GLFM Bulletin : Bulim Misraïm 02/2013

Le Silence de l’Apprenti Maçon

Quel véritable paradoxe que pour évoquer le silence, il faille nécessairement le briser, il faille nécessairement faire usage de ce qui apparaît de prime abord comme son opposé, son contraire, a savoir le verbe, le son, la parole.
En effet, le silence est avant tout considéré comme une absence de bruits. Mais cette absence de sons perceptibles par 1'homme n'est en aucun cas assimilée au néant, au vide. Le silence n'estjamais synonyme de Rien. Bien au contraire le silence laisse libre cours à notre imagination et de ce fait, se prête à une multitude rfinterprétations. Le silence est donc en soi un Symbole. En Orient, le silence intervient en grande partie dans le secret de la sagesse.

Comment est-il vécu dans la civilisation Egyptienne et en quoi le silence est-il indispensable au cheminement spirituel de l'Apprenti Franc-Maçon. Lorsque qu'un profane frappe à la porte du Temple et demande à être rcçu maçon, lc silcncc est le premier symbole auquel il est confronté et il y sera astreint pendant toute la durée de son apprentissage.

Ainsi, après avoir été introduit dans l'entrée du Temple, le profane est aussitôt pris en main, on lui bande les yeux, on 1'accuei1le, on 1'introduit dans le cabinet de réflexion afin qu'il y rédige son testament philosophique a la lueur d'une bougie. C'est dans ce lieu de désolation et de tristesse qu'il découvre, aprés qu'Anubis l'Expert lui eût ôté son bandeau, l'endroit, les murs noirs du cabinet de reflexion.
Le terme même « cabinet de réflexion » interroge.

Car ici le profane se retrouve tel un prisonnier condamné à mort dans son cachot, contraint de se taire et d'écrire son testament. Tout ceci avant de mourir bien entendu à sa vie profane, c'est-à-dire à sa vie d'avant, celle qui le tenait prisonnier de ses illusions, des apparences, de l'égoïsme et de la mesquinerie. C'est ainsi qu'il est amené à reflechir sur lui-même, sur le sens qu'il a donné à sa vie, qu'il y donne aujourd'hui et parfois en plusieurs points la caverne de Platon ; une cabane initiatique ou un temple. Ici règnent en maîtres, le noir de l'obscurité et le silence absolu nécessaire à la mise en place d’un processus de des hommes enchaînés dans une grotte d'ou ils ne percoivent du monde extérieur que les ombres projetées sur la paroi arrière de leur prison. Lls croient ces images biens réelles alors que la réalité intelligiblc appartient à celui qui séjoume dans la lumière, à l'extérieur de la caveme.

Autrement dit, pour bien réfléchir, il faut se soustraire des bruits, il faut savoir s'abstraire du quotidien, savoir se retirer du monde, rentrer en soi même sans se préoccuper de ce qui se passe à l'extérieur. C'cst la rencontre du dedans, avec notre dedans, qui ne doit pas se laisser distraire par le dehors. Aller dans le dedans ne veut pas dire quitter le monde, le monde vivant et turbulent puisqu'il ne s'agit que d'une mort purement symbolique.
Aller librement dans le dedans, c'est aussi et plutôt pouvoir revenir plus fort et plus sûr de soi dans le dehors. C'est parce que l'être se sent fort de ses bases, de sa solidité acquise par l'initiation qu'il vit le dehors dans une sérénité nouvelle. Le silence pourrait donc être le symbole de ce nouvel Homme qui vient de naître par l'exposition a la lumière et qui doit laisser la Parole le pénétrer par un travail sur lui-même.

Le cabinet de rétlexion apparaît clairement comme un lieu de transmutation, lc cabinet noir où l'alchimie spirituelle fait son oeuvre et commence lentement a imprégner le mental du profane. Car rien de ce qui advient à la lumière, au rayonnement ne se fait dans le bruit et la fureur. La lumière naît des ténèbres, du travail lentement accompli par l'ëtre intérieur qui, peu à peu trouvera son propre soleil, son propre joyau.
Il s'agit de mourir de ce que nous sommes aujourd'hui pour advenir à quelque chose de nouveau. C’est dans le cabinet de réflexion que l'on abandonne ses préjugés ses jugements de valeur où l’on meurt à soi-méme. Le silence du cabinet de réflexion pouiïait ainsi exprimer le deuil de l’égo profane qui autorise l’accés au sacré, tout comme le rituel de la mort dans l'ancienne Egypte est le passage obligé vers la vie éternelle.

Mertséger Déesse du Silence.
La vie terrestre pour les anciens Egyptiens n'est pas considérée comme une tin en soi, mais tout simplement un passage vers la vie étemelle. D'où la place très importante qui y est accordée aux croyances et cérémonies liées à la mort. C'est donc tout naturellement que Mertséger celle qui aime le silence, la protectrice des ouvriers de la région de Deir el-Médineh, près de Thèbes est la Déesse du Silence.

Elle est la protectrice des tombes, tapie dans la fraicheur et le silence qu'elle affectionne ; elle veille sur les morts. De tempérament doux, voire rassurant, Mertséger compte parmi les divinités que le peuple se plaît le plus à adorer. Car Le but ultime de tout Egyptien C'est d'accéder après la mort a la vie éternelle, privilége qui depuis l'antiquité était réservé aux seuls pharaons, puis à la noblesse avant de se démocratiser.
Tout Egyptien se préparait à la mort dés son plus jeune âge car, pour lui, la mort n'est pas une fin mais le début d'une nouvelle vie. Mourir sans sépulture ou a l'étranger est la pire des choses qui puisse arriver à un Egyptien. Il fallait donc penser à faire constniire et décorer sa tombe, son « imakhou » dés que possible, acheter son cercueil, préparer les divers objets que l'on voulait emporter dans sa tombe pour ne manquer de rien, faire des donations ou prévoir l'argent nécessaire pour que les prêtres continuent à rendre les offrandes et le culte...

Mais ce rêve n'était pas accessible au plus grand nombre. Car il fallait pour cela disposer d'importants moyens qui garantissaient l'entretien trés coûteux de ces tombes par ses descendants ou par des prêtres spécialisés. Entre autres conditions, une autorisation royale était requise et il fallait aussi avoir laissé un bon souvenir dans la société. Pour cela il fallait subir le jugement dc l'âme du défunt par le Dieu Osiris. Cest l'épreuve dc la pesée du coeur.

Concrétement comment cela se déroulait ?
Une fois la mort arrivée, le défunt devait, selon la tradition religieuse égyptienne, se faire peser le coeur, le coeur ayant une symbolique de principe vital, d'âme. Le défunt arrive dans un lieu où Osiris siège, entouré d'lsis, de Nephtys. On plaçait le cœur du défiint d'un côté, et dc l'autre, la plume de Mâat - Déesse de l'équilibre, l'harmonie de l'univers. Si le coeur était plus lourd que la plume, Thot, le Dieu à téte d'Ibis, va faire jeter le défunt à la Mangeuse ou Grande dévorante, monstre hybride à corps de lion, téte de crocodile et arrière-train d'hippopotame qui s'en repaît. Et le défunt n'aura pas droit à une sépulture. Par contre si le coeur est plus léger que la plume, c'est qu'il a eu une vie juste. Alors, Osiris lui ouvre les portes de son paradis.
Menseger la Déesse du silence est représentée sous les traits d'un cobra royal femelle et définie comme la fille de Maât.

La Maât
Maât devient à la XVIIIe dynastie fille d'Atoum-Rê le Dieu Créateur. Elle est souvent confondue avec Tefnout, la redoutable liomie solaire. Elle peut ainsi incarner, parfois, une des déesses dites dangereuses. Maât-Tefnout et son frère Shou sont des principes qui a la fois précèdent et apparaissent en même temps que le dieu créateur Atoum-Rê. Elle représente la réussite permanente du cosmos dont témoigne sa présence chaque jour renouvelée à la proue de la barque solaire. Cette perpétuité suppose un effort continu, nécessitant une collaboration des dieux et des hommes par l’intermédiaire du roi.

Ainsi la Maât, « l’ordre juste du monde », l'équilibre de l'univers est au cœur de la compréhension de la civilisation égyptienne toute entière, et elle est le fondement de sa longévité. La plus grande sagesse selon l'Égypte ancienne, c'est de savoir écouter dans le silence, de méditer la parole reçue et d'agir en conséquence. Cela n'est pas étonnant quand on sait l'importance de la langue, des mots prononcés qui sont une substance vivante, une vraie nourriture.

La vie sociale n'est possible que par l'échange d'une parole harmonieuse, qui seule permet l'intégration de l'un et de l'autre dans une dynamique basée sur la confiance des actions qui seront réalisées. Le sourd qui n'écoute pas l'autre, c'est l'insensible, l'indifférent. De ce fait, il n'a pas d'amis et n'est pas intégré dans la société.
Quand on ne communique plus, à l'échelon de l'individu ou de la société, c'est la violence et la loi du plus fort qui s'installent et c'est l'univers entier qui est menacé. Si Apophis, personnification du chaos toujours possible, n'est pas anéanti dans l'Au-dela, c'est la société civile qui sera désorganisée.

Intérêts du silence pour I'Apprenti Franc-Maçon
Par son silence, l'A:. Redevient matiere brute, il devient pierre, cette pierre qu'il va devoir dégrossir et débarrasser des aspérités, pour la rapprocher d'une forme en rapport avec sa d'affiner l'Entendre et le Voir, ces deux sens dévoyés par le profane dans l'écoute et le regard superficiels, pour rendre la Parole intelligible à notre cœur. Observer, s'imprégner du rituel, écouter en silence. Tel n'est-il pas l'essentiel du travail en loge de l'Apprenti Franc Maçon ?

Le nouvel initié plongé dans le silence auquel il est astreint pendant toute la durée de son apprentissage siégera en loge sur la colonne du nord où règne la Lune alors que la colonne du midi est éclairée par le Soleil. La lune est l'astre de la nuit, la dame mystérieuse et intuitive qui éclaire d'une clarté opalescente les ténèbres; sa lumière est omniprésente même dans notresommeil. La lune nous berce, nous fait rêver, cultive et nourrit notre imaginaire, nous imprégné du monde féminin, passif, ouvert, réceptif. Elle veille et protège les apprentis. Sur cette colonne, le SILENCE REGNE. C'est grâce a ce silence que l'apprenti pourra déceler la voix de son cœur, sa propre voix intérieure, qu'il pourra le mieux se nourrir du rituel qu'il découvre. Probablement frustré par la privation de parole au départ, il en sera fort satisfait à l'arrivée. Car de là, il appréciera les avantages de sa position qui lui permet d'observer, d'entendre et d'écouter les Maîtres. Un proverbe persan ne dit-il pas : « celui qui parle sème, celui qui écoute récolte ››.

En observant lc silence, on apprend à être à l’écoute, à modérer ses passions et à approcher de la sérénité nécessaire pour parcourir le parcours caillouteux, chaotique, plein cl’embûches, qui doit conduire à la lumière. Le silence est porteur de semence. Le silence de l”initiation se cache sous le sceau du secret.

Pourquoi garder, dans le mystere un acte qui est censé nous faire avancer ? Parce qu’il est nécessaire au dévoilement progressif de l’âme : ce n'est qu’en grandissant que l'on est mûr, pour approfondir l'enseignement de notre ordre. Le secret n’est pas lié à une vision sectaire, à un non vouloir dire, mais plutôt à un non pouvoir dire, pour éviter, ta.nt aux nouveaux initiés, une mauvaise appréhension des principes maçonniques, qui doivent se vivre et non se dire.

Attention, il ne suffit pas de se taire en apparence. L’on peut trés bien se caparaçonner sous une épaisse cuirasse de silence et être en fait au comble de l’inattention et du bavardage interieur. ll est nécessaire de siastreindre à travailler à dégrossir la pierre brute, avec volonté et persévérance, car seul le travail détermine la progression spirituelle de l'apprenti. Le silence imposé aux apprentis en Loge u’est plus celui du cabinet de réflexion vécu en solitaire. C’est un silence partagé avec tous les frères et toutes les sœurs. En effet, il ne s'agit pas d'imposer un silence absolu, qui detruirait, comme le vide du mutisme. Être astreint au silence pour l’apprenti ce n’est pas uniquement ne pas parler. Un silence qui n’est qu’absence de paroles est vide, vide de vie, vide d’être. Tout au contraire, il devrait procurer à l'apprenti un sentiment aigu d’exister car c’est un silence riche de mille facettes qui va l’habiter et le construire. Le silence de l’apprentissage, e”est le silence de la patience, de celui qui devrait savoir qu'il y a un temps pour parler et un temps pour se taire. C'est le silence de l'humilité, de celui qui reconnaît ses limites.

L’apprenti est celui qui ne sait ni lire ni écrire, et qui accepte alors de s'ouvrir à une autre lumiere.
Le silence ne traduit pas ici ni une absence de pensée, de réflexion ni un désengagement par rapport à ses convictions les plus profondes. Il renvoie donc á l'humilité qui grandit au fur et à mesure que l'on travaille à dégrossir la pierre brute. C’est le silence de l’apaisement, qui empêche de se laisser emporter par l”impulsivité et qui permet de tenir en laisse les passions, puisque l’apprenti est aussi celui qui vient vaincre ses passions. C’est le silence de l’égalité.

Il est imposé à tous les apprentis quels que soit leur âge, leur niveau de savoir, leur position sociale. C'est le silence de l'anéantissement des égos. Tous les maçons ne font-il pas le sennent de garder ce même silence auquel ils sont autant astreints que les Apprentis lors des travaux en Loge sauf si la parole leur est accordée par le Vénérable Maître Amon-Re, à la demande du Premier Surveillant Ptah.
En Guise de Conclusion, Élevé à sa véritable dimension, le silence est avant tout une discipline liberatrice qui doit distinguer le sage, l’initié, le maçon, le philosophe de tout autre.

Rappelons dans ce contexte que le temple de Salomon a été constmit en silence, tout travail bruyant ayant été effectué au loin et seul l’assemblage d’eléments préfabriqués a été fait sur place.

Sur ce, je jure de me retirer en en silence.

J'ai dit VM
Publié dans le Bulim - Bulletin N° 44 - 28 février 2013  -  Abonnez-vous

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