GLMFMM Bulletin : Khalam 10/2010

Et comme les eaux du Nil fécondent...

Réflexion collective des apprentis, de la Respectable Loge Sothis, Orient de Nîmes

Et comme les eaux du Nil fécondent la terre de Memphis,
dans la saison Shâ et au mois de Thôt,
ainsi les eaux d'En haut fécondent le temple intérieur de l'Homme
en la même mystérieuse saison...”

Ces quelques mots aux ac­cents lyriques à la fin du rituel résonnent tel un poème de La­martine. De là à définir, tout à trac, à quoi ils riment, quelle est leur signification profonde, l'exer­cice n'est pas aussi aisé qu'une simple explication de texte. Mais tout d'abord, que nous disent les livres, puisqu'il faut bien se réfé­rer à certaines sources, surtout quand il s'agit du Nil et de la mystérieuse saison Shâ ou Akhet, d'autant plus mystérieuse que les Égyptiens ignoraient, eux, les sources du Nil.

Il est dit que l'année était divisée en trois saisons fondées sur des observations, des “res­pirations” de la nature, sur les­quelles s'accordaient les travaux agricoles. Ces trois saisons, qui persistèrent en Égypte au-delà de l'époque où prévalurent les idées grecques, étaient :
1° la saison Shâ (du com­mencement) qui correspondait à l'inondation ;
2° la saison Pro (des semail­les) qui répondait à l'hiver;
3° la saison Shemou (de la récolte) au printemps et à l'été.

Noms conservés, d'ailleurs par le calendrier copte.

À l'aube du solstice d'été, Sirius et le Soleil déterminaient, sur une montre cosmique, le début de la nouvelle année. La terre se gorgeait d'eau pour fécondation en profondeur et une résurrection de l'agriculture, donc de la vie. Cette période était l'occasion de nombreuses fêtes populaires et célébrations religieuses orchestrées par les prêtres. L'année sothiaque ayant son point de départ le jour du lever héliaque de Sothis, autre­ment dit Sirius, le 1er Thot cor­respondait, dans le cas d'une année normale, au 19 juillet, mais la différence de cette année (à laquelle on a également donné le nom d'année vague) avec l'an­née tropique se trouvant être de 6 heures, il en résultait un retard de 24 heures de la première sur la seconde tous les quatre ans. II fallait donc 1 461 ans de 365 jours pour que le retard fût exactement d'une année et que le 1er Thot retombât le jour du lever de Sirius.

À partir de ces informations, certes livresques, que nous espé­rions fiables, nous avons tout d'abord mis le cap sur Denderah et son temple ptolémaïque en Haute Égypte. Pour les Égyp­tiens, disciples de l'œil d'Horus, toute forme d'énergie de l'Univers qui se manifeste a besoin d'une structure pour la capter afin de lui permettre de se développer sur Terre. Les nombreux tem­ples érigés le long du Nil sur des sites, choisis pour leur cor­respondance avec les étoiles, en sont une preuve évidente. Chaque temple correspondait à un niveau différent de savoir et avait une fonction distincte. Il y a quelques semaines, l'illumi­nation du triangle Maât en son rituel à l'Orient de Saint-Tropez en fut une parfaite démonstra­tion et un précieux enseignement.

DENDERAH, donc, temple d'Hathor, serait considéré comme le berceau de l'Astronomie. Rythmée par nos trois saisons, la synchronisation de la vie égyptienne avec la course du soleil et des étoiles était fonda­mentale. Sur le site de Denderah, l'un des sanctuaires est dédié à Sirius, symbole d'Isis. L'entrée du temple encadrait précisé­ment le point où Sirius appa­raissait et où le Soleil se levait, au solstice d'été. Sirius, étoile du chien à la suite de la constel­lation d'Orion, annonçait la crue du Nil ; elle restait visible durant 40 jours, durée de cette crue. Quand l'étoile disparaissait, le Nil retrouvait son niveau habituel.

Nous pouvons, d'ailleurs, faire un parallèle entre Denderah et Montségur.

Il existe à Montségur un sys­tème qui permettait de repérer les levers du soleil aux dates remarquables de l'année, sols­tices et équinoxes, correspon­dant aux commencements et aux fins de saisons. Comme toute gnose, le catharisme est imprégné de mythes astrolo­giques ; pour les Parfaits, la révo­ lution cosmique est devenue l'instrument du salut. La cosmo­gonie manichéenne guide la méditation vers la profondeur en espoir de délivrance. Au matin du solstice d'été, quand le rayon du soleil traverse les deux meurtrières du donjon, un puissant rayon de lumière tra­verse la pièce. Nul ne peut le voir... La lumière en effet n'ap­paraît que lorsqu'elle rencontre un objet qu'elle éclaire, car tout rayon de lumière est par lui- même invisible. Ce moment chargé de signification, nous le trouvons également dans l'Évan­gile de Jean :
La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas trouvée.”

Nous pourrions également nous référer aux “parfaits cons­tructeurs de temples” que furent les Sabéens. Le SABEISME consistait à l'adoration des corps célestes, du soleil, de la lune et des étoiles. Ce système très an­cien, répandu sur toute l'étendue du globe et même chez les Incas, s'est mêlé avec toutes les autres religions; il est un mélange d'idées persanes, chaldéennes et gnostiques.

La similitude avec l'Astrologie Égyptienne, l'observation par les Égyptiens des phénomènes cli­matiques en fonction des sai­sons et leur interprétation tant sur le plan mystique qu'ésoté­rique, est troublante.

Le Temple sabéen est le seuil par lequel communiquent le Temple céleste et le Temple de l'‰me. Il est le passage condui­sant à l'édifice spirituel intérieur. Il reconduit à l'origine à travers la Gnose”.

Dans le “LIVRE DES MORTS”, il est dit que “l'axe polaire, axe vertical où Nil céleste relie le monde souterrain du Sud d'où émergent les flots du Noun, l'Océan primordial au monde du Nord, matrice du monde invi­sible. Au moment du Solstice d'été, le Soleil relie le Tertre pri­mordial, lieu d'émergence de la vie au centre du monde invisi­ble et nocturne caché dans l'étoile polaire. Cette jonction s'opère à midi quand le Soleil atteint son apogée. Les deux Mondes co­existent alors ; l'axe solsticial permet le contact entre la Créa­tion et le Monde des origines; l'axe équinoxial, lui, reste lié à la rénovation du monde créé.”

Il y a dans ces lignes toute la portée ésotérique, voire philo­sophique du symbolisme de l'eau : la fécondité de la femme et la fertilité de la terre, dans les eaux primordiales, le liquide amniotique et la pluie. Mais, si l'eau, source ou matrice, appelle de multiples interprétations et significations, telles que la dé­votion par les ablutions, l'initia­tion première par le baptême, la jeunesse de la rosée, la fertilité de la pluie, l'énergie du torrent, la sérénité du lac, celles-ci pré­sentent toujours deux axiomes essentiels : la “Purification” et la “Création”, que cela passe par la toute petite goutte d'eau ou le grand déluge.

La goutte, c'est l'infiniment petit qui, comme le grain ou le germe, contient l'infiniment grand. Le déluge, lui, inspire à travers la violence de l'eau la destruc­tion qui permet une seconde nais­sance, la renaissance d'un monde purifié.

Ce qui nous ramène à cette phrase du rituel :
Ainsi, “les eaux du Nil fécon­dent la Terre de Memphis et les Eaux d'en Haut le Temple inté­rieur de l'Homme”.

Les Eaux d'en Haut et en bas la Terre de Memphis et, sur cette Terre d'en bas, Nous... L'Homme.

Si nous nous référons à Her­mès Trismégiste et à la table d'Emeraude, ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, ce qui est en haut, comme ce qui est en bas. Quant à l'Ouro­boros, serpent qui se mord la queue, il symbolise le perpétuel retour, le cycle des naissances et des renaissances, l'enchaî­nement des saisons, le jour, la nuit, le commencement et la fin, le tout associé par un lien inex­tricable qui ne peut être rompu. Il rappelle qu'au niveau spirituel, le bas et le haut sont équiva­lents ; il évoque l'autoféconda­tion, la régénération constante.

Ne retrouve-t-on pas, ici, toute l'évidence du mythe d'Osiris, de la Résurrection du corps, de la Renaissance de la nature pour toutes les “Âmes éclairées” que nous souhaitons devenir, Nous Francs-Maçons de Memphis­Misraïm ?

Et à bien y réfléchir :

La saison aride et dessé­chée n'est-elle pas à rapprocher de la condition du profane?
L'inondation: les eaux d'en- haut qui la fertilisent, c'est l'initiation. Mais l'eau est ambivalente, les eaux d'en-haut fertilisent les eaux d'en bas: le déluge, la puri­fication, le Styx... Déjà, les Baby­loniens n'utilisaient l'eau et le baptême que pour la seule caste des élus, des initiés, donc.

Par son travail, l'apprenti doit apprendre à canaliser les eaux d'en-haut pour irriguer son tem­ple intérieur afin de s'ouvrir à la connaissance.

À ce propos, la première ap­proche de l'apprenti, privé de parole, peut se baser sur un texte de la XIXe dynastie :

Ô toi qui emmène l'eau dans un lieu éloigné, viens et sauve- moi qui suis silencieux. Thot, ô
fontaine douce à l'homme altéré dans le désert, elle est fermée pour celui qui trouve ses paroles, mais elle est ouverte pour le silencieux. Viens le silencieux, il trouve la fontaine.”

Le corps de l'homme est nourri par les eaux du Nil, mais il est le temple de l'âme nourrie par les eaux d'en haut. Limons et alluvions que le Nil laisse en se retirant peuvent être assimilés à ce qui reste dans nos âmes à la fin de chaque tenue : d'où la position particulière qu'ont, à ce moment, l'expert et le maître de cérémonie.

L'Egrégore de la loge est bien vivant et notre esprit est prêt à s'enrichir, irrigué des eaux d'en haut.

Notre loge n'est-elle pas la vallée du Nil dans laquelle cha­cun apporte de quoi la fertiliser. À nous, Apprentis, d'en cueillir les fruits sans cesse en semen­ces, recherches et récoltes.

Nous avons dit, Vénérable Maître et vous tous nos frères et sœurs.
Publié dans le Khalam - Bulletin N° 32 - Octobre 2010

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