GLFM Bulletin : Bulim Misraïm 05/2013

Qui donne aux pauvres préte à Dieu

Dans vos fetes d'hiver, riches, heureux du monde,
Quand le bal toumoyant de ses feux vous inonde,
Quand partout à l'entour de vos pas vous voyez Briller
et rayonner cristaux, miroirs, balustres,
candélabres ardents, cercle étoilé des lustres,
et la danse, et la joie au front des conviés.

Tandis qu'un timbre d'or sonnant dans vos demeures
Vous change en joyeux chant la voix grave des heures,
Oh ! songez-vous parfois que, de faim dévoré
Peut-être un indigcnt dans les carrefours sombres
S'arrrête, et voit danser vos lumineuses ombres
Aux vitres du salon doré ?

Songez-vous qu'il est là sous le givre et la neige,
Ce pére sans travail que la famine assiége ?
Et qu'il se dit tout bas : « Pour un seul, que de biens !
À son large festin que d'amis se recrient !
Ce riche est bien heureux, ses enfants lui sourient.
Rien que dans leurs jouets, que de pain pour les miens ! ››.

Et puis à votre fête il compare en son âme
Son foyer où jamais ne rayonne une flamme,
Ses enfants affamés, et leur mere en lambeau,
Et sur un peu de paille, etendue et muette,
L'aïeule, que l'hiver, hélas l a déjà faite
Assez froide pour le tombeau.

Car Dieu mit ses degrés aux fortunes humaines,
Les uns vont tout courbés sous le fardeau des peines ;
Au banquet du bonheur bien peu sont conviés ;
Tous n'y sont point assis egalement à l'aise,
Une loi, qui d'en bas semble injuste et mauvaise,
Dit aux uns : Jouissez ! aux autres : ENVIEZ !

Cette pensee est sombre, amère, inexorable,
Et fermente en silence, au cœur du misérable.
Riches, heureux du jour, qu'endort la volupté,
Que ce ne soit pas lui qui des mains vous arrache,
Tous ces biens superflus où son regard s'attache ;
Oh ! que ce soit la charité !

L'ardente charité, que le pauvre idolâtre !
Mere de ceux pour qui la fonune est marãtre,
Qui releve et soutient ceux qu'on foule en passant,
Qui, lorsqu'il le faudra, se sacrifiant toute,
Comme le Dieu martyr dont elle suit la route,
Dira : Buvez, mangez ! c'est ma chair et mon sang !

Que ce soit elle, oh ! oui, riches, que ee soit elle
Qui, bijoux, diamants, rubans, hoehets, dentelle,
Perles, saphirs, joyaux toujours faux, toujours vains,
Pour nouneir l'indigent et pour sauver vos âmes,
Des bras de vos enfants et du sein de vos femmes
Arrache tout à pleines mains !

Donnez, riches ! L'aumône est soeur de la priere,
Hélas ! quand un vieillard, sur votre seuil de pierre,
Tout roidi par l'hiver, en vain tombe à genoux ;
Quand les petits enfants, les mains de froid rougies,
Ramassent sous vos pieds les miettes des orgies,
La face du Seigneur se détoume de vous.
 
Donnez ! afin que Dieu, qui dote les familles,
Dome à vos tils la force, et la grâce à vos filles ;
Afin que votre vigne ait toujours un doux fruit ;
Afin qu'un blé plus mûr fasse plier vos granges ;
Afin d'être meilleurs ; afin de voir les anges
Passer dans vos rêves la nuit.

Donnez, il vient un jour ou la terre vous laisse
Vos aumônes là-haut vous font une richesse,
Donnez, afin qu'on dise : ll a pitié de nous !
Afin que l'indigent que glaeent les tempêtes,
Que le pauvre qui souffre à côte de vos fêtes,
Au seuil de vos palais fixe un oeil moinsjaloux.

Donnez ! pour être aimés du Dieu qui se tit homme,
Pour que le méchant même en s'inclinant vous nomme,
Pour que votre foyer soit calme et fratemel ;
Donnez ! afin qu'un jour, à votre heure dernière,
Contre tous vos péchés vous ayez la prière
D'un mendiant puissant au ciel.

Janvier 1830
 
Victor Hugo
Publié dans le Bulim - Bulletin N° 47 - 31 mai 2013  -  Abonnez-vous

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