GLMFMM Bulletin : Khalam 10/2007


La légende d'Hiram Abif
ou la véritable initiation aux mystères antiques

Ce tracé constitue la synthèse des travaux d'ordre initiatique du con­vent de juin 2007 réalisé à partir des interventions effectuées lors du convent et des réflexions préparatoires fournies par les loges sur la correspondance existant entre la légende d'Hiram Abif et le Livre des morts des anciens égyp­tiens.

Tous les travaux des loges, bien qu'évidemment diversement rédigés, vont à l'essentiel et font ressortir nette­ment la proche parenté qu'il y a entre le mythe maçonnique développé au troi­sième degré symbolique et le rituel de mort et de résurrection contenu dans les textes sacrés des anciens égyptiens et mettant en scène Osiris, Isis, Horus, Nephtys, Anubis et Seth.

Concernant l'existence de ce rituel dans la maçonnerie et comme l'a fait remarquer La loge Amon Rê dans son travail, Le mythe d'Hiram Abif n'est pas présent à l'origine dans les premiers manuels connus, à savoir ceux de la Grande Loge d'Angleterre de 1717 et encore moins dans les plus vieux ma­nuscrits, celui de Cooke datant de 1420 et celui du Régius datant de 1390.

D'une façon plus large et selon les sources, la maçonnerie spéculative se rattacherait, dans ses formes histori­ques, au compagnonnage par son con­tenu du métier de bâtisseur et des outils propres à la construction qui sont allé­goriquement employés. Mais là s'arrête la comparaison et l'on peut sans doute considérer que la maçonnerie spécula­tive constitue au départ un cadre formel qui a été employé pour y déposer autre chose de plus traditionnel.

Les transmissions de métiers qui se faisaient dans le compagnonnage étaient d'ailleurs plus orientées sur des transmissions de secrets du métier que sur de réelles initiations. De fait, après une période d'apprentissage plus ou moins longue, la transmission du com­pagnonnage proprement dite faisait l'objet d'une cérémonie assez courte au cours de laquelle étaient transmis les mots, signes et attouchements de re­connaissance. Mais ce ne sont pas les mots, signes et attouchements qui tont le contenu initiatique.

La Franc Maçonnerie spécula­tive va donc se servir de ce cadre Légué par les confréries de métiers pour y dé­poser des éléments propres à une réelle transmission initiatique et les vraies filiations sont saris doute à rechercher dans les dépôts qui ont été réalisés à cette époque par les derniers groupes détenteurs de réelles transmissions que sont les Rose-Croix, les mouvements al­chimistes et les survivances templières.

La maçonnerie n'a donc à l'ori­gine que deux grades et ne comporte pas dans ces deux grades de rituel de relèvement. Le mythe d'Hiram Abit est introduit en 1723 et c'est lui, réelle­ment, qui fonde le caractère initiatique de la maçonnerie.

Hiram Abit devient donc le symbole même pour la maçonnerie du mythe de mort et de résurrection et se conjugue étroitement avec l'édification du Temple de Salomon dont l'essentiel, d'ailleurs, est à rechercher dans la no­tion de Temple. La légende développée fait vivre au récipiendaire devenu Hi­ram Abif le meurtre rituellique de ce­lui-ci par les trois mauvais compagnons désireux de lui dérober La Connaissan­ce avant qu'il soit relevé par les cinq points de la Maîtrise.

Ce meurtre symbolique, qui est en réalité un assassinat, ce qui n'est pas neutre pour les conséquences de «l'histoire» ( ou de la «hiérohistoire»). symbolise la quête spirituelle du cher­chant, du persévérant et du souffrant en recherche de la Vérité essentielle. Car Hiram Abif possède la Parole sacrée, la clé de toutes les connaissances, celle qui en explique l'origine et la fin, celle de la véritable architecture, c'est-à-dire celle du Temple intérieur.

Comme le fait remarquer la Loge Sothis, c'est ce thème de la Parole perdue qui est au centre des diverses légendes que nous rapporte la Tradition, quelques soient les héros, et qui est le résultat d'une rupture. De quelle rup­ture parlons-nous ? Sans cloute de celle qui a fait passer originellement de l'uni­cité à la multiplicité, multiplicité que le Maître, à présent relevé, est en charge de résorber en rassemblant ce qui est épars comme Isis a pu le faire avec les 13 morceaux d'Osiris, le 1 4ème man­quant. Et comme le souligne encore So­this ainsi que Devoir et Persévérance, l'initié ne se relève pas de lui-même; il est aidé en cela par le Vénérable Expert qui n'est autre qu'Anubis, conducteur des morts de la Vieille Égypte. Le rituel nous précise à ce moment-là expressé­ment notre mission, celle conforme à l'allégorie des anciens égyptiens qui est de «relever les vivants d'entre les morts». Le mort est celui qui est hors de la lumière, c'est-à-dire la majorité d'entre-nous, le vivant est celui qui est dans la lumière, celui que le rituel ap­pelle l'initié véritable, celui qui a réin­tégré le royaume. Le mort, c'est l'être humain à l'état profane, le vivant, c'est le nouvel initié au mythe d'Hiram, pré­cisément «relevé d'entre les morts». Dans ce sens, rassembler ce qui est épars signifie, vis-à-vis de tous nos S. et F. en l'humanité, relever du mort le vivant subsistant en lui, l'aider à faire émerger ce qu'il ne peut pas forcément réaliser par lui-même, le réveiller, ce qui est proprement le sens étymolo­gique rie résurrection, c'est-à-dire le re-éveiller ou éveiller de nouveau à la Lumière: enfin, transmettre à son tour, devenir l'initié initiant, devenir le nou­veau Pharaon-Horus incarné.

Ainsi, symboliquement, dans les trois premiers degrés symboliques, l'initié a parcouru le chemin complet du rituel de mort et de résurrection. Parti de la chambre de réflexion, il pénètre, comme le rappelle la loge Abou Simbel, dans le monde souterrain, le monde des morts, guidé par son gardien, Anubis, conducteur des âmes dans l'Au-delà; parcourant le monde souterrain, il est mis en présence et s'inscrit, au second degré, comme l'a signalé Khépri, dans l'Étoile flamboyante, synthétisation de l'Homme avec un grand H (l'Anthro­pos) s'il permet l'émergence du centre flamboyant de l'Étoile, et amorce, à ce moment-là, depuis ce centre, la sortie qui s'effectue au Sème degré lorsque Anubis, en la personne du Vénérable Maître Expert, le relève. Encore une fois, signalons qu'il ne se relève pas seul niais qu'en cela il est aidé, comme le dit le rituel du Ter degré, par «une in­tervention providentielle sans laquelle il y a peu de chance pour que l'âme hu­maine enténébrée retrouve le chemin de sa liberté première». Il est passé de l'Adam Kadmon d'après la chute, ce­lui qui est hors de la Lumière, à l'Adam Kadmon rétabli, celui qui a réintégré la Lumière. Tel Osiris, comme le signale, Les Trois Pyramides, il s'élance de nou­veau.

Nous voyons que le mythe d'Hiram Abif est destiné à faire com­prendre au nouveau Maître initié que, malgré le tourment de la mort et le chantier inachevé, le parcours entrepris devra continuer coûte que coûte dans un nouvel espace-temps dissimulé rie l'autre côté de la porte située en loge symbolique derrière le Vénérable Maî­tre. En permettant au nouveau Maître de retrouver en lui I'Hiram Abif qui sommeille en chaque initié dont la conscience est transcendée par la mise en oeuvre du rituel, ce mythe lui ap­prend l'éternel recommencement de la vie en montrant que la mort d'un maî­tre humain, aussi inspiré fut-il, est im­médiatement suivie par la venue d'un nouveau maître auquel est transférée la capacité de ramasser les outils dépo­sés par le précédent afin de poursuivre l’œuvre qui n'est jamais achevée. Ce mythe constitue également une for­midable leçon d'humilité en ce qu'il traduit de manière opérative l'imper­manence et la relativité de la grandeur, réelle ou supposée, des hommes même les plus vertueux et les plus remarqua­bles.

Mais gardons en mémoire que le nouveau Maître ne possède que les mots substitués et qu'il lui reste à réel­lement retrouver la Parole perdue qui lui sera révélée ultérieurement. Pour l'heure, il ne sait toujours qu'épeler, car la connaissance véritable de la Parole, ou connaissance véritable du Nom, ou encore connaissance de sa véritable prononciation correspond tout simplement à sa restauration dans l'état adamique.

À ce stade, nous comprenons mieux l'articulation générale du Rite de Memphis Misraïm telle qu'un cer­tain Franck d'Orelle l'a présentée dans un ouvrage mystérieux où il fait appa­raître les trois phases qui permettent de franchir les 12 portes du Livre des Morts des anciens égyptiens qui sont également celles de la Jérusalem Cé­leste :

  la première phase, descen­dante, qui nous mène du 1 er au 14ème degrés et qui représente une phase in­volutive dédiée à l'introspection pour la découverte de l'Être

 une deuxième phase, hori­zontale, qui va du 14ème au 18ème degrés et qui est une phase de dé­pouillement définitive qui permet d'aborder

 la troisième phase, ascen­dante et évolutive, qui du 18ème nous mène jusqu'au 90ème degré, qui ten­dra dans un premier temps à la réali­sation de l'Etre pour ensuite, à partir du 33ème tendre à sa manifestation. Cette dernière séquence du 33ème 90ème degrés est proprement sacerdo­tale, hermétique et gnostique.

L'unique but de ce rituel de relèvement est donc de nous mener jusqu'à notre centre ontologique, ce­lui où règne l'Être existentiel, ultime porte vers l'Être essentiel, le « Je » qui est autre à l'intérieur du même indi­vidu. Là, après nous être débarrassés des caractéristiques reptiliennes qui ont traits à notre corps de chair, après avoir dépouillés notre ego de ses ca­ractéristiques humaines, nous entrons enfin dans le royaume qui n'est pas un lieu quelque part dans l'espace inter sidéral mais qui est là, en notre centre, et pas ailleurs.

Hiram Abif ou Osiris-Horus est donc un support à l'accomplisse­ment de ce chemin. Ils reproduisent l'antique rituel de mort et de résurrec­tion en oeuvre par les hommes depuis que le premier homme a chuté mais qui, possédant encore en mémoire ce qu'il fut dans l'univers radiant, mis en place les mécanismes du retour par le souvenir qui lui restait de l’œuvre pre­mière.

C'est en effet cela que nous donne à voir la Tradition Primordiale. La Parole perdue n'est autre chose en effet que cette vibration créatrice, cette énergie radiante, ce feu lumière ou ce feu principe dont le Verbe a constitué initialement les choses et que recouvre actuellement les sensations du monde opaque. Ainsi fut mis en œuvre l'ini­tiation par la réclusion, à l'écart de la clarté trompeuse du monde physique, qui prépare à la vision de la vraie lu­mière, celle qui luit clans les ténèbres.

Dans le rituel de mort et de résurrection, l'homme doit mourir à ce qu'il est devenu en raison de sa soumission volontaire aux apparen­ces sans réalité, un existant coupé de l'Être revêtu d'un corps de terre, pour renaître à ce qu'il fut, un Être de lu­mière revêtu d'un corps de gloire. La Tradition, celle qui se décrypte clans les mythes et légendes, nous rapporte les transmissions des antiques initia­teurs, ceux venus de Ille Sainte de la période antédiluvienne, ceux de l'époque d'Énoch, puis ceux venus de la Montagne sacrée de la période post- diluvienne dont Noé tut le lien avec la première période et l'instigateur de la nouvelle Théocratie ; ces antiques initiateurs connaissaient cette origine glorieuse de l'homme, et les pratiques rituelles dont ils étaient les dépositai­res et les transmetteurs avaient unique­ment pour objet de remplir cet office de mort à la vie uniquement matérielle et de renaissance à la vie spirituelle.

Ce que l'on découvre dans la Tradition c'est que, en réalité, il n'existe pas plusieurs mondes, physi­ que, spirituel, intermédiaire ... mais un seul dont la perception diverge selon notre état d'être. C'est de cet état que traite l'initiation. À l'origine, l'homme est placé dans un cosmos identique au notre mais dont la matière est saisie directement comme pure énergie, où la pensée ne connaît pas d'obstacle et communique de centre à centre. C'est le monde angélique, le monde des émanations, le monde de la Gnose et de l'Hermétisme.

L'histoire de la faute originelle est l'histoire de la rupture ; c'est l'his­toire que nous rapportent les ensei­gnements de la Gnose au sein de nos cercles intérieurs pour ceux qui s'y intéressent, l'histoire de la Sophia ou d'Hélène. C'est la même histoire qui est rapportée de tous temps, en tous lieux. À l'origine, l'homme est une émanation du principe et, en tant que pure émanation, il rend gloire éternel­lement à son Créateur.

L'amour intime entre le Père et le Fils est tel qu'il ne peut suppor­ter, de tait, aucun écart. Pour en avoir une idée approximative, on pourrait comparer cet état à la fusion complète et au détachement absolue qui peut exister entre le nouveau-né et sa mère les sept premiers jours. C'est-à-dire les premiers instants qui suivent immédia­tement la période in utero où l'un et l'autre ne sont qu'un. Après, ils sont deux, et ils pleurent.

Dans ce monde qu'on appelle le Plérome, la pure émanation qu'est l'Homme d'alors reçoit entièrement le pouvoir de créer à son tour pour la plus grande gloire du Père. Mais c'est quand il décide de créer pour lui- même, pour son propre service, que survient alors la cassure. Ses pouvoirs lui son ipso facto enlevés et son corps de gloire glisse dans un corps de matiè­re. Voilà ce qu'est, en quelques mots, la faute originelle, ce passage de l'être à l'avoir, c'est-à-dire de la Réalité à l'illusion, voilà le véritable monde de l'homme et voilà les raisons de l'ins­tauration du processus initiatique pour entamer la reconquête de ce Paradis qui est pour l'initié le chemin de retour de l'avoir à l'être. Le rituel initiatique est en quelque sorte la contre-partie de la chute originelle.

Ainsi, selon les travaux de re­cherche de certains auteurs, l'initiation se perçoit dans la nuit des temps de l'histoire humaine et se décrypte de façon identique dans les mythes, les lé­gendes, les fables, les contes, jusqu'aux  fêtes folkloriques qui en conservent les traces éparses selon les communautés. Nous retrouvons dans ces textes des temps de l'âge d'Or le Roi du Monde qui siégeait dans l'île Sacrée qui joue le premier rôle comme point de diffu­sion originel de la chaîne initiatique.

Ce premier ancêtre enfermait ses progénitures dans les entrailles du sol, nous dit la légende. C'est dans ces cavernes que, pendant des millénai­res, les hommes se retirèrent pour se livrer, dans le nécessaire silence, aux méditations transformantes. Au sein des ténèbres, à huit ou neuf cents mè­tres de l'ouverture des grottes, après des cheminement labyrinthiques ou serpentiformes qui ont donné l'image du serpent ou du dragon dévorant ceux qui s'y aventuraient, ils cherchaient la lumière du monde subtil et la puissan­ce qu'elle confère. Dans ces profon­deurs, par la prière et le contact intime de leur pensée à l'Être, ils gouvernaient la nature. La réclusion dans le silence et l'obscurité assurait la rupture avec l'univers des sensations et mettait fin à la contrainte que les perceptions exer­çaient sur l'esprit de l'homme en le trompant sur la nature du réel. Ténè­bres et mutisme sont en effet la règle absolue de toutes les initiations traditionnelles.

La caverne était un micro­cosme dans lequel se concentrait pour eux l'énergie qui meut ['ensemble de la création, et l'étude de l'implantation des sanctuaires sur certains nœuds telluriques en est à ce propos un exemple historique. Dans ce lieu, ils rejoignaient la matière énergétique transcendante, substance du cosmos et, à travers elle, dominaient, clans le sens de surpasser, l'univers phénoménal. Leur menta­lité était ainsi ontologique, c'est-à-dire qu'elle recherchait l'union directe et immédiate avec l'essence interne de l'être et des choses, tandis que la nô­tre est empirique, c'est-à-dire faite de contacts uniquement sensoriels, donc superficiels et factices, voire futiles.

Dans cet état permanent d'ex­tase cataleptique, ces êtres demi-dieux réduisaient à l'extrême leurs besoins organiques et rejoignaient les longévi­tés rapportées dans la bible des patriar­ches, ce qui nous renvoie à la notion de l'âge d'or. Et certains font le rapproche­ment de ces états avec l'embaumement égyptien qui visait à donner au corps des trépassés l'aspect de puissants as­cètes en position de mort apparente et de vie transcendante, aspect que l'on trouve également dans la conception bouddhique des bodhisattvas.

Ainsi, dès l'origine, le rituel initiatique, clans son intégralité, quel­les que soient ses modalités de mise en. oeuvre dans telle ou telle pratique cultuelle de telle ou telle société, est seulement et uniquement un rituel de mort allégorique et de résurrection réelle dont la finalité reste la même clans toutes les traditions.

De ce qui précède, il ressort que, sous des formes diverses niais identiques au tond, le mythe d'Hiram Abif est aussi vieux que la spiritualité humaine ( Summer, Ancienne Egypte, Christianisme des origines... ); il n'est pas une invention de la Franc Maçon­nerie spéculative dont les fondateurs se sont intelligemment emparé pour le préserver et le transmettre afin qu'il continue son chemin clans la pensée collective de l'humanité. Il est lié à la réincarnation qui sous tend toute la cosmogonie et l'ontologie sacrées ries anciens égyptiens, laquelle consiste à transformer l'hérédité horizontale (profane) en hérédité verticale ratta­chant directement l'initié à la cons­cience divine en courbant le temps linéaire pour soucher l'humanité réa­lisée sur La Source, Divinité Suprême; c'est en cela que l'Hiram Abif de nos rituels est à la fois Osiris et Horus des mystères égyptiens.. C'est aussi pour cela que la mise en oeuvre du mythe d'Hiram Abif en nos loges est une opé­ration de magie opératoire destinée à faire revivre à tous les Maîtres Maçons ce que les prêtres-initiés égyptiens ac­tivaient clans la grande pyramide afin de transférer l'esprit du Pharaon défunt (Osiris) au nouveau Pharaon désigné pour en faire un nouvel Horus.

Philippe DI MARTINO Patrick-Gilbert FRANCOZ

Publié dans le Khalam - Bulletin N° 23 - Octobre 2007

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