GLMFMM Bulletin : Khalam 10/2002


Portes basses, Porte étroite


Il est des objets ou des lieux qui plus que d'au­tres frappent notre imaginaire.
Ainsi en est-il de la porte.
Le symbolisme de la porte étroite est connu depuis la préhistoire. Il désigne la difficulté que rencontre l'homme pour passer du monde matériel de son individualité au monde spiri­tuel, celui de son soi supérieur.

A l'époque des mégalithes d'ailleurs, les dol­mens, sur la pierre de fermeture, portaient une petite ouverture nommée souvent "trou de l'âme" car celle-ci était censée sortir par là du tombeau pour gagner les plans supérieurs. De nombreux textes font allusion à ce passa­ge étroit où l'on ne peut passer qu'après s'être dépouillé de tous ses conditionnements terrestres.

L'évangile dit : « il est plus difficile à un riche de pénétrer dans le royaume des cieux qu'à un chameau de passer par le chas d'une aiguille ». Notons qu'il ne s'agit pas du chas d'une aiguille à coudre mais plutôt d'une des petites portes de la muraille d'enceinte de Jérusalem où seul un piéton pouvait passer. Et cette porte était dénommée justement "trou de l'aiguille".
Ceci, pour rappeler qu'il est difficile, si on s'at­tache aux biens de ce monde et à toutes les contingences qui en découlent, de se réveiller à la réalité spirituelle qu'on porte en soi, sans le savoir ta plupart du temps, sauf pour les prophètes.

Ce symbolisme de poile basse et/ou étroite perdure naturellement dans la spiritualité contemporaine, notamment dans les loges maçonniques gardiennes de la Tradition.
Lors de la cérémonie de réception, le rituel dit au néophyte, par la bouche de l'expert encore derrière la porte :
   - que "s'initier c'est apprendre à mourir",
   - que grâce à la corde symbolique passée autour du cou reliant l'essence de l'être fraîchement dégagé de son enveloppe charnelle, Hermès est en train de le guider à travers le sombre Amenti vers la Lumière Ineffable, et que le cabinet de réflexion comme matrice l'y a préparé.

Après avoir visité l'intérieur de fa terre, il est prêt à affronter l'initiation, donc à pénétrer en s'inclinant dans le Sanctuaire. Le néophyte entre courbé en deux, tête baissée, par la porte basse figurée par l'épée du couvreur pla­cée à mi hauteur.
Cette porte est le symbole du passage du plan de la Manifestation à celui invisible du Spirituel. Et puisque tout symbole a un sup­port matériel, il faut représenter effectivement cette porte étroite.

Le néophyte entre pour la première fois dans le Temple la tête la première, avec difficulté et en posture inconfortable, à la manière du nou­veau né qui vient au jour.
La force de l'image est la réminiscence de la porte que nous avons dû forcer pour venir au monde.

L'image corporelle peut se prolonger avec d'autres allusions : la porte étroite a été sou­vent comparée au chakra coronal, c'est à dire la fontanelle des bébés, par lequel la conscien­ce ( purifiée après tout le trajet de la colonne vertébrale et l'éveil des divers nœuds d'éner­gie qu'elle supporte ), s'échappe au moment de la mort physique.

Et pour ceux qui n'ont pu atteindre cette libé­ration totale, la sortie du corps physique se fait par le nombril, chakra.
En Maçonnerie spéculative, le thème de la porte basse renvoie souvent à l'humilité. Beau thème. Ambigu cependant. Certes, il s'agit de marquer notre petitesse face à l'immensité du Cosmos. Mais te ternie n'est pas uniquement à prendre au sens moralisateur. Il renvoie plu­tôt à la Tradition primordiale des Grandes Déesses Mères, où l'homme-humus vit le déchirement de la cassure entre le Ciel et la Terre, tragique humiliation de son humanité boiteuse.

Humilité, oui, mais laquelle ? Pas celle du moi, celle qui détourne du soi. Celle qui rend dispo­nible à l'évocation de l'Ineffable : prise de conscience de notre ignorance, de notre insuf­fisance, de notre faiblesse.
Bref, un dépouillement indispensable à l'émer­gence -possible- de l'essentiel, de l'être.
Le paraître restera au vestiaire.

Il y a deux humilités : celle de la soumission et celle qui débouche sur l'idée de complémen­tarité. L'humilité du sec, c'est son besoin d'humidité. Humilité du yin, c'est son besoin du yang sans lequel il n'existerait pas. Loin d'un retour pervers d'une pensée moralisante avec subtil simulacre de vertu, l'humilité en maçonnerie se présente plus comme un mépris sans méprise à propos de soi qu'un mépris de Soi. Ce n'est pas l'ignorance de ce qu'on est qui importe, mais plutôt la connais­sance et la reconnaissance de ce qu'on n'est pas. Oui, mais comment désirer ce qu'on ne connaît pas dira-t-on. Là est toute la question en effet. Faire la part entre ce qu'on ne peut ni comprendre ni connaître dans tout ce qu'on peut comprendre et connaître passe par une certaine idée de l'humilité-humus.
Question dont les embryons de réponse rési­dent dans le cabinet de réflexion où tout est dit. J'aime bien l'idée que l'humilité est un principe mélangeant à la fois Harmonie et Transcendance, personnifié par un bel Eros, joyeux et actif, qui passerait son temps à faire du lien, à faire du sens entre l'homme, la Terre et le Ciel.

En effet, le thème de la porte se prête à de nombreuses interprétations ésotériques, évo­quant une idée de transcendance accessible ou interdite, selon que la porte est ouverte ou fer­mée. Il faut cependant faire la différence entre porte basse et porte étroite : la porte basse s'ouvre vers le bas, le monde des morts. Donner naissance, c'est aussi "mettre bas", La mort est considérée comme l'initiation suprême. On meurt à un état qui n'était pas essentiel, l'état profane. La rencontre avec le sacré se fait par le monde des morts à la porte d'Occident, par la porte des hommes donc. La porte étroite, c'est la porte des Dieux, où le sacré apparaît par les "hauts" vers le monde des initiés. La lettre hébraïque "daleth", repré­sentée par un triangle équilatéral, c'est à dire notre delta, symbolise la porte étroite, celle de la Connaissance, la Connaissance de l'Ineffable par ses oeuvres. "C'est par là, la porte, que les Justes entreront par elle". Psaumes.

La porte des hommes, c'est la porte basse de l'impétrant franchissant le seuil du Temple.

La porte des Dieux, c'est la porte étroite, voi­lée, située à notre Rite derrière le Vénérable Maître au mur d'Orient.

La porte nous convie à un voyage difficile dont on ne connaît ni la durée, ni l'aboutissement, ni les formes ni surtout les changements qu'il nous aura fait subir. Elle requiert le retour à la simplicité du premier âge et rions impose le "lâcher prise", car nous y parvenons avec notre poids d'histoire personnelle et notre héri­tage d'homme.
Comme le rappelle Ambelain : l'homme est le résultat d'un long processus ontologique. A un moment donné, if est bloqué. Il ne peut conti­nuer que si d'autres, qui ont franchi avant lui ce blocage, l'aident et lui donnent la clé. C'est cela le sens du travail commun en loge et sans doute une des raisons pour lesquelles notre Rite nous amène à franchir des "passages" progressifs...

Toute naissance impliquant une séparation, cette porte franchie, nous ne serons plus, que nous en soyons conscients ou non, tout à fait celui ou celle que nous étions avant.
Et si nous sommes courbés en entrant dans le Temple le jour de l'initiation, c'est pour mieux se redresser, le regard planté droit devant, dans les piliers Djed, ornant l'Orient, justement situés de part et d'autre de la porte voilée d'Orient, image de la verticalisation et du dou­ble intérieur avec lequel on se construit.

Le travail de tout cherchant consiste d'abord à trouver le passage qui mènera à la porte étroi­te et ensuite, s'il est inspiré, de la franchir.

La porte est donc la seule façon de pénétrer au Centre de l'idée...
Mais gare aux gardiens l car ces portes, qu'el­les soient basses ou étroites, ou bien les deux à la fois, sont bel et bien gardées.
Et c'est là une autre histoire...

Très Respectable Sœur Sabine DOUMENS 
Publié dans le Khalam - Bulletin N° 9 - Octobre 2002

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