GLFM Bulletin : Bulim Misraïm 03/2011

Les Fêtes Isiaques
5” de Symbolisme

Les fêtes isiaques les plus importantes se célébraient au Printemps et à l'Automne. La vie fleurit et se fane suivant les saisons. Qu'est ce que la mort et le renouveau de la végétation, le déclin et le retour de la lumière, sinon le sentiment intime de la mort et la résurrection d'Osiris ? « On dit qu'Osiris est enseveli quand on cache la semence dans la terre, qu'il retourne à la vie et se montre au grand jour, quand les germes commencent à pousser ». Ceci posé, la tradition des rites veut que vers le solstice d’hiver, Isis mette au monde<Horus l'enfant> (harpocrate);et qu’après l'équinoxe de printemps, on célébrait donc une fête en mémoire des couches d'Isis» (Plutarque ; 1et 0, 65-70).

Apulée (met. IX) nous a laissé une description pittoresque de la fête de Printemps qu'il avait vu célébrée à Kenchrée, petit port de pêche situé prés de Corinthe, et qu'on appelait < la fête du vaisseau d'Isis > le 5 Mars , lorsque le vent d'hiver cesse , la mer s'ouvre à la navigation . Il était naturel que la fête du renouveau de la Nature devînt, sur les côtes méditerranéennes, une fête de la mer. Celle-ci débute par une procession où défilent d'abord une mascarade de grotesques suivie d'un cortège s'ennoblissant par degrés : musiciens, initiés, prêtres : comme l'intelligence des mystères va s'épurant du vulgaire profane à l'élite initiée.

Les dieux fermaient le cortège : statues, et emblèmes allégoriques, portés sur les épaules des plus grands dignitaires du culte ; le dernier apparaissait en symbole d'Isis : C’était une urne d'or à l'anse formée d'un uraeus et contenant de l'eau pure elle-même substance et symbole d’Osiris. Une fois la procession arrivée au rivage, le grand-prêtre purifiait le navire, le dédiait à Isis, et cet esquif, construit de matériaux précieux et chargé d'ex­exvotos et d’offrandes, prenait la mer. La fête d'automne était plus importante en évoquant la légende osirienne : la mort d'Osiris et sa résurrection. Le 17 Athyr du calendrier égyptien, soit le 13 Novembre, Osiris tombait sous les coups de Seth. Dans le temple d'Isis, les prêtres, revêtus du masque et du costume de chaque Neter , jouaient le mystère Osirien devant les fidèles ainsi que la quête éperdue d'Isis , sondant les eaux du Nil ,puis allant jusqu'à Byblos et retrouvant le corps d’Osiris et le ramenant en Égypte . Les assistants mêlaient leurs cris et lamentations à ceux d’Isis.

Ovide rapporte que quelques fois, on s'impatientait contre ce dieu qu’on n’a jamais fini de trouver ! ; Cela durait plusieurs jours et lorsque, lors du deuxième volet du drame, (celui des 14 morceaux de son corps), les membres d'Osiris étaient rassemblés, les rites lugubres se transformaient en fête joyeuse. Il y en avait aussi qui se plaignaient du tapage nocturne ! (Ovide dixit !)

Osiris était retrouvé le troisième jour, reconstitué et ressuscité. La nuit du 15 Novembre (19athyr), les prêtres se rendaient au bord de la mer, portant l'arche contenant le vase sacré avec lequel ils puisent de l'eau douce. Les assistants poussaient des cris de joie : Osiris était retrouvé ! Un prêtre costumé en Anubis amenait à ce moment un petit garçon censé être Osiris « renaissant ». Les prêtres exerçaient alors un rite agraire en détrempant de la terre végétale avec de l'eau douce, des aromates, des graines d'orge et de blé. De cette pâte, ils moulaient une figurine en forme de croissant qu'ils drapaient et paraient .Cette figurine était ensevelie, et quand, au printemps suivant, les graines germaient, Osiris était manifestement ressuscité. De grandes réjouissances se déroulaient en public. On signale aussi que pendant ces fêtes populaires, les initiés se réunissaient en un banquet, avec danses rituelles exécutées par des danseurs masqués. Ainsi les Grandes vicissitudes de la Nature étaient présentées comme un drame humain. Osiris mourait comme meurent les humains ; et en ressuscitant, il leur enseignait à se racheter du trépas ; l'initié savait, ce qui échappait à la majorité des spectateurs, que la pédagogie, (toute hellène) d'Osiris était la préfiguration de la propre destinée toute humaine.

Ces documents gréco-romains nous montrent l'évolution des rites, et leurs symboliques, en fonction des écoulements de l’histoire. On perçoit mieux que le conte initiatique d’Osiris, en Égypte ancienne, est à 3 niveaux :

*L'assassinat par Seth, dispersion (lunaire) des membres en 14 morceaux, le deuil et la renaissance de la vie .Cet <élan vital> est immortel.
*Une redite mais avec cette fois -ci la perte du sexe du corps d’Osiris et la magie d'Isis ,(élan vital, sur un autre plan) , et reprise des affrontements de Seth contre le fils, résultat de cette fécondation « magique » Osiris/Isis : Horus.
*A l'occasion de ces combats Horus perd les yeux, et le gauche est brisé en 64 morceaux.

Ce n'est plus Isis qui intervient alors pour en reconstituer les morceaux mais Ré/THot et devenir l’œil : Oudjat. A noter que les éléments du glyphe oudjat comportent les 64 mesures à grains, un reste des rites agraires.  Nous sommes en présence de degrés progressifs initiatiques, d'une spiritualité que nous allons essayer de percevoir et passer du figuratif à l’abstrait, et celui-ci sera de plus en plus élevé. Avec ce que nous savons de l'histoire spirituelle et philosophique, on va chercher des documents pour répondre à la question : COMMENT DEVIENT-ON UN INITIE ? Apulée (Métam. XI) donne quelques précisions sur l'état d'esprit du néophyte et les épreuves à subir. Et voici le conte : Lucius a mené une vie dissolue, au cours de laquelle, transformé en âne par une sorcière, il s'est laissé aller à la <bestialité>. Au cours de la fête de la « navigation d'Isis », la bonne déesse, touchée par ses malheurs et ses remords, lui rend forme humaine à condition de s'engager dans la « Sainte milice » et consacrer à Isis le reste de son existence humaine. Lucius tient sa promesse ; il loue une cellule dans la dépendance du Temple ; il assiste aux offices ; entend l'enseignement ; vit dans la familiarité des prêtres, et ne cesse d'adorer la déesse. Toutes les nuits, il la voit en songe et entend ses ordres de se préparer à l’initiation.


Mais la conscience de son indignité, les rudes exigences de ce rituel, l’obligation de rester chaste, rendent le néophyte hésitant. Enfin, pénétré par la grâce, il supplie le Grand-prêtre de l'initier aux secrets de la nuit sacrée. Celui- ci, sans le décourager, lui fait comprendre qu'il ne doit se montrer ni trop hâtif, ni trop ardent. « La Déesse elle-même l'avertirait du 7 moment favorable : dans sa main reposeraient les clefs de l'enfer et la certitude du salut : c’est une mort volontaire suivie d'une renaissance ». et : «Quelque claire et précise fut la vocation de Lucius, il fallait attendre un avis formel de la Déesse ». Lucius redouble d'assiduité et se prépare, par une claustration volontaire, nous raconte Apulée. Une nuit enfin la déesse lui dit que le moment est venu, une certaine somme sera nécessaire aux frais de sa réception et le Grand-prêtre sera son parrain. Après la cérémonie du matin, le Grand-prêtre tire d'une cachette des documents écrits en hiéroglyphes et les lit au néophyte. Nous n’en avons aucun détail. Lucius est conduit à des bains, suivi de la cohorte des initiés, où on le plonge dans l'eau et le Grand-prêtre le purifie en invoquant les Neter symboliques des entités divines, et fait ruisseler l'eau sur lui, selon « le mode égyptien », nous spécifie Apulée. Lucius est reconduit au Temple où il se prosterne devant la déesse. Le Grand prêtre lui dit secrètement les <mots ineffables>, et lui annonce à haute voix que pendant dix jours il devra faire abstinence, ne rien manger qui vie, ni boire de boisson alcoolisée (vin ou bière).

Après dix jours de méditation ascétique, Lucius est conduit au temple à la Tombée de la nuit. Des fidèles lui apportent des présents, le Grand-prêtre écarte les Profanes pour revêtir Lucius de la robe de lin traditionnelle et l'entraîne au plus profond du Temple. Ici Apulée est encore plus avare de détails ; son héros dit seulement : « J'ai approché les confins de la mort et après avoir foulé le seuil de Proserpine, j'en revins, transporté au travers de tous les éléments. Au milieu de la nuit, j'ai vu le soleil resplendissant d'une lumière blanche et les dieux ; je me suis approché d'eux et Je les ai adorés de tout prés. ».

L'auteur poursuit : Au lever du jour Lucius a endossé successivement 12 robes différentes et est conduit sur le parvis du naos, face à la statue d’Isis. Il est vêtu d’une chlamyde, il porte une torche enflammée et sur la tête une couronne de palmes blanches qui lui font une auréole de rayons. La foule a envahi les alentours du naos, et tout à coup les rideaux du sanctuaire sont tirés, Lucius apparaît au peuple dans le costume et l'attitude qu'on prêtait au soleil. Apulée continue : Cette naissance de Lucius aux rites sacrés est célébrée par trois jours de fête ; il prolonge son séjour dans le temple, savourant son extase devant Isis enfin il se retire après avoir prononcé les litanies d'Isis et couvert le Grand-prêtre de baisers et d’offrandes. Plus tard, Lucius passa par de nouvelles épreuves : il fut admis aux mystères d’Osiris, et aux nocturnes orgies de Sérapis ; il subit les rites d'une 2ème, puis d'une 3ème initiation. Désormais, membre du collège des Pastophores, il promène son crâne rasé à tous les défilés du clergé isiaque g. (Fin de citation). Tout ce texte d’Apulée est important en énumérant, sans les décrire, (hélas !) les épisodes de ce psychodrame : baptême, mort, renaissance, <descente aux Enfers> (Osiris), transfiguration en soleil. S'aidant des textes déjà connus, A. Moret s'est efforcé de compléter et d'interpréter les scènes relatées par Apulée.

L'immersion et le lavage de toutes souillures avec les eaux du Nil font du myste ce que tout défunt égyptien reçoit du rite : il est l'égal d'Osiris . Comme lui, il est mort pour les choses de la terre, mais il renait pour la vie spirituelle d'outre- tombe. Après cette épuration, on mettait en scène la mort et la résurrection du myste. Cela devait se passer dans une chambre obscure simulant le tombeau ; ces scènes devaient être connues par le candidat ; mais ce qui donnait à ces épreuves leurs valeurs de révélation, c’était le commentaire symbolique qu'en faisait le grand- prêtre. Faire mourir le « vieil homme », principe initiatique devenu immortel !

Tous ces rites funèbres, une fois accomplis, le Grand-prêtre entraînait le Candidat et lui faisait « fouler le seuil de Proserpine »; il s'agit là d'une descente aux Enfers, dans l'Am-douat, thème
popularisé par Homère et Virgile, eux mêmes inspirés par la culture égyptienne.


Mais comment, dans ces mystères isiaques, a-t-on interprété ce thème ? Nous ne le savons pas. Le myste comparaissait-il devant le tribunal d'Osiris pour que sa conscience (son cœur) fut mise en balance en contre -poids avec la plume de Maat ? Mais, se fondant sur une représentation de Sekhmet « la dévoreuse » sur une des parois dans une salle secrète de l'Iséion de Pompeï, Moret avance l'hypothèse que le tribunal d'Osiris faisait partie des rites isiaques et que le Grand-prêtre révélait alors, comme règle de la bonne vie, les formules que nous connaissons dans les différentes traductions du Livre des Morts. L'éthique des isiaques est en tous points conforme à ce que le défunt déclare quand il comparaît devant Osiris.
On perçoit mieux les influences de nos maîtres égyptiens sur les différents Monothéismes qui en sont issus ; Il en est de même pour les spiritualités, et philosophies résultantes, ainsi que leurs différents aspects et évolutions de leurs rites au cours des trois millénaires qui suivirent les écoles d’Hermopolis, d’Héliopolis, de Thèbes et de Memphis.

Mais si nous parlions d'Horus et en même temps de son œil Oudjat ? Nous en parlerons dans la planche suivante intitulée HORUS.

Un Frère de la GLFM
Publié dans le Bulim - Bulletin N° 26 - 31 Mars 2011  -  Abonnez-vous

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