GLFM Bulletin : Bulim Misraïm 06/2012

Le devoir de l’Initié

Si nous sommes ici ce soir, c’est que nous croyons tous en la valeur de l'épreuve, que nous croyons en la voie initiatique qui va nous faire cheminer en compagnie.

Nous y croyons, en cette valeur, et nous avons foi en ce à quoi elle nous incite. Si la croyance est l'adhésion intellectuelle à une idée, a un savoir élaboré par la raison, la foi est confiance; la confiance de l'oiseau qui déploie  les ailes et se laisse glisser sur l'air qu'il ne voit pas mais dont il a, par son vécu, une certitude.

 En un premier temps, essayons simplement de cerner ce qu'est l’initiation, voyons ensuite comment elle implique certaines règles (voire la Règle), donc des devoirs ensuite réfléchissons en quoi consiste le Devoir, ainsi que les devoirs de l’initié.

Il y a avant tout, dans notre démarche, ce désir, cette quête. Qui sait, au début, un clignotement de l'Etoile dans le ciel nocturne qui nous a mis en route. Puis l’aventure, la pérégrination, l'espoir de la rencontre. Les astres ont tracé leurs voies dans nos cœurs, dans cette obscurité du temps.

Ici, nous sommes comme les descendants des Pharaons et du peuple de l’Egypte ancienne, et pourtant nous sommes les plus pauvres des êtres, dépouillés de nos métaux, sachant notre vie vouée à cette recherche. D’un geste du tranchant de la main, nous nous sommes décapités pour signer la perte volontaire de notre propre chef. Pour avoir entrevu une faible lueur, un court instant, nous payons ce tribut, volontiers. Nous sommes là au nom de cette gloire qui rayonne du delta lumineux, éclairant nos travaux.

C'est dorénavant ici que nous poursuivons notre chemin, entre les colonnes, sur la voie du milieu, la voie juste, entre Justice et Miséricorde. Nous n’y trouvons rien de ce que nous cherchions. Mais ce que nous y recevons, nous ne pouvions même pas soupçonner que cela fut, que cela soit. Nous y apaisons nos passions. Nos sens ne nous masquent plus la réalité quotidienne. Ici, il n’est rien à savoir avec la raison. Cette connivence avec l’universel se vit comme un amour secret, indicible. Avec une tranquille patience, nous apprenons à ouvrir notre âme à l’aurore, au jour qu’il nous faut faire sortir, à l’orée de la Sagesse, de la Force et de la Beauté.

Ici, en cette loge, en ce temple, avec cette qualité aiguisée de perception, nous vivons une expérience exceptionnelle. Celle de la révélation naturelle d’une profondeur intérieure dont la présence nous insuffle la force de réaliser des choses qui, sinon, nous seraient impossibles et invisibles. Elle nous donne accès à une liberté, un détachement qui nous délivrent de la peur de mourir. C’est le postulat de toute initiation: il est possible pour l'homme de retrouver la perception de l'Être, c'est à dire le Maître intérieur (Augustin) présent en tout et, en premier lieu, en nous.

La confrontation à l’Autre réduira progressivement cette unité ; Paradis perdu avec l’entrée dans le monde de la dualité : la connaissance du bien et du mal, du moi et de l’autre., du noir et du blanc, comme sur notre pavé mosaïque. Mais, il n'y a pas d’opposition réelle entre la dimension ordinaire du vécu quotidien et cette perception élargie. L’un enrichit l’autre et réciproquement pour former un tout unifié : ce qui était séparé, éparpillé est rassemblé, comme le fut le corps d’Osiris par Isis.

"Initiare" signifie ouvrir la voie au mystère.

Une voie n’est pas un but c’est un moyen, l’initié est toujours en chemin. Il est le chemin. Il doit sans cesse avancer. Et pour celui qui est appelé à cette ouverture du chemin, il incombe des devoirs car l’acte moral doit se situer sur le plan de la recherche d’un bien universel et non d'une satisfaction personnelle. Agir par devoir, c’est agir non pas en prenant en compte ses propres intérêts, mais en voyant à chaque fois ses actes sur un devoir semble pour lui, le Devoir suppose la volonté et la bonne volonté repose sur la pureté des intentions de l’homme. Rien à voir avec la contrainte. Il distingue ainsi deux sortes de devoir, selon leur centralité :

- Celui qui est déterminé par ce qu’il nomme l’impératif hypothétique. C’est : « si tu veux... alors » , maxime particulière assujettie à l’intérêt que l’on y a. Ce sont les conseils de prudence, voire la recherche d’un moyen technique... On est dans le subjectif, dans le monde sensible.

- Celui qui est déterminé par ce qu’il nomme l’impératif catégorique. Le Devoir dépend uniquement de la personne, les valeurs y sont au plus élevé: le fondement de la démarche est la moralité, la rectitude morale.

Or, en FM l'Équerre est le symbole de cette rectitude morale et physique, et ici a Misraïm, un Neter à lui seul représente cette loi et cette rectitude : Maåt. Souvenons-nous des confessions négatives : « Je n’ai pas fait ceci ou cela... ». Les devoirs de l’initié relèvent bien de ce domaine de l’impératif allégorique.

Agir par devoir, c'est agir sans y être poussé, en dehors de toute contrainte qui pèserait sur notre volonté, en toute autonomie, par pure obéissance à un ordre de la raison que l' on se donne à soi-même. Or agir en toute autonomie, c'est agir librement. Agir par devoir, c'est agir librement. (Kant, extrait de Critique de la Raison Pratique)

Dans l’élan de l'amour, le devoir perd son caractère humiliant. Seul l’amour rend le devoir spontané, car il découle alors de la simple joie du don. I.'obéissance en effet n'a de sens que chez un sujet capable de désobéissance, non déterminé machinalement à accomplir ce qu'il considère être son devoir, un sujet capable de choisir le mal, libre en un mot - avec tout ce que cela implique de possible déchéance. Il n'y a pas de devoir d'obéissance, il n’y a d'obéissance qu'à soi-même.

L’action accomplie librement par devoir est révélatrice d'une dualité intérieure. Dans l'acte accompli par devoir la sensibilité se soumet à la raison. L'accomplissement du devoir témoigne ainsi de l'existence en l'homme d'une double nature, sensible et intelligible, en relation hiérarchique de subordination de l'une (sensible) à l'égard de l'autre (rationnelle).

Remplacer: «je dois ›› par «je veux››. Le devoir, malgré une connotation religieuse, qui a longtemps dévalorisé son sens dans une société désacralisée, rends à la notion de droit toute sa valeur.

Comment savoir que l’on a « bien » rempli son devoir: en se regardant dans le petit miroir en forme de clef de vie offerte lors de l’initiation... On n’a pas à rougir de ce que l’on y voit.

Quels sont alors les devoirs de l’Initié Franc-maçon ?

Si en fait il n'y a de devoir qu'envers soi-même... Ce devoir primordial, unique, entraîne inéluctablement tous les autres devoirs :

On peut distinguer trois familles principales :
- l’approfondissement de l’expérience,
- le développement humain du corps et de 1’âme,
- la transmission et le rayonnement.

Le premier devoir est de progresser sans cesse et de travailler à se rendre de plus en plus transparent à la lumière qui nous habite et veut éclairer. Ce premier travail suppose que l’on ne s’attache à aucune des conceptions figées ou nous engage la conscience rationnelle. Il faut au contraire retrouver le monde des symboles, des mythes, des archétypes, l’incroyable trésor transmis au travers des siècles depuis l'antique civilisation égyptienne. Et ainsi prendre conscience des forces engendrées en nous par cette union avec la Vie...

Redevenir nomade, aller vers soi-même...

Savoir qu’en quittant les lieux connus sans se retourner, nous traverserons un désert. Aucune construction humaine ne nous arrêtera longtemps, aucun dogme, aucune idée. Cette expérience de l’indicible exige une vigilance de chaque instant : « vigilance et persévérance ».

De cette expérience, de ce travail naîtra la connaissance. Comment cultiver ce jardin secret ? Avec les outils que propose l'Initiation: le silence, l’intériorisation, la méditation. Le chemin initiatique est une voie en creux. C’est le lieu ou l’on découvre ce qui n’est pas. Un lieu ou les constructions du mental tombent les unes après les autres. Une route qui mène de désillusion en désillusion et de commencement en commencement. Un lieu où la personnalité ancienne se dissout... Il est donc indispensable, pour avancer, de lâcher prise. De lâcher tous les vouloirs du Moi ; voilà sans doute le plus long et le plus dur de tous les travaux. C’est cette mort du Moi et de sa propension à construire des supputations qui ouvre la possibilité, la chance de l’expérience de l’Etre et la découverte du Maître intérieur. Ce Maître n'est pas celui qui nous confirme dans nos convictions, nos croyances ; il est celui qui encourage le doute.

Le chemin initiatique ne nous confortera certainement pas dans nos certitudes. Le chemin ne conduit pas à une perfection, mais à un perfectionnement. Il n'est pas de lieu ni d’état qui permette de se croire arrivé.

Toujours bouger, toujours avancer...

La deuxième famille de devoirs concerne la Maîtrise du corps et l’âme. Ici, aux Enfants d’Horus, entre pratiquants des arts martiaux, cette notion peut paraître redondante. Mais il y a les gestes et le rituel :

Les gestes sont le symbole en mouvement.

Notre devoir est de les pratiquer avec rigueur et ferveur, en suivant l'équerre et la perpendiculaire.

La tenue : c’est aussi sa tenue, savoir se tenir, se retenir, se contenir tant sur les parvis qu’en loge que sur le forum...

L’assiduité: nécessaire si l'on veut avancer, mais aussi connaître la vie de sa loge et de son obédience. Être présent, c’est être présent à sa loge, à ce qui s’y déroule, à son obédience, à la Fraternité. Ici, on dit et l’on fait Maât.

Lorsqu'il prête son obligation, Le Maçon s'engage a respecter les valeurs et les règles de l'Ordre maçonnique. Au devoir d'assiduité s'ajoutera celui de la discrétion. Et ce n'est pas que du secret : c’est la discipline de l’Arcane, le secret des mystères. Nos signes d’ordre sont aussi des signes pénaux qui nous rappellent quels châtiments nous attendent si on y faillit et ces peines, dans l’exécution du signe d’ordre du grade, nous nous les infligeons à nous-même, encore et encore. La Maîtrise de l’âme: ce sont les exercices spirituels, l’étude des textes sacrés, des religions et des mythologies, la méditation, l’instruction,. Maîtriser les passions certes, mais apprendre la concentration, le recueillement et faire en soi le Silence intérieur, celui qui permet l’accueil de la Parole, l’éclosion du Verbe. Gardons-nous de dévoyer ce que des millénaires, depuis les

Maçons d'Egypte, ont porté, intact, comme un précieux trésor sur les vagues du temps. Ne perdons pas son esprit dans la lettre. Ce sera là le devoir de transmission.

Transmettre par ce qui irradie de nous, dans le monde : qu’ici, il n’y a pas de dogme, qu’ici, il n“y a pas de prosélytisme. Simplement une lumière intérieure qui rayonne sans que sa source soit détectable aux profanes et qui se propage par contagion d’être de désir à être de désir. Le Maçon est exemple par son comportement. ›› Quelle belle harmonie quand le dire et le faire vont ensemble» disait Montaigne. Le Maçon est le levain de la Société, il y œuvre dans le calme, sans ostentation. Sans épreuves, il n’est pas de progrès. On ne saurait recevoir la Lumière, si d’abord on n’a pas su franchir certains obstacles, surmonter certaines épreuves, si ensuite on n’a pas suivi un itinéraire, ce qui prend du temps, le temps de l’e'panouissement, de l’accomplissement, passant de l’initiation « virtuelle » à l’initiation «  réelle » (Guénon), transformant une espérance en une certitude, une promesse en une réalité, un chemin de connaissance en un chemin de vie.

« Apprenons à devenir ce que nous sommes déjà, car nous sommes Un, mais nous ne le savons pas encore » : Maître Eckhart.

Avant de laisser la place qui lui revient au silence qui est notre ami et devrait devenir notre maître, au silence vrai qui fait mûrir en nos cœurs la lumière, évoquons notre chaîne d`union : « Réjouissons-nous du travail loyalement accompli, efforçons nous de le conduire chaque jour davantage, fortifions en nos cœurs l`amour de notre prochain, et le sentiment de nos devoirs, comme nous nous vouons au service de la vérité une et immuable, de la liberté, de l`égalité et de la fraternité... ››.

J’ai dit VM\
Publié dans le Bulim - Bulletin N° 38 - 30 Juin 2012  -  Abonnez-vous

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