GLFM Bulletin : Bulim Misraïm 12/2010

L'Héritage du Pére

Cette année, l’un des sujets des épreuves de philosophie du baccalauréat était " faut-il oublier le passépour se donner un avenir" ? J’ai passé le baccalauréat il y a déjà longtemps, sans briller à l’épreuve de philosophie, et l’envie me prend de me confronter à ce sujet en me remettant dans la peau du candidat. Je ne sais pas comment j’aurais abordé le thème à l’époque. Aujourd’hui je vais tenter de le faire à travers le prisme de « l’héritage du père ». Du coup, le thème de mon travail de ce midi, s’il est susceptible de nous ramener aux années de lycée, apparait de prime abord beaucoup plus profane que maçonnique. Lançons-nous et
nous verrons bien ce qu’il en est ! Pour parler de « l'héritage du père » il convient en premier lieu de s’accorder sur ce qu'est un héritage. Le dictionnaire nous apprend que l'héritage se définit comme ce que l'on transmet d'une génération à une autre. Essayons de préciser cette définition en analysant ses trois composantes :
          Qu'est ce que l'on transmet ?
          Pourquoi parle t'-on d’ailleurs de "transmission" ?
          Pourquoi parle-t-on de "génération" ?

Déjà sur "ce que l'on transmet".

La définition étant laissée intentionnellement évasive tentons de nous l’approprier. Cet élément que l’on transmet se conçoit en premier lieu sur le plan matériel. Il s’agit alors de biens palpables, de choses dont tout le monde peut appréhender la réalité physique. Je considère pour ma part cette composante de l'héritage comme accessoire puisque limitée aux métaux, à toutes choses qui ne présentent que peu d'utilité par rapport à la construction de l’individu si ce n'est lui apporter un bien- être superficiel qui pourrait d'ailleurs n'être qu’éphémère.

Le matériel, celui qui en hérite n’a pas été associé à sa réalisation, de sorte qu’il lui manque le ressenti de l’accomplissement qui lui aurait permis de l’apprécier à sa juste valeur.

De manière plus fondamentale me semble t'il cet élément que l’on transmet se conçoit sur le plan moral, celui des valeurs humaines, celui du développement et de l'enrichissement intérieur de la personne. Cet élément est alors intime, fort et durable car pour en hériter il faut forcément avoir été impliqué, au sens actif de s’être investi, et l’avoir fait sien au cours d’un processus volontaire d’apprentissage. C'est de ce point de vue là que la notion de transmission revêtira tout son sens dans la mesure où elle est constitutive d’une construction.

Sur le concept de "transmission" justement. Transmettre c'est donner quelque chose. Et dès lors que l'on parle de notions immatérielles, si effectivement un processus d’apprentissage doit y être associé, alors la transmission a forcément comme préalable une condition nécessaire qui est la communication.

La communication est une condition nécessaire mais pas suffisante car si communiquer consiste à délivrer une information, parvenir à l’aboutissement que constitue la transmission effective suppose que cette information ait certes été entendue mais surtout reçue, comprise, acceptée, assimilée et faite sienne avec comme conséquence de la mettre en pratique. Pour emprunter une expression du langage populaire, ce qui « rentre par une oreille et sort par l’autre » a peut-être été communiqué mais certainement pas transmis. Transmettre va au-delà de communiquer. La transmission ne peut se faire que si une connexion réelle existe entre l’émetteur et le récepteur. Etablir ce lien dans une relation sincère est affaire de confiance et d’amour.

Enfin, sur la notion de "d’une génération à une autre".

D’une génération à une autre fait référence à la notion de continuité et de recommencement dans un cycle immuable. C’est une chaîne d’union qui se veut ininterrompue, que le temps ne devrait pouvoir altérer.

Le terme génération nous renvoie à la notion de filiation donc de famille mais il n'est pas pour autant limitatif à la famille. En fait, plus généralement, tout groupe humain, peuple, état, nation, inscrit son évolution dans le temps comme une succession de générations.

Tout comme leur pendant « microscopique » qu’est la famille, ces groupes sociaux « macroscopique » se définissent et se caractérisent par un ensemble de valeurs communes qui constituent leur fondation et dans lesquelles chacun de ses membres doit pouvoir s’identifier. Ces valeurs partagées, qu’elles soient morales, culturelles, religieuses, historiques ou autres sont le ciment permettant la cohésion de l’édifice que constitue le groupe, donc l'élément primordial dont le groupe doit assurer la transmission pour sa perpétuation.

Le passage de témoin d’une génération à une autre est une transition fragile par nature. Comme dans une course de relai, c’est au moment de ce passage que l’échec peut subvenir. Les transmissions non abouties ou la non matérialisation de ce qui devait se transmettre sont souvent à l’origine de la disparition des civilisations. C’est d’autant plus vrai des civilisations basées sur la transmission orale, vecteur on ne peut plus vulnérable. C’est ce que l’on observe dans les sociétés traditionnelles contemporaines, telles qu’il en existe encore par exemple en Afrique, où les carences lors des transitions conduisent à un appauvrissement des traditions pouvant les mener à terme à leur extinction.

Cela nous amène à la définition de ce qu'est le "père", ce que nous essayerons de faire à travers les différents contextes d'utilisation de ce terme.

Le substantif père fait référence à la paternité et par paternité on entend "parent". La première lecture, sera donc celle du parent dans le sens biologique à savoir le père en tant que personne physique, le géniteur.

Nous savons cependant que l'on utilise aussi le terme père dans un sens plus large. Ainsi, on qualifiera également de père la personne qui est à l'origine d'un concept. C'est en ce sens que le mot père est associé à ces expressions qui nous sont familières telles que "père du peuple" ou "père de la nation" ou "père de la psychanalyse" ou "père de la relativité" et autres. Fondamentalement, la paternité est donc avant tout synonyme de création, mais aussi de fédération lorsqu'une entité sociale est concernée.

Une autre aspect du père est son rôle de guide, de celui qui montre le chemin et met sur la voie. C'est à cet aspect que s'identifie l'expression "père spirituel". En effet, le père spirituel est un guide moral, c'est une personne avec qui il n’y a pas de filiation mais par contre une communion de pensée.

A travers ces différents contextes d'utilisation du terme père, on constate que ce mot est porteur d'aspirations et de responsabilités élevées. Le père est à la fois notamment créateur, fédérateur et guide, tout cela pour pouvoir transmettre ce qui lui subsistera, à savoir un héritage.

Si nous nous recentrons sur le père dans le contexte de la famille, maintenant investi de toutes les aspirations ci-dessus évoquées, que peut-on dire de son rôle ?

Sociologiquement, le premier rôle de l’institution familiale, incarnée par le père dans la majorité des sociétés fondées sur le patriarcat, devrait être la transmission du patrimoine économique mais surtout moral d’une génération à l’autre.

A observer notre société libre d'aujourd’hui, faut-il ajouter de bonnes mœurs, on constate que la réalité est plutôt que la famille tend à privilégier la construction de l’identité personnelle aussi bien dans les relations conjugales que dans celles entre parents et enfants, et cela souvent malheureusement au détriment du patrimoine moral, alors qu'il ne devrait normalement à priori pas y avoir d'incompatibilité.

Il est vrai qu’un enfant doit pouvoir s’épanouir et trouver sa place dans l’aventure humaine, mais cela peut-il se faire harmonieusement sans qu’on lui ait transmis un fondement moral où seront prônées les valeurs du travail, de l’effort et de l'éthique ?

La famille contemporaine dans notre société ne se comporte plus comme cette institution initiatique garante des valeurs morales. Elle s'est étiolée en un simple réseau relationnel où même la communication de base fait parfois, osons dire souvent défaut. Les causes derrière ce constat sont multiples. Parmi elle, le recentrage sur l’enfant, poussé à l’extrême du culte de l’enfant roi, le modèle de couple en CDD ou union libre, la négation de l’autorité, l’individualisme, la dévalorisation du modèle paternel.

Le contexte contemporain ne facilite pas la tâche. A l’ère de la communication instantanée, de l’informatique et des réseaux sociaux à le mode Facebook ou Twitter, personne ne vit en autarcie et toutes les influences de la société, les bonnes comme les moins bonnes, sont accessibles aux enfants qui peuvent ainsi se trouver influencés négativement.

Les parents doivent alors composer avec ces paramètres et adapter leur style éducatif s’ils veulent donner une chance à leur message d’être entendu. Ils doivent parvenir à trouver un équilibre subtil sachant manier fermeté et tolérance, respect de la tradition et ouverture au modernisme.

L’enfant, dans son apprentissage de la vie, est semblable à la pierre brute et il convient de lui permettre de se transformer en pierre cubique. Le passage de l’une à l’autre s’effectue grâce à l'action des parents, et notamment du père en tant que figure statutaire, qui se doivent de dispenser une éducation vertueuse. Les parents orientent le ciseau et l’enfant agit sur le maillet. La combinaison harmonieuse des deux assurera une taille réussie.

Le rôle dévolu aux parents en tant que facilitateurs de la transformation de cette pierre est ainsi la combinaison d’un enseignement, dans le sens transmission de savoirs tout simplement sur la vie, et d’une éducation, dans le sens transmission des valeurs humaines. L'éducation, répétons-le, est un apprentissage et comme dans tout apprentissage on ne peut raccourcir le temps à volonté. Aujourd’hui, la frénésie de la vie fait que nous sommes dans une logique de recherche de rapidité, et compte tenu de l'incompressibilité du temps (sauf pour les spécialistes en physique quantique!) cela nous conduit à avoir recourt à des raccourcis, à faire des approximations, et le tout quitte à s’accommoder de la médiocrité et à fermer les yeux devant l’inachevé. Il faut aux parents savoir trouver le temps de préserver la vie familiale de cette effervescence s'ils veulent bâtir et perpétuer plutôt que subir et voir péricliter.

A ce stade, permettez-moi une touche personnelle.

Fort de ces observations sur le rôle du père, je veux regarder derrière moi avec gratitude en affirmant que les conditions n’étaient pas réunies mais j’ai pourtant eu un PERE ! ! !

Il été pour moi une étoile flamboyante.... guidant mes pas et me montrant le chemin.
Il a su m’enseigner ce que je reconnais aujourd’hui en la règle, en l’équerre, en le compas, en le niveau ou dans le pavé mosaïque.
Il a œuvré pour moi afin de me donner les outils à même de me permettre de devenir ce que Kipling décrit être UN HOMME
Le temps lui a manqué dans cette aventure mais il a mérité son salaire car, comme le faisait remarquer Antoine de Saint Exupéry, ce qui importe, ce n'est pas d'arriver, mais d'aller vers. Je complèterai sa pensée en m’autorisant à ajouter d’aller vers la Sagesse, la Force et la Beauté.

Et la Franc-maçonnerie dans tout cela ? Peut-on dresser un parallèle avec l'héritage du père ?

Vous avez raison de penser que la question est posée à l’envers. Bien sûr que c’est l’héritage du père qu’il faut voir comme une émanation de la Franc-maçonnerie car de tout ce que nous avons observé concernant la transmission et la perpétuation des valeurs morales, c’est bien là la nature même de la Franc-maçonnerie.

Comme toute société, la Franc-maçonnerie est une entité qui doit assurer sa pérennité dans le temps. Si l’on essaye de comprendre comment la franc-maçonnerie a pu traverser les siècles en dépit des persécutions, des diffamations, des désaffections qui ont jalonné son histoire, on constate qu’elle a pu survivre grâce à la transmission de sa tradition, de ses rituels, de ses rites.

La notion de père et d’héritage est de fait bien présente en Franc-maçonnerie. Ne sommes nous pas tous appelés « enfants de la Veuve » ?

En tant qu’enfants il faut bien que nous ayons un père. Il ne m’a pas encore été révélé, mais je le connaîtrai j’espère un jour. En attendant il me parait évident que nous représentons aujourd’hui son héritage.

En tant que maçon de la terre d'Égypte, je pense également avoir trouvé une filiation en Osiris, père des concepts et fondements de la civilisation de l’Égypte ancienne dont nous perpétuons aujourd’hui encore les principes et représentons donc à ce titre l’héritage.

Osiris est le guide initial et ultime, détenteur des principes vertueux que nous devons adopter et transmettre.

Osiris, à travers son tribunal des morts est la clé du passage à la vie éternelle. Pour y accéder il faut passer avec succès l’épreuve de la pesée du cœur, de la plume de Mâât, chose qui nécessite d’avoir appliqué durant sa vie les principes vertueux énoncés dans les 42 confessions négatives.

Ainsi, l’héritage du père concourt à passer honorablement le tribunal d’Osiris. Bien sûr il ne suffit pas à lui seul car il ne peut prétendre représenter la « perfection » des 42 confessions négatives mais néanmoins il nous permet d’en prendre la voie.

Ce symbolisme m’amène également à faire une analogie avec le principe de trinité de la religion Catholique : « le Père, le Fils et le Saint Esprit », abordée sur un plan ésotérique : Le "Père" c'est "l'ancien homme" présent en nous avec ses métaux, ses erreurs, ses imperfections... qui par la Grâce du Saint Esprit, c'est à dire la Voie Juste, aspire à devenir un homme nouveau, le Fils de l'homme ancien, issu de l'initiation, ayant subi les purifications ...

Ramené à la symbolique égyptienne, la transposition de cette trinité devient : Osiris en tant que père, Mâât en tant que Saint Esprit, et enfin l'Horus nouveau, « Jésus », « INRI », le Fils de l’immaculée conception, fruit des éléments épars... enfin rassemblés.

Cette année, l’un des sujets des épreuves de philosophie du baccalauréat était « faut-il oublier le passé pour se donner un avenir » ? J’ai passé mon bac il y a déjà longtemps. Je ne sais pas ce que j’aurais répondu à l’époque mais aujourd’hui vous aurez maintenant deviné que l’héritage du père aurait été pour moi un argumentaire de choix pour développer la partie antithèse de la dissertation.

Oublier le passé reviendrait à effacer l’héritage, à effacer ce qui se transmet d’une génération à une autre, à nier le concept de l’héritage du père.

Quelque part, être dépositaire de l’héritage du père c’est prendre sa place d’homme et se libérer de l’autorité et du schéma paternel.

Mon père n'est plus, mais son visage m'apparait comme un garde fou de ma conscience à chaque fois que je me regarde dans mon miroir Ankh.

Mon père n’est plus, mais en sa mémoire je me sens redevable de devoir toujours gouverner ma barque de façon à rester sur la voie juste. Mon père n’est plus, mais il est présent et, comme tout est symbole, ces gants que je revêts aujourd’hui sont pour moi son incarnation.

Mon père n'est plus, mais il a fait en sorte que j’aie pour m’accompagner vers le jugement dernier des Frères, des Sœurs et parmi eux un acteur particulier, un parrain, alter égo spirituel, à qui il revient de reprendre le flambeau et de m’assister dans ma quête de la Vérité.

Pour cette ultime Sagesse et pour tout le reste, merci Papa.

J’ai dit ! VM

Ser\ YAM\ – RL Neter 31

Publié dans le Bulim - Bulletin N° 23 - 31 décembre 2010  -  Abonnez-vous

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