GLDF Journal de la Grande Loge de France 10/2010

Le Grand Architecte de l’Univers
Evolution d’un concept
Par Hubert Greven
G098-5-1
 « Le symbole du Grand Architectede l’Univers suppose
 un effort
de l’élévation de la conscience »

Le concept de Grand Architecte De L’Univers n’est pas utilisé par toute la Franc-maçonnerie.
Il convient, tout d’abord, de distinguer la Maçonnerie des Anciens, dont l’esprit remonte au moins au XIIIe siècle, de la Maçonnerie des Modernes, dont l’esprit remonte à la fin du XVIe siècle.

La Maçonnerie des Anciens est née en Écosse et en Irlande, pays catholiques. Les Stuart écossais introduisent leur Maçonnerie en France, dès les XVe-XVIe siècles : en référence à la Tradition, elle donnera naissance à la Grande Loge de France. La Maçonnerie des Modernes est protestante (anglicane). Elle donnera naissance à la Grande Loge Unie d’Angleterre et au Grand Orient de France.

Au MoyenÂge, Dieu est partout et dans tout. Et malheur à qui contestait ce postulat! Dans ces deux Maçonneries, la croyance est donc obligatoirement en Dieu, Grand Architecte de l’Univers qu’il mesure un compas en main, comme le montrent de nombreuses iconographies à partir du XIVe siècle. C’est cette conception qui prévaut en­core dans la Maçonnerie anglo-saxonne.

Pour les Anciens, tant que l’idée de Dieu restait une et homogène dans les loges et ne se différenciait pas de l’idée de Dieu dans le monde profane, c’est-à-dire de la doctrine de l’Église romaine, l’idée d’un Dieu géomètre, devenant, au début de la Renaissance, Grand Architecte De L’Univers, ne posait aucun problème aux Frères: le Grand Architecte De L’Univers était Dieu. Mais, au cours de l’Histoire, des repositionnements vont se faire jour, en fonction de l’évolution des sociétés et de l’hégémonie qu’y exerçait l’Église romaine. Tout d’abord, après 1723, à la suite des premières Constitutions de la Maçonnerie anglaise du pasteur presbytérien Anderson, qui prône la religion naturelle, débute un déclin progressif de la notion de spiri­tualité; puis, en 1875, avec le Convent de Lausanne, où le Suprême Conseil de France impose l’invocation du Grand Architecte de l’Univers, défini, hors de toute conception religieuse, comme Principe créateur, s’ouvre la voie d’une Maçonnerie déiste, toujours ancrée dans la tradition des Anciens, respec­tueuse de la liberté de conscience et de son plein exercice dans la démarche initiatique, alors que les Anglo-saxons maintiennent la voie d’une Maçonnerie théiste impliquant la reconnaissance de Dieu et de son message révélé; en­fin, au cours du XXe siècle, entre science et foi, l’idée de Dieu est de plus en plus hétérogène: avec la perte des repères métaphysiques et la logique de causalité scientifique, la notion de Dieu est écartelée entre le doute, la défiance à l’égard de la science et l’émergence de sectes qui deviennent de nouvelles religions. Pour nous, le Grand Architecte de l’Univers est à l’abri de ces soubresauts car il représente un symbole interprétable par chacun, à partir de ses choix de conscience.

De proche en proche, le Grand Architecte De L’Univers s’est détaché de Dieu, dans la Maçonnerie initiatique, la Franc-Maçonnerie écossaise respectant la liberté de chacun de penser ou non la divinité. Dieu est affaire personnelle comme le soulignait dans la déclara­tion du Convent de Lausanne le Grand Commandeur Crémieux: «Aux hommes pour qui la religion est la consolation suprême, la Maçonnerie dit: “ Cultivez votre religion sans obstacle, suivez les inspirations de votre conscience ” ». En proscrivant les discussions religieuses et politiques en loge, il s’agit simplement d’éviter les antagonismes et de garantir une totale liberté de conscience.

De même que le Grand Architecte De L’Univers est un symbole, la Bible en est un autre. Elle n’est pas regardée, dans ce contexte, comme le livre des volontés révélées d’un Dieu. De plus, elle est surmontée par l’Équerre et le Compas, deux symboles de la matérialité et de la spiritualité.

Quant à la notion de Principe créateur, il eût été préférable de le dénommer du seul nom de Principe sans y accoler d’adjectif. En effet, Principe signifie déjà commencement, origine fondatrice dans le temps, cause première, source de toutes choses, donc de toute créa­tion. Ce Principe transcendant est un Principe inconnais­sable que l’on ne peut affubler d’un nom sans le désa­craliser dans son Ineffable. Entité ac­cessible à la raison, il est dénué de pouvoirs surnaturels et il renvoie à des notions d’architecture, comme Ordre (cf. la devise du Rite : Ordo ab Chao), Plan, Géométrie, Harmonie.

Ce Principe suprême repose, non seulement, sur la Parole créatrice mais aussi sur la Lumière (l’origine indo-européenne du mot « dieu » dénote l’idée de brillance). Cette tri-unité ésotérique Principe-Lumière-Parole peut, au choix de chacun, trouver des échos dans la Trinité: Père-Fils-Saint Esprit – le Principe préexistant à la Parole et à la Lumière qui sont des énergies, c’est-à-dire des forces. Même l’esprit le plus réfractaire à la métaphy­sique peut admettre la logique suivante : derrière la Source, il y a l’Énergie ; derrière l’Énergie, il y a la Loi, c’est à ­dire un ensemble de règles; derrière la Loi, il y a le Plan qui articule l’or­donnancement de toutes choses; et le Plan est l’œuvre de l’Architecte. Ce sym­bole transcendant permet ainsi, par un effort d’élévation de la conscience en éveil, de remonter du connaissable à l’inconnaissable, de relier le visible à l’invisible, de proposer une union de l’homme avec le divin. C’est la base même de la démarche initiatique fon­dée sur la spiritualité. On y trouve l’amorce d’une approche métaphysique grâce à laquelle chacun élaborera son sens du sacré.

Le Grand Architecte De L’Univers re­présente donc un concept et, en ce sens, il ne peut ni juger ni punir, encore moins être adoré. Pour autant, suppo­sant un effort d’élévation de la conscience, tissant des liens entre Visible et Invisible, ce symbole propose à l’Homme une union avec le Divin. Dans sa démarche spirituelle, le cher­chant comprend qu’il est mû par une Volonté supérieure. Il découvre qu’il appartient à un ensemble universel solidaire, ne se réduisant ni à Bouddha, ni à Yahvé, ni à Dieu ni à Allah. En cela, il intègre les vertus et les valeurs morales, civiques et culturelles, indis­pensables à l’harmonie et à la paix du monde. En effet, le Rite Écossais Ancien etAccepté n’a d’autre visée, en rassem­blant ses adeptes de confessions et de convictions différentes, que de servir à l’avènement d’une civilisation de la Conscience et de l’Esprit.

À propos d’Hubert Greven
Angliciste, professeur émérite des universités, Hubert Greven fut reçu apprenti Franc-maçon au Rite Écossais Ancien et Accepté, en 1966. Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil de France en 2000, il y fut élevé à la dignité de Grand Commandeur honoraire,
en 2009.

Parmi ses récentes publications, citons :
  Du profane au sacré: la voie initiatique du Rite Écossais Ancien et Accepté (choix d’allocutions), Suprême Conseil de France, Ordo ab Chao, 2009,144 p.
  Réflexions sur l’enseignement de Saint Jean (choix d’allocutions), Suprême Conseil de France, Ordo ab Chao, nouv. éd., 2010,144 p.

Pour se procurer ces ouvrages, écrire au Suprême Conseil de France: 8 rue Puteaux,75017 Paris, ou : contact@scdf.fr
Publié dans le Journal de la Grande Loge de France - N° 98 - Septembre Octobre 2010

G098-5 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \