GLFM Bulletin : Bulim Misraïm 09/2012

Le Silence de l’Apprenti


Quel véritable paradoxe que pour évoquer le silence, il faille nécessairement faire usage de ce qui apparaît de prime abord comme son opposé, son contraire, à savoir le verbe, le son, la parole.
En effet, le silence est avant tout considéré comme une absence de bruits. Mais cette absence de sons perceptibles par l'homme n'est en aucun cas assimilée au néant, au vide. Le silence n'est jamais synonyme de Rien. Bien au contraire le silence laisse libre cours à notre imagination et de ce fait, se prête à une multitude d'interprétations. Le silence est donc en soi un Symbole, En Orient, le silence intervient en grande partie dans le secret de la sagesse. Comment est-il vécu dans la civilisation Egyptienne et en quoi le silence est-il indispensable au cheminement spirituel de l'Apprenti Franc-Maçon ? Lorsqu'un profane frappe a la porte du Temple et demande à être reçu maçon, le silence est le premier symbole auquel il est confronté et il y sera astreint pendant toute la durée de son apprentissage.

Ainsi, après avoir été introduit dans l'entrée du Temple, le profane est aussitôt pris en main, on lui bande les yeux, on l'accueille, on l'introduit dans le cabinet de réflexion afin qu'il y rédige son testament philosophique à la lueur d'une bougie. C'est dans ce lieu de désolation et de tristesse qu'il découvre, après qu’Anubis l'Expert lui eût ôté son bandeau, l'endroit, les murs noirs du cabinet de réflexion. Le terme même « cabinet de réflexion » interroge. Car ici le profane se retrouve tel un prisonnier condamné à mort dans son cachot, contraint de se taire et d'écrire son testament. Tout ceci avant de mourir bien entendu à sa vie profane, c'est-à-dire a sa vie d'avant, celle qui le tenait prisonnier de ses illusions, des apparences, de l'égoïsme et de la mesquinerie. C'est ainsi qu'il est amené à réfléchir sur lui-même, sur le sens qu'il a donné à sa vie, qu'il y donne aujourd’hui et parfois également sur son absence de sens, ou sur la difficulté qu'il a à lui donner un sens.
Ce lieu clos et sombre au décor macabre rappelle en plusieurs points la caverne de Platon, une cabane initiatique ou un temple. Ici règnent en maîtres, le noir de l'obscurité et le silence absolu nécessaire à la mise en place d'un processus de méditation.
Le mythe de la Caverne de Platon met en scène des hommes enchaînés dans une grotte d'où ils ne perçoivent du monde extérieur que les ombres projetées sur la paroi arrière de leur prison. Ils croient ces images biens réelles alors que la réalité intelligible appartient à celui qui séjourne dans la lumière, à l'extérieur de la caverne. Autrement dit, pour bien réfléchir, il faut se soustraire des bruits, il faut savoir s’abstraire du quotidien, savoir se retirer du monde, rentrer en soi même sans se préoccuper de ce qui se passe à l'extérieur. C'est la rencontre du dedans, avec notre dedans, qui ne doit pas se laisser distraire par le dehors. Aller dans le dedans ne veut pas dire quitter le monde, le monde vivant et turbulent puisse qu'il ne s'agit que d'une mort purement symbolique.

Aller librement dans le dedans, c'est aussi et plutôt pouvoir revenir plus fort et plus sûr de soi dans le dehors. C'est parce que l'être se sent fort de ses bases, de sa solidité acquise par l'initiation qu'il vit le dehors dans une sérénité nouvelle. Le silence pourrait donc être le symbole de ce nouvel Homme qui vient de naître par l'exposition à la lumière et qui doit laisser la Parole le pénétrer par un travail sur lui-même.
Le cabinet de réflexion apparaît clairement comme un lieu de transmutation, le cabinet noir ou l'alchimie spirituelle fait son œuvre et commence lentement à imprégner le mental du profane. Car rien de ce qui advient à la lumière, au rayonnement qui ne se fait dans le bruit et la fureur. La lumière naît des ténèbres, du travail lentement accompli par l'être intérieur qui, peu à peu trouvera son propre soleil, son propre joyau.
Il s'agit de mourir de ce que nous sommes aujourd'hui pour advenir à quelque chose de nouveau. C”est dans le cabinet de réflexion que l’on abandonne ses préjugés ses jugements de valeur ou l’on meurt à soi-même. Le silence du cabinet de réflexion pourrait ainsi exprimer le deuil de l’ego profane qui autorise l'accès au sacré, tout comme le rituel de la mort dans l'ancienne Egypte est le passage obligé vers la vie éternelle.
La vie terrestre n'est pas considérée comme une fin en mais tout simplement un passage vers la vie éternelle.
D'ou la place très importante qui y est accordée aux croyances et cérémonies liées à la mort.

C’est donc tout naturellement que Mertséger - celle qui aime le silence - la protectrice des ouvriers de la région de Deir el-Médineh, près de Thèbes est la Déesse du Silence.
Elle est la protectrice des tombes, tapie dans la fraîcheur et le silence qu'elle affectionne ; elle veille sur les morts. De tempérament doux, voire rassurant, Mertséger compte parmi les divinités que le peuple se plaît le plus à adorer.
Car Le but ultime de tout Egyptien c’est d’accéder après la mort à la vie éternelle, privilège qui depuis l'antiquité était réservé aux seuls pharaons, puis à la noblesse avant de se démocratiser.
Tout Egyptien se préparait à la mon dès son plus jeune âge car, pour lui, la mort n'est pas une fin mais le début d'une nouvelle vie. Mourir sans sépulture ou à l'étranger est la pire des choses qui puisse arriver à un Egyptien. Il fallait donc penser à faire construire et décorer sa tombe, son ”imakhou” dés que possible, acheter son cercueil, préparer les divers objets que l'on voulait emporter dans sa tombe pour ne manquer de rien, faire des donations ou prévoir l'argent nécessaire pour que les prêtres continuent à rendre les offrandes et le culte...
Mais ce rêve n'était pas accessible au plus grand nombre. Car il fallait pour cela disposer d'importants moyens qui garantissaient l'entretien très coûteux de ces tombes par ses descendants ou par des prêtres spécialisés.
Entre autres conditions, une autorisation royale était requise et il fallait aussi avoir laissé un bon souvenir dans la société. Pour cela il fallait subir le jugement de l'âme du défunt par le Dieu Osiris. C'est l'épreuve de la pesée du cœur.

Concrètement comment cela se déroulait ?

Une fois la mort arrivée, le défunt devait, selon la tradition religieuse égyptienne, se faire peser le cœur, le cœur ayant une symbolique de principe vital, d'âme. Le défunt arrive dans un lieu où Osiris siège, entouré d'Isis, de Nephtys.
On plaçait le cœur du défunt d'un côté, et de l'autre, la plume de Maât - Déesse de l'équilibre, l'harmonie de I'univers. Si le cœur était plus lourd que la plume, Thot le Dieu à tête d'lbis, va faire jeter le défunt à la Mangeuse ou Grande dévorante, monstre hybride à corps de lion, tête de crocodile et arrière-train d'hippopotame qui s'en repaît. Et le défunt n'aura pas droit à une sépulture. Par contre si le cœur est plus léger que la plume, c'est qu'il a eu une vie juste. Alors, Osiris lui ouvre les portes se son paradis. Mertseger la Déesse du silence est représentée sous les traits d'un cobra royal femelle et définie comme la fille de Maât.

Maât devient à la XVIIIe dynastie fille d'Atoum-Ré le Dieu Créateur. Elle est souvent confondue avec Tefnout, la redoutable lionne solaire. Elle peut ainsi incarner, parfois, une des déesses dites dangereuses.
Maât-Tefnout et son frère Shou sont des principes qui à la fois précèdent et apparaissent en même temps que le Dieu créateur Atoum-Ré. Elle représente la réussite permanente du cosmos dont témoigne sa présence chaque jour renouvelée à la proue de la barque solaire. Cette perpétuité suppose un effort continu, nécessitant une collaboration des dieux et des hommes par l’intermédiaire du roi.
Ainsi la Maât, "l'ordre juste du monde", l'équilibre de I'univers est au cœur de la compréhension de la civilisation égyptienne toute entière, et elle est le fondement clé sa longévité. La plus grande sagesse selon l'Égypte ancienne, c'est de savoir écouter dans le silence, de méditer la parole reçue et d'agir en conséquence. Cela n'est pas étonnant quand on sait l'importance de la langue, des mots prononcés qui sont une substance vivante, une vraie nourriture.

La vie sociale n'est possible que par l'écl1ange d'une parole harmonieuse, qui seule permet l'intégration de l'un et de l'autre dans une dynamique basée sur la confiance des actions qui seront réalisées. Le sourd qui n'écoute pas l'autre, c'est l'insensible, l'indifférent. De ce fait, il n'a pas d'amis et n'est pas intégré dans la société. Quand on ne communique plus, à l'échelon de l'individu ou de la société, c'est la violence et la loi du plus fort qui s'installent et c'est I'univers entier qui est menacé. Si Apophis, personification du chaos toujours possible, n'est pas anéanti dans l'Au-delà, c'est la société civile qui sera désorganisée.

Intérêts du silence pour l'Apprenti Franc-Maçon
Par son silence, l'App:. Redevient matière brute, il devient pierre, cette pierre qu'il va devoir  dégrossir et débarrasser des aspérités, pour la rapprocher d'une forme en rapport avec sa destination. Le Silence doit nous permettre de retrouver et d'affiner l'Entendre et le Voir, ces

deux sens dévoyés par le profane dans l'écoute et le regard superficiel, pour rendre la Parole intelligible à notre cœur. Observer, s'imprégner du rituel, écouter en silence. Tel n'est-il pas l'essentiel du travail en loge de l'Apprenti Franc-Maçon ? Le nouvel initié plongé dans le silence auquel il est astreint pendant toute la durée de son apprentissage siégera en loge sur la colonne du nord ou règne la Lune alors que la colonne du midi est éclairée par le Soleil.

La lune est l'astre de la nuit, la dame mystérieuse et intuitive qui éclaire d'une clarté opalescente les ténèbres; sa lumière est omniprésente même dans notre sommeil. La lune nous berce, nous fait rêver, cultive et nourrit notre imaginaire, nous imprègne du monde féminin, passif, ouvert, réceptif. Elle veille et protège les apprentis. Sur cette colonne, le SILENCE REGNE. C'est grâce à ce silence que l'apprenti pourra déceler la voix de son cœur, sa propre voix intérieure, qu'il pourra le mieux se nourrir du rituel qu'il découvre.

Probablement frustré par la privation de parole au départ, il en sera fort satisfait à l'arrivée. Car de là, il appréciera les avantages de sa position qui lui permet d'observer, d'entendre et d'écouter les Maîtres. Un proverbe persan ne dit-il pas : « celui qui parle sème, celui qui écoute récolte » En observant le silence, on apprend à être à l'écoute, à modérer ses passions et à approcher de la sérénité nécessaire pour parcourir le parcours caillouteux, chaotique, plein d’embûches, qui doit conduire à la lumière. Le silence est porteur de semence.

Le silence de l'initiation se cache sous le sceau du secret. Pourquoi garder, dans le mystère un acte qui est sensé nous faire avancer ? Parce qu'il est nécessaire au dévoilement progressif de l’âme : ce n’est qu’en grandissant que l'on est mûr, pour approfondir l’enseignement de notre ordre. Le secret n’est pas lié à une vision sectaire, à un non vouloir dire, mais plutôt à un non pouvoir dire, pour éviter, tant aux nouveaux initiés, une mauvaise appréhension des principes maçonniques, qui doivent se vivre et non se dire.

Attention, il ne suffit pas de se taire en apparence. L’on peut très bien se caparaçonner sous une épaisse cuirasse de silence et être en fait au comble de l'inattention et du bavardage intérieur. Il est nécessaire de s’astreindre  à travailler à dégrossir la pierre brute, avec volonté et persévérance, car seul le travail détermine la progression spirituelle de l’apprenti. Le silence imposé aux apprentis en Loge n’est plus celui du cabinet de réflexion vécu en solitaire. C’est un silence partagé avec tous les frères et toutes les sœurs.

En effet, il ne s’agit pas d'imposer un silence absolu, qui détruirait, comme le vide du mutisme. Être astreint au silence pour l’apprenti ce n’est pas uniquement ne pas parler. Un silence qui n’est qu’absence de paroles est vide, vide de vie, vide d’être. Tout au contraire, il devrait procurer à l’apprenti un sentiment aigu d'exister car c'est un silence riche de mille facettes qui va l'habiter et le construire. Le silence de l’apprentissage, c’est le silence de la patience, de celui qui devrait savoir qu'il y a un temps pour parler et un temps pour se taire.

C’est le silence de I'humilité, de celui qui reconnaît ses limites. L'apprenti est celui qui ne sait ni lire ni écrire, et qui accepte alors dé s'ouvrir à une autre lumière. Le silence ne traduit pas ici ni une absence de pensée, de réflexion ni un désengagement par rapport à ses convictions les plus profondes. Il renvoie donc à l'humilité qui grandit au fur et a mesure que l”on travaille à dégrossir la pierre brute. C’est le silence de l'apaisement, qui empêche de se laisser emporter par l’impulsivité et qui permet de tenir en laisse les passions, puisque l’apprenti est aussi celui qui vient vaincre ses passions.

C’est le silence de l'égalité. Il est imposé à tous les apprentis quel que soit leur âge, leur niveau de savoir, leur position sociale. C'est le silence de l'anéantissement des ego. Tous les maçons ne font-il pas le serment de garder ce même silence auquel ils sont autant astreints que les Apprentis lors des travaux en Loge sauf si la parole leur est accordée par le Vénérable Maître Amon-Ré, a la demande du Premier Surveillant Ptah.

En Guise de Conclusion : Élevé à sa véritable dimension, le silence est avant tout une discipline libératrice qui doit distinguer le sage, l’initié, le maçon, le philosophe de tout autre.

Rappelons dans ce contexte que le temple de Salomon a été construit en silence, tout travail bruyant ayant été effectué au loin et seul l'assemblage d’éléments préfabriqués a été fait sur place.

Sur ce, je jure de me retirer en silence

J’ai dit,

F\ Ray\ Tsi\ – RL Neter 31
Publié dans le Bulim - Bulletin N° 39 - 30 septembre 2012  -  Abonnez-vous

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