GLMFMM Bulletin : Khalam 02/2009

Le RAPMM et le principe républicain de Laïcité
Origines historiques et finalités initiatiques
 
de la Franc-maçonnerie Égyptienne 


Origines historiques et finalités de la Franc-maçonnerie Égyptienne

Mes sœurs et mes frères, mesdames messieurs,

Il peut paraître paradoxal d’associer dans une même réflexion un rite maçon­nique traditionnel et spiritualiste à une liberté publique figurant parmi les piliers phi­losophiques et juridiques de la République, mais l’histoire démontre, lorsqu’elle est abordée dans sa réalité non manipulée, que les Francs-Maçons de rites égyptiens qui ont contribué à faire de l’Ordre maçonnique de Memphis-Misraïm ce qu’il est réellement dans sa globalité initiatique, telle que véhi­culée et transmise par les rares structures obédientielles qui peuvent aujourd’hui s’en prévaloir légitimement, ont largement concouru non seulement à la préservation du principe de laïcité défini par les deux pré­cédents conférenciers, mais qu’ils figurent parmi les concepteurs de ce principe.

Certes, à Memphis-Misraïm nous sommes des maçons de Tradition, de la plus ancienne, celle qui puise ses racines dans la « nuit des temps », néanmoins nous ne sommes que des Francs-Maçons et il serait vain de vouloir nous rattacher, en rai­son des excès et pertes d’équilibre de cer­tains d’entre nous, à la recherche de pseudo légitimités ecclésiastique ou théurgique, à autre chose que la Franc-maçonnerie. L’histoire de l’Ordre maçonnique de Memphis-Misraïm depuis l’acte fondateur de la maçonnerie égyptienne en 1782 et celle de ses dirigeants démontre que tradi­tionnalistes et spiritualistes « dans l’âme » les membres du Rite furent également de fervents défenseurs des principes fonda­mentaux à la fois de la Franc-maçonnerie universelle et de la République. C’est ainsi que la Voie Mixte Française du Rite Ancien et primitif de Memphis-Misraïm (Grande Loge Mixte Française, Suprême Conseil Mixte et Souverain Sanctuaire Mixte pour la France et les pays associés) est encore l’une des rares organisations maçonniques à se prévaloir dans ses cérémonies des constitutions fondatrices d’Anderson, et que sa devise est : « Toute la Tradition au ser­vice de l’Être humain ».

Cette prise en compte, non seulement formelle mais dans les fondements des ini­tiations transmises, des aspects spiritualiste et humaniste de la vie des êtres humains sur terre résulte selon nous de la double nature de l’homme, et elle implique que nous travaillons dans nos Loges de manière concomitante au développement de la nature divine incarnée en chacun des hommes et des femmes initiés et au progrès global de l’humanité prise en toutes ses composantes afin de contribuer concrète­ment au Bien-Être Général.

C’est pour cela que nous réfutons autant
ceux qui se prétendent les représentants et les intermédiaires de la Divinité sur Terre que les tenants d’un athéisme forcené dont les thèses et comportements exclusifs et, d’une certaine manière intégristes, génèrent un terrorisme intellectuel aussi dangereux pour l’équilibre des sociétés humaines que ceux qu’ils dénoncent eux-mêmes. Nous appartenons ainsi au nombre de ceux qui cherchent en permanence le nécessaire équilibre individuel et collectif, et nous nous plaçons sans cesse pour cela entre les deux grandes colonnes du temple maçonnique, dit de Salomon, c’est-à-dire sur la voie du juste milieu, en tout ce qui concerne le déve­loppement de l’homme et de sa collectivité afin de rendre enfin compatibles, complé­mentaires, unitaires, les nécessités spiri­tuelles et sociales des sociétés organisées. C’est aussi pour cela que nous réfutons la confusion préjudiciable, volontairement entretenue à des fins politiciennes autant par ceux qui s’en défendent que par ceux qui s’en réclament, entre « religieuseté », adhésion à une religion quelconque, et spi­ritualité, qui est l’appropriation individuelle de la nature divine déposée en chaque indi­vidu ; la première relève de dogmes, de cré­dos, d’historiettes et de hiérarchies prétendument sacerdotales, la seconde est universelle, intangible, n’impose l’adhésion à rien d’autres qu’aux lois universelles en mouvement et ne nécessite la soumission à personne, pas même à un dieu quelconque et partial, à l’exception du sien propre ainsi qu’à sa seule conscience intérieure.

C’est en cela que nous considérons aussi que l’allégorie du Grand Architecte de l’Univers, qui prévaut dans nos travaux des loges symboliques, est un symbole laïque conçu à la fois comme une possibilité pour chacun d’y intégrer si besoin est sa propre notion de la Divinité ou de l’aspect transcen­dant des choses, et comme un espace com­mun de rencontre entre les sœurs et frères en loges assurant la neutralité du concept de spiritualité laissé à la disposition indivi­duelle des Francs-Maçons sans imposer à quiconque un contenu normalisé ou codifié de celui-ci.

Nous travaillons dans nos ate­liers à la gloire du Grand Architecte de l’Univers et non à celle de l’humanité, car travailler à la gloire de l’humanité, cela revient à placer, par défaut, l’homme et la planète Terre au centre de l’univers et à les substituer à la Divinité ; nous savons aujourd’hui tout ce que cette anomalie de l’esprit a pu coûter aux chercheurs et pen­seurs honnêtes par le passé ; une telle conception humano-centrique revient en outre, par la loi d’hétérotélie bien connue des anciens, à valider implicitement le pro­cessus darwinien de l’évolution hasardeuse du genre humain, ce que, pour notre part, nous réfutons totalement et sans ambiguïté. L’église catholique apostolique et romaine a commis les mêmes erreurs volontaires en niant jusqu’au terme du possible la réalité de la vie, niant la « révolution Copernicienne » pour livrer au fer et au feu de l’inquisition les précurseurs que furent en ce domaine des maîtres penseurs tels Giordano Bruno et Alexandre Cagliostro.

En ce sens, il nous semble également qu’être Franc-maçon, ce n’est pas être libre penseur (mouvement tout autant dogma­tique que les dogmes qu’il prétend éradi­quer), mais c’est être penseur libre, c’est-à-dire participer par l’usage intuitif de l’intelligence au perfectionnement individuel des hommes pour l’avènement d’une huma­nité en mouvement, collectivement plus  tolérante quant à l’ensemble de ses compo­santes. Nous faisons nôtre le fameux : R E pluribus unum » qui pourrait être le credo de toute la Franc-maçonnerie, car « faire d’un seul plusieurs » est bien ce que nous recherchons dans l’unification de ce qui est épars, par la recherche du centre de l’union, mais pas en niant les différences comme tentent de le faire croire les intégrismes de tous systèmes religieux, en recherchant à l’opposé la prise en compte des particulari­tés de chacun, en considérant que la multi­plicité des origines et des cultures n’empêche pas le partage d’une aspiration commune, mais que, bien au contraire, cette prise en compte des différences per­met seule le rétablissement en esprit de l’unité originelle perdue et retrouvée, sur terre, ici et maintenant, sans attendre la réintégration céleste promise à ceux qui passeront avec succès l’épreuve du tribunal éternel d’Osiris et d’Anubis dont la finalité n’est pas de ce plan de conscience.

Pour traiter de la relation de Memphis­Misraïm avec la construction de la République « Une, indivisible, laïque et sociale » et du principe de laïcité, il est nécessaire de revisiter l’histoire réelle et incontestable et, pour cela, je me suis référé aux travaux de ceux qui présentent les garanties de sérieux et de compétence requises : Gérard Galtier, Robert Amadou, J.-M. Ragon, Régis Blanchet, Marc Haven, Jean Bricaud, Constant Chevillon, René Senève et Jacques Brengues, notamment. Je me suis également reporté aux archives de L’ordre de Memphis-Misraïm en notre possession et à celles qui figurent dans les fonds des bibliothèques municipales de Lyon d’Alençon et de l’Arsenal à Paris.

Beaucoup de ceux qui se sont procla­més auteurs autorisés sur le Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm font référence par priorité à la création du rite de Memphis, alors associé au prieuré de Sion, par Jacques Étienne Marconis de Nègre et son fils, lesquels ont déposé en leur temps quelques documents d’archives administra­tives au musée du Grand Orient de France. Or, cette référence prioritaire reprise à leur compte par les dissidents Belge Rombaut et Mallinger est erronée et inappropriée pour deux raisons : d’une part, les origines initia­tiques du Rite de Misraïm sont bien anté­rieures au rite de Memphis et, d’autre part, parce que l’apport du Rite de Memphis sur le contenu des grades et initiations transmis dans les ateliers de la maçonnerie égyp­tienne est infinitésimal, mais il est vrai que pour pouvoir en parler valablement, encore faut-il avoir reçu les transmissions et com­munications correspondantes. Le principal apport « initiatique » des fondateurs de Memphis est la notion de hiérophanie réin­ventée à partir de 1963, laquelle n’a aucune réalité ni contenu au plan des transmissions ésotériques et est la source des confusions et manipulations à l’origine de l’éclatement de l’Ordre international de Memphis­Misraïm survenu en 1998. Au plan du contenu et des filiations initiatiques, tous les auteurs sérieux s’accordent aujourd’hui à reconnaître que le véritable ancêtre du Rite, tel qu’il fut conceptualisé et unifié par le Souverain Sanctuaire de Lyon sous la direc­tion éclairée de Jean Bricaud et de Constant Chevillon à la suite de l’unification obédientielle survenue en 1881 sous la grande maî­trise mondiale de Guiseppe Garibaldi, est le Rite de Misraïm apparu en 1785 en France et en 1788 à Venise. Il est tout aussi constant que ces dates certaines ne préjugent pas du fait que Misraïm puise son origine et ses sources bien au-delà, dans des systèmes ésotériques et initiatiques beaucoup plus anciens et épars, et qu’il fut, aux dates pré­citées, la première tentative d’unification non pas sous forme obédientielle ou admi­nistrative, mais en termes de transmissions ésotériques de l’Initiation Naturelle telle que nous la trouvons dans les Grands Mystères Égyptiens d’Osiris et d’Isis repris sous une forme « occidentalisée » dans les mystères grecs d’Eleusis.

À ce stade du développement, une pré­cision s’impose : Il n’y a pas 99 grades ou initiations au Rite de Memphis-Misraïm, mais en réalité 14 transmis lors de cérémo­nies définies par des rituels qui ont fait leurs preuves, puisant leur origine et contenus dans les mystères et les mythes moyens orientaux millénaires, pour certains nous venant de Dom Pernéty ou de la Rose-Croix d’Allemagne ; là encore, il serait vain de chercher des rituels ou des initiations vérita­bles pour ce qui concerne notre Rite au-delà de l’ensemble constitué par les 87e, 88e, 89e, et 90e degrés permettant la transmission orale et énergétique du fameux Arcana Arcanorum, que beaucoup cherchent dans les livres ou les manuscrits, sans savoir qu’il ne s’y trouve pas. Les numéros de grades ultérieurs au 90e ne correspondent qu’à des fonctions administratives créées au fil des ans pour les besoins des uns et des autres. Pour ce qui nous concerne, nous ne recon­naissons, après l’initiation du 90e degré de Patriarche-Sublime Maître du Grand Œuvre, que la fonction de Patriarche-Grand Conservateur du Rite, membre du Souverain Sanctuaire, 95e degré, et celle de Grand Maître Général de l’Ordre, Président du Souverain Sanctuaire, 96e degré, telles qu’elles furent instaurées et revendiquées par les Grands Maîtres Généraux Jean Bricaud et Constant Chevillon qui se référè­rent en cela aux origines et à la tradition de la maçonnerie égyptienne. Les 99 réfé­rences précitées ne correspondent donc pas toutes à des initiations spécifiques mais à un déambulatoire historique, parfois folklo­rique, qui permet de constater que Memphis-Misraïm s’est constitué sur une longue période par ajout et assimilation de rites et systèmes très anciens jusqu’à sa fixation définitive, pour le contenu de ses grades correspondant à de réelles initia­tions, à partir de 1919 sous la Grande Maîtrise Générale de Jean Bricaud, auquel Constant Chevillon, député Grand Maître, succéda officiellement au décès du premier Grand Maître Général en 1934, par délibé­ration des Patriarches-Grands Conservateurs réunis à cet effet en mars 1934.

Puisque le principe de laïcité inclut la tolérance de tout ce qui est différent à la seule condition que l’ordre public n’en soit pas troublé et qu’il se trouve donc incompa­tible avec tout ce qui exclut ou intègre sous forme sélective à travers, notamment, la notion moderne de discrimination positive, il convient ici de restituer une réalité histo­rique que beaucoup de frères de culture judéo-catholique ont occulté ou nié à tort : Dans la réalité des structures et systèmes initiatiques auxquels il a succédé ou qu’il a absorbé, le Rite de Memphis-Misraïm a tou­jours été mixte, ce qui paraît aller de soi dès lors que l’on se trouve dans un système de transmission de mystères naturels traitant l’œuvre de régénération dans une globalité où l’une des composantes nécessaires à l’expression, à la manifestation de la Divinité ne saurait être exclue du processus de réin­tégration. C’est ainsi que, pour la période « moderne », les archives de la bibliothèque municipale de Lyon tordent le cou au carac­tère exclusivement masculin de la maçon­nerie en général et de Memphis-Misraïm en particulier : Par exemple, l’une des pre­mières loges installées en 1788 en Courlande par Alexandre Cagliostro était mixte, la loge de Georges Delaive à Bruxelles, avant qu’il ne soit assassiné par les S.S., essentiellement composée de sœurs et de frères maîtres du Droit Humain, et les archives municipales de Lyon démon­trent aussi que Jean Bricaud et Constant Chevillon ont délivré au nom du Rite des patentes à des loges regroupant des sœurs et des frères maîtres provenant de tous rites et obédiences ; et s’il en était encore besoin, reportons-nous à ce que furent notamment les « bons cousins et les bonnes cousines » de la maçonnerie forestière, elle-même dis­soute dans les loges de Misraïm.

Nos aînés de Memphis-Misraïm, pre­nant en cela exemple sur nos « bons cou­sins et bonnes cousines » et nos « fendeurs et fendeuses » de la maçonnerie forestière dont ils étaient devenus les légitimes suc­cesseurs et dépositaires, avaient compris avant tous que la laïcité qui restait juridique­ment encore à inventer, c’est aussi, et peut- être à titre principal au nom de l’intelligence et de l’honnêteté intellectuelle, rendre aux femmes la juste part qui leur revient dans la construction des sociétés humaines ; le génie de nos Charbonniers, Carbonari et misraïmites est de l’avoir mis en œuvre à contre courant des pouvoirs religieux et poli­tiques misogynes et patriarcaux en accor­dant, avant manipulations et détournement des référents fondateurs de nos civilisa­tions, une place aussi prépondérante que nécessaire à l’aspect féminin de l’humanité; ils œuvrèrent ainsi concrètement à la néces­saire collaboration complémentaire des deux pôles de l’Être incarné dans l’œuvre de régénération et de résurrection ; ils avaient compris et nous montrèrent que tous ces siècles de malentendu entre l’Occident et les femmes ne résultent que d’une formidable manipulation des évan­giles et d’un honteux détournement des textes sacrés de toutes les traditions car, pour ne se référer qu’au christianisme, les mystères chrétiens : Incarnation, Passion et Résurrection n’ont pu être rapportés et conceptualisés qu’en raison de la présence des femmes autour du Christ, lequel a tou­jours accordé beaucoup plus d’importance dans ses dialogues aux femmes qu’aux hommes, alors que tous les hommes qui l’accompagnaient, à commencer par les apôtres et les disciples, l’avaient aban­donné, voire renié ; ils avaient compris que Paul, misogyne terrorisé par l’aspect féminin de l’incarnation et incapable de comprendre la pensée christique, était le véritable concepteur d’une religion catholique en contradiction totale avec la pensée du Maître, fils de Dieu, venu montrer un chemin qui n’est ni celui de l’exclusion ni celui du patriarcat, ni celui de la domination par le fer et le feu ; nos ancêtres Charbonniers avaient observé que le salutaire sursaut face à cette caricature de l’enseignement gnostique des origines porté en Occident par le Maître vint des femmes qui furent les premières à réclamer une réforme de l’église romaine et à plaider : pour la liberté de pensée et de prière personnelle, contre toute direction extérieure des consciences, démontrant ainsi l’absolue égalité spirituelle par l’indispensable complémentarité entre l’incarnation diffractée masculine et fémi­nine, pour la réappropriation individuelle des évangiles, montrant en cela, à contre cou­rant des conceptions étriquées des « père de l’église », la voie de la libération résultant du modèle de la vie de Jésus et de Marie Madeleine.

La maçonnerie égyptienne telle qu’elle a été conceptualisée, organisée, codifiée et transmise par les deux Grands Maîtres Généraux de Lyon cités plus avant, ses rituels et cérémonies, est le fruit d’un long mûrissement, d’une lente évolution, qui lui donne aujourd’hui toute sa cohérence et lui permet de s’intégrer et de participer au développement des sociétés modernes organisées dans le seul objectif de permet­tre à l’homme d’évoluer à la fois spirituelle­ment, à titre personnel, et socialement, donc au plan collectif.
Il nous faut, pour comprendre cette par­faite alchimie du social et du spirituel, de l’humain et du transcendantal, dans les rituels de Memphis-Misraïm authentiques et légitimes, reprendre les éléments intangi­bles de la vraie histoire et voir de quoi notre Rite est l’aboutissement, ce qui nous per­mettra de démontrer la participation active des Francs-Maçons du Rite à la conception même du principe de laïcité par leur implica­tion permanente dans la création et la défense de la République et des minorités opprimées.

Le départ de tout est la maçonnerie forestière, très ancienne puisque les pre­miers groupes de « bons cousins et de bonnes cousines » apparaissent de façon irréfutable sous François 1er, dont la légende dit qu’il y fut lui-même initié ; ce qui, au pas­sage tord également le cou à la théorie anglaise, jamais démontrée mais admise par facilité par beaucoup d’entre nous, selon laquelle la Franc-maçonnerie ne serait que la continuation « intellectualisée » des « old   charges » compagnonniques. Ces rites charbonniers, dans leur phase récente, ont abouti aux Ventes (c’était le nom alors donné aux Loges de ce rite) Carbonari de France et d’Italie. Mais d’où viennent-ils ?
Dès la période gallo-romaine nous assistons dans ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui l’Occident à l’émergence deux civilisations, deux pensées, qui ne fusionnè­rent jamais totalement : D’un coté, la civili­sation de l’empire militaire romain reposant sur l’organisation urbaine collective, à partir de la conception des villes, donc pour ce qui nous concerne sur la pierre, qui eut pour finalité d’absorber les cultures et les tradi­tions antérieures avec le point d’orgue de cette volonté de ne faire exister et ne pren­dre en compte que cette civilisation de la ville et de la pierre : Le concile de Nicée en 325 au cours duquel fut récupéré à des fins purement politiciennes par l’empereur Constantin l’enseignement, ou ce que les participants audit concile en avaient com­pris, du Christ lui-même porteur des grands mystères égyptiens dans leur version origi­nelle non expurgée et non maltraitée par les manipulations ecclésiastiques (déjà !) et, de l’autre, une civilisation rurale traditionnelle véhiculant, souvent de manière occulte afin d’échapper aux persécutions puis aux ana­thèmes et excommunications, les mythes naturels fondamentaux conservés depuis l’origine de l’humanité, correspondant à cette « pensée du bois » origine d’une cul­ture beaucoup plus individualiste que la précédente, basée sur la forêt refuge de ceux qui devaient échapper aux despotismes politiques et religieux, donc, pour notre sujet, se référant au bois par opposition à la pierre. La Franc-maçonnerie moderne fut durant longtemps une reproduction assez parfaite de cette dualité sociale, écono­mique et spirituelle, et nous pouvons déjà dire à ce point du propos que seule la Franc- maçonnerie de rite égyptien est parvenue à ce jour à assurer la nécessaire réunification de ces deux cultures et pensées en les ren­dant compatibles et non plus antagonistes. Les paysans, du latin paganus, étaient par essence des païens, des hors la loi, car ils étaient « hors la ville », a priori suspects de « flirter » en permanence avec les forces obscures de la nature, vivant selon les lois et cycles naturels qui effrayaient les gens des villes dont la seule référence n’était plus que les code moraux et les lois civiles.

Les Carbonari ont hérité de toutes les caractéristiques de la civilisation et de la pensée dite « païenne » des gens du bois ; ils reprirent le charbon comme symbole de leur organisation et leurs Ventes se réunis­saient au sein du monde rural, le plus sou­vent dans les clairières des forêts, devant des billots de bois, outillés de haches pour diriger leurs travaux. Ils s’opposèrent immé­diatement et totalement à tous les dogma­tismes religieux terrorisant les villes ainsi qu’aux rois de droit divin ; leurs chartres et constitutions, bien connues aujourd’hui, les rattachèrent dès l’origine à la voie chré­tienne libertaire des premiers temps de notre ère ; ce furent d’incorrigibles utopistes qui travaillèrent inlassablement à la diffusion des fondements démocratiques des socié­tés collectives et ils luttèrent, parfois avec acharnement, contre toutes les formes d’obscurantisme sur le fondement des théo­ries, qu’ils reprirent à leur compte, concep­tualisées au sein de la « Société des Antiquarian », du « Collège invisible d’Oxford » et des mouvements Rose Croix d’Allemagne et de France. Les rituels qu’ils nous ont légués (en particulier pour les 18e et 30e degrés) et que nous pratiquons authentiquement au sein de la Voix Mixte Française de Memphis-Misraïm, attestent au plan initiatique, de manière irréfutable, ce que l’histoire enseigne aujourd’hui sous la forme précédemment indiquée. Tout cela se retrouve synthétisé dans le Rit (l’absence de E est volontaire puisque telle en est la déno­mination véritable) forestier de Beauchesne (1747) qui est mixte depuis l’origine comme l’étaient les ordres druidiques antérieurs (et oui !). Ce rite est extrêmement « pagani­sant » et ne contient aucune référence ou allégorie judéo-catholique, ce qui, pour l’époque, est déjà une véritable révolution et nécessitait un immense courage de la part des sœurs et frères ; les invocations se fai­saient au nom et sous les auspices du Prophète des forêts : « Le ciel est mon Père, la terre est ma Mère, je suis un enfant de l’univers », ce qu’Alexandre Cagliostro reprendra entièrement à son compte quelques années plus tard en ajoutant à cette invocation : « Je suis un noble voya­geur, un voyageur d’éternité ».

Ce rite forestier de Beauchesne, dont Memphis-Misraïm est le dépositaire, consti­tue l’une des principales motivations de la deuxième excommunication catholique romaine « Providas » de 1751, soit quatre ans seulement après son émergence visi­ble. Il manifestait en effet un refus total de cette aberration sur laquelle repose toute la théologie catholique, apostolique et romaine : Celle de la faute originelle et de la chute de l’homme, ce qui n’a pas empêché l’église correspondante, en totale contradic­tion paradoxale, de placer l’homme au cen­tre de l’univers et la Terre au centre des galaxies durant 1700 ans. Ce rit en réalité se rattachait directement aux théories, sou­vent cryptées et dissimulées afin d’échapper aux bûchers, des grands hermétistes de la Renaissance tels que Pic de la Mirandole, Léonard de Vinci, Dante, Giordano Bruno, qui rejetèrent eux-mêmes cette absurdité et offense pour la vie elle-même et qui se rat­tachèrent à la théorie universelle d’évolution des mondes et des individus portée et trans­mise par la spiritualité des anciens égyp­tiens ; mais nous avons bien compris que l’absurdité de la faute et de la chute origi­nelles est un bon moyen pour asservir les âmes et domestiquer les consciences sous la férule d’un clergé prétendument sacerdo­tale et soi-disant absolument indispensable au « salut » des brebis égarées.
Ainsi donc nos « fendeurs et fen­deuses » (successeurs légitimes de nos « bons cousins et bonnes cousines ») du Rit de Beauchesne étaient de véritables révolu­tionnaires avant l’heure, dans le sens du rejet des despotismes en conscience, et ils réfutaient la vision asservissante du dieu anthropomorphique de la religion unique sévissant milieu du XVIII éme siècle, ainsi que la vision étriquée attribuée par erreur par Paul et ses successeurs au Christ.

Il en fut de même pour le second rit forestier dit du « Grand Alexandre la Confiance » de 1760, plus christianisé dans le cadre du mouvement général de récupé­ration de la Franc-maçonnerie par l’église romaine, en particulier par les jésuites, afin d’en canaliser les « extravagances » (cita­tion) et n’oublions pas, même si cela peut paraître douloureux à rappeler sans aucun esprit polémique mais par simple honnêteté intellectuelle, que ce fut là également le véri­table motif de la création du Grand Orient de France qui fut à l’origine très judéo-catho­lique romain, alors que la Franc-maçonnerie anglaise ou d’origine anglaise restait très anglicane ou protestante. Mais très vite, les sœurs et frères du rit du Grand Alexandre la Confiance reprirent leur autonomie de pen­sée et d’action dans des loges qui, de toute façon, n’étaient pas fédérées en obédience, organisation qui permet elle-même de sur­veiller en permanence l’organisation et le contenu des travaux des structures de base que sont les loges ; les loges travaillant à ce rit forestier conservèrent leur véritable por­tée aux enseignements qu’il contenait, tou­jours très peu orthodoxe, car il faisait lui aussi de Jésus-Christ un « bon cousin » encanaillé au fin fond de forêts aussi obs­cures que dangereuses pour les honnêtes gens, et il était, de surcroît, mixte lui-aussi, ce qui, au XVIIIe siècle et encore de nos jours pour certains Francs-Maçons, était impen­sable au nom du patriarcat biblique qui pré­valait et prévaut encore, dans le monde maçonnique.

Il est aujourd’hui historiquement établi que le Carbonarisme italien et français est directement issu de la structure rituélique  des deux rites forestiers précités. Les Ventes Carbonari constituaient des sociétés secrètes indépendantes très structurées et totalement fermées au monde profane en raison de la chasse permanente dont leurs membres étaient l’objet de la part des polices politiques des pouvoirs en place, et elles constituaient par leurs textes constitu­tionnels communs, leurs objectifs affirmés et leur mode de fonctionnement, une maçon­nerie progressiste aux visées clairement révolutionnaires. Parmi ces groupes très occultes figure la Loge des Philadelphes chère aux Francs-Maçons de notre Ordre maçonnique puisqu’elle constitue l’une des « Loges Mères » du Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm. Au plan traditionnel, ces loges de Carbonari, qui se voulaient très politisées et opposées à toutes formes de despotisme religieux ou politique de droit divin, étaient, dans les enseignements et les initiations qu’elles transmettaient, égale­ment fortement imprégnées de l’Illuminisme des mouvements d’Avignon et de Bavière ce qui vaut au Rite de Memphis-Misraïm d’être aujourd’hui le dépositaire et le garant, notamment, du 28 éme degré de : Chevalier de l’aigle et du Soleil, ou Prince Adepte, ou Adepte Moderne, dont le temple est une forêt (encore), qui lui a été légué par Dom Pernéty et réactivé en sa forme originelle dans nos ateliers par Jean Bricaud.

Il peut paraître aujourd’hui surprenant que nos frères et sœurs Carbonari aient eu un tel engagement politique affirmé, mais il ne doit pas être oublié que, à l’époque où ils apparaissent, règne en France une « terreur blanche » politiquement dominée de façon très efficace par la très occulte Congrégation, groupe ultra réactionnaire, papal et monar­chiste dirigé par les jésuites ainsi que par la société ultra secrète et terriblement influente des Chevaliers de la foi, qui se réclamaient de la Sainte Vehme pour éradiquer y com­pris par la disparition physique tout ce qui s’opposait au pape et au roi, et qui fut créée selon des rituels maçonniques par d’anciens maçons.

Parallèlement au Carbonarisme français et italien, coexistait le rite de Misraïm égale­ment imprégné d’Illuminisme et de républi­canisme révolutionnaire. Les rapports de police exhumés grâce aux recherches de quelques-uns, établissent que le but de Misraïm était alors clairement antimonar­chiste et antireligieux au sens romain du terme, et qu’il prônait déjà lors de sa créa­tion l’avènement d’une « République Universelle » au service du bonheur de tous les êtres ; nous sommes là en plein retour sur la Nouvelle Atlantide chère à Francis Bacon et aux Rose Croix des XVIIe et XVIIIe siècles, dans la recherche d’une société qui de mythique doit devenir réalité, d’utopiste doit entrer dans les faits ; un rapport de police cité par Régis Blanchet en 1821 pré­cise même que plusieurs cahiers saisis dans la Loge de Misraïm de Montpellier mentionnent que la doctrine de ce rite était opposée au dogme religieux dominant et fait état d’une participation de ses membres aux menées révolutionnaires contre la monar­chie de droit divin, ce qui valut aux neufs membres de la Loge en question d’être arrê­tés et déportés dans les bagnes en terri­toires d’outre-mer.

En réalité, comme toujours en maçonne­rie, le lien puis la synthèse entre les Carbonari français et la fin de Misraïm va être l’œuvre de quelques frères au rôle déterminant. Parmi ceux-ci figurent Pierre- Joseph Briot, avocat et homme politique influent qui était, et c’est là un intéressant clin d’oeil, membre de la Loge carbonari dénommée : « Les bons cousins charbon­niers » à l’Orient de Besançon où il fut éga­lement secrétaire général de la préfecture. Exilé à l’île d’Elbe pour cette appartenance jugée contre nature par le pouvoir politique en place, il y rencontre Buonarotti avec lequel il crée entre 1804 et 1806 le mouve­ment ultra secret du carbonarisme républicain et laïque de Naples ; dans le même temps, Briot s’investit dans la maçonnerie égyptienne de Misraïm à laquelle il restera fidèle toute sa vie et dont il devient Grand Maître en 1810 ; il fonda la loge misraïmite des « Sectateurs de la vérité » à Besançon où il était revenu en 1815 et, en 1825, il est mis en cause dans le procès ouvert par le pouvoir politique d’alors contre les activités carbonaristes considérées comme subver­sives de la loge « Les quatre sergents de la Rochelle ». Ainsi Briot, mort en 1827, qui fut conseiller d’État, conseiller du Prince Murat, Grand Maître Franc-maçon, et conseiller privé du duc DeCazes, Souverain Grand Commandeur de la maçonnerie écossaise, premier ministre ou ministre de la police sous tous les régimes qui suivirent l’effon­drement du premier empire, ne cessa d’être à la fois un proche des puissants en place et un membre dirigeant du carbonarisme fran­çais, totalement distinct et autonome du car­bonarisme italien, et de Misraïm, et il oeuvra beaucoup, dans le secret des loges, pour la transformation des principes présidant alors au fonctionnement de la société française.

Son successeur Charles-Antoine Teste sera également dirigeant du carbonarisme français et de Misraïm en France. Il créa et dirigea le groupe ultra révolutionnaire de « La petite Jacobinière » à Paris dont le but affiché était la disparition de la monarchie ; c’est lui qui, en 1833, assurera la fusion des carbonari de Buonarotti et de Misraïm au sein de la « Charbonnerie Démocratique Universelle ».

Sur les plans philosophique et maçon­nique, qui étaient ces charbonniers français, ces Carbonari français et italiens et ces mis­raïmites français dont les chemins se sont tant croisés entre 1790 et 1830 avant de fusionner entre Besançon et Paris ?

Dès l’origine, ils montrent un foi sincère dans la spiritualité de Jésus telle qu’elle se trouve dans les évangiles, mais dégagée des éléments parasites de l’ancien testa­ment qu’ils considèrent étrangers à la véritable doctrine du Maître, ainsi que de farouches opposants à la théologie inventée et imposée durant 15 siècles par les théolo­giens plus ou moins éclairés de l’église de Rome ; ils affichent une farouche volonté de revenir aux valeurs et principes de la chré­tienté originelle.

Ce sont de véritables réfor­mateurs politiques et religieux qui participent à l’élaboration d’une doctrine qui deviendra plus tard le principe fondamental de la laïcité, pilier de la République fran­çaise, et cela est attesté par toutes les archives saisies par les différentes polices successives et retrouvées qui démontrent clairement que, indépendamment de leurs engagements révolutionnaires, ils prônaient une totale liberté de conscience par la remise en cause des autorité religieuses dogmatiques ; ils ne s’opposèrent jamais à la spiritualité admise et exercée à titre indi­viduel, mais à l’usage temporel qui en était fait par les différents pouvoirs et églises ; ils s’opposèrent aux hiérarchies prétendument sacerdotales (le sacerdoce, le pont entre ce qui est en haut et ce qui est en bas ne pou­vant relever d’aucune autorité humaine et encore moins d’un pouvoir temporel) et à l’organisation collective de la pensée, n’ad­mettant que l’absolue liberté de conscience: Ils furent ainsi de véritables laïques avant même que le mot n’existe.

Dès 1788 à Venise, les dignitaires du Rite de Misraïm, comme ceux de Memphis le firent à Paris en 1815 (cf. sur cela les archives municipales d’Alençon) prônent un retour à une étique spirituelle antique, alter­native de la catholicité sectaire et brutale, affranchie des dogmes imbéciles qui gou­vernent la pensée de peuples entiers aux fins particulières des pouvoirs alors en place. L’oeuvre unificatrice de ces rites spiri­tualistes et progressistes : charbonniers, carbonari, misraïmite et de Memphis entre­prise par Briot et Teste sera parachevée par Garibaldi à la fois Grand Maître de Misraïm et de Memphis et dirigeant de l’ombre, mais combien déterminant des Carbonari italiens dont l’action fut déterminante aux côtés du général pour libérer l’Italie du joug des Bourbons, démontrant de cette manière, par les actes et non par les discours, que l’on peut être à la fois républicain et progressiste (tous ces ordres initiatiques étaient mixtes bien avant l’apparition tardive de la fédéra­tion du Droit Humain, dogmatiques et euro­péens avant l’heure) et spiritualiste sans être religieux, voire hermétistes pour les uns et chrétiens gnostiques pour les autres.

Cela a déjà été mentionné, farouches adeptes de la liberté absolue de conscience, ils étaient considérés pour cette raison comme de dangereux subversifs par les pouvoirs politiques d’alors et comme de véritables hérétiques par l’église de Rome. La manifestation de cette hostilité se tradui­sant dans le second texte du Vatican de 1764 intitulé : « État abrégé de la justice ecclésiastique séculière » qui condamnait en vouant à la peine de mort les défenseurs de la liberté de conscience considérée par le pouvoir romain comme hérésie première et qualifiant ses défenseurs d’hérétiques absolus. Ce texte suffit à démontrer tout ce qui précède, s’il en était encore besoin, en prononçant de surcroît dans l’attente de la mort promise l’excommunication de nos charbonniers et misraïmites pour le seul motif précité. Il prouve également que ce n’est pas la Franc-maçonnerie, tolérante et respectueuse par principe de la pensée reli­gieuse individuelle, qui a déclaré la guerre à la religion, mais que c’est l’église romaine qui a cherché à diaboliser le Franc-maçon­nerie en colportant, en Afrique notamment, l’idée d’une « sorcellerie des blancs » dans les loges d’outre-mer présentées comme des lieux de perdition satanique dès lors que la haute hiérarchie catholique a toujours considéré la laïcité comme antireligieuse et le refus du dogmatisme romain comme une attitude athée.

Nos ancêtres charbonniers, carbonari, misraïmites étaient donc de véritables liber­taires spiritualistes, ce qui ne manque pas de sel à une époque, la nôtre, où certaines obédiences tentent de récupérer pour accroitre leur attractivité ces rites, à partir de simples rituels récupérés ici où là, mais correspondantes, tout en remplaçant un dogme par un autre : Celui qui voudrait lais­ser accroire que laïcité est synonyme d’athéisme.

Une particularité de nos charbonniers, de nos carbonari et de nos maçons de Misraïm mérite aussi d’être citée : ils se reconnaissaient et se visitaient pratique­ment exclusivement en leurs grades et qua­lités dès 1810, telles que l’attestent là encore les archives de Lyon et d’Alençon, et ils furent également de farouches défen­seurs de la régularité et de la reconnais­sance maçonnique individuelle selon les grades et initiations reçus en loge, en dehors de tous systèmes obédientiels, conformément aux constitutions d’Anderson constitutives de la Franc-maçonnerie spécu­lative toute entière selon lesquelles la régu­larité maçonnique ne résulte que d’une seule qualité : Avoir été reçu, initié et exalté aux trois degrés maçonniques symboliques par sept frères ou sœurs maîtres reconnus comme tels. N’oublions pas qu’ils furent, sans jamais y faillir, républicains, laïques et spiritualistes à des époques où toutes les obédiences maçonniques alors existantes furent successivement : légitimistes, puis bonapartistes, puis royalistes, puis républi­caines, en fonction des pouvoirs politiques et religieux en place. N’oublions pas non plus que beaucoup de Carbonari français furent emprisonnés, déportés au bagne ou même exécutés à la suite des insurrections locales de La Rochelle, Nantes, Bordeaux, Toulouse et Belfort qui précédèrent la révo­lution de 1830 et que nous devons à leur tra­vail en faveur de l’instauration d’un gouvernement constitutionnellement élu, des droits des individus et des peuples, de la pluralité politique, des principes de solida­rité sociale et éducative, de la liberté reli­gieuse, d’être là aujourd’hui et de pouvoir en parler en toute liberté ; ils agirent toujours au nom de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité présentes dans leurs rituels et reprises aujourd’hui dans notre batterie d’al­légresse. Ils étaient non seulement progres­sistes, mais c’étaient aussi des visionnaires dérangeants car très en avance sur leur temps puisque, par exemple, la loge carbo­nari « Les Amis de la Vérité », créée en 1818 pour faire obstacle à la restauration monarchique, se référait précisément dans ses travaux à la création d’une Europe poli­tique fédérale, au Christ en qualité de divin législateur de l’Égalité, à la doctrine de Bacon considérée comme authentique et ses membres se déclaraient à la fois spiri­tualistes et déistes.

Ils avaient, concernant notre devise républicaine, une conception très claire et très précise : La liberté au sens républicain adopté par ceux qui sont à l’origine du Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm, c’est d’abord et avant tout la liberté du dés­encombrement du moi embué de ses besoins et de ses soucis afin de désaliéner l’individu de lui-même et lui permettre de transcender la vie matérielle ; ensuite seule­ment peut être entreprise la libération par rapport aux autres, si elle s’avère encore nécessaire. L’égalité républicaine est celle de l’égalité des chances par l’éducation et l’assistance sociale pour permettre l’accep­tation libre de l’inégalité des résultats en rai­son des capacités individuelles et des erreurs personnelles ; l’égalité peut être destructrice de la liberté lorsqu’elle est conformisme, nivellement des valeurs et destruction des différences, lorsqu’elle est « tyrannie de la majorité » ; elle n’est vérita­blement au service de l’homme que lorsqu’elle dote l’individu de la capacité du pouvoir de limiter la puissance de l’État et si elle est égale dignité des personnes. La fra­ternité est la naturelle conséquence de l’ac­tion juste des deux prémisses de la devise républicaine.

Nous pouvons donc, sans risque d’er­reur, rattacher les mouvements à la fois spi­ritualistes et politiques (au sens humaniste et progressiste tendant à l’amélioration du Bien-Être Général des hommes en collecti­vité) de la maçonnerie forestière, des Carbonari et de Misraïm à une farouche volonté de revenir au « Principe d’espé­rance » abandonné au fil de leur histoire de feu et de sang par ceux qui se proclament,  bien à tort, au sein de leurs églises, comme les successeurs du Christ ; volonté de retrouver l’espérance perdue en un bonheur possible sur terre, ici et maintenant qui, par exemple, s’est manifestée sans succès dans la révolte des paysans allemands du XVIe siècle emmenés par le prêtre « illu­miné » Thomas Munzer, et dans la grande révolte des canuts lyonnais ou dans la Commune de Paris et de Marseille, aux­quelles de nombreux frères et sœurs maçons prirent part ; et que l’on ne viennent pas, a posteriori et sans leur demander leur avis, dire que ces révolutionnaires étaient des pré-communistes au sens admis aujourd’hui car en revisitant sérieusement leurs actions et engagements, nous com­prenons qu’il s’agissait pour eux tous de redonner aux petits, aux sans grades, aux laissés pour compte de tous les régimes politiques et systèmes religieux oppressifs l’espoir du temps enchanté cher aux chris­tianisme des origines en restituant la part d’étique philosophique, spirituelle (et non pas morale) et humaniste nécessaire aux systèmes sociaux et économiques dans l’in­térêt de chaque homme et de chaque femme ; ces maçons révoltés contre l’inac­ceptable n’avaient pas l’intention d’instaurer un système politique nouveau tout aussi oppressant que ceux qu’ils entendaient met­tre à bas.

Les mouvements de révolte poli­tiques précités, n’en déplaise aux politiciens et sociologues ultérieurs, furent d’origine tout aussi spirituelle qu’économique, furent des révoltes tout autant menées contre les régimes politiques qu’ils contestaient que contre l’église de Rome ayant conjointement abandonné, empêtrés dans leur unique souci d’appropriation durable du pouvoir, de tous les pouvoirs, la perspective primordiale de l’espoir pour les temps à venir. En avance sur leurs époques respectives, ces révolutionnaires-là de la maçonnerie fores­tière, du Carbonarisme et de Misraïm, pro­gressistes dans l’âme reliée à l’essentiel de la transcendance, recherchaient déjà dans les profondeurs de la tradition ancestrale de l’humanité et dans l’histoire des anciennes civilisations, une alternative crédible aux impératifs financiers, commerciaux, et industriels naissants et déjà installés dans le culte de l’instant, ne prenant en compte que l’intérêt matériel immédiat, sans aucune pro­jection transcendante et collective et d’ave­nir ; ils avaient compris que l’espérance ne peut résulter que d’une mémoire collective régénérée par l’addition des mémoires indi­viduelles enfin rendues libres afin de per­mettre l’indispensable prise en compte des leçons données par toutes les civilisations anciennes depuis l’origine de l’humanité, sans exclusive ; c’est en cela qu’il s’agit de systèmes maçonniques et initiatiques uni­versels destinés à reconstruire un avenir d’espoir à partir des enseignements du passé. Mais, dérangeants pour les « isthmes » de toutes tendances, ces révolu­tionnaires spirituels se sont aussi nettement opposés, et s’opposent encore, autant aux régimes autoritaires dit de droit divin qu’au communisme d’État mettant en œuvre la pensée de Karl Marx pour lequel il n’y a d’espoir véritable que dans une organisation collective imposée, y compris par la brutalité si nécessaire ; ils s’opposèrent et ils s’oppo­sent toujours à l’idée que l’espoir individuel n’est que la conséquence accessoire de l’espoir collectif, que l’addition des seules bonnes volontés individuelles ne suffit pas à changer les conditions d’existence de l’homme ; or, là aussi en avance sur leur temps, nos sœurs et frères passés des rites dont il est question ne croyaient pas en cette recherche collective du bonheur, même s’ils œuvraient réellement pour une transforma­tion des sociétés existantes, obsolètes et inadaptées ; nos charbonniers, carbonari et  misraïmites entendaient penser et agir pour trouver le système social et économique permettant individuellement à ceux qui le désirent de retrouver l’espérance en un bon­heur personnel, non pas en l’imposant à ceux qui n’en éprouvent pas le besoin, comme ce fut le cas dans les régimes poli­tiques installés à l’Est de l’Oural ultérieure­ment et qui se sont tous effondrés aussi rapidement qu’ils avaient vu le jour pour avoir omis dans leurs conceptions politiques la dimension essentielle et intime de l’homme.

Et nous sommes bien là en plein
dans notre sujet du jour puisque la laïcité à la française correspond très exactement à un système public organisé permettant l’ex­pression de toutes philosophies, de toutes spiritualités, pour les laisser à la disposition individuelle des êtres humains sans implica­tion de l’État dans cette dimension intime de la nature humaine. Nous sommes donc bien en présence de systèmes initiatiques vision­naires et complets, très en avance sur tous les systèmes politiques et sociaux existant, dérangeants pour tous ceux qui ne voient dans la planète et dans l’homme qu’une opportunité d’enrichissement personnel, immédiat et matériel sans espérance ni transcendance. Ce qui ne signifiait pas pour eux que toute organisation sociale doive nécessairement disparaître, que la famille n’est pas nécessaire, que l’organisation économique soit à proscrire, mais ce qui signifie que ces considérations ne doivent pas prévaloir sur le besoin personnel d’es­pérance et que leur nécessité doit s’arrêter là où commence la vie intérieure des indivi­dus, et qu’elles doivent être stoppées dès lors qu’elles ont la prétention d’interférer sur ce qui ne relève ni du collectif, ni du maté­riel : La vie intérieure de l’homme. Nous retrouvons dans ces préoccupations fonda­mentales de ceux qui pensèrent et dirigè­rent les révoltes précitées tout simplement les enseignements des écoles de mystères égyptiennes repris et actualisés par Yeshoua, tels qu’ils figurent non pas dans l’ancien testament mais dans les évangiles apocryphes soigneusement laissés de côté, pour cette raison-ci précisément, par ceux qui, à partir de Paul, codifièrent et figèrent le dogme religieux romain.

D’autres faits historiquement prouvés permettent d’affirmer sans risque d’être démenti que les sœurs et frères qui ont œuvré, souvent au péril de leur vie ou de leur liberté, dans la succession légitime : Rits de maçonnerie forestière, Carbonari, Misraïm en sa forme originelle et Memphis­Misraïm, ont très largement contribué à l’avènement du régime républicain démo­cratique et social tel qu’il figure en préambule de la constitution de 1946 et dans celle du 4 octobre 1958, ainsi qu’à l’élaboration et à l’adoption de son pilier fondamental : la Laïcité. Pour compléter le propos, sans avoir la prétention d’être sur ce point exhaustif, il me paraît important d’insister sur les points suivants :


·  Si les historiens s’accordent aujourd’hui, à tort, pour considérer qu’Alexandre Cagliostro crée la Loge Mère de la maçon­nerie égyptienne à Lyon en 1782 (ou 1786 selon les sources), en réalité la première loge de « Haute Maçonnerie Égyptienne » du Maître Inconnu voit le jour à Strasbourg en 1780 et il crée une loge mixte du même rite en Courlande en 1788 ; ces faits sont importants pour nous à divers titres, d’une part, parce que Ragon comme Marc Haven a démontré l’influence   et l’apport d’Alexandre Cagliostro sur la totalité de la maçonnerie de rites égyptiens (en réalité cette dénomination sert à définir cette maçonnerie comme étant la succession de l’ésotérisme et de l’hermétisme qui s’ensei­gnaient et se transmettaient dans les tem­ples de l’ancienne Égypte, ce dont beaucoup de maçons qui s’en réclament sont éloignés aujourd’hui ne se référant qu’à une philosophie sociale ou judéo-catholique sans aucun rapport avec la précédente), d’autre part, parce que Jean Bricaud a éta­bli que la convergence de Cagliostro avec Dom Pernety à partir de « L’oracle kabbalis­tique » eut une importance considérable sur l’ensemble de la Franc-maçonnerie hermé­tico-gnostique, en particulier par l’intégration à celle-ci du fameux mais oh combien incompris grade du 28e degré dont il a été question déjà et intégré à l’échelle initiatique de Memphis-Misraïm par Jean Bricaud. Or ce grade, transmis de manière spécifique aux seuls Francs-Maçons titulaires du 33e degré dès lors qu’il s’agit de conférer à l’im­pétrant, dans la forêt sacrée, le sacerdoce hermétique naturel, a aussi pour essence et finalité de soustraire l’initié maçon à l’in­fluence des dogmes religieux en lui faisant prêter allégeance à la seule Dame Nature au sens des Grands Mystères Égyptiens et Grecs, et il constitue en cela une évidente préparation à la transmission de l’Arcana Arcanorum (d’où sa place après le 33e degré) constitué, notamment, autour des Lois Naturelles Universelles transmises et décryptées dans le cadre du 90e degré du Rite de Memphis-Misraïm.

 
·  Les serments successifs prêtés au 30me degré spécifique du Rite de Memphis­Misraïm, directement issu du mouvement Rose Croix d’Allemagne du XVIIIe siècle, transcrivent une farouche volonté du Chevalier Kaddosh de Memphis-Misraïm de s’opposer à tous les despotismes politiques et religieux, de défendre y compris au péril de sa vie la liberté absolue de conscience dont il doit se faire le défenseur, et de com­battre encore et toujours l’absurde confu­sion, y compris en maçonnerie, entre le fait religieux à proscrire de l’initiation et la spiri­tualité (au sens du Corpus Herméticum et de la Table d’Émeraude pour rattacher ce qui est en bas à ce qui est en haut), laquelle spiritualité est pour le Kaddosh de rite égyp­tien absolument indispensable à son par­cours en vue de sa réalisation personnelle. De la même manière, le rituel des 15e, 16e, 17e et 18e degrés, indissociables, spéci­fiques au Rite Ancien et Primitif de Memphis Misraïm, provenant lui aussi du mouvement Rose Croix d’Allemagne dans sa version ori­ginelle du XVIIIe siècle, ne comporte aucune référence religieuse spécifique et nous apprend par ses allégories et symboles que la maçonnerie égyptienne est une parfaite synthèse des trois religions du livre en ce sens qu’elle trouve son origine dans les anciennes civilisations pré-religieuses, elles-mêmes fondées sur la notion d’univer­salisme spirituel.

La volonté de détacher dans les faits et
définitivement la Franc-maçonnerie de Memphis-Misraïm de toutes les influences religieuses et de l’extraire en particulier des références judéo-catholiques que l’on retrouve dans les rituels des autres rites maçonniques, fut transcrite dans le grade le plus important de la Franc-maçonnerie de rite égyptien, qui coiffe et domine tous les autres au sein de l’Ordre de Memphis­Misraïm et sans lequel aucune structure obédientielle ne peut fonctionner : Le 66 degré de Patriarche-Grand Consécrateur, conçu par Jean Bricaud et adopté par le Souverain Sanctuaire de Lyon à partir du sacerdoce de la Vieille Égypte pharaonique des premières dynasties et de la translation de l’âme du Pharaon mort en son succes­seur afin d’assurer la pérennité naturelle du pont nécessaire entre le monde terrestre et le monde céleste. Aucune référence ni contenu religieux dans cette initiation suprême qui ne peut donc être remplacée par aucune autre, et il est amusant que cer­tains égarés de la Franc-maçonnerie égyp­tienne affichent aujourd’hui, à défaut de toute légitimité pour cela, la prétention de diriger à des fins personnelles des struc­tures sauvages prétendument issues du Rite de Memphis-Misraïm à partir d’épisco­pats orthodoxe, catholique, de l’église d’Antioche ou Vieille Catholique entre autres...), alors que, encore une fois, le Rite de Memphis-Misraïm est structuré et orga­nisé, administrativement et initiatiquement, en opposition totale avec ces références et connotations religieuses étriquées et lourdes de conséquences quant à leurs ori­gines et histoires respectives. Cette incur­sion dans l’initiatique pourra paraître superfétatoire s’agissant d’un propos des­tiné à circuler dans le monde profane, mais je souhaite démontrer de cette manière, sans révéler quoi que ce soit qui ne puisse l’être hors du Temple d’Hermès, que le prin­cipe de liberté religieuse, de liberté de conscience, et que l’absence de référence dogmatique ou religieuse, se trouvent ins­crits à Memphis-Misraïm, dans les faits, dans la structure même du Rite, par la volonté combinée de tous les Maître Passés qui ont contribué à faire de lui ce qu’il est aujourd’hui.

·  Alexandre Cagliostro, dernier supplicié de l’inquisition romaine qui le laissera mou­rir de faim et de froid dans la forteresse de San Léo alors même qu’aucune charge judi­ciaire n’avait pu lui être imputée, magnifi­quement réhabilité par le docteur Marc Haven et dont nous revendiquons sans crainte ni réticence la filiation, écrivit dès 1785 pour annoncer la Grande Révolution française en dénonçant les méfaits du pouvoir monarchique absolu et de l’église romaine, et son « Adresse au Peuple Français » reste comme l’un des plus beaux textes prémonitoires quant au respect dû à la dignité des peuples et des individus et à la liberté de conscience.

·    Guiseppe Garibaldi, premier Grand Maître mondial de Memphis-Misraïm, dont nous avons vu le rôle maçonnique éminent, fut l’un des promoteurs de la liberté au plan politique et social et l’un des précurseurs de la notion d’Europe libérée des dogmes de droit divin et religieux au sens repris par les fondateurs de celle-ci plus de cinquante ans après sa disparition.

·    Comme par hasard, c’est en 1905, l’année où la République décide la sépara­tion légale de l’église (en réalité des églises) et de l’État, que Louis Fugairon élabore et fait adopter les instructions gnostiques com­plètes qui serviront de fondement à l’instruc­tion spécifique des maîtres maçons de Memphis-Misraïm, marquant en cela, dès l’émergence du principe public de liberté absolu de conscience et d’expression indivi­duelle du fait spirituel, la volonté des chré­tiens authentiques de se     libérer « officiellement » du dogme et du pouvoir romain en se rattachant à la tradition hermé­tique et gnostique des trois premiers siècles de notre ère.

Constant Chevillon, sauvagement tor­turé et assassiné par la milice infâme de Doriot à quelques centaines de mètres de mon premier domicile familial, Grand Maître Général de l’Ordre de Memphis-Misraïm, s’éleva dès 1936 contre la notion absurde de grande hiérophanie dans les rites égyp­tiens, dénonça les « ordres bizarres » acco­lés par usurpation au            Rite de Memphis-Misraïm (systèmes magico-théur­giques, kabbalistiques, divinatoires en tous genres, voire purement religieux) et écrivit une fabuleuse « Réflexion sur le temple social » dans laquelle il taille en pièces, de très brillante manière, la référence judéo­catholique encore véhiculée de nos jours par certains rituels maçonniques utilisés dans toutes les obédiences et qui, en raison de son immense culture et de son intuition éclairée, annonçait dès avant la grande guerre les désastres financiers et écono­miques que nous vivons à la fin de cette année 2008 en dénonçant la folie mercantile et monétaire détruisant (déjà !) inexorable­ment notre temple naturel et notre patri­moine collectif, c’est-à-dire la planète Terre et l’humanité qu’elle porte.

Le développement qui précède m’oblige à préciser également que, au fil des siècles qui ont suivi l’apparition de la maçonnerie hermétique-gnostique dite égyptienne, plu­sieurs systèmes se sont créés pour les ini­tiations et communications transmises postérieurement au 33e degré, à partir des legs et enseignements des maçons char­bonniers et du Maître Cagliostro :

L’une des nombreuses branches ita­liennes créées par les successeurs putatifs du Maître Inconnu, qui prétend détenir seule la légitimité du rite de Misraïm, reléguant au passage Briot et ses successeurs aux oubliettes de l’histoire, a inventé de bric et de broc un système très particulier de magie dit de la Myriam qui n’a rien à voir ni avec la Franc-maçonnerie ni avec la tradition initia­tique, et que nous réfutons totalement et irrémédiablement pour notre part ; les per­sonnes intéressées pourront se reporter aux nombreuses publications sur le sujet.

Les degrés au cours desquels est légi­timement transmis l’Arcana Arcanorum (87e au 90e) dit du « Régime de Naples » ont sus­cité nombre d’études et commentaires qui n’expliquent rien s’agissant du « grand secret » dès lors qu’il est clairement indiqué dans les rituels originaux que celui-ci n’y figure pas car il ne doit être transmis que de manière orale de maître à adepte. Or le régime de Naples de Misraïm, dont les qua­tre degrés indissociables précités sont issus, est un long fleuve souterrain pas for­cément tranquille qui a fait l’objet de nom­breuses tentatives de récupération facilitées par le secret qui l’a toujours entouré. Outre la précédente, nous sommes aujourd’hui en présence de deux voies possédant chacune un régime distinct d’arcane et de grades, aussi dissemblables qu’opposées, et cela, malheureusement, pour des raisons unique­ment politiques et religieuses : La voie dite romaine, ultra monarchiste, très liée dès l’origine à l’ordre chevaleresque et religieux de Malte puis totalement infiltrée, comme le Régime Écossais Rectifié, par les jésuites sur décision expresse du Vatican désireux dans l’impossibilité de la supprimer de maî­triser « la chose » et puis, tout à fait distincte et sans aucun lien avec la précédente, la Voie Française, directement et clairement issue du système Carbonari français de Briot et de Teste, ultra républicaine, hermé­tique et gnostique, indépendante de tous pouvoirs et religions par histoire et tradition, comme j’ai tenté de le démontrer précédem­ment. Il est inutile me semble-t-il de préciser que la Voie Mixte Française de Memphis ­Misraïm, à laquelle la Grande Loge Mixte Française appartient, se rattache par nature et légitimes filiations à cette dernière.

Au terme de ce parcours au sein de ce qu’est vraiment le Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm et de son apport dans la fondation de la République Une, Indivisible, Laïque et Sociale, il me reste quelques points à préciser.

C’est parce que nous ne sommes pas des « athées stupides ou des libertins sans religions » (Constitutions d’Anderson – 1723) que nous travaillons dans nos ateliers de Memphis-Misraïm non sur la bible ou sur un texte réglementaire administratif, mais avec la présence sur l’autel des serments du Livre des Morts des Anciens Égyptiens (en réalité livre de l’ouverture à la vie), nous rattachant ainsi à la seule religion qui vaille pour nous : celle de la Tradition Primordiale source et origine non tronquée ou manipu­lée de toutes les autres, de toutes les cul­tures et civilisations. Nous considérons en effet que le Livre des Morts des Anciens Égyptiens, intégrant le Livre des sarco­phages, le Livre des pyramides et le Livre des douze portes plus anciens, contraire­ment aux idées généralement admises et diffusées sans connaissance réelle, n’est pas l’expression d’une religion polythéiste, mais, à l’opposé, le support et le transcrip­teur de la Religion Universelle primitive dont les anciens peuples de la vallée du Nil étaient devenus les dépositaires et dont le christianisme des trois premiers siècles s’est largement inspiré pour établir les mys­tères spirituels contenus dans les paraboles du Maître Jésus ; le Livre des Mort des Anciens Égyptiens est la source, l’origine synthétique, parfaite des trois religions du Livre qui ne sont toutes trois que des frag­ments de la spiritualité qui prévalait sur les bords du Nil bien avant leur apparition et qui furent créées par scissiparité et besoin futile d’adaptation à des espaces-temps limités et précaires.

La laïcité à la française, c’est une possi­bilité pour les minoritaires de tous systèmes philosophiques ou spirituels d’exister, d’avoir la parole, sans laisser aux seuls dominants le monopole du verbe et de l’existence, et les fondateurs et les mem­bres légitimes du Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm ont toujours été à la pointe de la défense du droit d’exister pour toutes les minorités respectueuses des droits fondamentaux républicains, en ensei­gnant par certains des grades du Rite (20e, 28e, 30e, 90e et 66e degrés) que si l’homme et la planète Terre ne constituent pas le cen­tre de l’univers, la vie en collectivité n’en nécessite pas moins le respect et la prise en compte des différences vitales comme le rejet de toutes les formes de despotisme politique et religieux ; la laïcité à la fran­çaise, c’est une idée qui porte le désir, la passion, le besoin de ne rejeter personne, d’accepter tous les représentants de l’es­pèce humaine originaires d’un génome commun et unique, sans crainte et sans obligation de renoncement à quoi que ce soit, et surtout pas aux convictions intimes et individuelles.

Sur ce fondement-ci, j’ai donc tenté de démontrer que le Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm, c’est une philosophie au quotidien, c’est une métaphysique incarnée, c’est l’unité rétablie par la plénitude des œuvres (l’action de l’homme au quotidien sur terre) inspirées par la grâce (l’inspiration divine, la présence de Dieu en l’homme) ; que le Rite Ancien et Primitif de Memphis­Misraïm, c’est la fin de l’antagonisme entre le salut par les œuvres et le salut par la grâce, et qu’il permet la réalisation indivi­duelle volontaire par l’harmonisation en soi des deux ; que le Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm, c’est un pèlerinage laïque permanent en terre sainte (au sens de ses références intangibles et ances­trales) de la spiritualité commune à toutes les religions, les respectant toutes sans en choisir aucune car ressortissant chacune à un aspect particulier de la vérité commune à toute l’Humanité (ce que nous appelons la Tradition Primordiale) au-delà des époques et des aires géographiques.

Après les débats suscités par cette troi­sième intervention, le Très Respectable Grand Maître Patricia MONDINI, assisté du Grand Collège de l’Obédience, clôture les travaux de Tenue Blanche Ouverte en la forme accoutumée et invite les frères et sœurs ainsi que les invités profanes à desagapes fraternelles

Patrick-Gilbert FRANCOZ, Passé Grand Maître Général de l’Ordre Maçonnique de Memphis-Misraïm

Publié dans le Khalam - Bulletin N° 27 - Février 2009

K027-4 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \