GLFM Bulletin : Bulim Misraïm 12/2011

La Transmission

« Ancrage dans le passé, invention du futur : la perpétuation de la Franc-Maçonnerie correspond-elle simplement à l’impératif naturel de transmission ? ». En d’autres termes : mes FF\ F\ M, ne sommes-nous ici et maintenant que parce que d’autres nous ont précédés depuis la nuit des temps et ont naturellement tenu à transmettre leur savoir et

leurs valeurs ? A l’inverse, notre appartenance à la F\ M\ n’est-elle que le fruit de notre initiative propre ? Sans doute un peu des deux et d’autres encore, mais cela mérite réflexion. La question posée concerne principalement les termes de transmission et de continuité.

Que nous dit le Larousse Universel de 1923 ? Pour le terme transmission : Transmettre, du latin transmittere : faire parvenir (un ordre par exemple), faire passer par mutation ou par succession, propager d’un endroit à un autre. Transmission, du latin transmissio : action de transmettre, propagation d’un milieu dans un autre (le son par exemple), communication d’un organe mécanique à un autre (au début par une corde et deux poulies, puis par courroies ou par engrenages), passage à la descendance de certains caractères transmissibles des parents, passage d’une maladie par communication d’un individu à un autre.

Pour le terme continuité : Liaison non interrompue des parties (la continuité des vertèbres forme l’épine dorsale), reproduction prolongée (d’un bruit par exemple). Le principe de continuité est une loi d’après laquelle des changements qui surviennent dans les êtres ne s’y produiraient que par degrés insensibles.

Perpétuer signifie faire durer toujours ou longtemps (les pyramides perpétuent le souvenir des pharaons).
Le mot transmission pose naturellement 3 questions : de quoi ? Entre qui ? Et plus précisément : Par qui ? À qui ? Pourquoi ?
Je ne parlerai ce soir que de ce qui nous intéresse, et donc aucunement des biens matériels.
Nous sommes aujourd’hui dans le spéculatif. Nous pouvons vouloir transmettre des valeurs, un chemin de vie (une expérience) ou encore un but.

Mais nous venons de l’opératif. Ce qui était à transmettre alors était une organisation, des rôles, des savoir-faire mais aussi les valeurs liées à l’apprentissage (écoute, modestie, patience, solidarité, etc.).

Transmission par qui ? à qui ?

Les combinaisons sont infinies. Les plus évidentes sont les suivantes de l’ascendant au descendant, du maître à l’élève, de l’initié au profane ou à un autre initié, en réalité de n’importe quel humain (ou animal) à n’importe quel autre humain (ou animal).

Pourquoi vouloir transmettre ?

Plusieurs raisons. La première est simplement notre nature. C’est le désir de vivre qui maintient l’homme en vie. Nous ne sommes pour rien dans cette force, elle nous est donnée à la naissance, elle est partie intégrante de nous- mêmes. L’homme ou la femme savent très bien que leur avenir passe par la mort, certains même pensent qu’il y prend fin. Mais personne ne veut réellement mourir, tant l’instinct de vie est fort. La meilleure façon de ne pas mourir, pensons- nous instinctivement, est de faire un enfant à qui nous transmettons la vie, notre propre vie voudrions-nous.

Le Créateur a doté tout être vivant (végétal, animal ou humain) d’un instinct – associé à un plaisir – afin d’assurer sa reproduction. La femme a un véritable instinct de maternité même si certaines, par impossibilité ou par convenance personnelle ou encore pour se consacrer à une mission supérieure, ne le suivent pas. Cet instinct permet de transmettre la vie et par la même occasion les gènes du père et de la mère.

Cette transmission nous apporte l’épanouissement et le bonheur, qui ne vont pas bien entendu sans difficultés. Elle nous fait croire à la survie, elle nous assure de l’éternité, à moins qu’il ne s’agisse d’une illusion auto- entretenue. Outre la vie, la transmission porte aussi sur l’expérience et sur les valeurs. Quoi de plus sécurisant pour les parents que d’apprendre au bébé à se tenir debout puis à marcher puis à parler puis à lire et compter ? Quoi de plus utile pour l’enfant que les encouragements au travail, l’aide à la découverte des valeurs du respect et de l’amour ? Quoi de meilleur pour les parents, à l’âge mûr, de voir vivre leurs enfants dans l’autonomie et la sagesse ?

La transmission peut aller plus loin. Une seconde raison a trait à la responsabilité que chacun se donne, au sens du devoir qu’il se fixe. C’est, vue positivement, la conception des leaders qui ont une vision, déterminent une stratégie et conduisent ceux qui les suivent sur un chemin qu’ils estiment viable, vers un but qu’ils estiment à leur portée. Certains se consacrent à une mission qui dépasse leur personne : c’est le cas des prêtres ou des pasteurs par exemple, des religieux en général. A propos de devoir, la transmission par les enseignants est un bel exemple. Il est en effet nécessaire et indispensable de former les jeunes et les moins jeunes pour leur donner de justes chances de progrès. L’enseignant transmet son savoir mais aussi ses valeurs et plus généralement la vision qu’il a de son environnement global.

J’ai une certaine expérience de l’enseignement et je peux attester que cette transmission-là, outre le plaisir qu’elle procure car le retour existe de la part des enseignés, donne un véritable sens au travail et justifie pleinement l’implication qu’elle exige. Apprendre à quelqu’un les bases d’un métier, lui dire ce que sont les pièges à éviter le guider dans l’expression et dans l’action : autant de raisons de se sentir utile, l’une des grandes aspirations de chacun. Abordons maintenant la transmission de l’initié F∴ M∴ à un tiers, qu’il soit initié lui-même ou bien profane. Au sein de son atelier, l’Apprenti se tait, écoute et reçoit : ses FF.-. le font bénéficier de leur expérience au-travers de la formation, des planches, des comportements dans certaines situations.

Cette transmission est naturelle, elle fait suite à celle dont ils ont en leur temps bénéficié eux aussi. L’Apprenti devenu Compagnon puis Maître aura naturellement à cœur d’apporter à ses FF\ et plus spécialement aux jeunes initiés les bribes de Lumière qui, pense-t-il, l’éclairent un peu. Et puisqu’on lui a répété à l’issue de chaque Tenue qu’il fallait maintenant porter au- dehors la Lumière reçue dans le Temple, sa responsabilité permanente est de transmettre aux profanes, ses FF\ dans la vie, un peu de cette Lumière, de quoi éclairer un chemin et marcher vers un but, bref tâcher de donner l’exemple d’un comportement à suivre. «L’impératif naturel de transmission» a été traité. Parlons maintenant du début de la question «Ancrage dans le passé, invention du futur». Certains disent parfois que l’expérience est intransmissible. La possibilité de transmettre dépend de la pédagogie de l’émetteur (celui qui transmet) et de l’écoute du récepteur (celui qui reçoit). S’il fallait toujours tenir compte du « bon sens commun », c’est-à-dire convenu, prétendant que les jeunes sont rebelles à l’expérience de leurs aînés, chacun se recroquevillerait et l’histoire se limiterait à une vie individuelle.

On le saurait, les historiens seraient chômeurs. Il n’en est rien et l’impératif naturel de transmission a sa raison d’être.

En quoi consiste alors l’expérience que nous tenons à transmettre ? Probablement un chemin qui va du passé vers le futur. Le passé n’est pas trop difficile à connaître, nous l’avons vécu. Encore faut-il avoir de la mémoire et surtout être capable de l’analyser et de le synthétiser par rapport à un cadre de référence. Si je suis bon vivant et que j’en fais l’axe de ma vie, je ne retiendrai du passé que les bons moments en rapport avec cet axe : ce que j’aurai à dire m’intéressera, moi, mais sans doute assez peu celui à qui je parlerai. J’ai donc à dégager un axe, l’épine dorsale d’une vie, susceptible d’enrichir celui ou ceux à qui je veux transmettre. Ce travail n’est pas simple et suppose que je l’ai identifié moi-même. Chacun est libre du choix qu’il fait sur ce qu’il veut laisser à la postérité. Mais en ce qui nous concerne, Maçons, le cadre de référence est celui des valeurs : « la liberté et les bonnes mœurs », bien que pour un profane cette expression puisse apparaître comme limitée. Ce n’est pas tant le cadre que j’ai à transmettre que mon parcours dans ce cadre. L’énumération des valeurs n’apporte rien, un dictionnaire suffit pour les identifier. En revanche, leur mise en pratique dans certaines situations choisies peut être riche d’enseignement si elle est exemplaire. C’est l’exemple, une attitude et un parcours individuels, que le plus jeune (rien à voir avec l’âge, celui qui écoute) retiendra et tâchera d’adapter à sa propre expérience. Chacun est concerné : le Christ a dit que chacun serait jugé non sur ses talents mais sur ce qu’il en aurait fait durant sa vie. Que certains me pardonnent cette référence, mais je ne peux choisir que dans ma propre histoire ! La transmission requiert une discipline et un travail de grande ampleur.

Qu’ai-je à dire si ce que je montre ne suscite pas le respect, l’adhésion et pourquoi pas l’enthousiasme ? C’est loin d’être évident. Je ne pourrai choisir dans ma vie que de rares moments dignes d’alimenter la transmission. Et d’ailleurs suis-je bien sûr que le choix m’appartienne ? L’histoire est faite par les autres, ceux qui viennent après. Ce sont eux qui choisissent et retiennent ce qui leur semble marquant et à mettre en mémoire. Quelle responsabilité alors pour chacun d’entre nous ? Il faut avoir gravi quelques degrés sur l’échelle de Jacob pour qu’une vie laisse des traces enrichissantes. Certains exemples historiques et contemporains laissent aussi des traces descendantes et pénalisent l’humanité en général.

Voilà pour le passé. Et pourquoi le futur ? Parce qu’un chemin va forcément d’un point à un autre. Puisque l’échelle est le temps, il faut parler du futur vers lequel nous sommes tous en marche. Le futur est à inventer. Nous ne pouvons nous contenter de le laisser venir. Rester dans le cadre exige de chercher en permanence ce vers quoi nous allons. L’artiste a une ligne directrice dans sa création, ce qui n’empêche ni l’évolution ni le changement. Le chef d’entreprise a une stratégie, qu’il doit adapter sans cesse à son environnement. Dans son « Voyage au centre des organisations » Henry Mintzberg met en parallèle l’élaboration rationnelle d’une stratégie d’entreprise et l’adaptation intuitive d’un potier qui crée au fur et à mesure que la matière prend forme dans ses mains : il conclut que le chef d’entreprise aurait tout intérêt à mettre un peu plus d’art et d’intuition dans son élaboration. L’intuition est aussi le fruit d’une direction, même si elle est inconsciente. Notre futur doit être guidé par notre intuition, la foi que nous avons dans la recherche d’une vérité. L’objet de ce soir n’est pas de dire si cette vérité existe, il n’y a d’ailleurs sans doute pas de réponse. Il faut seulement souligner que le parcours nécessite un but. Si Compostelle n’existe pas, pourquoi progresser sur son chemin ?

Il suffit de remplacer le mot vérité par sagesse, plénitude, Grand Architecte ou Dieu.

Je terminerai par un retour à la question posée :
La perpétuation de la Franc-Maçonnerie correspond-elle simplement à l’impératif naturel de transmission ?

Personnellement je ne le crois pas, mais tout de même cet impératif y est pour beaucoup. D’autres raisons expliquent notre présence ici ce soir. Nous avons tous rencontré un futur parrain, nous avons tous été attirés par l’intuition que le chemin proposé pouvait être enrichissant. Ces coïncidences ne sont pas fortuites, elles correspondent à des croisées de parcours semblables ou liés en tout cas. Et puis la F∴ M∴ n’est pas le seul chemin pour avancer, loin s’en faut et heureusement d’ailleurs car les initiés, qui en principe ont pour mission d’aider leurs FF:. humains seraient bien peu nombreux sur terre. Mais ceci est une autre histoire.

J’ai dit.

Publié dans le Bulim - Bulletin N° 33 - 31 décembre 2011  -  Abonnez-vous

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