GLMFMM Bulletin : Khalam 10/2006

Mémoire et tradition
A quoi sert la mémoire ? A vivre et survivre

La mémoire nommée MNEMOSYNE est la mère des Muses. Il est intéressant de noter que l'antiquité Lui donnait pour parents Gaia et Ouranos, les cieux polarités de la Création.

Il n'existe pas d'évolution sans mémoire.

Le contenu de la mémoire ne se réduit pas à ce que nous savons par cœur : Lieu d'accumulation des souvenirs, des habitudes, des références qui structurent notre personnalité, la mémoire nous introduit aussi au cœur de notre vie intérieure.

Au 16è siècle, Guilio Camillo avait conçu le « Théâtre de Mémoire).II s'élevait sur 7 allées dénommées « les sept piliers de la maison de la sagesse de Salomon chacune représentant une des 7 planètes : au centre Apollon et, disposées autour en hémicycle, les travées de Mars, Jupiter, Saturne, Vénus, Mercure et de la Lune. Dans chaque allée, il y avait 7 portes distribuant 49 emplacements de base évoquant chacun une partie du savoir.

Selon lui, cette disposition était propice à une vraie sagesse par laquelle il était possible de connaître les choses à travers leurs causes et non à travers leurs effets.

Il disait qu'on ne peut voir l'étendue d'une forêt en y restant à l'intérieur. Mais si, près de la forêt il y a une montée menant à une colline élevée, de cet endroit, la forêt toute entière est visible. « La forêt est notre monde inférieur, la montée représente les Cieux, la colline est le monde supra céleste . Et pour comprendre les choses du monde d'en bas, il faut s'élever jusqu'aux choses supérieures à partir desquelles, regardant de haut en bas, nous pouvons atteindre une connaissance plus sûre des choses inférieures ».

Le bâtiment devait représenter l'ordre de la vérité éternelle, pari fou de l'époque dominée par l'esprit encyclopédique aspirant à la fusion de toutes les connaissances.

Giordano Bruno poursuivit cette même quête mystique de découvrir les clés de la mémoire divine, démarche qui lui valut le bûcher de l'Inquisition romaine (*).

Du théâtre de Camillo aux sceaux de Bruno, l'art de la mémoire a fasciné les cherchants poursuivant l'acquisition d'une mémoire - connaissance, réminiscence de la connaissance divine.

L'art de la mémoire est comme une écriture intérieure qui touche à l'idée que nous nous faisons de la Tradition, ce qui nous reste des pensées et des expériences vécues par les générations et les cultures qui nous ont précédés. Elle est le fruit mûri au cours des millénaires  sur l'arbre de la Connaissance dont nous portons en nous mêmes la mémoire.

Pour les uns, la Connaissance ne peut s'approcher qu'avec les ans puisque la vie commence à la naissance, thèse d'une transmission de maître à disciple depuis la première révélation.

Pour les autres, la Connaissance se transmet de vie en vie et n'est jamais synonyme de vieillesse, puisque rien n'interdit d'envisager l'existence autonome d'une mémoire capable de conserver l'expérience acquise au cours d'une vie, thèse de la continuité des êtres sur le chemin de la découverte de la Parole Perdue.

La Tradition est un devoir de mémoire. Que représentent tous nos symboles et rituels si ce n'est notre mémoire collective, tout ce que nous souhaitons conserver pour le transmettre afin que cela se perpétue au-delà de nos vies humaines ?

Que sont nos symboles sinon des outils de mémoire, des objets lourds de significations pour nous, mais muets pour le profane ? Chacun de nous connaît les bases de ce langage et y ajoute sa propre symbolique.

Lorsque nous nous retrouvons en tenue dans un temple, nous sommes dans tous les temples à la fois, car s'ils diffèrent par leur emplacement, tous ont le même objet, les mêmes symboles, tous sont unis par les frères et les sœurs qui y travaillent. Ils ont été consacrés et leur caractère sacré vient de la Tradition qui s'y perpétue de par la mémoire collective de tous les maçons qui y ont travaillé à la gloire du Grand Architecte.

Dans le Livre des Morts des égyptiens, le jugement de l'âme du défunt s'opère en présence de Maât et Thot, couple parfait. Thot est Verbe/Action, Seigneur de la Voix : c'est mettre en scène par le symbole l'idée que l'évaluation de l'âme se fait en présence de la Mémoire Universelle.

La vie maçonnique est une initiation qui par le langage des symboles mis en oeuvre au cours du rituel nous transmet la tradition et nous habilite à la transmettre à notre tour.

C'est l'initiation qui fait qu'une parcelle de mémoire de chaque homme peut reconstruire l'histoire de l'humanité et de l'univers. il suffit d'un seul homme pour raconter et tous ceux qui ont vécu se souviennent.

Nos travaux s'appuient sur Tradition, prise comme mémoire-connaissance, pour nous faire progresser, réfléchir, intérioriser les choses de la Nature.

Allons grimper sur la colline pour mieux voir la forêt comme le souhaitait Carrillo.

Sabine DOUMENS
Membre du S.S.M.

(*) Lire l'historienne anglaise L. Yates

Publié dans le Khalam - Bulletin N° 20 - Octobre 2006

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