GLMFMM Bulletin : Khalam 02/2010

Le Miroir

Vénérable Maître vous tous, mes sœurs et mes frères, en vos grades et qualités.
À la gloire du Grand Architecte de l'Univers !

Pour cette tenue du second degré, notre Vénérable Maître m'a demandée de vous présen­ter pour la deuxième fois mon travail sur le Miroir_ Cette planche a donc subi de légères modifi­cations qui tiennent compte des remarques de nos frères et sœurs présents lors de sa pre­mière lecture.

Lors de la cérémonie d'élé­vation, le Miroir n'apparaît que lorsqu'on nous met à ta porte du Temple. Il se trouve alors dans la besace qu'on nous remet. D'abord, on se demande à quoi va nous servir ce Miroir. C'est en effet un objet du quoti­dien qui nous sert à refléter notre image. Je me suis alors dit que si le Miroir était présent en Franc-Maçonnerie, c'est que sa réelle signification m'était alors inconnue.

Je me suis alors souvenue de mes cours de psychologie : nous avons parlé du Miroir, de l'image reflétée à deux reprises au moins : le mythe de Narcisse et le stade du miroir de LACAN. Je savais alors par où commen­cer pour traiter ce sujet. Seu­lement, au fur et à mesure de mes recherches, je me suis aper­çue que le symbole du Miroir allait beaucoup plus loin.
Avant que l'objet miroir ne soit créé, l'Homme s'est aperçu que de nombreuses surfaces pouvaient refléter son image. Narcisse fut le plus célèbre.

Un jour, en se penchant au- dessus de l'eau, Narcisse vit son reflet. Il se trouva si beau qu'il resta ainsi penché au-dessus de l'eau à s'admirer jusqu'à sa mort. En réalité, il se laissa mou­rir. À l'endroit de sa mort, une fleur poussa et fut appelée Narcisse.
Ce mythe donna lieu à des interprétations. Le terme de narcissisme apparut. La psy­chologie considère une person­nalité narcissique comme étant de nature pathologique.

LACAN, quant à lui, s'aper­çut que le miroir revêtait une très grande importance dans le développement de l'enfant. Il décrit donc le 'stade du miroir qui se déroule en trois temps :
·           Premier temps : l'enfant voit son image se refléter dans un miroir ce qui provoque une jubila­tion devant cette surface réflé­chissante. L'enfant se reconnaît pour la première fois. Cependant, il ne distingue pas son image de l'autre. Cette confusion atteste que c'est d'abord dans l'autre qu'on vit et qu'on va également se repérer. On est assujetti à son imaginaire. Limage est d'abord morcelée.
·           Deuxième temps : l'enfant va réaliser que c'est une image, du virtuel. L'autre du miroir n'est pas réel, donc l'enfant ne cherche plus à communiquer avec lui. L'enfant sait alors distinguer le virtuel du réel.
·           Troisième temps : l'enfant va diaboliser les deux étapes précédentes.


Il s'assure que le reflet est une image. Il acquière cette conviction qu'il est une image. Il va se reconnaître à travers cette image. L'enfant va se reconnaître, mais il n'a pas encore la connaissance de lui, Une fois qu'il s'est reconnu, il est prêt à s'identifier comme sujet. C'est la préfiguration du "je". Cette première identifica­tion est sous-tendue par l'ima­ginaire L'image est incomplète et l'identification sera toujours incomplète. Nous sommes alié­nés constitutivement à l'imagi­naire. Le schéma corporel ne s'est pas encore mis en place. L'unité du corps s'ébauche comme extérieure à soi et inversée. L'aliénation à l'imaginaire préfigure ce qui sera défi­nitivement la méconnaissance de ce que nous sommes. C'est chronique chez l'être humain. L'image nous construit de façon adéquate ce qui nous piège dans l'aliénation à l'imaginaire.

L'enfant s'est ébauché comme sujet, mais il reste quand même dans une relation d'indistinction fusionnelle avec la mère. Ce qui nous le montre, c'est la peur de l'étranger. L'enfant est dans l'illusion qu'il vient combler la mère, d'où la toute puissance infantile.
Une fois que l'enfant s'est vu dans le miroir, il cherche le regard de l'adulte pour confir­mer, il cherche l'approbation de sa mère. La confiance de l'en­fant dépend de cette approbation. C'est la confirmation de l'existence psychique en même temps que corporelle.

Cette rencontre avec son image est un souhait narcis­sique et va constituer une rup­ture. Le reflet restera tyran. Il nous fait prendre conscience du peu que nous sommes (un seul sexe), c'est-à-dire que ce reflet fait apparaître le manque.
Nous allons nous arrêter là dans les références à la psy­chologie pour nous recentrer sur le Miroir en lui-même. Cet objet n'est pas le seul à pouvoir créer des reflets. Il est des miroirs naturels dont la fonction est irremplaçable et qui contri­buent à l'accomplissement de l'Univers. Tel est le cas de la Lune qui peut être considérée comme étant le Miroir du Soleil. Peut-être que sa fonction serait tout autre si elle ne recevait pas la lumière solaire. Elle est en quelque sorte la garante de la permanence de la lumière, au moins dans notre galaxie.

Le Miroir (dont le nom dérive de spéculum) peut devenir outil de spéculation, avec toutes les ambivalences qui s'y rattachent et toutes les déviations qu'elles peuvent engendrer. À l'origine, spéculer, c'était observer le ciel et les mouvements relatifs des étoiles à l'aide d'un Miroir.
Que reflète le Miroir ? La vérité, la sincérité, le contenu du cœur et de la conscience, comme le Soleil, comme la Lune, comme l'eau, comme l'or, lit-on sur un miroir chinois du musée d'Hanoi, « Sois clair et brillant et reflète ce qu'il y a dans ton cœur ».

La vérité révélée par le Miroir peut également être d'un ordre supérieur évoquant le miroir magique des Ts'in, Nichirien lui compare le Miroir du Dharma bouddhique qui montre la cause des actes passés. Le Miroir sera l'instrument de l'Illumination, Le Miroir est en effet le symbole de la sagesse et de la connais­sance, le Miroir couvert de pous­sière étant celui de l'esprit obscurci par l'ignorance.

Mais la première fonction du Miroir qui vient à l'esprit est celle du reflet. Ce reflet est-il une réalité ou une illusion ? C'est, pour le moins, une inver­sion de la réalité qu'il est aisé de vérifier. Il suffit en effet de lire dans un miroir le reflet d'un mot écrit sur un papier pour constater que l'ordre des lettres se trouve totalement inversé. Le mot "miroir" vu dans un miroir devient Riorim". Par l'ef­fet de ce miroir, le mot a perdu sa réalité. On pourrait dès lors estimer que, d'une certaine manière, le Miroir est menteur en ce sens que l'image qu'il reflète est interprétée par notre regard. Ce regard peut nous tromper. Nous voyons ce que nous voulons bien voir.

L'image du Miroir est imma­térielle mais elle peut néan­moins présenter une certaine forme d'énergie, en ce sens qu'elle établit une sorte d'axe entre deux dimensions de la réalité : la réalité abstraite et la réalité concrète. Étant toutefois entendu que l'une et l'autre ne sont pas porteuses de l'es­sence de la véritable réalité qui, selon la vision la plus haute, ne peut être que d'Ordre Principiel.

À l'encontre de l'Homme, le Miroir est dépourvu de mémoire, il ne livre que l'image d'un ins­tant, image qui s'efface avec le retrait de l'objet reflété et de la lumière qui l'éclairait. L'image peut cependant demeurer dans la mémoire de celui qui a vu le reflet donné par le miroir. Celui-là risque fort d'être pris en un piège narcissique, car le danger du miroir est qu'il peut flatter la vanité, la prétention en enfer­mant l'être dans une contempla­tion complaisante. Contemplation d'une image inversée, ne l'ou­blions pas, par rapport à l'objet reflété.
Il peut également nous ren­voyer une image que nous jugeons indésirable, sans que l'approche qu'offre celle-ci soit pour autant totalement fausse. Simplement, on voudrait être autre que cette image qui nous est renvoyée, autre que ce qui nous fait face. Se pose alors le problème comment, face au Miroir, voir celui qui est et non celui que nous voudrions voir ?

Le Miroir peut être déformant, mais au fond qui déforme ? Le Miroir ou celui qui se contemple devant lui ? Vérité-mensonge ne sont en fait qu'un problème de lecture, un problème de jus­tesse du regard, un problème de lucidité, c'est-à-dire un pro­blème de réception de la vérita­ble lumière et non pas de sa réception plus ou moins illusoire.
On peut se chercher dans l'image, dans le reflet que nous livre un miroir et ne jamais se trouver. Le Miroir n'a fonction d'éveil que pour qui sait voir, que pour qui a une certaine capacité d'éveil, que pour qui a une certaine conscience de son état d'être. Faute de cela, le Miroir risque d'être extrême­ment dangereux. Toujours le problème de Narcisse.
Voir au-delà du Miroir, c'est le traverser en pensée. C'est tenter d'aller dans l'autre monde, non pas vers la mort, mais vers le monde cosmique que nos sens ne parviennent pas à appréhender, ce qui est fort dommageable car ce qui est derrière le Miroir est peut-être plus créateur que le reflet qu'il nous offre.

La physique enseigne que le monde est un miroir. Ce que nous percevons par notre sens de la vue est le reflet de la lumière sur la matière. Les objets reçoivent les rayons lumineux, en absorbent une partie et en renvoient l'autre. Un noir aura tout absorbé, un rouge renvoyé les rouges et un blanc aura presque tout réfléchi. Ces reflets sont captés par un miroir inversé dans puis déformés par nos inconscients, eaux réfléchis­santes chez JUNG, ils devien­nent notre vision du monde. Un monde miroir donc qui. s'il est parfait, devient invisible dans sa réalité, ineffable. À regarder le Soleil en face on se brûle les yeux, et ses rayons lumineux sont invisibles. Mais qu'un voile danse devant eux et leurs éclats s'éveillent. La lumière a besoin de la matière pour devenir perceptible. Partir en quête de com­préhension, c'est chercher à voir la réalité derrière son image, derrière le voile d'Isis. C'est tra­quer les imperfections de notre vision du monde pour tenter de mieux le voir entier, préalable nécessaire à la volonté de le rendre plus juste el plus éclairé. Et la science l'affirme : le noir le plus obscur renferme la lumière la plus éclatante. Comme le vitriol alchimique de la Chambre de Réflexion, la pierre est au fond du puits dans le limon, la putréfaction, là où nous n'ose­rions aller si nous n'étions pas guidés par une boussole inté­rieure, un fil à plomb, et par des frères et sœurs.

Quant à la question, posée dans certains Rites, "Reconnais­sez-vous un ennemi parmi les personnes présentes ?", le nou­vel initié se rend compte au fur et à mesure de son avancée qu'il est son propre ennemi. Ce n'est pas d'une fascination nar­cissique dont il doit faire preuve vis-à-vis de ceci, mais d'une attitude analytique, réfléchie.
En effet, cette image virtuelle que lui renvoie le Miroir va deve­nir un objet : l'objet principal de son travail de franc-maçon, la Pierre Brute qu'il va devoir dégrossir, tailler sans relâche_

Le travail du franc-maçon est en effet un processus par lequel il prend conscience de ce qu'il est réellement et accède ainsi à la véritable liberté de penser et d'agir. Car en plus des obsta­cles intérieurs, motivations plus ou moins inconscientes de cha­cun déterminées par sa propre histoire, son milieu social.

Le travail maçonnique consiste essentiellement à abolir ces déterminations par une évolu­tion personnelle basée princi­palement sur la connaissance de soi, un -soi" symbolisé par cette image que nous renvoie le Miroir.
Dans le vocabulaire que nous utilisons en Loge, la lumière signifie ce réel qui nous échappe. Elle est qualifiée d'éblouissante, d'aveuglante, elle brûle la rétine de l’œil et comme indique le mythe de la caverne, nous conduit parfois aux ténèbres. C'est sans doute pourquoi nos symboles et nos rituels nous proposent une lumière tamisée, douce, facile à voir, parfois difficile à compren­dre, comme autant de miroirs qui nous cacheraient à jamais le réel.

Je crois que finalement, la Franc-Maçonnerie tient le rôle du Miroir où je peux, si je le souhaite, découvrir vraiment qui je suis et non ce que je crois être_ Socrate le disait bien "Connais-toi toi-même et tu connaîtras les Dieux. La Franc- Maçonnerie rie nous donne que des outils et chacun d'eux sem­ble nous suggérer la présence du sacré. Devant ce Miroir, avec sincérité saurons-nous être le reflet du Grand Archi­tecte de l'Univers. Il est juge à qui rien ne demeure caché et qui est capable de porter un jugement exact, c'est celui qui ose affronter son regard et consent à se soumettre à son verdict, celui là est sur la bonne voie.

Pour conclure, nous savons tous que nous ne pouvons nous réaliser à partir de nous-mêmes. C'est en cela que le rôle du Miroir est si important. Il nous permet de réfléchir l'image de notre être intérieur qu'il nous faudra d'abord chercher et trou­ver. Car le Miroir, l'objet en lui- même, ne réfléchit que ce que nous voulons bien voir.
Il faut pourtant se rappeler que nous cherchons tous la même chose : l'Unité. Nous sommes, en effet, soit un homme soit une femme. Quand le Vénérable Maître nous remet le Miroir lors de la cérémonie d'élévation, il se trouve dans la besace. Nous partons alors en voyage avec nous-mêmes et un miroir qui va nous permettre de reconnaître notre alter ego que nous trouverons sur notre chemin à un moment ou à un autre. Cet alter ego, qui n'est pas forcément un autre, mais il était présent en nous et nous l'avons perdu. Tout le travail est de le chercher et de le trouver. C'est là que réside la difficulté.

Le Miroir nous rappelle que nous sommes en constante évolution. D'un jour à l'autre, ce n'est pas la même personne qui se présente devant le Miroir. Ce dernier est un outil indispensa­ble pour reconnaître notre vrai être. L'image qu'il reflète n'est qu'illusion. Il faut aller au-delà.
Mais il faut aussi se rappeler que le degré de Compagnon est le degré du voyage à pro­prement parler. Le Compagnon peut enfin voyager à l'extérieur du Temple, visiter d'autres loges sans pour autant oublier son voyage intérieur qui est permis par le Miroir, ce Miroir qui permet cette descente en nous-mêmes si importante dans notre quête.

Partir à la recherche de notre être intérieur et de notre unité, n'est-ce pas notre but à tous ?

J'ai dit.
Gaëlle Vidot,
Compagnon, Respectable Loge Sothis, Orient de Nimes

Publié dans le Khalam - Bulletin N° 30 - Février 2010

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