GLFM Bulletin : Bulim Misraïm 06/2013

Libre et de bonnes Mœurs
L’intitulé de cette Planche, «libre et de bonnes mœurs ›>, est extrait de la phrase prononcée par la SJ. Experte au tout début de la cérémonie d”Initiation. Je vous la restitue brièvement: après avoir frappé un grand coup à la porte du Temple, accompagnant les profanes enchaînées, déchaussées, les yeux bandés, et après que la V.'.M.'. ait demandé pourquoi ces postulantes demandent à être reçues Maçonnes, la S.'.Experte répond: « Parce qu’elles sont libres et de bonnes mœurs, qu’elles sont dans les ténèbres et cherchent la Lumière ››.Il apparaît donc qu’avant même d’entreprendre le chemin initiatique, il nous aura fallu acquérir et développer ces deux qualités indispensables, liberté/moralité, et si les termes varient selon les rituels, elles n’en représentent pas moins un des fondements de la Franc-maçonnerie.
C’est pourquoi, après avoir produit un extrait de casier judiciaire vierge, que ce soient au cours des enquêtes, dans le Cabinet de Réflexion et tout au long de la Cérémonie d’Initiation, la V.'.M.'.et les SS.'.MM de la Loge s'assurent que la profane se présente librement, qu’elle n'est liée à aucun engagement incompatible avec Celui maçonnique, comme sur ses dispositions actuelles et sa bonne conduite à venir. Ces deux valeurs, liberté et moralité, sont impératives et indissociables dans notre engagement maçonnique.
Aujourd'hui, pour un Franc Macon, que signifie « être libre et de bonnes mœurs ›› ?
Bien que la Franc-maçonnerie soit un Ordre Initiatique donc universel et à ce titre intemporel, il serait difficile de faire l’impasse sur l’évolution historique de ce que signifiaient liberté et moralité au XVIIIeme siècle, lors de la Constitution des premières Obédiences, et aujourd’hui au XXIème siècle.
A l'époque, pour être reçu dans une Loge maçonnique, l’homme se devait d’être libre, à savoir ni serf, ni esclave, ni soumis à une quelconque autorité lui interdisant de penser ou agir de son propre chef. Cela excluait d’emb1ée les femmes, puisque par définition, elles étaient soumises à leur père, mari, frère ou autre tuteur masculin.
Quant aux valeurs morales, elles étaient enseignées par la religion chrétienne, il s’agissait d’avoir la foi, de respecter la loi divine, en pratiquant la justice, la charité et le respect d’autrui. Depuis lors, quelques révolutions politiques, économiques, technologiques et sociétales, ont sérieusement modifié les règles, bien qu'imparfaites, du « vivre ensemble ».
Je vous fais grâce d’un cours d’histoire générale, à l’exception du virage qui s’est opéré à la moitié du siècle dernier.
Précédemment les lois avaient pour but de préserver un ordre apparent de liberté, de justice et d’égalité pour le bien de la communauté. Mais depuis les années 70, depuis qu’il est « interdit d’interdire ››, que la religion a perdu de son pouvoir ( dans nos pays dits « civilisés ›› ne remplissant plus sa mission de rassemblement, de communion avec les cœurs et les esprits, ni de régulation de nos pulsions primaires, la liberté et la morale ont changé de visage, du moins pour la majorité de nos contemporains profanes.
Le sens du bien commun qu’impliquent les vertus du cœur semble avoir disparu pour faire place à I”intérêt purement personnel.
La pression sociale a toujours existé, au XVIéme siècle E. de la Boétie en a fait une remarquable démonstration dans son « Discours de la servitude volontaire ››. Mais devant le rejet de l’autorité et la déferlante des médias, nul n’aurait pu imaginer à l’époque, les pièges de ce nouvel environnement: il s’agit de la tyrannie du plaisir et de l’impérialisme de l’individu « roi ».
 
Cette analyse expéditive et caricaturale, j'en conviens, a pour but de rappeler que croire que l’homme libre serait celui qui ne subit aucune contrainte, ni extérieure, ni intérieure, qui ne serait dépendant de rien et indépendant de tout, est pure fiction, négation de la réalité.
En effet, chaque élément de l’univers n’est que le maillon d’une chaîne infinie et solidaire.
Le travail du Franc-maçon ne consiste t’il pas à dégrossir sa Pierre afin de lui trouver une place et l’intégrer dans la construction du Temple Universel ? Ce qui implique nécessairement de continuer au dehors le travail accompli dans le Temple, et respecter en premier lieu nos valeurs maçonniques de liberté, moralité et fraternité dans chacune de nos pensées, paroles et actions.
Bien qu”à ce jour les tentations soient de plus en plus envahissantes et variées, je reste convaincue qu”il y aura toujours une proportion constante d'hommes et de femmes justes et bons, qui préfèreront la venu à l’appel des instincts. Ces qualités d'être font partie de ce qu'on attend d’un franc-maçon, d’hier comme d’aujourd’hui.
Avant même de parler de liberté, il nous faut bien, d’abord, prendre conscience et accepter les limites imposées par notre simple condition humaine. Il s’agit évidemment des limites matérielles, mais aussi naturelles et physiques telles que la vie, la mort, la maladie, ou encore la force gravitationnelle, le temps linéaire et autres contraintes.
Puisque évoquées plus haut, je ne reviendrai pas sur les limites humaines liées à la vie de groupe et ses règles indispensables à l’équilibre social, j”en mentionnerai juste un des dangers potentiels... le POUVOIR !
« Qui aime la liberté aime autrui, qui aime le pouvoir n’aime que lui » disait William  Nous savons bien que là où il y a privation de liberté, il y a toujours abus de pouvoir. C’est un outil a double tranchant ; utilisé efficacement, il favorise l'élévation de l'Homme libéré mais lorsqu'il est considéré comme une fin, il le conduit à son avilissement.
Il n’est pas nécessaire de chercher loin pour observer, à tous les niveaux de la hiérarchie maçonnique, les passions se déchaîner jusqu’à l'aveuglement, afin d'obtenir quelque avantage honorifique supplémentaire, ou simplement maintenir un pseudo-pouvoir, en réalité plus égotique qu’initiatique.
Les deniers freins à notre liberté, sont d’ordre immatériel, personnel. Il s’agit, entre autres, des préjugés et de l’ignorance qui engendrent la peur, comme des vices qui servent à masquer nos faiblesses. Tous sont l’expression naturelle de l’instinct de survie, qu’on les appelle mauvaise foi, peur du jugement, orgueil, colère ou jalousie... Si nous ne voulons pas qu’ils deviennent les barreaux de notre prison intérieure, commençons par les reconnaître et les accepter en tant que partie intégrante de notre être profond, de notre dualité.
Parmi les nombreux ennemis de la liberté, il y a tout simplement la peur d’être libre : assumer notre condition, vouloir nous diriger dans l’existence, c’est ne pas nous voiler les difficultés d’un choix, c’est un fardeau terrible à porter (voir « la Nausée ›› de SARTRE). Les illusions, la pensée collective, la caverne de Platon sont tellement plus réconfortantes. Etre libre, c’est trouver en nous-mêmes les ressources nous permettant de nous orienter dans le monde. Il ne tient qu’à nous de partir à la recherche du bien et du vrai.
Adhérer et pratiquer une religion, s’inspirer de la sagesse antique et des traditionnelles ou modernes, ne peuvent suffire à développer notre propre liberté.
Au cours de mes recherches passées, dans ce que j’appellerais ma vie « pre-maçonnique ››, j”avais fait mien cet enseignement de SIDDHARTA GAUTAMA (Bouddha), que je vous cite :
« Ne crois rien parce qu’on t’aura montré le témoignage écrit de quelque sage ancien, ne crois rien sur l’autorité des Maîtres ou des prêtres, mais ce qui s’accordera avec ton expérience, et après une étude approfondie, satisfera ta raison et tendra vers ton bien, Cela tu pourras l’accepter comme vrai et y conformer ta vie ››.
Ce travail intérieur me semble aujourd'hui en parfait accord avec l’esprit maçonnique. Peut-on imaginer une S.'.M.'. qui ne conformerait son jugement qu’à celui d’une autre S. ou sous une quelconque pression extérieure ?
Ces conseils désintéressés furent pour moi une excellente école de liberté de pensée.
Vous l’avez compris, il n’est pas question de renier le savoir des Anciens mais de l’expérimenter et l’intégrer dans son vécu, ce qui fait la grande différence entre le savoir et la Connaissance, entre la lettre et l’esprit.
Savoir c’est enregistrer intellectuellement, tandis que connaître c’est «naître avec », corps-âme-esprit.
Ce chemin intérieur de quête de vérité et de lumière était rude, et mes compagnons de route se limitaient souvent au doute et à la solitude. Il m’aura fallu du temps pour comprendre que sans le soutien bienveillant et l'échange avec des SS. et des FF, partageant cette même soif de justice, d”harmonie et de vérité, je ne progresserai plus.
Il était temps d’accepter de me soumettre à un règlement, à une hiérarchie ou à un engagement dont je ne savais rien avant de frapper à la porte du Temple.
Rappelons ici, brièvement les serments pour lesquels nous nous sommes engagées sur la bible: celui du silence sur nos Travaux, d’obéissance aux lois de l’Alliance Maçonnique, de travail a la prospérité de la Loge, d’assiduité, d’amour et de soutien a l’égard de tous nos SS. et FF. par nos conseils et nos actions, quitte à avoir la gorge tranchée, en cas de manquement à l’un de ces Serments.
Oui, nous nous sommes engagés solennellement devant tous les Maçons présents dans le Temple, en avons-nous pour autant perdu une part de liberté ? Non, parce que nous avons choisi librement.
Ainsi que l’a dit Paulo COELI-l0: « La liberté n'est pas l'absence d'engagement, mais la liberté de choisir ››. Nous avons obéit à notre propre injonction et non pas à une règle extérieure potentiellement incompatible avec nos propres valeurs. Si le Macon a des devoirs, c’est bien envers lui-même et par extension, envers ses frères humains et les lois universelles.
Kant définissait le devoir comme le respect pur et simple à la loi morale. C'est parce que l’être humain est doué d'une conscience
morale qu'il est capable de dépasser le conditionnement animal du besoin.
J 'ajouterai que les valeurs morales forment le cadre en dehors duquel nul Maçonne ne pourrait être reconnue comme telle.
C'est précisément ce qui est demandé à l’Apprentie. Voici l'extrait de son carnet d'instruction que nous connaissons toutes.
3 Question: « Quels sont les devoirs de la Maçonne » ? Réponse : «Vaincre ses passions, soumettre sa volonté et progresser dans la voie initiatique ››.
En effet, comment peut’on chercher la Vérité et la Lumière, si on laisse les passions, les émotions, les préjugés déformer notre jugement, si l’on se ment à soi-même en niant ces zones d’ombre qui dérangent notre conscience ?
Inutile de dire qu’à cet égard, nous sommes des App. permanentes pour ce que tant de fois dans l’athanor il faut reprendre les circulations et épurer, épurer, jusqu’à transmuter.
Il n’y a pas de recette universelle pour apprendre à se connaître, et que l’on se fasse aider, ou pas, ce travail nécessite courage, honnêteté et détermination.
SPINOZA pensait que « les hommes sont conscients de leur action, mais ignorent les causes qui les déterminent. Puis FREUD est passé par là, dévoilant la prépondérance de l’inconscient sur nos choix. Cependant, ni l’un ni l”autre, comme dans la plupart des thérapies cognitives, ne tiennent compte de la dimension spirituelle qui pulse en chaque Homme.
Alors, qu’est-ce qui nous pousse à vouloir évoluer, nous améliorer, répandre un peu plus d’amour et d’harmonie autour de nous, si ce n’est une force invisible et mystérieuse qui transcende notre condition humaine ?
Avant même de se tourner vers le monde extérieur, la SI. Apprentie se doit d’entamer le plus sincèrement possible une descente en elle-même afin d’en dénicher et éclairer les zones d’ombre. Si elle est seule à pouvoir effectuer ce travail intérieur, elle n’en dispose pas moins des outils et symboles de la Franc-maçonnerie, comme le Fil à Plomb, sans oublier l”aide précieuse et bienveillante de ses SS. et du G.A.D.L.U.. C’est en cherchant à éclairer son être, sa pensée et ses mobiles d'action, qu’elle élargira son champ de conscience et donc de liberté.
C’est, par exemple, en écoutant la parole circuler dans le Temple que nous nous confrontons à la divergence de point de vue et que nous nous enrichissons. Surtout, si nous ressentons un malaise, incompréhension ou rejet, cela signifie probablement que la S. s’adresse à un aspect de nous-même que nous préférons éviter, sur lequel nous devons travailler.
Se plonger dans sa vie intérieure ne signifie pas seulement verbaliser, c'est aussi laisser le silence et l'indicible s'exprimer, dans la recherche de son être véritable.
Jusqu”ici, j”ai, en apparence, plus souvent parlé de liberté que de bonnes mœurs, tout simplement parce que les deux sont indissociables. La liberté sans valeurs morales de justice, d’honnêteté, de tolérance, de respect et d’amour de l’autre comme de soi-même, ne peut que générer le chaos. Mais trop de principes moraux dictés par quelque dogme ou éducation castratrice, dévoient le jugement aussi sûrement que l”application de la règle sans émotion. Cela reviendrait à nier la part de divin en chaque être vivant.
C’est pourquoi, en entrant en Franc-maçonnerie, nous nous sommes engagées, entre autres, à jeter nos préjugés, pour apprendre à nous connaître et ouvrir notre conscience à la vérité et la Lumière.
Je souhaiterais aborder dans ce denier paragraphe le délicat sujet du libre-arbitre, qui mériterait une Planche à lui tout seul.
Chacun a sa définition du libre-arbitre, bien difficile à cerner, car il s’agit d'une expérience personnelle, intime, qui s’enrichit et évolue en même temps que la conscience et la connaissance.
Il est évident que tant que la Maçonne n’a pas maîtrisé ses passions, quelles qu’elles soient, soumis sa volonté et éclairé sa conscience en ouvrant son cœur au service du beau et du bien, elle n’a aucun libre arbitre.
Pour Spinoza le libre-arbitre était une illusion, pour DESCARTES ce n'était qu'un support philosophique... De fait tous deux restent prisonniers d'une définition grecque de la destinée; l'homme n'étant qu'un élément du cosmos, sa liberté passe par la connaissance et l'adl1ésion obligatoire à un ordre préétabli.
Que nous nous soumettions aux limites de la condition humaine, passe encore, mais que nous n’ayons aucun choix en tant qu’adulte, devant les événements que la vie nous oblige à traverser, serait nier notre démarche maçonnique. Le simple fait que nous soyons ici réunies, signifie que nous voulons donner un sens a la vie, que nous voulons évoluer et participer à l’amélioration de l’humanité.
Certes ce n’est pas le cas de tous, MOZART disait que tout le monde n’est pas initiable.
Cependant, l’Initiation ne donne pas en cadeau la liberté, elle n’est que le début d’une longue quête de vérité, de connaissance, et par-là même de conscience.
St AUGUSTIN distinguait (je cite) « la liberté est le pouvoir de faire ce que l'on a choisi de faire et le libre-arbitre n'est que le pouvoir de choisir ››.
Ce sujet est également évoqué dans La Genèse (4 27) 3 l'Éternel s'adresse ainsi a Caïn : « Si tu t'améliores, tu pourras te relever, mais si tu ne t'améliores pas, le péché est tapi à ta porte ; il aspire à t'atteindre, mais toi, sache le dominer »
Cela dit, la notion de bien et de mal est trop manichéenne, j’évoquerais plutôt le juste et le beau face à l’ignorance et absence de respect ou d’empathie. Car pour faire la différence entre le bien et le mal, encore faut-il en être conscient et avoir suffisamment expérimenté le choix et ses conséquences. Autrement dit rarement avant 30 ans, plutôt 40, soit, « le midi de la vie ».
La question du déterminisme ne peut pas être ignorée, que la cause en soit génétique ou, selon certaines croyances, l’acquis des vies antérieures. La conscience que l’Homme fait partie de l'harmonie universelle n’est pas la même pour chacun de nous, et certains ne la développeront pas, ce n’est pas dans leur chemin de vie.
En résumé, l'exercice de la liberté plus encore du libre-arbitre, revêt une dimension morale Z elle ne peut se concevoir sans une conscience éclairée et la pratique des vertus qui doivent l’accompagner.
Nous sommes encore peu nombreux, hélas, a avoir cette conscience universelle gravée sur notre disque dur de naissance, et à disposer de plus ou moins de libre-arbitre, en fonction de nos efforts.
Mais, en réalité, avons-nous vraiment le choix ? Car quand on a perçu la lumière, on ne peut plus faire marche arrière.
J’ai dit
Publié dans le Bulim - Bulletin N° 48 - 30 juin 2013  -  Abonnez-vous

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