GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 1T/1972

La Franc-Maçonnerie : Sa Loi Morale

Les Francs-Maçons connaissent et poursuivent les buts de l'Ordre qui leur a conféré l'initiation, mais le monde profane n'a pas toujours su ce qu'était et ce qu'est la Franc-Maçonnerie. Religion, société de pensée, groupement de bienfaisance mutuelle, telles sont les appréciations diverses portées sur notre organisation auxquelles se sont ajoutées, un certain temps, des attaques incon­sidérées nées de l'acharnement d'adversaires obnubilés par des sentiments d'intolérance ou d'incompréhension.

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A diverses reprises, les textes de nos émissions ont porté à la connaissance des hommes de bonne foi les buts de notre Ordre.

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Souvent, nous le savons, ces mêmes hommes, animés d'un souci de compréhension, se sont demandé les raisons de la foi maçonnique qui anime nos adeptes, et leurs relations avec la reli­gion.

Des écrits nombreux ont confronté les apostolats de la Franc- Maçonnerie et de la Religion. Il peut sembler superflu d'aborder à nouveau ce sujet de comparaison.

Nous reviendrons cependant sur quelques arguments liminaires en les considérant selon la dialectique la plus stricte.

Pour de nombreux Francs-Maçons dans le monde, la Franc- Maçonnerie est une religion.

Les protestants, en particulier, vont jusqu'à établir une parenté étroite entre la Franc-Maçonnerie et leur religion et tendent à intro­duire dans les rituels et les formulaires des définitions ou des invocations adoptées par leur confession.

D'autres, au contraire, sans la moindre velléité d'athéisme, sans chercher à opposer la Franc-Maçonnerie à la religion, s'attachent à l'en distinguer en éliminant les expressions susceptibles d'in­duire en confusion.

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Reprenons cette question à sa base et selon les données élé­mentaires.

Il importe tout d'abord d'écarter toute possibilité de méprise quant au mot « religion », dont l'étymologie a donné lieu à contro­verse.

On lui a parfois attribué pour racine le mot latin religare »,

qui signifie « relier ».

En ce sens, serait religion toute croyance, toute idéologie, toute doctrine, autour de laquelle s'assemblent des hommes que cette croyance, cette idéologie, cette doctrine relie entre eux.

Selon cette acception, toute communauté d'aspiration vers un but proposé à de longs efforts de l'esprit mériterait le nom de reli­gion, même si la culture de cette aspiration ou la poursuite de ce but ne comportait ni théologie, ni mystique, ni rite, ni liturgie.

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La Franc-Maçonnerie est déjà au moins cela, puisque ses mem­bres nourrissent en commun le propos de travailler à leur perfec­tionnement individuel et à celui de tous les hommes ; ils désirent fortifier le sentiment de fraternité entre eux et envers leurs sem­blables, ils veulent user de la plus large tolérance quant aux opi­nions et aux croyances de tous les hommes, ils recherchent tout ce qui unit les hommes et proscrivent tout ce qui les divise ; ainsi, les Francs-Maçons se comportent d'une manière qui marque de très sérieux progrès sur la conduite habituelle des hommes.

Ces objectifs des Francs-Maçons constituent une aspiration d'un ordre élevé, proposée aux entreprises de l'esprit. La Franc- Maçonnerie est ainsi incontestablement une religion au sens de la racine « religare ».

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D'autres étymologistes assignent au mot religion la racine « eligere », « élire », et pensent qu'une communauté humaine ne mérite d'être dite religion que si elle a fait choix d'une « acception définie » de la transcendance ; si, en quelque sorte, elle a « élu » un Dieu.

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La Franc-Maçonnerie serait aussi cela si l'on s'en tenait à ce qu'elle professe l'existence d'une « Puissance Suprême », qu'elle désigne sous le vocable « Le Grand Architecte de l'Univers ». Il est vrai qu'elle n'en spécifie pas la nature ni les attributs et qu'elle n'émet aucune doctrine sur l'origine du monde ni sur ses fins der­nières.

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La Franc-Maçonnerie n'enseigne pas, à ses adeptes, une « acception définie » de la transcendance. L'expression « Puissance Suprême » est applicable à toutes les définitions de la transcen­dance et le vocable « Grand Architecte de l'Univers » n'est que la transposition de cette expression dans la terminologie des bâtis­seurs.

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Il y a donc deux espèces de religions selon qu'on se réfère à l'une ou à l'autre de ces deux étymologies.

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Les premières considérations que nous avons développées succinctement font apparaître que la Franc-Maçonnerie est une reli­gion au sens de la racine « religare » et ne saurait en être une au sens de la racine « eligere ».

Cette distinction est importante, elle apporte une première conclusion à la question posée.

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Nous poursuivrons nos recherches et nous nous reporterons à la Constitution d'Anderson dont nous avons ici même entretenu nos auditeurs.

Cette Constitution date de 1723, elle reste la Charte fondamen­tale de la Franc-Maçonnerie moderne.

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Relisons l'article premier :

« Un Maçon est tenu, par son obligation, d'obéir à la Loi morale ; et, s'il entend bien l'Art, il ne sera jamais un athée stupide ni un libertin irreligieux. Mais, bien que dans les temps anciens les Maçons aient été tenus, dans chaque pays, de suivre la religion — quelle qu'elle fût — de ce pays ou de cette nation, on juge mainte­nant opportun, en laissant à chacun ses opinions particulières, de restreindre cette obligation à la religion sur laquelle tous les hom­mes sont d'accord, c'est-à-dire être Hommes Bons et Sincères, Hom­mes d'Honneur et de Probité, quelles que soient les dénominations ou croyances qui peuvent les distinguer ; d'où il suit que la Maçon­nerie devient le Centre d'Union et le moyen de rapprocher, par une véritable amitié, des personnes qui, sans elle, seraient restées per­pétuellement étrangères. »

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Ce texte du premier article de la Constitution d'Anderson, Charte de la Franc-Maçonnerie, fait disparaître toute hésitation.

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La distinction est parfaite entre la religion que les Francs- Maçons étaient anciennement obligés de suivre — celle du pays ou de la nation où ils se trouvaient, religion définie avec sa théolo­gie, sa mystique, sa liturgie — et cette religion à laquelle est « res­treinte » désormais l'obligation des Francs-Maçons, cette religion sur laquelle tous les hommes sont d'accord, religion qui consiste à être bon, sincère, honnête et probe.

Ce texte fondamental fait apparaître de façon discutable la Franc-Maçonnerie comme une communauté d'aspiration vers un idéal élevé mais sans mystique et sans définition de la transcen­dance, imposant pour règle aux Francs-Maçons de cultiver les qua­lités humaines de bonté, de sincérité, de loyauté, d'honneur, de pro­bité, donc comme une religion de la première espèce, une religion au sens de l'étymologie « religare » et non pas une religion de la seconde espèce relevant de la racine « eligere ».

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Poursuivons notre analyse.

La première phase de la Constitution d'Anderson comprend deux parties :

« Le Maçon est tenu, par son obligation, d'obéir à la Loi morale.

S'il entend bien l'Art, il ne sera jamais un athée stupide, ni un libertin irreligieux. »

Qu'est-ce que la Loi morale à laquelle les Francs-Maçons sont « tenus » par leur « obligation » d'obéir ?

Il ne faut pas confondre la « Loi morale » avec la « morale ».

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La morale est un ensemble de règles applicables à la conduite des hommes, soit envers eux-mêmes, soit envers les groupes hu­mains auxquels ils appartiennent : famille, collectivité nationale, société. C'est là un devoir élémentaire que les Francs-Maçons pra­tiquent tout naturellement comme doivent le pratiquer tous les autres hommes.

Mais la Loi morale a une acception tout à fait différente. Ici le mot « morale n'a plus le même sens. Il n'est plus un substantif. C'est un adjectif qui qualifie le mot « loi » ; il ne veut plus dire un ensemble de règles de conduite, il a la même valeur que l'adjectif « spirituel ». Ainsi la Loi morale résulte d'une prise de position. Les hommes peuvent adopter différentes tendances, différentes attitu­des de pensée, mais la Loi morale leur fait attribuer une primauté aux préoccupations de l'esprit. Elle marque une aspiration vers un état où l'esprit gouvernerait la marche de l'humanité ; elle donne un sens aux principes de l'évolution.

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Les hommes qui obéissent à la Loi morale travaillent à la pré­cellence de l'esprit. Ils prennent place dans une communauté d'aspi­ration élevée, dans une religion selon la racine « religare ».

La loi morale n'est pas propre à une religion définie, elle est indépendante de toute théologie, de toute mystique, de tout rite, de toute liturgie.

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Toutes les religions définies obéissent à la Loi morale puisque toutes assignent comme objectif suprême le triomphe de l'esprit.

Les fondateurs de l'Ordre maçonnique ont posé le principe que le Franc-Maçon doit obéir à la Loi morale, ils lui ont fait ainsi une obligation d'adopter, en tant que Franc-Maçon, la primauté à l'esprit. En adoptant cette tendance, la Franc-Maçonnerie s'inscrit comme une religion au sens « religare ». « S'il entend bien l'Art, dit la seconde partie de la première phrase de l'article premier de notre Constitution, c'est-à-dire si le Franc-Maçon admet bien la tendance spirituelle de notre Ordre, s'il admet que notre oeuvre poursuit l'édi­fication d'une humanité vouée à la primauté de l'esprit. »

Pour le Franc-Maçon, bien entendre l'Art, c'est s'associer à cette oeuvre, c'est accepter la dernière proposition contenue dans la première phrase de notre Constitution : « Il ne sera jamais un athée stupide ni un libertin irreligieux. »

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Un athée stupide est l'homme qui ne croit à rien parce qu'il ne s'est pas donné la peine de chercher une signification ou un but ni à sa propre vie ni à la vie en général ; l'athée stupide n'est sensi­ble qu'à ce qui le fait vivre physiquement ; il est dépourvu de toute générosité de sentiments, il ne ressent aucun lien pouvant le ratta­cher aux autres hommes, il n'éprouve aucun besoin de consacrer quelque effort à ce qui dépasse sa personne considérée de façon étroite.

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Aussi, la Franc-Maçonnerie ne peut accepter en son sein de tels hommes qui n'apporteraient rien à l'objectif qu'elle s'est assi­gné ; elle n'a rien à attendre d'eux, elle ne peut rien leur apporter.

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Au contraire, dès qu'un homme pense que sa vie peut être utile aux autres hommes plus encore qu'à lui-même, dès qu'il joint son travail, ses idées, ses efforts à ceux des autres hommes dans la poursuite d'un but qui les dépasse, cet homme n'est plus un athée stupide. C'est peut-être un athée au sens strict du mot, c'est-à-dire qu'il ne croit peut-être pas à un Dieu défini, mais s'il n'appartient pas à une religion au sens « eligere », il s'est tout de même donné une religion au sens « religare n. Il a une foi.

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Le Franc-Maçon entend bien l'Art qu'il pratique, il se rattache à l'aspiration élevée de l'Ordre : il ne peut être un libertin irreligieux.

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Au sens que le XVIIIe siècle donnait à ce mot, le libertin était un homme affranchi de tout impératif moral ou spirituel, vivant au gré de sa fantaisie, de ses passions, papillonnant, sans aucune retenue, de plaisir en plaisir.

Le libertin antireligieux est aussi antisocial que l'athée stu­pide ; il est irreligieux parce qu'une religion, fût-elle une simple communauté d'inspirations, imposerait des entraves à sa recher­che égoïste de jouissance.

Par la Charte même qui la régit, la Franc-Maçonnerie est une association qui lie entre eux, qui relie des hommes désireux de se consacrer à l'ascension de l'esprit. Elle accorde à l'esprit une précel­lence permettant d'atteindre un état supérieur où tous les hommes pratiqueraient ces vertus fondamentales : la bonté, la sincérité, la probité, l'honneur, la fraternité, la tolérance.

La Franc-Maçonnerie est la religion de cette aspiration.

Elle est le « Centre d'Union et le moyen de rapprocher, par une véritable amitié, des personnes qui, sans elle, seraient restées perpétuellement étrangères ».

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Voilà indiqués sommairement le but et les moyens de la Franc- Maçonnerie. Ils permettent à ses adeptes de travailler à leur propre amélioration comme à l'amélioration du genre humain, c'est là l’œuvre de la Franc-Maçonnerie.


Publié dans le PVI N° 5 - 1éme trimestre 1972  -  Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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