement laisse à tous la libre disposition de leur individualité, mais encourage chacun de ses membres à cultiver ses qualités propres, travaille à la réalisation d'une vraie fraternité reposant sur la confiance et non sur la contrainte, sur la coopération compréhensive et non sur l'obéis­sance passive.

C'est une telle fraternité, fondée sur l'amour, qui présidera à la réalisation de l'unité mondiale. Ce ne sont point les règlements appuyés sur la crainte ou sur la contrainte qui imposeront cette unité aux humains.

Pour se réaliser pleinement et pour collaborer à l'harmonie universelle, les hommes ont besoin d'amour et de liberté. Les ins­titutions ne valent que ce que valent les volontés qui les animent. Il ne faut donc pas brusquer les événements.

Au Moyen Age, les Loges maçonniques étaient complètement indépendantes, et pourtant un Franc-Maçon pouvait parcourir tout ce qui constituait alors le monde civilisé et être reçu partout en Frère par ses Frères.

Lorsque, au cours du XVIII' siècle, s'érigèrent les grands Etats modernes, des Grandes Loges naquirent dans chacun de ces Etats. Ne doutez pas que les structures temporelles de la Franc-Maçon­nerie suivent l'évolution de structures politiques du monde, mais à aucun prix nous ne précéderons cette évolution.

Au demeurant, les formes temporelles sont, à nos yeux, très secondaires.

Je vous l'ai dit et je terminerai par là, la Franc-Maçonnerie n'en­tretenant aucune visée d'ordre politique, philosophique ou religieux, in ne l'intéresse nullement de devenir une organisation internatio­nale, il lui suffit d'être ce qu'elle a toujours été, une institution universelle.

Publié dans le PVI N° 5 - 1éme trimestre 1972  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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