GLMFMM Bulletin : Khalam 06/2007

L'Art Royal

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A l'origine du sujet choisi ... la lecture des Constitutions puisqu'il appartient à un orateur d'ouvrir régulièrement cet ouvrage.

On peut ainsi lire aux articles 5 et 6, je cite : « la maçonnerie a pour but le perfectionnement moral et spirituel de l'humanité son objet est l'application de L'ART ROYAL ... »

Que signifie application de l'ART ROYAL ? Pour un maçon arrivé nu et dévêtu au jour de l'initiation voilà un objet quelque peu ambitieux et qui évoque un faste à l'opposé de la première leçon d'humilité que nous a donné le passage de la porte basse.
Me voici envahi par une vision un peu étonnante de frères et de sœurs revêtues de longs manteaux d'hermine portant de pesantes couronnes étincelantes.
Mais poursuivons la lecture: « ... son objet est l'application de l'ART ROYAL, formant des initiés , soustraits à toute domination, libres, souverains maîtres d'eux ... ».

Souverains maîtres d'eux, voilà qui répond à mes doutes et la vision de nos outils symboliques, joyaux de la loge., rayonnent de nouveau dans mon esprit , tout particulièrement le compas dont le destin, oh combien élevé, est de modérer nos passions.
L'Art Royal est tout entier contenu dans l'esprit de géométrie .
La géométrie telle qu'elle se définit dans les anciens manuscrits Régius et Cooke conservés au British Museum. La géométrie, je cite: « enseigne à l'homme à mesurer la terre et toutes les autres choses. Laquelle science est appelée maçonnerie ».
La maçonnerie est donc toute entière contenue clans cette science, la géométrie.
Quelle qualité possède t-elle pour être ainsi privilégiée ? Une vertu capitale échappe au monde de la dualité. En effet, La géométrie construit, déduit, démontre, vérifie chaque tracé ou figure, saris que nul ne puisse argumenter et imposer intellectuellement une autre
position.

Les premières manifestations de l'esprit de géométrie s'expriment clairement dans une puissante fédération de loges de tailleurs de pierre, « la Bauhütte dans les années1390, dont la chartre précise : « C'est le devoir du Maçon d'unir en un faisceau harmonieux, obéissant aux lois de la sagesse, les lignes confuses de l'esprit humain ».

La géométrie révélée aux compagnons dépasse ainsi largement le cadre d'une technique opérative de bâtisseur.
C'est donc dès l'origine repenser le monde en spéculant sur les figures géométriques, roses, trèfles, spirales.
Pour avancer sur le chemin de l'éveil sans mode d'emploi, sans manuel, comment faire ?
Privé de ressources extérieures, l'esprit est vide, un vicie sans mots qui s'installe et dure.
Ainsi se manifeste le paradoxe que nous vivons : le langage, les mots que nous additionnons pour penser sont des obstacles.
Penser, c'est utiliser l'oreille intérieure et percevoir cette petite voix étouffée par les mots que nous cherchons.
Mais notre but n'est pas de chercher des mots, ces ennemis dangereux habités de préconçu.
Nous cherchons à penser ... penser pour entrer en méditation ...

Les livres et les mots d'autrui ... ne peuvent être la bonne réponse ... car ils ne sont pas les nôtres.
C'est une préparation à un travail purement intérieur qui est proposée. Ce n'est pas un enseignement à proprement dit mais une mise en condition.

La méthode offerte au Franc-maçon pour penser, penser ce qu'il a à penser, lui et pas un autre, passe par l'utilisation du symbole et la pratique d'un rituel.
Attention, le symbolisme n'a rien à voir avec la philosophie qui demeure une matière à enseignement dans le monde profane où les mots et le langage ordinaire suffisent à traduire des idées claires relevant de la raison seule.
Le symbolisme permet un mode d'expression différent pour exprimer des choses qui ne se laissent pas enfermées étroitement dans notre langage courant.

Ici tout est symbole...
Le symbole est un outil « maillet, le fil à plomb », il est un éléments d'architecture ( la pierre brute, le pavé mosaïque), il est un végétal : la grenade, l'acacia), il est un vêtement Ile tablier, le sautoir).
Il est astral de soleil, la voûte étoilée) et il se relie à des traditions très diverses, celle des Egyptiens, la tradition hébraïque.
Le symbole permet ce grand voyage intérieur, et pour qui en fait l'authentique effort, il guide vers la révélation de soi et du tout.
Tout symbole possède la plénitude en lui la totalité des oppositions mais aussi l'unité.
L'unité des contraires, à la fois une vérité et des vérités.
Et le symbole, c'est une passerelle vers une signification, des significations multiples.

De passage en passage, l'homme cherche, interprète et fait monter des pensées, révèle ainsi le beau.
Le rituel de nos tenues, quant à lui, met en scène ce qu'il convient d'appeler un mythe fondateur. Le mythe fondateur est l'identification des maçons que nous sommes aux bâtisseurs d'un temple.
Le rite met en scène par le corps, les gestes et les mots une proposition de réponse à toutes nos interrogations existentielles. La force du rite tient à son paradoxe: par la répétition et avec un contenu immuable, le rituel est une invitation permanente à changer.
Mille fois nous prenons et reprenons la même voie jusqu'à ce que vienne l'heure où elle s'ouvre sur un nouveau sens.

Le rite n'impose pas d'interprétation ni de chemin d'évolution.
Le rituel permet une discipline élévatrice et créatrice, une technique qui permet d'échapper au parasitage de notre raison.
La valeur et la force de nos outils sont toutes entières dans la méthode qui les accompagne : aucun dogme, aucun catéchisme.
Aucun enseignement à recevoir, aucune réponse qui ne soit apportée par autrui. L'Art Royal en opposition avec tout courant dogmatique apparaît donc comme l'instigateur privilégié de la liberté intellectuelle.

L'art royal est par essence esprit critique.
La démarche symbolique s'exprime à travers la liberté de conscience.
Le maçon est libre penseur, confronté des directions toutes tracées, que ce soit par les dogmes ou les églises.
Le maçon est un cherchant et il remet en cause les interprétations toutes faites.
Ainsi chacun con nait le mythe d'Adam et du péché originel écrit dans la Genèse: dans le jardin d'Eden, deux arbres sont défendus à l'homme.
Celui de la connaissance du bien et du mal et l'arbre de vie.
L'arbre de la connaissance, c'est le savoir, l'arbre de vie, c'est le pouvoir.
Quel mal y a t-il pour l'homme à distinguer le bien du mal ?

Quand L'Eternel dit  l'homme devenu comme l'un de nous pourrait cueillir du fruit de l'arbre de vie et vivrait à jamais » ..., quelle signification cela a —t-il ?
Chasser Adam, n'est-ce pas aussi lui interdire l'arbre de vie, c'est-à-dire le pouvoir de l'immortalité ?
La conduite d'Adam est-elle un crime comme l'ont présenté les théologiens chrétiens ?
Ou bien cette histoire est-elle un mythe libérateur qui a été dépouillé, dénaturé de son sens ? Nous enseigner la soumission ?
La spiritualité est. empreinte de mystère, c'est un caractère universel à tous les textes sacrés, Bible, Thora, Livre des Morts.

Le message pour chacun d'eux est à comprendre progressivement : sens littéral, sens ésotérique.
Degré après degré, gravir l'échelle du l'éveil qui, sens après sens, nous rapproche de la vérité une et lumineuse.
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Pour comprendre l'Art Royal , il faut le situer dans l'histoire des bâtisseurs de cathédrales où il trouve ses racines.
Au Moyen Age, les moines ont l'apanage de l'érudition, des Arts. Ce sont eux qui enseignent aux laïcs les techniques, tourment maçons et tailleurs de pierres .

Les fraternités libres de bâtisseurs se constituent et transmettent,
principalement à l'oral, un enseignement symbolique, lié à des rapports secrets avec l'hébreu.
Par exemple, l'alphabet des charpentiers dénommé « la pendule à Salomon » possède 32 signes, ce qui peut être rapproché des 32 voies kabbalistiques.

Nos grandes cathédrales, Chartres, Amiens, Notre Dame sont le témoignage de la foi chrétienne, mais également l'expression de données symboliques qui échappent à l'enseignement officiel de l'Eglise , données « sub rosa » expression latine qui signifie sous silence, littéralement « sous la rose ». L'art du trait, né de la géométrie, demeure le secret compagnon nique du Moyen Age, secret qui se transmet par la parole toujours gardé précieusement entre initiés.

L'Art Royal possède ainsi une filiation avec l'ésotérisme chrétien et l'enseignement de la Kabbale . Précisons bien ésotérisme chrétien et non les dogmes formalistes de l'église. Voici une définition toute simple de Dieu : Dieu est ... je cite: « la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur ». Beaucoup penseront ... voilà une définition de maçon ... Ce n'est pas une définition de maçon niais une définition de Bernard de Clairvaux, Grand Abbé Cistercien.

Bernard de Clairvaux, initié à l'enseignement de la Kabbale par le biais de l'école rabbinique de Troyes, qui approche l'art de la Guématrie, la Thémura.

La Guématrie qui remplace les lettres par des nombres, ainsi les quatre lettres du Nom Divin, une fois additionnées, donnent un Nombre, 26, nombre sacré.

La Thémura qui permute les lettres d'un mot pour en créer un autre.
Ces techniques, outils de méditation, mettent en jeu l'imagination créative qui est aussi le propre de la méthode symbolique .

Quelle leçon tirer de nos ancêtres bâtisseurs ... de ces oeuvres de pierre qui avaient pour finalité d’œuvrer à la façon de Dieu , de reproduire sur terre, de façon analogue, la beauté qui baigne l'univers ?
Un constat en premier lieu : qu'elles sont avant tout l'expression de savoirs solides sans lesquels elles s'effondreraient.

Les spéculations ésotériques, alchimiques, tenues sous le boisseau du secret, ne peuvent tout expliquer. La technique du géomètre a sa place autant que l'intuition guidée par la recherche du sacré.
Comme l'a signalé Scot Erigène : « qu'il s'agisse d'arithmétique, de géométrie, de musique, d'astronomie, l'homme ne peut que découvrir les lois de l'harmonie, il ne peut les inventer ». Dans l’œuvre de pierre, la science du bâtisseur ne s'oppose pas à la méthode symbolique.
Elles sont complémentaires.

La méthode symbolique, pièce maîtresse de l'Art Royal, cache des mérites qui tiennent à la nature du symbole lui-même.
L'intérêt du symbole est péciagogiquecar il vous fait entrevoir les ambivalences et les dualités.
Il nous conduit à abandonner les positions tranchées pour découvrir les parts de vérité contenues à l'intérieur de toute vue extrême.
Le symbole est aussi thérapeutique, il calme le jeu, il écarte la haine contenue dans nos pulsions, refoule ce qu'il y a de primitif en nous. Il gère nos conflits intérieurs.
Comme dirait le philosophe Nietzsche, le symbole conduit l'homme dans sa marche à pas de colombes ». L'homme renonce alors à des croyances non vérifiées, adopte une pensée rationnelle qui seule le change en constructeur.
L'Art royal associe donc deux méthodes de la même façon que notre cerveau associe l'hémisphère gauche , le domaine de la logique, à l'hémisphère droit où règne l'imagination créatrice. Le premier analyse, déduit et utilise la liberté de conscience.

Le deuxième mobilise l'intuition, l'émotion.
Ils peuvent coexister sans confusion de façon à faire vivre ensemble dans nos vies à la fois un idéal et le réel.

L'Art Royal, c'est la conjugaison lucide des deux.
Pourquoi parler de lucidité ... parce que la raison entraîne souvent l'homme sur le chemin des guerres, de la violence. C'est pourquoi la fonction du symbole est si importante car elle permet de rapprocher les hommes et de leur montrer qu'ils sont à la fois semblables et différents.
Pour que chacun comprenne et accepte que l'autre n'est pas identique mais qu'il est analogue.
Le jeu des analogies, ce jeu si familier à chacun de nous les maçons...
Ainsi l'Art Royal tente de résoudre les contradictions en créant une troisième voie issue des deux autres : l'Art Royal, voie de créativité, Art de la transformation.

L'Art Royal, art de la transformation, devient quelquefois une invite à la transgression.
Dans l'histoire, progrès et changements perturbent toujours les hommes et l'ordre établi, et se retournent contre les défenseurs d'idées nouvelles, ainsi pour exemple, la suppression de l'esclavage.

Mais il existe certaines transgressions qui peuvent être, au nom de la fraternité, l'expression la plus noble du courage.
Ainsi ces hommes et ces femmes sous l'occupation nazie auxquels nous venons de rendre hommage, ces justes comme on les appelle, qui hébergèrent au péril de leur vie des enfants juifs parce que, pour reprendre leurs mots,
c'était la moindre des choses »... L'Art Royal n'est-il pas aussi dans certaines situations la manifestation d'une force à se dépasser ?

Mais il reste au quotidien des maçons d'aujourd'hui un dépassement d'un tout autre ordre à opérer : les outils de bâtisseurs devenus sans fonction réelle pratique ne sont plus que des symboles et seulement des symboles.

Notre tâche est donc de leur conserver le même pouvoir d'éveil...

Comprendre que ce n'est pas le sens qui peut s'épuiser mais notre faculté créatrice.
Et pour cela ... revenir encore au symbole, et faire silence.

Alors, le symbole, avec des silences à la place des mots, enfin, nous répondra.

J'ai dit, V\M\

Frédérique ISNARD
RL L'Étoile d'Égypte - Orient de Marseille

Publié dans le Khalam - Bulletin N° 22 - Juin 2007

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